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Presse et littérature : quelles formes brèves ?

On reconnaît souvent que les formes brèves, en littérature, ont été favorisées en France au xixe par le développement de la presse, en particulier quotidienne. Y dominent en effet des rubriques variées et plus ou moins courtes, fournissant une matière pouvant nourrir le littéraire et un cadre où inscrire les productions des écrivains du temps. Y domine aussi la fragmentation d’ensembles trop longs pour pouvoir être publiés en entier, comme le roman, sans oublier d’autres typologies textuelles relevant du littéraire, le journal étant aussi le lieu où, par bribes, jour après jour, se construisent de futurs ensembles « volumisés » comme les recueils individuels (mais aussi collectifs, en particulier thématiques). Se succèdent alors, a posteriori, volumes de nouvelles ou de contes, de textes critiques, d’anecdotes, d’anas ou de calembours, de chroniques, de portraits et de causeries dont l’unité est établie parfois à partir du type de rubriques dont ils proviennent — assurées par l’écrivain-journaliste qui en est l’auteur —, mais aussi de poèmes, d’abord publiés isolément, voire par petits groupes, tel le Spleen de Paris de Baudelaire publié en recueil posthume et qui ne fut connu par les contemporains que par leur publication, par tranches, dans la presse ; ou des Odes funambulesques de Banville, pour ne citer que deux des exemples les plus célèbres. De tels volumes (romans ou recueils, d’articles ou de poésies) formant des ensembles mieux définis et circonscrits, sembleraient répondre à un désir de réunification de parcelles éparses, mais aussi à une réappropriation auctoriale pour conjurer, en partie du moins, leur dispersion sur les pages du quotidien, leur caractère éphémère mais aussi la perte d’individualité qui caractérise l’entreprise collective d’un journal. On est en droit de penser que les exigences du support dans lequel ont été publiées la plupart des productions littéraires du xixe ont marqué, au passage, des pratiques d’écriture et qu’elles ont conditionné les écrivains qui collaborèrent aux entreprises de presse. Personne aujourd’hui ne remet en question le fait que le morcellement du roman feuilleton a eu des conséquences sur sa nature même : le découpage de ses chapitres et, par là, sa structure (par exemple le retour du personnage : du héros chez Sue et chez Balzac, des personnages de l’ensemble changeant de statut selon les romans ; les reprises de textes ou les résumés à l’intérieur du roman ; les effets de suspens). Mais une analyse analogue des « effets de presse » pourrait être faite dans d’autres domaines et pour des formes plus brèves, appartenant par exemple à la poésie et en particulier au poème en prose. Ainsi on pourrait se demander si les formes du journal ont joué un rôle dans la constitution et la poétique de celui-ci et si les formes brèves de presse ont exercé une influence particulière dans sa définition, au moment où Baudelaire en pose les bases dans sa célèbre lettre à Houssaye. La période étudiée sera donc celle des années 1840-1860.

Avant d’analyser le phénomène, peut-être faut-il préciser ce que l’on entend par forme brève, terme qui peut prêter à confusion car il ne recoupe pas forcément la même réalité dans les domaines littéraire et journalistique et ce serait un tort fait à la presse de ne pas l’envisager dans sa spécificité. Les formes brèves qui appartiennent au domaine littéraire et se distinguent des formes longues (roman, entre autres) font désormais figure de genres : fictionnels ou historiques (nouvelles, contes, anecdotes), réflexifs (maximes), etc. Mais peuvent-elles, sous prétexte de brièveté, coïncider avec toutes les rubriques de presse, rubrique étant à entendre comme l’équivalent d’un « genre » de presse. Ne pourrait-on pas plutôt envisager, à l’intérieur de la production journalistique, une distinction entre formes brèves et formes longues pareillement à ce qui se produit dans le domaine littéraire et selon une hiérarchie légitimante analogue ? La chronique serait alors à situer parmi les genres longs de la presse. Genre noble et multiforme s’il en est, elle peut absorber d’autres rubriques comme le « Premier Paris » (l’ancêtre de l’éditorial en première page) et peut traiter tous les sujets selon l’occasion du jour (social, politique, littéraire, artistique) et selon des modalités choisies. Elle a pour seules contraintes d’être journalière, relativement légère, « paradoxale et humoristique », en se distinguant néanmoins des formes courtes et en essayant aussi de se différencier, sans toujours y réussir, d’autre formes longues comme les « nouvelles à la main » du Corsaire, des amples portraits ou anecdotes, ou des contes et des nouvelles, voire de certaines formes de faits divers plus élaborées et moins télégraphiques. Elle serait alors aux antipodes des « gazettes » des théâtres, de la bourse ou des tribunaux, des « échos de Paris », des « coups de lancette » du Figaro, voire des annonces ou des boniments publicitaires que l’on pourrait aussi assimiler à des formes brèves quand elles contiennent du texte. Les formes brèves se distinguent des longues par leur extension, certes. Elles s’en écartent aussi par la place qui leur est attribuée à l’intérieur du journal — les secondes, plus prestigieuses sont groupées au plus proche de la première page, page majeure, alors que les premières sont plus fréquentes dans les autres, quand elles ne bouchent pas les trous, les espaces blancs de petite dimension. En outre, l’importance accordée au style et à l’identification d’un sujet-écrivant est plus grande dans les formes longues où le texte, souvent écrit à la première personne, donne à lire sous une forme plus élaborée, un jugement sur le monde qui passe parfois par la description, le portrait ou la narration. Le journaliste est loin d’être simplement un greffier de l’information et des faits, alors que dans les formes brèves, plus attentives au simple détail, au petit fait, il lui arrive d’enregistrer simplement des détails, de croquer rapidement une situation. Le style elliptique fait parfois de l’auteur un simple énonciateur d’allusions qui ne sont compréhensibles que par une même communauté de lecteurs à un moment donné de l’histoire et, par là, vouées rapidement à l’oubli. Généralement ces pièces ont une tonalité humoristique, ludique, ou au contraire cinglante et macabre qui attire le lecteur d’entrée de jeu. Tels les anas, les épigrammes (« bigarrures », « coups de lancette »), les échos de Paris, les nouvelles à la main, les blagues, les histoires drôles, les carnets mondains ou nécrologiques, les devinettes ou les charades. Ne peut-on alors imaginer que de ces deux typologies de formes, certaines ont joué un plus grand rôle dans les nouvelles pratiques et la définition du poème en prose du milieu du siècle ? Question d’autant plus légitime que les écrivains qui s’y sont essayés ont souvent écrit dans les journaux autre chose que ce qu’on a l’habitude de considérer comme des microformes, mais plutôt des articles qui appartiennent à des « genres journalistiques » plus prestigieux, à ceux qui « naissent de la combinaison de l’exigence médiatique avec l’héritage littéraire[1] ». Entre toutes, la chronique semble avoir particulièrement intéressé les « poètes-journalistes », sans doute pour l’importance attribuée à une griffe (un style), mais aussi parce que le genre est assez libre pour permettre une expérimentation ou recouvrir des formes traditionnelles plus élaborées comme le conte, le poème (en vers et surtout en prose). Ainsi malgré la tentative de distanciation que certains donnent à lire, la chronique, genre hybride, engloberait les autres. Un peu comme en littérature, le roman à la même époque. Enfin, elle présente un caractère particulier. En ces années-là, elle dépasse souvent le modèle de la conversation qu’elle entend mimer par écrit, selon la formule de Jules Janin, maître du genre — certaines d’entre elles ont eu pendant longtemps pour titre causeries et celles de Sainte-Beuve, Vallès, Zola et Maupassant sont restées célèbres. Elle entend de plus en plus développer des idées et des enseignements, partir d’un cadre contingent pour arriver au général[2]. S’y donne à lire un désir de durée, de survie compréhensible chez un écrivain. Elle se situerait alors de plus en plus fréquemment à l’extrême opposé de la plupart des formes brèves.

La plupart des écrivains de ce siècle ayant écrit pour les journaux s’y sont mesurés : Champfleury, Barbey d’Aurevilly, Vallès, Daudet, Maupassant, Zola, Villiers, Bloy, voire les frères Goncourt pour leurs chroniques théâtrales, mais aussi des poètes comme Banville, Gautier et Baudelaire. Et comme ils ont également expérimenté, dans une période de leur vie, la poésie en prose, il fallait se demander si une telle pratique de presse avait pu avoir des répercussions sur leur production poétique. Certes, la plupart d’entre eux ayant généralement pesté contre la presse, ils ont incité à penser trop rapidement que c’était contre celle-ci que leurs oeuvres avaient été écrites, qu’elle avait constitué en somme une sorte de repoussoir, dont on peut se demander s’il n’a pas contribué à rendre nécessaire, pour la plupart, l’autonomisation du champ littéraire, dans un désir de distinction par rapport à celui du journalisme. À la limite, elle n’aurait constitué qu’un support où publier des textes préexistants, rien de plus qu’une manière de faire vivre la plupart d’entre eux, un pis-aller accepté au prix d’un renoncement à leurs ambitions antérieures. Et lorsque celles-ci étaient poétiques, comme il arriva souvent, elle leur aurait fait payer le prix d’un passage quasi forcé du vers à la prose, ou du moins, du vers « lyrique » à la prose, car il y avait bien des vers dans la presse, mais ils étaient souvent satiriques ou parodiques (odes, sonnets à la manière de) ou simplement le fruit d’une grande habileté (les vers « prosés » de Sainte-Beuve et Musset y sont repris par Daudet, par exemple dans ses « chroniques rimées » où il continue la tradition du vers[3]). Une telle logique est consolidée à une époque où le journaliste est avant tout homme de lettres, quels que soient les moyens employés, et selon les préceptes déjà énoncés par « Léveillé » — avec beaucoup de verve satirique de la part de l’auteur — dans le premier éditorial du Figaro, le 1er janvier 1826 :

Je me suis fait homme de lettres : vous voyez devant vous un prosateur, un poète qui, tour à tour, et suivant que l’exigent les besoins d’une maison considérable et dispendieuse, prend alternativement la plume de l’historien et du romancier, celle du savant et du bel esprit ; de l’analyste, du publiciste, du journaliste.

Le vers de presse en question

On peut donc avancer que, pour certains, une telle expérience a porté à un questionnement sur le vers, devenu trop souvent, en ce lieu, affaire de technique et d’académisme. Une telle idée alimente les débats de revues plus spécialisées comme L’Artiste. Elle est en outre très répandue dans les journaux du temps. Prenons-en pour exemple le jugement de Firmin Maillard repris dans son Histoire anecdotique et critique des 159 journaux parus en l’an de grâce 1856 :

Un poète n’a jamais été un rimeur : il ne le peut pas ; il y a entre eux tout ce qui sépare l’homme qui fait du métier, de l’artiste. Le rimeur travaille avec un compas, il aligne des mots à épithètes sonores, mais vides comme son escarcelle ; le poète parbleu… c’est George Sand, Michelet… si peu rimeurs qu’ils en écrivent en prose[4].

Comment s’en étonner ? Le vers auquel il revenait généralement d’exprimer par les règles prosodiques, dans de nombreuses productions romantiques, un profond désir d’harmonie entre le sujet et le cosmos (le monde), peut-il encore servir à ces jeunes, impliqués dans la presse, alors même que domine en eux l’idée d’une scission entre ces différents univers, au moment même où ils ne croient plus dans la réorganisation ou dans la représentation de celui-ci à travers une forme close et parfaite établie selon des règles rythmiques préalables, au moment où c’est l’idée même de perfection, de clôture qui est remise en cause et celle de perte de soi et de fragmentation du réel qui domine[5] ? Ou, inversement, la valeur de plus en plus « prosaïque » du vers, souvent devenu en ce lieu simple technique et vidé de son sens, n’a-t-elle pas poussé certains à distinguer le leur de celui que la presse assène généralement à ses lecteurs, vers de circonstance parodiques et satiriques, qui pour leur caractère allusif et contingent, leur qualité dominante, ne seront jamais recueillis en volume ? Dans un tel contexte, les tentatives de poésie en prose servant à conjurer la « dépoétisation » du vers, ne seraient que l’un des aspects d’une recherche dont l’autre extrême serait, au même moment, la revalorisation des formes traditionnelles « mercantilisées », servant à conjurer l’usage plus « sériel » qu’en fait le quotidien, autre face d’une même médaille. Cette double expérimentation est au coeur de la production des mêmes « poètes journalistes » dont les plus prestigieux sont Gautier, Banville et Baudelaire, qui anoblissent, dans les formes prosodiques les plus recherchées (le sonnet par exemple), la matière la plus triviale et la plus prosaïque qui soit[6]. Comme dans leur tentatives de poésie en prose, ils travaillent ici sur l’écart entre une forme et un objet, sur la production d’un effet bizarre, relevant, quelles que soient les formes adoptées, d’une même esthétique fondée sur la dissonance et ce, malgré l’inversion des rapports entre prose et vers par rapport au premier cas de figure envisagé. Mais des deux phénomènes, celui des rapports entre presse et poésie en prose ayant été moins traité que l’autre, c’est à lui que nous entendons nous consacrer ici.

Poésie et lecture du journal

En fait, au lieu d’opposer ces deux expériences, ne peut-on penser que la presse a contribué à favoriser l’idée et la représentation même de la perte de sujet, dont on sait qu’il est à l’origine de la « modernité » poétique[7] ? Le lecteur est placé en effet devant la multiplicité et la juxtaposition des représentations du monde, que la page du quotidien en particulier donne à voir et à lire. Car avant d’être collaborateur de presse, l’écrivain du xixe est d’abord lecteur de journal (et il en est souvent question dans les productions littéraires de l’époque, aussi bien dans le roman, les nouvelles que dans la poésie, sans oublier les articles de journaux eux-mêmes tendant à représenter l’auteur de l’article lisant le journal). On peut imaginer le désarroi d’un poète ou aspirant poète se demandant où se situer par rapport à la « prosaicité » du texte de presse : informations économiques, politiques ou financières, où il publie des poèmes de La Presse de Houssaye dans laquelle paraît une partie des petits poèmes en prose de Baudelaire ; du Présent ou du Figaro, qui consacre lui aussi une rubrique à la Bourse. Où se situer aussi par rapport à l’information éphémère ou la description et le récit du monde passant par les détails des cancans, des échos ou de certains faits divers. Ne peut-il se demander également, quand le cas se présente, comment caser dans un tel contexte et dans une telle mosaïque, un poème aux visées plus existentielles ou éternelles exprimant justement la propre distance de leur auteur par rapport à ce monde ? Le journal alors n’est pas seulement le lieu où il lui arrive de publier un texte ou un simple repoussoir, mais un véritable hypotexte qui structure son imaginaire et où cette scission et ce profond malaise sont déjà visibles sur la page même du quotidien, déjà « textualisés ». C’est aussi un lieu où, en tant que poète, on lui accorde peu d’espace, quand on lui en accorde, en effaçant typographiquement la différence de son texte par rapport aux articles qui l’entourent et qui disent le monde qu’il condamne. On peut imaginer le dépit de Baudelaire voyant certains de ses poèmes des Fleurs du mal noyés dans Le Présent (« Paysage », 15 novembre 1857 ; « Les hiboux » ; « Le mort joyeux », intitulé dans ce contexte : « Spleen » ; « Le tonneau de la haine » ; « La cloche fêlée » alors « Spleen », publiés dans Le Messager de l’Assemblée, le 9 avril 1851) ; ou, pire encore, certains de ses poèmes en prose que l’absence de scansion prosodique et typographique ne permet plus de distinguer des autres textes de la page ; son dépit en somme de voir ses pièces du Spleen de Paris publiées dans Le Boulevard, Le Présent, La Presse, voire, le 7 février 1864, dans Le Figaro, entre une section déclinant les chiffres du tirage d’autres journaux parisiens — dans une composition en colonne, typographiquement rythmée comme un poème en vers —, le courrier des lecteurs au directeur du journal et un feuilleton de « souvenirs historiques » où il est question du prince Eugène ; et, ce qui est sans doute encore plus grave, de constater que ces pièces, pour exister sur la page, nécessitent une présentation — signée G. Bourdin — justifiant auprès des lecteurs la présence de ces « poèmes en prose » dans les colonnes d’un journal. Car cette introduction, servant pourtant à mieux les faire passer dans le contexte des différentes rubriques, leur fait courir le risque par la même occasion, de les aplatir, de les rendre homogènes à l’ensemble du texte de presse. On peut en effet se demander si les termes qu’emploie Bourdin pour les définir — « toutes les suggestions de la rue, de la circonstance et du ciel parisiens, tous les soubresauts de la conscience, toutes les langueur de la rêverie, la philosophie, le songe et même l’anecdote » qui « peuvent [y] prendre leur rang à tour de rôle » — ne renvoient pas, quoiqu’on puisse en penser au premier abord, au classement, au contenu et à la nature de plusieurs rubriques de presse, dont certaines attribuent une large part à la subjectivité et à des états d’âmes. Tel est le cas par exemple des chroniques intitulées « Souvenirs », fréquentes sous le Second Empire, ou encore celles qui reprennent les nombreuses flâneries des journalistes des Paris, cherchant dans les personnages de la rue, les images de leur propre misère, de leur douleur ou de leur mise en marge. Évoquons, à propos des premières, les chroniques de souvenirs que Vallès écrit pour L’Époque en mai 1865 ou celles qui sont intitulées « Paris », parues dans L’Événement en mars 1866, ou encore celles du Figaro, de La Situation, en janvier 1866 et en décembre 1867, reprises en grande partie dans son recueil La rue ; signalons à propos des secondes, son Courrier de Paris paru dans L’Époque en avril 1865 portant sur le monde de la foire et des saltimbanques auxquels il s’identifie — en partie repris dans le même volume. Citons aussi, avant lui, Les excentriques de Champfleury, recueil de chroniques dont certaines furent publiées dans Le Corsaire (par exemple, le 24 novembre 1847) ou L’Événement, en août et octobre 1848.

Certes, à les lire attentivement, les poèmes en prose de Baudelaire détonnent sans doute plus dans le journal que dans des revues spécialisées et expérimentales telles L ’Artiste, mais ils contribuent mieux, à la lecture de la page dans un journal non spécialisé, à susciter cet effet de dissonance propre à la poésie de la modernité. Le choc de lecture ne peut être éprouvé qu’à partir du heurt de sections apparemment contradictoires de cette page, apparemment impossibles à concilier et pourtant coexistantes. L’oxymore, figure de la coexistence à l’intérieur d’une même unité poétique, ne ferait que représenter en l’organisant au niveau structurel et thématique la dissonance à l’oeuvre dans l’ensemble de la page de journal. Elle favoriserait la perception du « bizarre », la perception, par le sujet, d’une sorte de hiatus entre les divers éléments « stridents » de l’oxymore, cette fois à l’intérieur de la même unité.

Poème en prose et formes longues (chroniques, faits-divers et contes)

Le poème en prose se présente alors comme le lieu et la synecdoque de ce heurt qui, dans une composition se voulant littéraire, se donne à lire, dans une autre dimension, sur l’ensemble de la page d’un quotidien. Subi dans un tel contexte, ce heurt est maîtrisé et formalisé dans l’unité « poème en prose ».

Il s’agit donc de se demander si les poètes ont vraiment écrit contre le journalisme et, quelles que soient leurs déclarations, s’ils ne s’en sont pas servis, en assumant au niveau de la création, ce qu’ils y ont subi en tant que lecteurs désorientés et en tant que journalistes contraints. Il ne s’agit pas simplement de rendre poétique de la prose, le monde et le langage du « prosaïque », mais de représenter dans un poème une sorte d’impossible conciliation entre les deux instances, en imitant dans leurs productions — et pour leur donner un sens — l’effet de heurt mais aussi l’exaltation du bizarre déjà suscitée par la contiguïté, dans un journal, de deux articles différents, séparés par une ligne typographique, frontière qui dessine autant une rupture qu’une proximité. Proximité criante, certes, comme justement « le cri strident » du vitrier évoqué par Baudelaire dans la préface des Petits poèmes en prose. On oublie trop souvent que ce texte fut dans un premier temps, une lettre écrite à Houssaye, directeur du journal La Presse, pour servir d’introduction à un ensemble composé d’une partie seulement de ses pièces en prose à publier dans ce même quotidien, en son rez-de-chaussée (26 août 1862). Proximité paratactique à laquelle le lecteur donne à son tour un sens qu’apparemment elle n’aurait pas, guidé en cela par la mise en place, de la part du poète, d’une prose autre, lyrique : « tous les détails de la vie matérielle, toutes les minuties de la vie prosaïque, trouvent leur place dans l’oeuvre en prose, ou l’idéal et le trivial se fondent dans un amalgame inséparable », comme le signale Bourdin dans Le Figaro.

Or, cette idée de heurt peut être donnée sur la page du journal de deux manières : soit à l’intérieur d’une même composition longue (en particulier de la chronique, conte, nouvelle) soit dans la juxtaposition sur la page de formes plus brèves (gazettes, échos) : il est alors évident que la juxtaposition multipliée de fragments plus nombreux, donc typographiquement plus marquée, rend le heurt plus facile à identifier. Mais, cette même juxtaposition existe aussi à l’intérieur de certaines formes journalistiques plus longues, quoique moins identifiable d’un point de vue visuel. Les qualités de la chronique sembleraient favoriser une telle représentation, car elle se distingue surtout en ses débuts par sa longueur et sa discontinuité : de Janin à Maupassant, on en souligne le caractère « sautillant ». Elle sera également propice et de manière plus subtile, sous une autre forme, lorsque sous la plume de certains, elle s’éloignera du modèle « zigzagant » pour essayer d’atteindre une unité majeure[8]. Il s’agira alors de faire coexister dans une même pièce les deux tendances principales de celle-ci : d’une part sa vocation à la causerie, voire à l’exposition d’idées, quoique sautillante — où domine, par bribes, la modalité du discours, parfois de nature polémique — et, d’autre part, celle d’une autre modalité unifiante, le récit, donc de la narration, car certaines d’entre ces chroniques sont présentées sous forme de contes, à valeur atemporelle, par exemple sous le Second Empire. La tendance sera alors de dépasser l’opposition de ces deux formes de chronique, également convoquées, de manière antithétique, dans la « Chronique parisienne », servant d’éditorial au Figaro du 2 juillet 1854, article dont le but est de proposer une forme qui répondrait aux préférences du public et explique en partie l’évolution de la rubrique :

Cette chronique reçoit toute sorte d’encouragements. Un anonyme qui s’en déclare un lecteur assidu m’invite expressément à préférer aux dissertations ennuyeuses les narrations piquantes et spirituelles. Le conseil, quoique hardi, vaut la peine d’être médité.

« Les dissertations ennuyeuse » relèvent du discours, de l’expression d’une idée abstraite ; le côté spirituel du récit. Dans la nouvelle chronique, on travaillera en fait au dépassement de cette antithèse : sans qu’il y ait renoncement à l’idée (de la « dissertation »), il y aura néanmoins récit d’une anecdote, qui deviendra l’une des modalités de représentation de l’idée. C’est dans ce type de forme, en voie de réorganisation, que va se développer le poème en prose de la moitié du siècle voulant signifier à la fois le contingent et l’idéal, l’expression du contingent étant à entendre généralement plutôt dans le narratif que dans le descriptif, même lorsqu’il s’agit de portraits qui dérivent souvent vers le biographique. Le poème en prose de ces années-là se distingue en effet de celui qui le suit ou le précède de l’ekphrasis d’Aloysius Bertrand ou de celle de certains symbolistes, mais aussi de Huysmans dans quelques-uns de ses Croquis parisiens, alors que ceux de Mallarmé, appartenant à l’époque analysée, fournissent un exemple de cette narrativité. Le développement de la chronique dans le sens narratif est de plus en plus évident dans les années 1860-1870. Prenons pour preuve les « Chroniques du pavé » de L’Événement dans lesquelles Vallès traite des « curiosités en plein air, [d]es notabilités de la voie publique, [d]es hommes et [d]es choses populaires[9] », comme le dit Villemessant. Or il le fait généralement selon un schéma qui part certes du portrait, mais dont le sens est à chercher dans une histoire de vie antérieure à ce qui se donne à voir, en accordant au biographique une partie importante de sa chronique.

Si, dans ce type de rubrique, se donne à lire un désir de composition, il ne peut aller jusqu’à l’expression d’une harmonie perdue. Il ne peut exclure la coexistence « stridente » d’une pluralité de plans, réduite en l’occurrence à son expression minimale : une simple dualité (vie matérielle et « abstraite », pour reprendre le terme baudelairien de la lettre à Houssaye ; recherche de sens malgré l’épars). Et ce, dans le but évident de conjurer la gratuité, le vide ou le fugitif, le non fini des contenus inscrits, trop souvent, dans les formes brèves n’ayant « ni queue ni tête[10] ». Car celles-ci se présentent en général sous forme de listes de faits ou nouvelles, sans hiérarchie ni logique apparente — si ce n’est parfois celle de l’association —, susceptibles de s’étendre à l’infini. Dans les microformes signalées plus haut, la brièveté de chacune est loin de produire l’effet de concision, d’essentialité et de quintessence propre aux formes brèves, tels la maxime ou l’aphorisme, qui visent à donner un sens général et qui sont écrits contre la singularité anecdotique du contingent. En revanche, c’est dans la chronique et parfois dans le fait divers que se développe l’exigence de dépasser le fugitif, comme dans la nouvelle ou le conte, pourvus d’une moralité généralisante et qui recouvrent parfois l’espace même de la chronique. Il arrive alors que les chroniques rimées soient des récits fondés sur la contingence, mais également pourvus de moralité, comme le sont les contes. Elles sont d’autant plus proches de ceux-ci qu’elles développent une double instance relevant à la fois du réalisme et du merveilleux dans la tradition de la fantaisie du Corsaire ou du Satan[11]. Mais, au-delà de la présence de la rime, c’est également dans les plus longues et les plus légitimées des formes journalistiques, les chroniques ou parfois les faits divers, lorsque ceux-ci sont plus narratifs et élaborés, que sont abordés les grands thèmes éternels autour desquels le sens se construit, par exemple celui du temps qui passe et de la mort.

Prenons parmi tant d’autres, l’exemple d’une chronique signée Colombine et se terminant sur la page du Figaro où débute la publication de certains poèmes en prose de Baudelaire (7 février 1864). Sans porter de jugements de valeur sur la qualité d’un texte, mais en l’analysant dans le cadre de l’étude d’un phénomène, on y relève l’obsession qui hante de nombreuses chroniques du temps. Il y est question de la mort, celle de la mère de jeunes enfants, déjà orphelins de père :

Dieu vient de reprendre la mère. Les enfants sont seuls aujourd’hui […].

La mort frappe et les deuils se multiplient. Amis, parents viennent, s’en vont demander à Dieu le prix du sacrifice et de la fidélité. Que de coeurs dévoués qui ne battent plus ! Où est la sainte famille du roi martyr ? Où est le duc de Lévis ? Où va la duchesse de Parme ? Au ciel, hélas ! hélas ! Au ciel ! Vertu, tendresse, amour !

Prenons aussi la « Chronique » de Vallès (sorte de « tombeau »), parue dans Le Présent le 16 septembre 1857, et dont voici l’incipit :

L’automne sera triste cette année ! Les fleurs se fanent, les feuilles tombent et les hommes s’en vont emportés par le vent de la mort. Avec eux, hélas ! si grands qu’ils aient été jadis, s’enfuit le souvenir de leur gloire et de leurs vertus ; on oublie même jusqu’à leur vice, on reste indifférent, et c’est par habitude, non par respect qu’on ôte son chapeau devant les cercueils qui passent.

Le texte est alors suivi de l’anecdote.

Le thème de la mort est également à l’oeuvre dans un autre article long dont il arrive qu’on souligne les implications morales et généralisantes et dont il est question dans « L’Ange du Bizarre », une nouvelle d’Edgard Allan Poe traduite par Baudelaire. Le narrateur ne retient rien de sa lecture du journal, pourtant « soigneusement » menée, ni de celle de « la colonne des “maisons à louer” et puis la colonne des “chiens perdus”, et puis les deux colonnes des “femmes et apprentis en fuite” », ni de celle de la « partie éditoriale » entreprise « avec une vigoureuse résolution », si ce n’est le paragraphe d’un texte ainsi conçu dans son incipit :

Les routes qui conduisent à la mort sont nombreuses et étranges. Un journal de Londres mentionne le décès d’un homme honnête dû à une cause singulière[12].

Le texte est également suivi de l’anecdote.

Ainsi, dans certaines chroniques aussi bien que dans le poème en prose qui s’y loge parfois, on lit un même désir de conjurer l’éphémère. D’autres signes de ce besoin de conjurer l’éphémère du journal, son caractère provisoire, une perte de sens, se donnent à lire dans les innombrables personnifications ou allégories généralement signalées par des majuscules qui constellent alors les pages de presse et en particulier la chronique ou les contes. La pratique est très fréquente dans les compositions fantaisistes des Corsaire et du Satan, voire de la Silhouette, où les écrivains-journalistes, comme Champfleury, s’essaient à une écriture expérimentale où coexistent trivial et idéal. On en a un exemple dans un texte qu’il a du mal à placer lui-même dans un cadre précis : fantaisie ou conte. En effet, dans « La morgue[13] », on lit une phrase ambiguë telle que : « La Morgue aime la Seine, car la Seine lui fournit des épaves humaines ». Tout commençait pourtant par une description de chronique plus traditionnelle : « Un bâtiment bourgeois et carré qui baigne ses pieds dans la Seine, voilà la Morgue du dehors. » On trouve par ailleurs d’innombrables occurrences de la « Misère » anthropomorphisée dans les chroniques de Vallès[14], voire de la Mort allégorisée dans certaines des nombreuses chroniques de Maupassant, pourtant fondée sur un récit qui part de la vie contemporaine[15].

Le phénomène d’abstraction, de généralisation, de sémantisation du réel qui passe par l’usage de figures comme l’allégorie ou par le recours à l’imagination ou au rêve — dans la fantaisie — sont également au coeur de la nouvelle de Poe précédemment citée. Cette fois, c’est au fait divers, autre forme longue, et non plus à la chronique qu’on fait appel. On y voit apparaître une sorte de démon, l’Ange du Bizarre, s’entretenir de façon véhémente avec le narrateur, outré du mépris avec lequel ce dernier lit un article de fait divers qu’il considère comme un canard tant il est invraisemblable. L’Ange lui donne alors des leçons de lecture de journal et l’incite à le lire d’une manière moins terre à terre sans écarter ce qu’il considère comme trop bizarre, sans penser que le fait divers est simplement le fruit, « la lie de l’imagination de quelque pitoyable barbouilleur à un sou la ligne[16] ». Il le détourne en somme d’une lecture au premier degré des textes incriminés pour le porter à considérer le fait divers comme un moyen servant à l’éclairer sur le véritable sens des choses malgré son invraisemblance ou plutôt grâce à elle. Il l’incite alors à pratiquer une lecture qui lui permettrait de trouver dans la presse une part d’idéal. Telle pourrait être aussi l’intention de Baudelaire lorsqu’il compose ses poèmes en prose anecdotiques si proches des « Paris » de la presse quotidienne (par exemple « Mademoiselle Bistouri »). L’auteur n’y incite-t-il pas à lire le journal d’une autre manière, comme on lirait du littéraire, par le biais d’une lecture plus poétisante du texte de presse auquel il insufflerait un germe d’éternité ? Et dans ce processus, Banville aurait, selon Catulle Mendès, joué un rôle considérable.

Une étape : le conte de Banville

Dans l’hommage qu’il lui rend, par personnage interposé — une des « Amoureuses de Paris », une de ces « grisettes nymphes » dont le poète a peuplé ses fantaisies — il écrit :

Vous avez développé, épanoui, exalté jusqu’à l’idéal lumineux ou ténébreux, toute la médiocre âme moderne ; en un temps où la nouvelle ayant disparu avec Nodier et Gozlan, personne ne songeait plus à écrire des contes, vous avez en des contes pareils à des poèmes, sublimisé la vie. Vous avez été, volontairement, et par le magnanime effort de votre pensée, l’Hésiode enthousiaste d’une Théogonie où la demoiselle du comptoir de lingerie, qui dîne le dimanche dans l’arbre de Robinson, s’étonne d’être la soeur de la Déesse aux belles bandelettes, où M. de Rotschild, grand, très fort, horrible à nommer, est sans doute le fils de Gaïa et d’Ouranos, où Hermès qui suit le bel Iméros, songe avec inquiétude, dans la Bourse entourée de flots, à la réponse des primes, où le colosse, d’ailleurs chinois, de la fête de Neuilly, tutoie fraternellement les robustes Erinyes et les géants aux armes éclatantes[17].

Tout se passe comme si Mendès passait en revue les différentes rubriques d’un journal, poétisées par Banville dans ses contes. Le conte est alors à considérer comme une étape fondamentale dans ce processus de poétisation de l’éphémère mais aussi de la réalité marchande qui habite ce type de presse. Dans ceux du poète, la coexistence de ces deux univers est une manière de donner vie à l’ancien mais aussi de donner un sens éternel au moderne prosaïque, à travers un nouveau langage capable de l’exprimer. Or, cet « inventeur d’odes étincelantes » a su, pour le faire, « violer la prose, cette matrone lourde, jusqu’à lui faire enfanter des contes tout frémissants de plumes aurorales ». D’où l’éloge suprême qui exprime à notre avis, la tentative de la plupart de ces écrivains, nés pour la poésie, et ne voulant pas renoncer à leurs aspirations au moment où ils deviennent journalistes. Et ce, quelle que soit la forme longue choisie pour le faire (conte ou chronique) :

Et, enfin, — ceci, c’était le plus énorme et le plus invraisemblable des travaux, — enfin, ô dompteur de lions et de colombes, vous avez accompli ce miracle d’unir la poésie au journal. Cela, cette impossibilité, ce prodige, vous l’avez réalisé ! Tout le monde l’a vu ! Personne ne peut dire le contraire ! Oui, dans les journaux, à la place même où auraient pu triompher l’Information et le Renseignement, vous avez, avec une formidable et paisible audace, publié des vers, publié des proses aussi belle que des vers, vers ou proses où il ne s’agissait pas de l’évènement d’hier ou de l’événement d’aujourd’hui : vous n’y parliez que de ces actualités éternelles […] et le public qui croyait aux faits divers, cessa d’y croire, et grâce à vous, grâce à votre exemple suivi par d’autres poètes, les journaux existèrent, lus, relus, admirés, acclamés […] ces journaux avaient plus d’abonnés que dans les nuits d’août il ne glisse, de l’Orient à l’Occident, d’étoiles pareilles à des comètes[18].

Il semblerait alors que la chronique ait pris la relève du conte et qu’elle ait joué un rôle majeur dans un tel processus, en trouvant ailleurs que dans l’antiquité ce désir de durée et de légitimation dont elle se sépare de plus en plus, au plus proche de la contemporanéité et du quotidien. Qu’il s’agisse de celle de Champfleury, de Vallès ou de Maupassant, s’y donne à lire une même intention généralisante qui va de pair avec une représentation du monde plus singulière et plus contingente. Elle est constituée par une dualité qu’on ne trouve pas dans la plupart des formes brèves du temps, écrites pour signaler le fait, l’information — même si parfois s’y donne à lire une intention interprétative grâce à la pointe, la blague — et vouées à la disparition jour après jour. Si l’on peut néanmoins considérer que certaines productions, nées à l’intérieur de ces moules, constituent pour l’écrivain une source d’inspiration poétique, il faut aussi penser qu’elles ne peuvent atteindre ce but qu’à condition d’être réélaborées, de manière à ce que la dualité y soit présente et représentée, qu’elle structure la nouvelle composition et donne un sens à l’anecdote. Une telle intention passe alors par une recherche formelle, par le choix d’une prose « poétisée », qui contribue à adapter l’article à d’autres exigences moins fugaces, à l’arracher à l’oubli. Y est utilisée une série de signes dont l’accumulation seule permet de produire un effet de poéticité : aux niveaux structurel (cadrage, présentation en strophes, répétitions) ; rythmique ; assonantique et allitératif ; graphique. Tous ces éléments bousculent la régularité au profit de la rupture, souvent donnée à voir, aussi bien dans les thèmes (le heurt de la dissonance et d’une dualité explicite) que dans l’effort de littérarisation d’un texte qui continue néanmoins à exhiber son origine journalistique.

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Ainsi lorsqu’on s’interroge sur le rôle que les formes brèves du journal ont pu jouer dans la constitution de la poésie en prose, on ne peut faire l’économie d’une distinction entre celles que l’on pourrait qualifier de plus longues et plus légitimées et celles qui se caractérisent effectivement par leur concision et qui sont les moins prestigieuses, voire les moins « sérieuses », de toutes celles qui composent un quotidien. Une telle distinction permet alors de relever qu’au cours de l’évolution du poème en prose, le rapport des unes et des autres avec la pratique ou la définition du nouveau genre n’est pas le même. Une périodisation semblerait donc nécessaire. Le rapport privilégié qu’entretient à nos yeux la chronique avec la nouvelle forme poétique pourrait caractériser les années 1840-1860 car c’est le moment où le poème en prose est plus narratif que celui qui le précède ou que celui qui lui succède. Les années suivantes pourraient quant à elles être marquées par un rapport privilégié entre les formes journalistiques les plus brèves, au moment où se développe une poésie ludique (celle du Chat Noir, des Hydropates). Alors, elle trouverait son inspiration dans d’autres cadres de presse, plus marginaux, mais plus aptes à contribuer au renouvellement d’une poétique « prosaique » annonçant celle de l’avant-garde, au moment où le poème en prose du Symbolisme cherche ses musiques, ses descriptions (parfois transpositions d’art), ses paysages de l’âme, dans des supports plus prestigieux — les revues spécialisées de la fin du siècle — avant de « colliger » en recueil, « certains poèmes sauvés des revues mortes[19] ».