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Cet ouvrage collectif est né d’un colloque tenu à l’UQAM en 2005 qui marquait le 30e anniversaire de Radio Centre-Ville, première radio communautaire de Montréal. D’ailleurs, de nombreux auteurs font référence à cette radio dont la particularité est de diffuser des émissions dans sept langues différentes et de s’adresser à de nombreuses communautés migrantes de la métropole québécoise. La force et la faiblesse de cet ouvrage reposent sur son hétérogénéité, autant du point de vue des auteurs – où se côtoient acteurs des médias communautaires et universitaires (parfois eux-mêmes engagés dans ces mêmes médias) – que du point de vue des thèmes abordés et de leurs approches. Ainsi, une place importante a été accordée aux acteurs, ou plutôt aux dirigeants de médias ou d’associations de médias communautaires. Parfois, ces praticiens semblent parler au nom de leur organisation, parfois ils adoptent un discours plus distancié, plus analytique. Par ailleurs, certains chapitres sont plus éloignés du thème de l’ouvrage, comme celui d’Anna Maria Fiore qui traite de l’immigration à Montréal ou celui de Claude Béland qui critique la mondialisation libérale et vante les mérites de la démocratie représentative. L’ouvrage se divise en quatre parties : « Indépendance des médias, diversité et démocratie au Québec », « Médias indépendants au Québec », « Médias indépendants d’ailleurs » et « Médias indépendants : quelques expériences québécoises ».

Isabelle Gusse, dans le chapitre intitulé « Diversité et indépendance des médias : une question de démocratie », puise dans la sociologie d’Alain Touraine et tente d’expliquer la place des médias communautaires dans une société occidentale menacée par la désocialisation et la dépolitisation, celles-ci causées notamment par la marchandisation des produits médiatiques (p. 13). Son argumentaire part du constat de l’extrême concentration de la radiodiffusion au Québec, où trois grands joueurs se partagent le marché : Radio-Canada, Astral et Corus. Elle s’intéresse également aux enjeux liés à la liberté de diffusion et aux droits culturels des auditeurs, qui sont souvent antagonistes, d’où l’importance de l’interventionnisme de l’État afin de protéger la qualité et la diversité de l’information. I. Gusse évoque également les différentes dénominations des médias indépendants (communautaire, autonome, libre ou alternatif), sans malheureusement montrer les différents enjeux identitaires inhérents à ces dénominations (p. 38). Marcelo Solervicens, dans le chapitre « Les défis des radios communautaires dans le monde », s’intéresse notamment aux dénominations des radios « communautaires » dans les différentes aires géographiques : celles-ci sont généralement populaire, alternative, rurale ou éducative en Amérique latine ; libre, associative ou de proximité en France (universalisme républicain oblige) ; et communautaire au Québec, au Canada et aux États-Unis (p. 174-175).

S’ils s’opposent tous aux médias du courrant dominant, les médias indépendants, au Québec comme ailleurs, s’illustrent par leur dissemblance. Les radios et les télévisions communautaires n’ont, par exemple, pas la même vocation s’ils sont situés à Montréal, où ils sont le reflet du cosmopolitisme, et dans les régions à faible densité démographique, où ils remplacent les médias publics et privés les ayant désertées par manque de rentabilité. Selon Lucie Gagnon, qui a exercé différentes fonctions de direction dans les radios communautaires (dans le chapitre « Les radios communautaires québécoises »), en « l’absence de radio commerciale ou régionale dans de nombreux secteurs géographiques du Québec, les radios communautaires en région doivent répondre à des besoins différents, entre autres en matière d’information locale de base (information municipale, sécurité publique, météo, marées, information économique) » (p. 140). À l’opposé, elle considère que Radio Centre-Ville a pu être une référence en matière d’actualité internationale, notamment sur le plan de la couverture des conflits au Chili et en Haïti en donnant la parole à des réfugiés qui habitent Montréal.

Dans les pays occidentaux, la radio communautaire a également un objectif d’intégration des immigrants, entre autres en proposant des émissions dans leur langue. C’est le cas de Radio Centre-Ville qui diffuse aujourd’hui en sept langues. Isabelle Gusse, directrice de cet ouvrage, et Robert Laplante, coordonnateur de l’information à Radio Centre-Ville, ont ainsi écrit le chapitre « Radio centre-ville, 30 ans de radio communautaire au Québec », qui traite de l’histoire, des objectifs et des difficultés de cette radio montréalaise.

L’ouvrage collectif comporte également une dimension comparative. Ainsi, Marcelo Solervicens, secrétaire général de l’Association mondiale des radiodiffuseurs communautaires (AMARC), a rédigé le chapitre « Les défis des radios communautaires dans le monde », qui s’intéresse à l’histoire de son association, dont la première assemblée générale s’est tenue à Montréal en 1983, et surtout aux radios communautaires à travers le monde, tout en montrant leur utilité et leurs perspectives d’avenir. Les radios communautaires sont donc intimement liées au régime politique en place et à la réglementation de l’audiovisuel ; c’est la raison pour laquelle il faudra attendre 1981 en France et les années 1990 en Afrique pour les voir se propager. La radio étant le média le moins onéreux, autant en matière de diffusion que de réception, elle connaît aujourd’hui une explosion dans les pays du Sud (p. 176). M. Solervicens trace donc un portrait de la situation de ces radios sur tous les continents. Dans certains pays, ce sont des institutions de premier plan qui sont à l’origine du développement de ces radios, par exemple l’UNESCO (Sri Lanka), la Banque mondiale (Timor oriental), des universités (Philippines) ou des communautés religieuses (Papouasie-Nouvelle-Guinée) (p. 173). Dans les pays du Sud, ces radios ont un objectif de maintenir la diversité culturelle, notamment en diffusant des émissions dans des langues minoritaires comme en Bolivie et au Guatemala (p. 178). Marcello Lorrain, président de la Coopérative des travailleurs de Radio Popolare, raconte dans le chapitre « Radio Popolare à Milan, une radio plus grande que son antenne » le succès grandiose de sa radio communautaire. Avec 50 employés, Radio Popolare est à la tête d’un réseau national de radios communautaires, qui fournit des bulletins d’informations d’envergure nationale et internationale (p. 195). Dans le chapitre « Les radios associatives en France, entre bilans et expectatives », Jean-Jacques Cheval décrit les débuts difficiles de ce type de radios : « Illégales, interdites et poursuivies, les radios libres étaient devenues à la fin des années 1970 eu enjeu politique. » (p. 206) Il faudra donc attendre la prise du pouvoir par François Mitterrand en 1981 pour qu’elles deviennent légales. L’auteur estime à 3500 le nombre de radios libres en activité deux années plus tard. Depuis 1998, l’État a tenté de classifier les radios associatives en sept catégories, ce qui montre toute l’hétérogénéité des radios libres en France : les radios généralistes à vocation locale ; les radios confessionnelles ; les radios communautaires (ethniques) ; les radios régionales (minorités nationales) ; les radios de collège ou d’université ; les radios des maisons de la jeunesse et de la culture ; les radios municipales (p. 211-212).

Bien que la radio soit au centre de cet ouvrage, d’autres supports sont aussi traités, tels la télévision et le journal. Jean-Marc Fontan, dans le chapitre « La presse écrite indépendante québécoise : état de la situation », tente d’actualiser une étude faite en 2001 en cartographiant la presse écrite indépendante au Québec et en s’intéressant à son économie. L’auteur considère que ces journaux ou magazines « évoluent dans un marché différent de celui de la presse libérale, un marché que nous qualifions […] de marché social ou solidaire » (p. 108). Cette position est toutefois discutable car les médias communautaires restent en grande partie en concurrence avec les médias « dominants », comme l’exposent par exemple Isabelle Voyer et Lucie Gagnon dans leur chapitre respectif sur la télévision et la radio communautaire, qui doivent recourir à une professionnalisation de leurs bénévoles et de leurs employés afin d’obtenir un produit concurrentiel et ce, autant d’un point de vue « technique » que financier. D’ailleurs, I. Voyer, agente de recherche et de développement à la Fédération des télévisions communautaires autonomes du Québec, trace un portrait historique de cette institution, héritière de la Révolution tranquille et rendue possible grâce à la câblodistribution. Ayant les mêmes objectifs que la radio communautaire, la télévision communautaire manquait cependant d’autonomie. N’étant pas détentrice d’une licence du CRTC jusqu’en 2002, elle était donc menacée par une éventuelle ingérence provenant des câblodistributeurs. Dans les années 1980, il y a eu un vent de professionnalisation, avec des équipements de montage spécialisés, une programmation plus structurée et un recours accru à l’éclairage. Ces médias ont aussi eu recours à la formation de leurs bénévoles, autant en ce qui concerne l’animation que le journalisme et la réalisation. La télévision est le média qui se prête le moins à l’improvisation et à l’amateurisme, qui pourraient faire perdre de l’audience et faire peur aux différents commanditaires (p. 122). Ensuite, Anne-Marie Brunelle, éditrice de l’ancien magazine alternatif Recto Verso, publie un article « coup de gueule » sur la fermeture de sa publication.

Outre les chapitres analytiques et ceux écrits par des praticiens, deux chapitres ont un style plus engagé. Normand Baillargeon et Claude Béland, dans leur chapitre respectif, émettent une critique sur les mutations libérales de l’espace public tout en appelant à l’engagement citoyen. C. Béland dresse le portrait d’une mondialisation qui rompt « l’équilibre entre le pouvoir économique, politique et civil » et qui tend à uniformiser les cultures et l’information sur le plan mondial (p. 84). En opposition à ce modèle, il voudrait privilégier l’établissement d’une démocratie représentative. « Les citoyens ne veulent plus confier LE pouvoir aux élus sans pouvoir intervenir en cours de mandat […] Ils souhaitent un nouveau mode de scrutin où chaque vote compte et qui favorise une meilleure représentation des femmes, des jeunes et des communautés culturelles à l’Assemblée nationale. » (p. 87-88) L’auteur ne précise toutefois pas par quel moyen il a réussi à connaître l’opinion de ses concitoyens. Pour sa part, N. Baillargeon appelle à la mobilisation afin de soutenir les actions critiques face aux médias du courrant dominant, par exemple en créant un observatoire des médias.

En somme, Diversité et indépendance des médias s’est intéressé à des expériences concrètes de médias communautaires au Québec et ailleurs. Les auteurs ont étudié ces médias dans leur globalité, en omettant d’évoquer les usages et les luttes internes. Les chapitres écrits par les « praticiens » traitent essentiellement de la gestion de ces médias, probablement parce qu’ils sont cadres dans ces médias et non pas de simples bénévoles. Le lecteur peut rester parfois sur sa faim ; aucun chapitre ne s’intéresse aux acteurs de ces médias, à leur provenance sociale, à leur carrière (militante ou professionnelle), etc. Seuls I. Gusse et R. Laplante s’y sont intéressés – un peu – en ce qui concerne Radio Centre-Ville, en dévoilant un sondage réalisé auprès des bénévoles. Cependant, l’ouvrage reste intéressant pour connaître l’ampleur et les enjeux des médias indépendants du Québec et d’ailleurs.