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La participation des Québécoises et des Québécois aux élections scolaires connaît depuis 1994 une baisse constante. L’élection du 4 novembre 2007 a marqué à cet égard le creux le plus important jamais observé puisque le taux de participation est, à l’échelle québécoise, passé sous la barre des 8 %. Sur l’île de Montréal, où est concentré 39 % de l’électorat, on a observé une légère remontée par rapport à l’élection de 2003. N’empêche : seulement 5,5 % des électeurs se sont présentés aux urnes. Au surplus, cette même année, quelque 64 % des candidats ont été élus par acclamation et, pour la première fois depuis 1973, certains l’ont été à la Commission scolaire de Montréal (Fédération des commissions scolaires du Québec, 2007a, 2007b). Ce phénomène n’est toutefois pas particulier au monde scolaire. On l’observe aussi très largement dans le monde municipal.

L’abstention électorale constitue un enjeu important dans la mesure où elle met en cause la légitimité politique des élus et, par-delà, celle de cette institution qu’est la commission scolaire. Déjà, en décembre 2006, le Conseil supérieur de l’éducation insistait, dans son rapport annuel sur la démocratie scolaire, sur l’« urgence d’agir » (Conseil supérieur de l’éducation, 2006). L’actualité politique de 2007 a confirmé l’importance de l’enjeu puisque l’Action démocratique du Québec a fait de l’abolition des commissions scolaires un article de son programme (Action démocratique du Québec, s.d.). Au lendemain de l’élection, son piètre résultat a aussi entraîné l’Opposition officielle à proposer une motion de censure pour faire tomber le gouvernement libéral minoritaire, motion finalement battue aux voix. Le mois suivant, la ministre de l’Éducation, du Loisir et du Sport, Mme Michelle Courchesne, convoquait les principaux intervenants concernés par l’éducation à un forum sur la « démocratie et la gouvernance des commissions scolaires ». La participation aux élections était à l’ordre du jour (Courchesne, 2008).

La présente étude veut contribuer à valider un modèle théorique explicatif de la faible participation aux élections scolaires en l’appliquant au cas québécois, à partir de l’analyse d’une trentaine de sondages d’opinion menés depuis 1973 sur ce même thème.

Modèle théorique explicatif de la participation électorale scolaire

Le graphique 1 montre que le taux de participation aux élections scolaires n’a cessé de diminuer entre 1973 et 2007. Pour l’heure, le phénomène massif de l’abstention aux élections scolaires demeure largement inexpliqué. Les théories et les recherches empiriques menées, essentiellement aux États-Unis, pour expliquer la participation ou la non-participation des citoyens aux élections scolaires nous ont paru, pour diverses raisons, insatisfaisantes pour expliquer le comportement électoral des Québécois[1]. Au Québec, les études, tant théoriques qu’empiriques, sur le sujet sont encore très peu nombreuses.

Pour notre part, nous proposons ici un cadre théorique explicatif qui s’articule autour de la notion de « culture politique » telle que définie par Léon Dion. Elle est, écrivait-il, cet « ensemble de structures symboliques axées sur des valeurs exemplaires apprises et assimilées par les individus et les collectivités […] » (Dion et de SÈve, 1972). Notre modèle théorique prend en compte cinq de ces structures, autrement dit des éléments stables du système de représentations et de valeurs que partagent les citoyens à propos de la démocratie scolaire. Ce modèle reprend, mais en les réarticulant autour de ces cinq composantes, les résultats de nos recherches sur les élections (Proulx, 1997, 1998, 2001).

L’apolitisme scolaire

Les Québécois partageraient toujours majoritairement la conviction que le monde de l’éducation doit être apolitique. Ce phénomène se manifeste déjà dans l’aversion qu’ont la plupart des candidats aux élections scolaires à s’associer, en particulier en dehors de la région de Montréal, au sein d’équipes ou de groupes. On constate de même, de façon récurrente, que les candidates et les candidats proposent rarement des enjeux aux électeurs. Ils se font élire avant tout sur la base de leurs expériences et de leurs engagements antérieurs, notamment au sein des écoles. Paradoxalement, l’apolitisme des élections scolaires s’est accentué depuis que les femmes ont accédé massivement à la gouvernance scolaire au point de former la majorité du corps des commissaires du Québec (MaillÉ, 1997). On observe même l’apolitisme scolaire au plan de la recherche universitaire. En effet, les politologues n’ont guère investi ce champ, le laissant aux spécialistes de l’administration scolaire.

Cette structure de représentations tire son origine de l’idéologie ultramontaine qui s’opposait au XIXe siècle aux idées démocratiques libérales et donc à la prise en charge des orientations de l’éducation par l’État. Cette dernière était la responsabilité des seuls parents éclairés par l’Église puisque la fin ultime de l’éducation était de former des chrétiens. C’est du reste pourquoi l’Église a revendiqué et obtenu en 1875 et jusqu’en 1964 sa complète prise en charge, laissant à l’État la seule responsabilité de son financement. En outre, bon nombre de commissions scolaires ont été pendant bien longtemps présidées par des curés de paroisses (Gagnon, 1996). Le code de droit canonique interdisait par ailleurs aux prêtres d’être députés précisément parce que c’était une activité politique. La commission scolaire était en soi si peu assujettie aux règles démocratiques usuelles que les deux plus importantes, soit celle de Montréal et de Québec, n’ont pas eu de commissaires élus avant 1973. Ils étaient tous nommés par la municipalité, le gouvernement et l’évêque du lieu.

Graphique 1

Taux de participation aux élections scolaires au Québec et sur l’île de Montréal (1973-2007)

Taux de participation aux élections scolaires au Québec et sur l’île de Montréal (1973-2007)
Sources : Proulx (1997), ministère de l’Éducation du Québec (1987, 1990, 1995, 2003), Directeur général des élections du Québec (1998a et b) et Fédération des commissions scolaires du Québec (2007a et 2007b).

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Le devoir moral de voter

Un second élément structurel de la culture politique a été aussi historiquement façonné par la religion. Il s’agit du devoir moral de voter (Blais, 2000), qui appartient à la sphère de l’éthique, devoir rappelé d’élection en élection par les pasteurs du haut de la chaire, devoir qui se situe en amont des intérêts immédiats des électeurs et qui découle de l’éthique chrétienne. Bien qu’une minorité de catholiques, soit environ 20 %, fréquentent l’Église (Proulx, 2007), on peut faire l’hypothèse que ce devoir, rappelé de génération en génération, fait justement partie des valeurs intériorisées d’une partie des électeurs, en particulier chez les catholiques plus âgés. La conscience de ce devoir expliquerait une partie de la participation électorale, en particulier au sein de ce groupe d’âge. La perte de cette conscience produirait l’effet contraire.

La valorisation du rôle des parents

Le troisième élément a trait à la valorisation du rôle des parents. Il émerge au début des années 1960, année d’obtention du droit de vote de ces derniers. On assiste depuis, en éducation, à la consécration de la primauté du rôle du parent usager sur celui du citoyen. Ce mouvement a culminé en 1998 avec la création des conseils d’établissements vers lesquels on a décentralisé des pouvoirs qui appartenaient jusque-là aux commissions scolaires.

L’émergence des valeurs marchandes et consuméristes en éducation

Un quatrième élément relève de la culture sociale, mais déteint sans contredit sur la culture politique. Il s’agit de la place des valeurs individualistes et marchandes de consommation en éducation. Dans cette perspective, l’école est vue non pas comme un lieu de participation, mais comme un service à consommer sur le modèle du libre marché (MiguÉ et Marceau, 1989). C’est probablement pourquoi, même la participation collective des parents aux élections de comité d’école ou des conseils d’établissement demeure très minoritaire. L’insatisfaction vis-à-vis de l’école n’entraîne pas la participation en vue de changer la situation ; elle suscite plutôt le désir de changer d’établissement. D’où la popularité des palmarès d’établissements et celle de l’école privée. La majorité des parents y enverraient leurs enfants s’ils pouvaient se le payer (Ad Hoc Recherche/Les affaires, 1996).

L’information et la propagande électorale

Le cinquième élément a trait à la culture institutionnelle électorale. L’information sur les candidats et la propagande sur leurs programmes en sont des composantes essentielles. La participation est en partie une réponse à ces stimuli, en particulier en ce qui concerne la perception des enjeux.

Méthodologie

La présente étude n’a pas la prétention de valider définitivement ce modèle théorique. Elle prétend néanmoins y contribuer. Elle vise à le faire en éclairant le phénomène de la démocratie scolaire et du système électoral à partir de ce que révèle l’analyse de l’opinion. Nous avons donc exploité en vue de cette analyse une source d’information qui ne l’a pas été jusqu’ici, soit les nombreux sondages menés sur les élections scolaires depuis 1966. Nous en avons relevé 29, compilés dans la banque de données Opinéduq (Proulx, 2008)[2]. Ces sondages présentent les caractéristiques générales suivantes :

  • Les mandataires : seize sondages ont été commandés par les commissions scolaires, cinq par un journal, trois par des organismes gouvernementaux, trois par des chercheurs universitaires, et un par une maison de sondages.

  • L’époque : un a été mené en 1964, huit dans chacune des décennies 1970 et 1980, sept dans la décennie 1990 et cinq dans la décennie 2000.

  • Le territoire : quinze sondages se sont déroulés sur l’île de Montréal ou une portion de l’île, onze dans l’ensemble du Québec et deux à Sherbrooke.

Il n’y a cependant, entre ces sondages, aucune visée commune a priori. Ils ne sont généralement pas non plus inspirés par un cadre théorique précis. Ils répondent plutôt, de façon circonstancielle, aux préoccupations politiques, stratégiques ou médiatiques des mandataires, généralement à l’occasion de la tenue d’une élection.

Plusieurs questions portant sur les mêmes thèmes reviennent néanmoins dans plusieurs sondages. Ils rendent compte des principales préoccupations des mandataires et permettent de dégager, à travers les questions posées et les réponses fournies, des tendances suffisamment significatives pour en tirer des informations pertinentes. L’analyse du corpus de questions a permis de les regrouper sous quelques thèmes principaux. Trois d’entre eux ont trait au système électoral lui-même : les titulaires du droit de vote, l’existence des partis politiques scolaires et les modes de scrutin. Les quatre autres thèmes sont tous reliés de près à celui de la participation effective des citoyens, soit les connaissances qu’ils ont des élections et de ses mécanismes, leur intérêt subjectif pour cette activité, leurs intentions quant à l’exercice de leur droit de vote et leur déclaration quant à son exercice. Le plan du présent article s’articule autour de ces thèmes.

L’analyse

Quelques questions touchant le système électoral scolaire ont fait l’objet de sondages depuis 1973. La plus importante d’entre elles a trait au titulaire du droit de vote.

Le titulaire du droit de vote

Depuis la création des commissions scolaires en 1841, le régime électoral scolaire a beaucoup varié en ce qui concerne les titulaires du droit de vote. Ce n’est qu’en 1973 qu’on a établi ce droit partout au Québec. Les habitants des villes de Montréal et de Québec ne l’avaient jamais eu auparavant. Dans le reste du Québec il était demeuré réservé aux contribuables jusqu’en 1960, année où on l’a étendu à l’ensemble des parents d’enfants d’âge scolaire[3] (Proulx, 1998).

En 1966, la Commission Parent, dont l’un des membres, M. Gérard Filion, était lui-même président de sa commission scolaire, recommandait que les commissaires soient élus par un collège électoral formé des parents membres des comités scolaires (ou d’école) (Commission royale d’enquête sur l’enseignement dans la province de Québec, 1966). Il n’est pas surprenant donc que la question du pouvoir des parents ait resurgi dès 1973 au moment de la première élection au suffrage universel (tableau 1). En effet, près de 30 % ont estimé malgré tout que les élections ne concernaient que les parents d’élèves.

Tableau 1

L’opinion sur le titulaire du droit de vote, île de Montréal

[1973] « […] Pourriez-vous me dire si vous êtes d’accord ou pas d’accord avec chacune des opinions que je vais vous lire : A – Les élections scolaires ne concernent vraiment que les parents qui ont des enfants d’âge scolaire. » (N = 527 répondants)

- D’accord

- Pas d’accord

- Ne sait pas

29

68

3

Source : CSUM / Commission des écoles catholiques de Montréal (1973).

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La question a été soulevée depuis dans huit sondages et dans des formulations souvent différentes. Pourtant, après son instauration généralisée en 1973, la formule du suffrage universel n’a jamais fait vraiment l’objet d’un débat public, ni même d’une véritable remise en question[4]. Aussi, l’intérêt des questions répertoriées dans le tableau 2 s’explique probablement par l’émergence lente, mais croissante du pouvoir parental à compter de 1971 avec la création des comités d’école et de parents, puis, quelques années plus tard, des conseils d’orientation et, enfin, des conseils d’établissement en 1998.

Tableau 2

Sondages proposant diverses questions sur le titulaire du droit de vote aux élections scolaires 1987 à 2007

[1981] Croyez-vous que les commissaires d’école devraient être élus par toute la population, qu’ils devraient être élus seulement par les parents qui ont des enfants à l’école ou encore qu’il ne devrait plus exister de commissaires d’école ? (N = 2 091 adultes du Québec).

- Élus par toute la population

- Élus par les parents seulement

- Il ne devrait plus exister de commissaires

- Ne sait pas

36 %

51 %

7 %

6 %

Source : CSUM / Pelletier, Guy et Claude Lessard (1981).

[1982] Présentement, les commissaires d’école sont élus par tous les citoyens de 18 ans et plus. Êtes-vous d’accord ou plutôt en désaccord avec ce mode de scrutin ? (N = 1 804 adultes du Québec).

- Accord

- Désaccord

- Ne sait pas

77 %

20 %

3 %

Source : Sorecom / Conseil scolaire de l’île de Montréal, Fédération des commissions scolaires catholiques du Québec et Association des commissions scolaires protestantes (1982).

[1982] Suivant quelles modalités les commissaires d’une commission scolaire devraient-ils être élus ? (N = 4 876 parents du territoire de la CÉCM).

- Élus au suffrage universel

- Délégués par les écoles du territoire

- Élus en partie au suffrage universel et en partie délégués par les écoles du territoire

- Ne sait pas

- Indifférent

16 %

31 %

39 %

11 %

3 %

Source : Comité central des parents de la Commission des écoles catholiques de Montréal (1982).

[1995] À tous les quatre ans, il y a des élections scolaires en vue d’élire les commissaires d’école. À votre avis, qui devrait avoir le droit de voter aux élections pour élire les commissaires d’école ? (N = 1001 adultes du Québec).

- L’ensemble des citoyens

- Seulement les parents

- N.S.P. / N.R.P.

53 %

44 %

3 %

Source : SOM / Jean-Pierre Proulx (1995).

[1996] Actuellement, les commissaires scolaires sont élus par les citoyens au niveau des commissions scolaires. À votre avis, devrait-on conserver l’élection des commissaires d’école au suffrage universel ou remplacer cette élection par une autre formule ? (N = 1 005 adultes du Québec).

- Conserver l’élection au suffrage universel

- Remplacer par une autre formule

- Ne sait pas ou Refus

5 %

44 %

5 %

Source : Léger & Léger/Fédération des commissions scolaires du Québec (1996).

[2001] Actuellement, les commissaires scolaires sont élus au suffrage universel par l’ensemble des citoyens à tous les quatre ans. Diriez-vous que vous êtes très, assez, peu ou pas du tout satisfait de cette formule électorale ? (N = 1002 adultes du Québec).

- Très satisfait

- Assez satisfait

- Peu satisfait

- Pas du tout satisfait

- Ne sait pas

- Refus

16 %

48 %

14 %

11 %

10 %

2 %

Source : Léger Marketing / Fédération des commissions scolaires du Québec (2001).

[2007] Actuellement, les commissaires d’école sont élus, de façon démocratique, au suffrage universel par l’ensemble des citoyens à tous les quatre ans, et ce, pour s’occuper exclusivement de la question d’éducation. Sachant cela, diriez-vous que vous êtes très satisfait, assez satisfait, peu satisfait, pas du tout satisfait de cette formule électorale ? (N = 947 adultes du Québec).

- Très satisfait

- Assez satisfait

- Peu satisfait

- Pas du tout satisfait

16 %

43 %

25 %

16 %

Source : Léger Marketing / Fédération des commissions scolaires (2007)

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L’examen de cette série de questions appelle deux observations. Sauf dans le sondage mené en 1981, le suffrage universel rallie de façon constante une majorité de citoyens. On constate toutefois une différence importante dans les réponses selon que la formule du suffrage universel est évaluée pour elle-même ou mise en compétition avec une ou d’autres formules, en particulier l’élection par les parents. Dans le premier cas, elle a eu la faveur d’au moins 59 % et jusqu’à 77 %. Mais lorsqu’elle est comparée avec une autre, en particulier l’élection des commissaires par les parents, elle recueille entre 36 % et 52 % de la faveur populaire.

La faveur majoritaire dont jouit le suffrage universel ne constitue pas une surprise. Dans la culture politique, il s’agit d’une valeur dominante, associée du reste symboliquement à de hautes luttes, notamment à celle du vote des femmes. Mais en même temps, elle s’érode. En effet, en 1982, 20 % seulement remettaient en question le suffrage universel, contre 25 % en 2001 et 41 % en 2007. Cette remise en question est plus forte encore lorsque cette formule est placée en concurrence avec l’élection des commissaires par les parents : sa faveur ne dépasse pas alors 53 %.

Les « équipes » politiques scolaires

Dès la première élection à Montréal en 1973, on a vu apparaître à la Commission des écoles catholiques de Montréal (maintenant, la Commission scolaire de Montréal) des partis ou des équipes politiques scolaires. Celles-ci existent toujours. Pour sa part, le législateur québécois a précisé dans la Loi sur les élections scolaires de 1989 que « [les] candidats peuvent être regroupés en équipes reconnues par le président d’élection ». Mais il ne s’agit pas de « parti politique » au sens de la Loi électorale du Québec, le législateur ayant sciemment utilisé un autre vocabulaire.

Tableau 3

La constitution d’équipes électorales

[1994] Depuis quelques années, il existe des partis ou des regroupements politiques qui se forment spécialement pour les commissions scolaires. Personnellement, êtes-vous [d’accord] avec la présence de partis ou de groupes politiques pour les élections scolaires ? (N = 923 adultes de l’île de Montréal).

- Totalement d’accord

- Plutôt d’accord

- Plutôt en désaccord

- Totalement en désaccord

- N.S.P. / N.R.P.

10 %

25 %

19 %

36 %

10 %

Source : SOM / LaPresse et Jean-Pierre Proulx, Université de Montréal (1994).

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La formation de ces équipes a suscité beaucoup de réticence chez les commissaires, car on craignait une politisation indue de l’éducation (Proulx, 1997 ; Conseil supérieur de l’éducation, 2006). On a de fait observé cette même réticence chez les électeurs montréalais en 1994, comme en témoigne le fait que lors d’un sondage tenu au moment des élections de 1994 (tableau 3), 35 % se soient déclarés d’accord avec l’existence de tels partis. Cette question n’a jamais été reposée depuis. Aucune mesure de l’évolution de l’opinion n’est donc possible. La pratique, elle, n’a guère évolué. La création d’équipes de candidats est en effet demeurée marginale avant comme après 1989. On les retrouve essentiellement dans la grande région métropolitaine. On en a compté 18 en 2007, dans 11 commissions scolaires (Fédération des commissions scolaires du Québec, 2007a).

Les modes de scrutin

Depuis plusieurs années, les modes de scrutin ont progressivement évolué. Çà et là, on vote par la poste, mais aussi par téléphone (Proulx, 2001). Le Québec a conservé la technique traditionnelle. Or le mode de scrutin n’est pas sans rapport avec la participation. En effet, dans l’équation que construit l’électeur avant d’aller voter sont comparés le temps et l’énergie à déployer pour voter et l’enjeu de l’élection. On a interrogé une seule fois les Québécois sur cette question. C’était en 2001. La majorité a dit souhaiter une autre formule que la formule traditionnelle du vote dans un bureau de scrutin.

Tableau 4

Les techniques de scrutin

[2001] De quelle façon souhaiteriez-vous le plus pouvoir exercer votre droit de vote lors des prochaines élections scolaires ? Serait-ce… (N = 1 002 adultes du Québec).

- En vous rendant dans un bureau de scrutin

- Par la poste

- Par Internet

- Par téléphone

- D’une autre façon

- Ne sait pas et refus

40 %

19 %

21 %

10 %

2 %

9 %

Source : Léger Marketing / Fédération des commissions scolaires du Québec (2001).

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La participation des électeurs

Depuis 1973, les citoyens ont eu à plusieurs reprises l’occasion de se prononcer sur leur propre participation aux élections et sur des dimensions essentielles qui s’y rattachent. Nous avons regroupé sous quatre sous-thèmes les questions relatives à cette participation, soit : la connaissance que les citoyens ont des élections, l’intérêt qu’elles provoquent, les intentions déclarées quant à l’exercice de leur droit de vote et, enfin, leurs comportements déclarés. On peut évidemment se demander si la connaissance précède l’intérêt ou si l’intérêt suscite le désir de connaître. C’est là un débat qui relève de la psychologie et que nous n’entendons pas développer ici, encore moins trancher. Nous nous en remettons ici au sens commun. A priori, la connaissance précède l’intérêt : il est difficile en effet de s’intéresser à quelque chose que l’on ne connaît pas. Mais en revanche, on aurait tort de penser que l’accès à l’information suscite automatiquement un intérêt comme le montre aussi l’expérience commune : les citoyens ont accès quotidiennement à une masse d’informations auxquelles ils ne prêtent aucune attention, faute… d’intérêt !

La connaissance relative aux élections scolaires

Depuis 1973, plusieurs sondages, menés surtout auprès des Montréalais, ont voulu mesurer la connaissance des citoyens face aux différents aspects des élections. Comme l’élection de 1973 constituait une première à Montréal (et à Québec), elle a suscité un intérêt particulier de la part des médias qui y sont concentrés. Pourtant, selon un sondage mené pour le compte de la Commission des écoles catholiques de Montréal, 28 % seulement des Montréalais ont déclaré être au courant de la tenue de cette élection (CSUM / Commission des écoles catholiques de Montréal, 1973). Trente ans plus tard toutefois, 74 % affirmaient être au courant de la tenue des élections de novembre 2003 (CROP / LaPresse, 2003). Plus récemment encore, soit en 2006, 62 % des adultes du Québec disaient connaître « l’existence des élections scolaires », et, fait à noter, 71 % des parents d’élèves. Il y a manifestement eu un progrès même si entre le quart et le tiers des citoyens ignorent encore la tenue d’une élection en particulier, voire l’existence même de l’institution.

Chaque élection a généralement donné lieu à des campagnes de publicité de la part des commissions scolaires et même, plus récemment, du Directeur général des élections. Ces campagnes ont eu des degrés de pénétration variables. Ainsi en 1973, 56 % des Montréalais disent ne pas avoir vu les annonces diffusées à la télévision sur les élections scolaires et 70 % ne pas avoir entendu celles transmises par la radio (CSUM / Commission des écoles catholiques de Montréal, 1973). À l’élection de 1987, la situation change considérablement puisque 74 % des insulaires de Montréal affirment avoir « vu, lu ou entendu de la publicité au sujet des élections des commissaires d’école de la région »[5]. Toutefois, 76 % de ceux qui ont vu, lu ou entendu cette publicité affirment qu’elle ne les a « sensibilisés » que peu ou pas du tout « sur le système d’écoles publiques ».

Néanmoins, d’autres questions ont révélé la grande méconnaissance d’éléments essentiels de l’élection et au premier chef celle des candidats. Ainsi, en 1973, 71 % des habitants de l’île de Montréal déclarent ignorer les « noms des candidats qui se présentent au poste de commissaire dans [leur] quartier » (CSUM / Commission des écoles catholiques de Montréal, 1973). À l’élection de 1994, 71 % des Montréalais ne sont pas en mesure de nommer les trois groupes ou partis politiques qui présentent des candidats aux élections (SOM / LaPresse et Proulx, 1994). En 1990, 67 % ne peuvent pas préciser la date de l’élection qui s’amène en novembre

En amont, il existe une ignorance plus grande encore : on ne sait pas très bien qui sont ou qui représentent les commissaires, comme en témoignent les réponses à la question posée en 2006 (tableau 5). Le quart seulement des répondants ont donné la réponse juste. En somme, plus la moitié des Québécois ignoraient totalement qui ils étaient, ou s’en faisaient une fausse idée.

L’intérêt pour les élections scolaires

L’intérêt s’entend soit de ce que l’on trouve important, soit de ce qui retient l’attention. Dans le premier cas, on dira : « J’ai beaucoup d’intérêt pour le cinéma » ; dans le second, on dira plutôt : « Ce film était très intéressant ». Ainsi, la publicité peut retenir l’attention sur quelque chose sans que cette chose soit importante pour celui qui l’écoute ou la voit.

Tableau 5

Connaissance du rôle des commissaires

[2006] Parmi les choix de réponse suivants, les commissaires des commissions scolaires sont à votre connaissance… (N = 1 004 adultes du Québec).

- Des représentants de la population de leur circonscription

- Des représentants des parents

- Des employés de la commission scolaire

- Des employés du ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport

- Des conseillers municipaux

- Ni l’un, ni l’autre

- Ne sait pas

- Ne répond pas

25 %

23 %

21 %

9 %

3 %

-

19 %

-

Source : Écho Sondage / Conseil supérieur de l’éducation (2006).

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Les questions sur l’intérêt que les Québécois portent aux élections scolaires se rapportent manifestement au premier sens, soit à l’importance qu’ils leur accordent. On a posé la question en 1973 à l’occasion des toutes premières élections scolaires à Montréal : 23 % ont répondu alors « beaucoup », 53 % « un peu » et 22 %, « pas du tout ». Aux élections de 1990, de 1994 et de 1998 (tableau 6), la tendance s’est inversée. Ces trois sondages ont donné des résultats constants : la grande majorité des Montréalais, soit quelque 70 %, ont déclaré ne s’intéresser que peu ou pas du tout aux élections scolaires.

Tableau 6

Intérêt des Montréalais pour les élections scolaires (pourcentages)

Intérêt

1990

1994

1998

Beaucoup

7

10

11

Assez

18

16

19

Peu

29

30

30

Pas du tout

42

43

40

Total peu/pas du tout

71

73

70

Sources : CROP / La Presse, TVA (1990), SOM / La Presse, Proulx (1994), SOM / La Presse (1998).

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Les raisons de ce désintérêt sont plus difficiles à cerner. Un seul sondage a tenté d’expliquer le phénomène. Il remonte à 1990 où on a posé une question à ce sujet (tableau 7).

Tableau 7

Raisons du désintérêt pour les élections scolaires

[1990] Pour quelle raison principale ne vous intéressez-vous pas davantage à ces élections scolaires ? (N = 506 adultes de l’île de Montréal).

- Pas d’enfants

- Pas le temps

- Raison d’âge

- Manque d’information

- Autre

- N.S.P / P.R.

- Pas concerné

50 %

7 %

8 %

18 %

5 %

7 %

4 %

Sources : CROP / La Presse, TVA (1990).

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Les parents sont les premiers responsables de l’éducation de leurs enfants et ils y ont un intérêt particulier, voire immédiat. C’est pour cette raison même que le droit de vote leur a été explicitement accordé en 1961. En conséquence, il n’est pas surprenant que l’absence d’enfants d’âge scolaire constitue le premier motif du désintérêt pour les élections scolaires. On a d’ailleurs pu constater plus haut qu’une forte minorité, soit environ 45 %, a déjà déclaré que le droit de vote devrait leur être réservé.

En somme, à travers ces sondages, on constate déjà deux motifs principaux de l’abstention électorale : au premier chef, le manque d’intérêt affirmé (lié en partie, mais de façon importante, à l’absence d’enfants) ; en second lieu, le manque d’information, spécialement sur les candidats et leurs programmes.

L’intention de voter

Depuis 1993, on a, lors de cinq élections, questionné des électeurs sur leur intention d’aller ou non voter. Sauf pour le sondage de 1982 dont l’échantillon était provincial, les autres étaient montréalais.

Le graphique 2 révèle la baisse constante des intentions d’aller voter : à compter de 1994, une majorité claire de Montréalais déclarent ne pas avoir l’intention de voter. Cette baisse s’accompagne, comme on l’a vu au graphique 1, d’une baisse de la participation réelle. Néanmoins, les intentions ne rejoignent pas la réalité : sur l’île de Montréal, le taux de participation n’a jamais atteint 25 % et il a chuté à moins de 5 % en 2003. Pourtant, cette même dernière année, 35 % déclaraient avoir l’intention de voter, pourcentage qui correspond d’ailleurs en gros à ceux qui déclaraient avoir un intérêt pour les élections.

Graphique 2

L’intention d’aller voter chez les Montréalais (1972-2003)

L’intention d’aller voter chez les Montréalais (1972-2003)
Sources : CROP / La Presse (1973), CSUM / Commission des écoles catholiques de Montréal, (1973), Sorecom / CSIM, FCSCQ, ACSP (1982), Sorecom / CSIM (1987), Pluri Design / Cours (1994), SOM / La Presse, Proulx (1994), CROP / La Presse (2003).

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Deux hypothèses pourraient expliquer l’écart entre l’intention déclarée d’aller voter et le fait de passer à l’action. La première est celle du facteur de la désirabilité sociale : il est inconvenant en effet de déclarer que l’on n’a pas l’intention de voter ; la deuxième est que beaucoup d’électeurs, malgré leurs intentions, ne passeraient pas à l’action faute d’informations suffisantes : on le sait, beaucoup n’arrivent même pas à identifier les candidats, par manque d’information.

Par ailleurs, deux autres sondages, l’un en 1990, l’autre en 1998, ont mesuré non pas l’intention, mais la décision des électeurs montréalais d’aller ou non voter. La première fois, 43 % avaient pris la décision d’aller voter (CROP / La Presse, TVA (1990) ; la seconde, 36 % (SOM / La Presse, 1998). Ici encore, ces résultats sont bien au-delà de la participation réelle aux mêmes élections.

Les comportements déclarés

On a demandé à quelques reprises aux électeurs s’ils avaient ou non voté lors de la précédente élection scolaire. Même si on ne peut pas comparer strictement les données d’une élection à l’autre, puisqu’il ne s’agit pas des mêmes échantillons, la tendance observée est manifeste : le pourcentage de ceux qui déclarent avoir voté est plus élevé que les taux réels de participation (graphique 3). Ici encore, le facteur de désirabilité sociale explique probablement le phénomène.

À quelques reprises, on a aussi questionné les électeurs sur leurs habitudes en général plutôt que sur leur comportement à une élection particulière, mais la tendance va nettement dans le même sens. Ainsi, en 1979, 63 % des Québécois disent voter « peu » souvent (17 %) ou « jamais » (46 %) (Gallup /Association canadienne d’éducation, 1979). L’année suivante, 59 % des Québécois déclarent qu’ils ne votent « habituellement » pas (CSUM / Pelletier, 1980). En 1983, 63 % des électeurs de la Commission scolaire Sainte-Croix (île de Montréal) affirment qu’ils votent « parfois » (32 %) ou jamais (32 %). En 1990, 66 % des électeurs de l’île de Montréal répondent qu’ils n’ont jamais voté aux élections scolaires (CROP / La Presse, TVA, 1990). Enfin en 1998, 69 % des Montréalais disent la même chose (SOM / La Presse, 1998). Bref, c’est grosso modo six électeurs sur dix qui déclarent ne jamais voter.

Quels motifs influencent la décision d’aller voter ? Un seul sondage répond à cette question (Léger Marketing / Fédération des commissions scolaires du Québec, 2001). Deux facteurs en particulier ont été mentionnés : l’existence d’un enjeu qui a un impact sur le milieu (31 %) et la connaissance des services offerts par la commission scolaire (27 %). Le fait d’avoir des enfants à l’école semble aussi favoriser la participation. Ainsi, en 2003, 19 % des parents d’élèves ont déclaré avoir voté à la dernière élection, contre 11 % chez les non-parents (Écho Sondage / Conseil supérieur de l’éducation, 2006)[6]. Ce même sondage a révélé du reste qu’un nombre significativement plus élevé de parents connaissaient l’existence des élections scolaires.

En revanche, à trois reprises entre 1987 et 2006, on a interrogé les électeurs sur les raisons de l’abstention (tableau 8). Deux raisons principales ressortent manifestement de ces trois sondages. En premier lieu : le manque d’information. Cela est manifeste dans le sondage de 1982 à Sherbrooke où 52 % invoquent des raisons de ce type et dans celui du Conseil supérieur de l’éducation de 2006 où 55 % déclarent la même chose. En second lieu, on invoque le manque d’intérêt : de 19 % à 25 % ont indiqué ce motif dans les trois sondages. Rappelons que la majorité des électeurs déclarent avoir peu ou n’avoir pas d’intérêt pour ces élections.

Que retenir ?

Résumons d’abord les principales informations qui se dégagent de l’analyse de cette série de sondages.

Il existait toujours en 2001 un consensus à propos de la pertinence du suffrage universel, mais celui-ci s’était érodé de façon notoire dans les années 1990. Du reste, une forte minorité est prête à le remplacer par l’élection par les parents. En second lieu, on a observé en 1994 que la majorité de la population montréalaise ne souhaitait pas la constitution d’équipes électorales. On n’a pas reposé la question depuis, mais dans les faits on peut observer que le procédé demeure marginal.

Graphique 3

Le vote déclaré lors de la « dernière » élection

Le vote déclaré lors de la « dernière » élection

Note : En 1966, les citoyens des villes de Montréal et Québec n’avaient pas encore le droit de vote.

Sources : CROP / Ministère de l’Éducation, Ayotte et Lapointe (1966) ; CSUM / Commission des écoles catholiques de Montréal (1976) ; Comité central de parents de la CÉCM (1982) ; Décision / Commission scolaire catholique de Sherbrooke (1987) ; SORECOM / Conseil scolaire de l’île de Montréal (1987) ; Guay / Commission scolaire catholique de Sherbrooke (1992) ; Écho Sondage / Conseil supérieur de l’éducation (2006).

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Tableau 8

Motifs déclarés de l’abstention électorale

[1987] Selon moi, quand les gens ne votent pas aux élections scolaires pour désigner un commissaire, leur principale raison c’est que… (N = 1 990 parents de Sherbrooke).

- Ils ne connaissent pas les personnes qui se présentent

- Ils ne croient pas aux personnes qui se présentent

- Ils sont d’avis que les citoyens n’ont pas de pouvoir sur la commission

- Ils ne sont pas intéressés

- Ils ne sont pas informés

- Ils ne croient pas en ce système de représentation politique

- Autres raisons

- N.R.

26 %

-

9 %

19 %

26 %

5 %

2 %

1 %

Source : Décision / Commission scolaire catholique de Sherbrooke (1987).

[1994] On constate d’élection en élection scolaire que la très grande majorité des citoyens ne vont pas voter. Donnez-moi la principale raison qui pourrait le mieux expliquer cette abstention. (N = 923 adultes de l’île de Montréal).

- Les électeurs n’arrivent pas à connaître suffisamment les candidats et leurs programmes

- Quand on n’a pas d’enfants à l’école, les élections n’ont pas vraiment d’intérêt

- Les commissaires décident de si peu de choses que cela ne vaut pas la peine d’aller voter

- Je ne savais pas que je pouvais voter

- Autre

- N.S.P. / N.R.P.

25 %

 

24 %

 

3 %

3 %

31 %

14 %

Source : SOM / La Presse, Proulx (1994).

[2006] Pourquoi n’êtes-vous pas allé voter ? [parmi les 85 % ayant déclaré n’avoir pas voté aux élections de 2003] (N = 1 004 adultes du Québec).

- Vous n’étiez pas au courant de la tenue de ces élections

- Vous n’étiez pas intéressés à aller voter

- Vous n’aviez pas le temps

- Vous n’aviez pas d’opinion sur les candidats en poste

- Vous ne saviez pas que vous pouviez voter

- Vous n’avez pas pu voter puisque le commissaire a été élu par acclamation

- Vous n’étiez pas citoyen canadien

- Vous n’étiez pas au pays

- Autres, précisez

55 %

25 %

8 %

4 %

-

-

-

-

8 %

Source : Écho Sondage / Conseil supérieur de l’éducation (2006).

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En ce qui concerne la participation, deux phénomènes majeurs ressortent de manière constante. D’abord, la méconnaissance des citoyens touchant les élections, et surtout les candidats : elle constitue le premier motif déclaré de l’abstention d’une majorité d’électeurs ; ensuite le manque d’intérêt d’une forte majorité d’électeurs, soit plus de 70 %. Les dernières données à cet égard remontent toutefois à 1998. Cependant, s’il existe un lien entre l’intérêt et la participation électorale, ce qui est hautement probable, l’intérêt a sans doute continué à chuter à l’instar de la participation. On ne saurait dire si la méconnaissance explique le désintérêt des citoyens. Même si le sens commun porte à répondre oui, on ne saurait affirmer tout de go que l’accès à l’information suffit à lui seul à engendrer l’intérêt, comme le montre l’expérience quotidienne.

Le manque d’intérêt des citoyens tient possiblement, en partie du moins, au fait de n’avoir pas d’enfants d’âge scolaire, mais malgré les indices que suggèrent les sondages, la preuve n’en est pas faite. Ainsi, on n’a jamais vérifié empiriquement si le taux de participation aux élections scolaires est plus élevé chez les parents d’élèves que chez les non-parents.

Notre analyse a révélé par ailleurs un fait important : le taux de ceux qui ont déclaré avoir l’intention de voter est toujours plus élevé que le taux réel de participation. Il se situait encore en 2003 à quelque 30 % alors que 8 % des électeurs ont voté. Au surplus, ce 30 % correspond en gros à la proportion de ceux qui déclarent un intérêt pour les élections scolaires. En termes de marketing politique, ce double phénomène constitue peut-être un indicateur de la grandeur du « marché » électoral scolaire.

Il nous reste à revenir sur l’objectif même de cette étude à savoir vérifier les résultats de 29 sondages menés depuis 1973 contribuent à valider le modèle théorique proposé pour expliquer le taux très bas de participation électorale. Revoyons à cet égard chacun des cinq éléments retenus dans ce modèle théorique.

Pour ce qui est de l’apolitisme scolaire, un sondage datant de 1994 va manifestement dans le sens de nos observations : 35 % seulement des Montréalais étaient d’accord avec la présence de partis ou de groupes politiques scolaires. Mais c’est le seul. Et le fait que le nombre d’équipes n’ait pas augmenté de façon significative invite à penser que l’opinion n’a guère changé.

Il semble par ailleurs que la présence d’enjeux favorise la participation. En effet, en 2001, 35 % des Québécois ont mentionné que tel était bien le cas. Mais le fait que 55 % des électeurs aient déclaré en 2006 qu’ils n’avaient pas voté aux dernières élections parce qu’ils en ignoraient même l’existence constitue un indice sérieux de l’absence d’enjeux significatifs.

Aucun sondage n’a pris en compte la dimension du devoir moral de voter, pourtant majeure.

La formule de l’élection des commissaires par les parents, lorsque mise en compétition avec celle du suffrage universel, emporte l’adhésion de presque la moitié des Québécois. Nous y voyons l’indice le plus probant de la valorisation des parents à l’égard des élections scolaires. Ce phénomène a probablement aussi un lien avec le fait observé dans l’un ou l’autre sondage, que le quart des électeurs disent ne pas aller voter parce qu’ils n’ont pas d’enfants à l’école et qu’à l’inverse, on déclare davantage voter si on est parent.

Aucun sondage répertorié dans cette étude ne permet de confirmer directement le fait que la montée des valeurs marchandes ou consuméristes expliquerait l’abstention aux élections scolaires. En revanche, le manque d’intérêt déclaré d’une forte majorité d’électeurs, sans constituer une preuve de la montée des valeurs individuelles, nous apparaît tout à fait plausible dans la mesure où, par définition, une élection est une activité sociétale, qui vise, en définitive, la gestion du bien commun.

Enfin, le manque d’information sur la tenue des élections et les candidats, tout autant que la méconnaissance du rôle précis des commissaires constitue, selon les sondages, un phénomène important. Au surplus, le quart des électeurs expliquent par là leur abstention. Ce manque d’informations est-il le résultat du désintérêt que l’on observe par ailleurs ou est-ce l’inverse ? Le désintérêt dépend-il du manque d’information ? Ou est-ce plutôt l’absence d’enjeux qui explique le manque d’intérêt ? Il faut rappeler en outre une dimension importante des élections scolaires : plus de 65 % des candidates et des candidats sont élus sans opposition. C’est dire que peu d’information, sinon aucune, ne parvient aux électeurs puisqu’il n’y a pas de campagne.

Notons que le mode traditionnel de scrutin n’était en 2001 favorisé que par une minorité d’électeurs au profit d’un mode moins « énergivore ». Son maintien est de nature à rendre plus difficile la participation.

Au total, l’information transmise par ces sondages est utile et significative, mais largement parcellaire. Elle conforte certes les hypothèses du modèle théorique que nous avons proposé pour expliquer le phénomène de l’abstention, mais elle ne les confirme pas. Les nombreux sondages ponctuels auxquels ont donné lieu les élections scolaires depuis 1973 fournissent des amorces d’explication. Il manque à l’évidence une étude empirique en profondeur pour comprendre enfin ce qui en est.