Corps de l’article

Voici un ouvrage sérieux, parfois austère et très pointu, sur un sujet de grande actualité. L’origine de cet ouvrage collectif, on l’aura deviné, remonte à la tenue d’un colloque à Montréal en juin 2005 sous la responsabilité du Réseau intégration Nord-Sud (rinos). Ont collaboré au succès de cette initiative : le Groupement de recherche économie Méditerranée monde arabe, le ministère (français) de l’Éducation nationale et de la Recherche, la région Aquitaine, l’Organisation internationale de la francophonie, le Conseil de recherche en sciences humaines du Canada, le Fonds québécois de la recherche sur la société et la culture et enfin, bien sûr, l’observatoire des Amériques. Cela fait beaucoup d’organismes et beaucoup de monde pour assurer le succès d’une telle opération et conférer ainsi à cet ouvrage la crédibilité qui lui revient. Les dix-sept auteurs se sont partagés la responsabilité des dix chapitres répartis en deux parties.

Le lecteur doit en être avisé, il se trouvera en présence d’un volume qui prend toutes les apparences d’un numéro spécial de revue académique avec, comme c’est toujours le cas, des contributions susceptibles de l’intéresser plus que d’autres, qui vont des rapports Nord-Sud et Sud-Sud dans le contexte de l’agenda de l’omc à la vulnérabilité régionale face à l’ouverture commerciale internationale : le cas des fruits et légumes dans l’Euro-Méditerranée, en passant par le commerce intrafirme français et les partenaires méditerranéens. En abordant ces diverses problématiques, les auteurs ont dû recourir à une panoplie de sigles : dipp, atv, acr, ped, amt, add, ped-pma, ini, csn (non, il ne s’agit pas de la Confédération des syndicats nationaux), etc. Ces acronymes peu familiers s’ajoutent à ceux bien connus, tels ceux de l’omc, de l’alena, du gatt, de la zléa et autres mercosur. L’abondance de sigles et abréviations utilisés aurait mérité une présentation, ainsi qu’on le fait généralement dans ce genre de publication. Comme il serait fastidieux, voire impossible, de s’attarder ici à chacun des chapitres, il a fallu procéder à une sélection.

L’ouvrage débute par une introduction de près de cinquante pages par les responsables de cette édition. En se permettant de présenter un texte plus long que tous les chapitres de l’ouvrage, C. Deblock et H. Regnault, respectivement professeurs l’un à l’uqam et l’autre à l’Université de Pau et des Pays de l’Adour, n’ont pas abusé d’un privilège car ils introduisent bel et bien les différentes contributions de l’ouvrage. Leur allusion à la Division internationale des processus productifs se fait à travers une prise en considération des publications les plus pertinentes au fil des années, dont le corpus théorique paraîtra familier aux étudiants ayant bien assimilé l’essentiel de leurs cours d’économie internationale. En se rapportant à certains théorèmes parmi les plus connus ou à des hypothèses qui ont marqué la théorie du développement économique de l’après-guerre (celle de 1939-1945), les auteurs pavent la voie à leurs collègues. Il en va de même lorsqu’ils sortent de leur cadre théorique pour aborder des réalités on ne peut plus concrètes telles que, par exemple, le cycle de Doha, auquel il est fait référence à plusieurs endroits. Le déroulement de ce cycle, aux yeux des auteurs, met en évidence les limites des raisonnements en termes d’opposition Nord-Sud. Avec une pointe d’humour, la seule rencontrée dans l’ensemble de l’ouvrage, la question est posée de savoir s’il est possible de mettre un peu d’ordre dans les spaghettis du grand spécialiste indien de l’économie internationale Jagdish Baghwatti (en attente du mal nommé prix Nobel de l’économie) afin de voir comment assaisonner la sauce multilatérale. Pour ce faire, les auteurs offrent au lecteur une intéressante typologie des acr (accords commerciaux régionaux). Dans leur conclusion, ils font le constat que si, au cours des quelque cinquante dernières années, beaucoup de peuples ont gagné en souveraineté, il n’en manque pas qui ont néanmoins accusé de sensibles pertes au chapitre du libre arbitre économique.

La première partie intitulée L’intégration Nord-Sud : cadres institutionnels et réseaux d’entreprises contient, entre autres, une contribution sur l’articulation des dynamiques régionales avec, comme étude de cas, l’exemple du Mercosur qui occupe environ près de la moitié du chapitre 2. Le début porte sur les modalités de l’insertion internationale des économies, et attire l’attention sur deux formes de régionalisation différentes de celles impliquant le Brésil, l’Argentine, l’Uruguay et le Paraguay. Pour Petit, c’est une forme de dépendance extérieure marquée du sceau de l’instabilité qui caractérise le mercosur. Étant donné le poids relatif du Brésil dans cette union, pour mieux considérer la dynamique de l’ensemble de la zone, il faut inclure les pays qui y sont associés.

Alors que le sigle bric (Brésil, Russie, Inde, Chine) tend à se répandre de plus en plus, c’est du G3 (Afrique du Sud, Brésil et Inde) créé en 2003 dont il est question dans le chapitre 3. Ainsi, S.F. Turcotte et G.J. Lord comparent l’insertion commerciale de ces trois pays depuis le début des années 1990 en examinant leurs exportations vers les principales régions du monde. Ainsi, on précise que le Brésil envoie 58 % de ses produits exportés vers l’Amérique du Nord (malgré les difficultés qu’impose le gouverneur Bush aux importations de jus de fruit, par exemple). On comprend les auteurs lorsqu’ils affirment la nécessité de relativiser les capacités qu’auraient les grandes économies du Sud à modifier le système commercial multilatéral en fonction de leurs intérêts économiques.

La seconde partie, Intégration, inégalités et recompositions, débute avec le chapitre 6, chapeauté d’une interrogation, à savoir si le commerce est en mesure de réduire les asymétries entre les États-Unis et les pays d’Amérique latine. V. Ventura Dias tente d’y apporter une réponse en précisant d’entrée de jeu que le commerce a des effets limités sur les conditions de vie et la croissance et que, par le fait même, il ne faut pas s’attendre à une réduction sensible des asymétries en présence. L’expérience de l’Amérique latine, fait-il observer, montre que le commerce a été une condition nécessaire mais non suffisante pour soutenir la croissance. Le Mexique, par exemple, n’a pas réussi à faire bénéficier à l’ensemble de son économie des effets de la progression de ses activités commerciales. L’auteure dégage de ses travaux que les pays d’Amérique latine font la preuve que les flux du commerce et de l’investissement ne constituent pas nécessairement des forces intégratives. Le chapitre 8, sous la responsabilité de N. Philipps, traite des migrations et de la nouvelle économie politique des inégalités dans les Amériques. L’auteur ambitionne de montrer comment les États-Unis, par leurs politiques migratoires, contribuent à produire et reproduire cette nouvelle économie des inégalités tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de leurs frontières. C’est dans ce chapitre que l’on trouve des allusions à l’alena avec le constat que le Mexique n’en n’aurait pas tiré les avantages espérés.

S’il est impossible de résumer un ouvrage d’une telle densité, il est par contre aisé de concevoir l’intérêt qu’il peut représenter pour toute personne désireuse de connaître de façon approfondie la problématique très complexe qui caractérise les relations Nord-Sud.