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Le titre ambitieux de ce livre et l’approche – que Fernand Harvey, dans la préface, définit comme « cheminement d’arborescence » mais que je qualifierais aussi du contraire, c’est-à-dire d’entonnoir, allant du général au particulier – sont déconcertants pour le lecteur. Le pays dont parle Nicole Dorion-Poussart est Sillery ou, pour être plus spécifique, la partie de Sillery située entre le chemin Saint-Louis et le fleuve Saint-Laurent. Par contre, les mots de voyage et de sources sont étonnamment justes. En effet, chacun des 11 chapitres peut être compris comme une promenade avec des amis dans un lieu de mémoire qui sert de déclencheur à une conversation à bâtons rompus qui nous amène d’abord aux sources lointaines, parfois très lointaines, du lieu. Outre la trame principale, l’ouvrage est parsemé de gloses et d’encarts, parfois très longs et très éloignés du sujet, qui sont soit accessoires, soit commémoratifs, soit encore explicatifs.

Une brève analyse du chapitre neuf, intéressant puisqu’il parle de la naissance de la communauté silleroise, permettra de saisir la démarche de l’auteure. Le chapitre ouvre sur les Celtes, les Romains, les Saxons et les Francs, c’est-à-dire sur les peuples qui donneront, des millénaires plus tard, naissance à la municipalité de Sillery. Les Celtes – ne voit-on pas plusieurs croix celtiques dans les cimetières de Sillery ? – servent de point de départ au chapitre. Dorion-Poussart consacre un encart de cinq pages aux légendes arthuriennes et poursuit en parallèle l’histoire de la conquête de la Gaule par les Francs, l’invasion de l’Angleterre par Guillaume, duc de Normandie, en 1066 et la formation, en 1707, du Royaume-Uni qui inclut la Grande-Bretagne (Angleterre, Écosse et pays de Galles) et l’Irlande.

Logiquement, l’auteure en arrive à parler de l’immigration anglaise et écossaise au Canada au XIXe siècle, et deux pages entières sont consacrées « aux causes immédiates qui ont poussé près du tiers de la population irlandaise à s’expatrier » (p. 256). Entre 1815 et 1850, approximativement un million de personnes immigrent au Canada non pas pour commercer les fourrures comme auparavant, mais pour occuper un emploi dans l’industrie du bois. « Le développement prodigieux de l’industrie du bois dans les anses de Sillery amène de nombreux ouvriers qui s’installent sur le chemin du Foulon, sur la côte de l’Église et à Bergerville (une partie du domaine Woodfield entre le chemin Saint-Louis et le ruisseau Belleborne aujourd’hui la rue Saint-Michel). [Enfin, vers 1850, la] communauté voit le jour… » (p. 258). La première église paroissiale, Saint Columba (qui deviendra la paroisse Saint-Michel en 1969), est inaugurée en 1854 ; un mois plus tard une première messe est célébrée dans l’église anglicane dédiée à Saint Michael. Le 8 février 1856, le gouverneur général entérine les limites territoriales de la paroisse Saint Columba et l’érige en municipalité. Jusqu’en 1913, tous les maires de Sillery seront des marchands de bois – sauf Joseph Knight Boswell, fondateur et propriétaire de l’importante brasserie Boswell – et de langue anglaise (p. 260). La première école publique date de 1874 où filles et garçons irlandais et canadiens-français se retrouvent sur les mêmes bancs d’école (p. 261). Pour clore le chapitre et boucler la boucle, l’auteure nous incite à visiter le cimetière protestant Mount Hermon et les cimetières catholiques Saint-Michel et Saint Patrick qui « prolongent la mémoire » des communautés qui ont fait l’histoire de Sillery et qui y ont laissé des traces de leur culture, dont les croix celtiques.

Nicole Dorion-Poussart utilise la même méthode pour traiter de plusieurs autres thèmes : elle part des origines de l’homme en Afrique pour aboutir aux Amérindiens et aux Occidentaux qui ont migré en Amérique, de la route de la soie et parler des explorateurs à la recherche d’une route de l’Ouest, ou du Paradis, en passant par les jardins à l’italienne, à la française ou à l’anglaise pour en arriver à l’Éden en Sillery formé par les magnifiques jardins des domaines situés le long de la falaise. Cet ouvrage plaira sans doute aux gens qui habitent ou ont habité Sillery, il s’adresse aussi à quiconque s’intéresse aux origines de la civilisation occidentale et à leur évolution dans la longue durée. Cependant, à vouloir trop embrasser, l’auteure se voit dans l’obligation soit de faire quelques fois des raccourcis discutables, soit d’avoir recours à l’anecdotique. Pour en tirer le maximum de bénéfice, ce livre mérite d’être lu tranquillement, chapitre par chapitre.