Corps de l’article

Les églises du Québec lance la nouvelle collection « Patrimoine Urbain » aux Presses de l’Université du Québec. Ce volume se voulait un outil de réflexion en préparation du colloque « Quel avenir pour quelles églises ? » tenu à l’Université du Québec à Montréal en octobre 2005. En fait, les auteurs l’utilisent pour établir leur diagnostic sur le patrimoine religieux au Québec. Le livre repose sur bon nombre d’ouvrages qu’ils ont eux-mêmes rédigés ainsi qu’une multitude d’articles de journaux, sources manuscrites et imprimées (procès-verbaux, textes de lois, actes inscrits aux registres fonciers) sans mentionner les nombreuses études qui portent sur l’histoire et l’architecture des églises, comme en témoigne la bibliographie étoffée.

Cet ouvrage soulève une question primordiale : pourquoi et comment les églises sont-elles devenues un patrimoine important qu’on se sent en devoir de conserver à tout prix ? En découlent deux autres autour desquelles est construite l’argumentation : qui détient la propriété des biens des églises ? Quelle est vraiment leur utilité sociétale ? Après avoir avancé quelques réponses, les auteurs analysent des méthodes utilisées pour statuer sur les « qualités patrimoniales » des églises de la province, méthodes qu’ils ont eux-mêmes contribué à définir par leurs travaux antérieurs. Avec de meilleurs critères, ils croient que les décideurs ecclésiastiques et politiques ainsi que les citoyens seront mieux outillés pour, enfin, décider de l’avenir des lieux de culte sur le territoire québécois. Les six chapitres du livre approfondissent progressivement la thèse que les églises sont « un patrimoine à réinventer ». Le premier commence avec un survol de la problématique, un rappel historique décrivant comment les églises en sont venues, depuis que l’on a commencé à les vendre et à les démolir dans les années 1970, à occuper une place si prépondérante tant dans les médias que dans les quartiers urbains, les coeurs de villages et l’imaginaire québécois. Apparaît, dans le deuxième chapitre, l’appréhension du péril qui menace le patrimoine religieux : l’abandon de l’Église (institution, foi) se distingue de celui des lieux de culte (bâtiments), le caractère privé de ces propriétés ne favorise pas leur appropriation par les citoyens, malgré le fait que ce sont leurs ancêtres qui les ont construites, sans oublier le manque de ressources, surtout financières, qui empêche la conservation des églises. Les auteurs retournent à l’histoire et aux événements plus récents pour mettre en lumière les tenants et aboutissants des décisions prises et non prises par les acteurs clés.

Dans le troisième chapitre, les auteurs démystifient l’histoire de la conservation des monuments historiques, les changements successifs dans les politiques, les lois, les outils de gestion et les pratiques de la patrimonialisation (l’attribution d’un statut patrimonial en raison de la signification du bien pour la collectivité). En mettant en relief les responsabilités et les actions respectives de l’État et de l’Église, les priorités, confuses, de chacun, ils concluent qu’il y eut manque de concertation et beaucoup d’improvisation dans ce partenariat chancelant. En dissociant le lieu cultuel du bien culturel, ils espèrent que cessera l’« enreligieusement » des fonds publics, c’est-à-dire l’accaparement de ceux-ci par les églises. Les auteurs s’attaquent aux questions de financement et aux programmes d’aide dans le quatrième chapitre, éclairant le lecteur sur qui aurait obtenu des fonds, à quel moment, pour quels projets, et ce qui en est résulté.

Dans le cinquième, ils exposent des précédents de démolition, reconversion et restauration ouvrant la gamme des possibilités, bien que toutes ne soient pas jugées appropriées. La création d’une fiducie serait une des solutions pour la sauvegarde des églises, mais avant de la créer, il faut savoir choisir lesquelles sont à conserver. Les auteurs élaborent alors de nouveaux critères d’évaluation basés non pas sur des qualités intrinsèques du bâtiment (ex. âge, authenticité) ou des valeurs (ex. sociales, historiques) quelconques, mais sur le potentiel « monumental » de sa requalification en une autre vocation.

« Sans projet, plus d’église » résume leur propos. Pour avoir la voie libre, Noppen et Morisset tentent de montrer qu’une église n’est en fait qu’une bâtisse, une représentation d’une culture plutôt qu’un instrument de la foi. Ils évacuent de la question les dimensions dites immatérielles. Cependant bon nombre d’études sur ces aspects éclairent la signification de ces biens au sein des collectivités. Une telle position fait fi de l’imbrication complexe de la culture et de la religion. Les auteurs souhaitent le débat. Mais le ton de leur livre tourne souvent en une diatribe dans laquelle les universitaires s’en prennent au clergé et aux gouvernements, ce qui risque de nuire à la réception d’arguments, pourtant prometteurs, qui pourraient enrichir la réflexion. Le livre demeure néanmoins le fruit de dizaines d’années de carrière et un projet ambitieux qui apporte un éclairage sur l’histoire même du débat actuel.