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Traduit de l’allemand par Julie Levesque

Le premier film allemand produit après la fin du IIIe Reich, Les assassins sont parmi nous (Die Mörder sind unter uns, 1946), une production de la Deutsche Film-Aktiengesellschaft (DEFA) de Wolfgang Staudte, s’ouvrait sur des plans montrant les conséquences de la guerre : des villes bombardées, des gens déracinés, perdus, luttant quotidiennement pour leur survie, des mutilés physiques ou psychiques vêtus d’uniformes en lambeaux. Le personnage principal du film était un des leurs : un médecin ayant servi dans la Wehrmacht et un soi-disant Mitläufer, un « sympathisant » sous Hitler. Il rencontre par hasard son ancien capitaine, ce qui lui rappelle alors un atroce événement survenu l’année précédente.

Quelque part à l’est — en Pologne ou en Lituanie —, pour se venger d’un acte partisan, le capitaine avait ordonné l’exécution de civils : des femmes, des enfants et des vieillards. Cette nuit meurtrière avait eu lieu la veille de Noël. On avait enlevé les mitrailleuses et casques lourds des crucifix sur lesquels ils avaient été provisoirement accrochés et, après l’exécution, le capitaine avait invité ses soldats à festoyer sous l’arbre de Noël. Cette séquence à part, le film se déroule dans le présent immédiat, et Wolfgang Staudte fait transparaître l’enfer de la guerre à travers l’ambiance cauchemardesque créée par la mise en scène de ce seul court flash-back. Il réduit la campagne militaire nazie à un seul crime concret, qui ne laisse aucun doute quant à sa vision de la nature de cette guerre.

Bien que les victimes d’Europe de l’Est figurant dans la scène évoquée soient demeurées sans noms et, à vrai dire, sans visages, ce fut la seule fois que le cinéma allemand d’immédiat après-guerre mit en images des événements arrivés au front, en particulier sur le front de l’Est. À cette époque, ce sont les « autres », les Alliés vainqueurs, qui projettent des images de la guerre dans les salles allemandes. Dans leur zone d’occupation, les Russes ont présenté des documentaires comme Berlin (Berlin, Youli Raïzman, 1945), La Tchécoslovaquie libérée (Oswoboshdjonnaja Tschechoslowakija, Ilya Kopalin, 1946), des films de fiction tels que Attends-moi (Shdi menja, Boris Ivanov et Aleksandr Stolper, 1943) et, plus tard, La chute de Berlin (Padenije Berlina, Mikhaïl Tchiaoureli, 1949). Pour leur part, les Américains présentèrent, parmi bien d’autres productions, Mrs. Miniver, et ce dès 1944. Mis à part quelques exceptions non négligeables [1], les réalisateurs allemands préféraient le présent au passé et se consacraient presque exclusivement au thème de la vie après la Seconde Guerre mondiale. Leurs films de la fin des années 1940, dont le caractère inquiétant et grave a rapidement tourné au divertissement optimiste, avaient des titres du genre : Et au-dessus de nous le ciel (Und über uns der Himmel, Josef von Baky, 1947), Demain tout sera mieux (Morgen ist alles besser, Arthur Maria Rabenalt, 1948) ou encore Après la pluie le soleil (Nach Regen scheint Sonne, Erich Kobler, 1949).

Si l’on fait abstraction des documentaires et des actualités hebdomadaires — comme Le témoin (Der Augenzeuge) — produites par la DEFA dès février 1946, ou le semi-documentaire Pays libre (Freies Land, Milo Harbich, 1946) sur la réforme agraire dans la zone d’occupation soviétique, c’est de nouveau à Staudte que revient d’avoir montré pour la première fois des soldats russes dans un film allemand d’après-guerre. Dans Rotation (1949), portrait pénétrant d’un petit-bourgeois « complice » du régime du début à la fin du IIIe Reich, il inclut des séquences de documentaires sur les combats de rue à Berlin et la prise d’assaut du Reichstag. Toutefois, le soldat russe n’existe toujours pas en tant que personnage de fiction dans le cinéma allemand de cette époque. Il faudra des années avant que quelque chose ne change sur ce plan.

Guerre froide et stalinisme : entre censure et euphémismes

Au début des années 1950, la maison de production cinématographique d’État est-allemande DEFA se vit fortement incitée à moins regarder en arrière et à participer de manière propagandiste à la création d’une « nouvelle société [2] ». Ce n’est qu’en 1954 qu’elle s’est de nouveau essayée à représenter directement la guerre, mais les premières tentatives n’ont pas pu atteindre l’étape du tournage.

Par exemple, Konrad Wolf (fils du dramaturge Friedrich Wolf), émigré en Union soviétique avec ses parents et venu à la DEFA à cette époque en tant que jeune réalisateur, s’est intéressé à des sujets illustrant la relation entre les Allemands et les Russes, grandement perturbée par la guerre. Le projet Weg in die Heimat (Chemin vers la patrie), sur lequel Wolf a travaillé en collaboration avec Walter Gorrish et Wolfgang Kohlhaase, établit un premier parallèle avec sa propre biographie. Le personnage principal, un garçon de dix ans séparé de sa mère en raison de la guerre, entre en contact avec un soldat soviétique en 1945 lors de la distribution des vivres dans la ville de Dresde bombardée : « Un des soldats se prend d’affection pour le jeune apatride et l’amène dans sa patrie ukrainienne. Il y grandit, […] devient un bon komsomol et gagne l’amitié et le respect des adolescents en travaillant comme conducteur de tracteur [3]. » Après son retour en République démocratique allemande (RDA), le héros socialisé en Union soviétique doit soutenir des luttes contre de grands agriculteurs réactionnaires : le scénario défendait donc le bien-fondé de la voie socialiste soviétique.

Un second projet de la même année, Petka, dans lequel Wolf mettait en scène un soldat russe amer, était plus subtil sur le plan psychologique et fut moins rentable. Konrad Wolf a néanmoins repris ce personnage plus tard dans Chercheurs de soleil (Sonnensucher, 1958), un film se déroulant dans une exploitation minière d’uranium est-allemande après la Seconde Guerre mondiale. Il s’agit de Sergei, un ingénieur soviétique dont la femme a été assassinée par les nazis et dont l’amertume n’éclot que lentement. Sonnensucher, qui, du fait de sa sincérité et de son caractère original, aurait pu devenir un événement marquant dans l’histoire du cinéma de la DEFA, a été interdit, et ce n’est qu’en 1972 qu’il put sortir en salle en RDA [4].

Le cinéma ouest-allemand a lui aussi mis du temps à aborder le thème de la Seconde Guerre mondiale. L’élément politique déclencheur eut lieu en 1952 lorsque, devant le Parlement allemand, Konrad Adenauer fit une « déclaration d’honneur » pour tous les soldats allemands qui s’étaient battus en mer, sur terre et dans les airs durant la Seconde Guerre mondiale. Parallèlement à la création d’une armée fédérale, à l’adhésion de la République fédérale à l’OTAN ainsi qu’au réarmement, le film de guerre ouest-allemand a connu un boom. Parmi ces films, on trouvait aussi bien des compilations de matériel documentaire, comme Tel était le soldat allemand (So war der deutsche Landser, 1955), que des films de « troufions » en costume, tel 08/15 s’en va-t-en guerre (08/15, Paul May, 1954-1955), ou encore des portraits, par comparaison sérieux mais néanmoins éloignés de la réalité, d’officiers importants de la Wehrmacht ou du contre-espionnage, tels Amiral Canaris (Canaris, Alfred Weidenmann, 1955), Le général du diable (Des Teufels General, Helmut Käutner, 1956) — à propos d’Ernst Udet —, L’étoile d’Afrique (Der Stern von Afrika, Alfred Weidenmann, 1956) et U 47 (U 47 — Kapitänleutnant Prien, Harald Reinl, 1958) — consacré au capitaine de sous-marin Prien. À quelques différences près, tous ces films participaient d’une même vaste tendance approbatrice ; au lieu de susciter un débat sans fard, le cinéma ouest-allemand entretenait un mythe :

[…] le mythe d’une Wehrmacht « héroïque » et « honorablement combattante », qui, sous le commandement d’Hitler, aurait été menée à l’impitoyable défaite. […] On évitait ainsi la représentation concrète du déroulement des combats, la dimension de guerre d’anéantissement et surtout l’expérience et la mort imminente au front.

Heimann 2000, p. 43

La guerre froide avait besoin de films de guerre « positifs » et tout autant d’offrir une image cinématographique de l’ennemi, même si les Russes étaient par ailleurs rarement présentés en RFA comme des êtres intégralement mauvais [5].

Mais une autre forme d’absolution, non moins problématique, eut lieu dans le cinéma de la RDA. À la DEFA, jusque vers la fin des années 1950, la règle subsiste selon laquelle on doit renoncer aux films sur la guerre, et surtout sur le rôle des individus au sein de la Wehrmacht fasciste. Cette posture répondait au fond à la doctrine d’État de la RDA, qui ne voulait d’aucune façon se voir comme héritière du récent passé allemand et tenait autant que possible à ce que la complicité des crimes nazis soit imputée aux représentants de cet Ouest allemand « toujours d’hier ». Pour que la RDA puisse être légitimée par l’antifascisme, il fallait que le peuple de la RDA fût, dans l’ensemble, lui aussi excusé de ses fautes.

Ernst Thälmann — Dirigeant de sa classe (Ernst Thälmann — Führer seiner Klasse), tourné en 1955 par Kurt Maetzig pour la DEFA, est caractéristique de cette position défensive face à l’histoire. Ce film regroupe les Allemands du IIIe Reich en un petit nombre de catégories typiques : la petite clique criminelle au pouvoir auprès de Hitler, Göring et Goebbels ; les bons combattants de la résistance emprisonnés, et les exilés en Union soviétique, qui rentrent maintenant au pays en sauveurs. Dans ce film, programmé comme une opération étatique majeure, il n’y a guère plus de subtilité, ni de véritable réflexion critique qui permettrait de départager les « sympathisants » nazis et les opportunistes parmi les ouvriers, les paysans, les employés ou les soldats.

Toutefois, la DEFA pouvait occasionnellement faire fi du consensus de « non-culpabilité », généralement entretenu dans les arts et la littérature en RDA. Le premier film de guerre important de la DEFA, Dupes jusqu’au Jugement dernier (Betrogen bis zum jüngsten Tag, Kurt Jung-Alsen, 1957 — d’après la nouvelle Kameraden de Franz Fühmann), se voulait lui aussi une réplique des artistes est-allemands à la vague de productions de la République fédérale réhabilitant la Wehrmacht. L’événement extraordinaire sur lequel se basait cette fiction s’était produit en juin 1941, à la frontière entre l’Allemagne et la Lituanie. Le film raconte comment trois hommes de la Wehrmacht, à qui l’on a accordé une permission spéciale en raison de leurs qualités de tireurs, vont à la chasse, tuent par mégarde la fille de leur capitaine et immergent le cadavre dans un marais. Afin de dissimuler l’accident, le père d’un des permissionnaires, un général de la SS, a une idée perfide : il fait en sorte que, le jour de l’invasion allemande en Union soviétique, le cadavre de la jeune fille soit découvert transpercée par une baïonnette russe. La jeune fille morte une fois découverte, le capitaine éperdu fait fusiller des otages. Toutefois, l’un des trois coupables, souffrant de remords de conscience et prêt à avouer sa culpabilité, meurt. C’est par là, finalement quelque chose de « plus grand » qui compte.

Dupes jusqu’au Jugement dernier occupe une place notable dans l’histoire internationale du film de guerre. La mise en scène se refuse à toute didactique ainsi qu’à la représentation de toute action superflue ; même les dialogues sont limités et demeurent laconiques. De plus, le réalisateur a opté pour des métaphores et des symboles plutôt que pour des scènes de foules imposantes ou des batailles. Un critique de l’époque décrit le film ainsi :

La scène du méfait — un paysage marécageux. De la même manière que leurs bottes de soldats s’enfoncent dans la boue gluante, les trois hommes s’empêtrent dans les conséquences de la dissimulation et de l’étouffement de l’affaire. […] La séquence de l’alarme au gaz est visuellement suggestive : des bâches antigaz recouvrent les corps tels des linceuls ; au lieu de rassemblement, des structures informes et chancelantes ; nul n’est reconnaissable. L’être humain est devenu méconnaissable.

Gehler 1985, p. 26

De semblables images correspondent à un détour intellectuel inhabituel pour le cinéma allemand de ces années : Franz Fühmann et Kurt Jung-Alsen renvoient le spectateur non seulement à la théorie du surhomme, formulée voluptueusement par un des coupables, mais aussi à la perversion de l’idée de « camaraderie » et de « communauté ». La culpabilité du soldat individuel devient indissociable de la culpabilité du peuple allemand. Le Times de Londres a vu dans ce film « un symbole puissant et exact de l’armée allemande lors de l’éclatement de la guerre contre l’Union soviétique » (Knietzsch 1967, p. 250), et l’a placé au même rang que l’impressionnant Ils aimaient la vie (Kanal, 1957) d’Andrzej Wajda.

Un autre film de la DEFA qui voulait rompre avec l’image idéale de la guerre n’a jamais pu être porté à l’écran. En 1958, le réalisateur Herbert Ballmann a commencé à travailler, sous le titre Maison en feu (Haus im Feuer), à l’adaptation cinématographique du roman de guerre d’Harry Thürk, L’heure des yeux morts (Die Stunde der toten Augen). Le film de Ballmann (né en 1924, appelé sous les drapeaux de la Wehrmacht en 1942 et fait prisonnier à la fin de la guerre chez les Soviétiques, où il a fréquenté une école antifasciste), aurait pu être un film-clé de sa génération. L’action de Haus im Feuer se situe en Prusse orientale en 1944. Un soldat allemand membre d’une unité spéciale de parachutistes représente un héros atypique. De petits groupes de cette unité sont régulièrement parachutés en uniforme de l’Armée rouge derrière les frontières soviétiques afin d’y faire exploser des chemins de fer, des ponts et des entrepôts de munitions. Le jeune soldat allemand est cantonné dans une ferme de la Prusse orientale où vivent encore une femme et un valet sourd-muet. Le soldat réussit à découvrir par hasard l’identité véritable de cet homme : le valet est en réalité un officier de l’Armée rouge demeuré en sol ennemi et ayant reçu l’aide de la fermière. Les deux hommes s’éprennent d’elle… Alors que le front se déplace, le village se trouve soudainement du côté russe. Un jour, l’Allemand aperçoit son sergent qui veut faire feu sur la ferme avec un bazooka ; il l’abat. En fuyant le village, toujours en tenue de soldat de l’Armée rouge, il est tué par un tank de la Wehrmacht qui vient vers lui.

Le style littéraire d’Harry Thürk avait déjà essuyé de violentes critiques. On reprochait notamment au livre d’avoir un « style dur et américain », mais on réprouvait avant tout l’apparente neutralité du narrateur et la représentation plutôt « positive » du jeune soldat allemand, qui apparaît aux antipodes d’un meurtrier professionnel. Cependant, bien que l’auteur et le réalisateur aient assuré les autorités que Haus im Feuer serait une réplique socialiste et humaniste aux films de guerre en provenance de l’Ouest [6], on a retiré à Ballmann l’autorisation d’adapter le roman peu avant le commencement du tournage [7]. Désormais sous la direction du réalisateur Carl Balhaus, le scénario subit durant les mois suivants diverses modifications : entre autres, beaucoup plus d’importance est accordée au personnage de l’officier soviétique blessé. Mais même cela ne suffit pas : au début de l’année 1960, deux mois après le début du tournage, le travail fut définitivement suspendu et, par après, les bobines furent détruites.

Quelques mois plus tard, au lieu du rude et réaliste choc conflictuel entre un soldat allemand et son homologue russe, tous deux en apprentissage existentiel, la DEFA proposait une variante plus douce et fardée avec Cinq jours — cinq nuits (Fünf Tage — fünf Nächte, Lew Arnschtam et Heinz Thiel, 1961). Ce film, qui sortit en mars 1961, pouvait se prévaloir d’être la première coproduction entre la DEFA et un studio de cinéma soviétique (Mosfilm). En outre, c’était la première fois que, hormis le film prohibé Chercheurs de soleil, on pouvait voir dans un film est-allemand des soldats et officiers soviétiques dans des rôles principaux. Le film commence le dernier jour de la guerre, le 8 mai 1945 dans la ville détruite de Dresde, et montre comment le sauvetage de la célèbre galerie de peintures est avant tout dû à l’ardeur des soldats soviétiques. Par sa mise en scène particulièrement euphémique, par l’affirmation d’une proximité paisible entre Allemands (de l’Est) et Soviétiques dès le premier jour de paix, le film s’avère pathétique plutôt que réaliste. En revanche, Fünf Tage — fünf Nächte se tait sur la complexité des véritables circonstances du transfert de tableaux allemands en Union soviétique : le contexte social et politique ne permettait aucune problématisation du thème du « butin », ne serait-ce qu’à mots couverts, et cela même si les auteurs l’avaient voulu.

« Dégel » et nouveaux regards sur l’histoire : Konrad Wolf, Heiner Carow

La coproduction est-allemande-soviétique Hommes et bêtes (Ljudi i zveri, Sergei Guerassimov), tournée en 1962 durant la période de « dégel » sous Khrouchtchev, insufflait un ton nouveau à la manière d’aborder le thème de la Seconde Guerre mondiale. Le film relate le calvaire d’un Russe se retrouvant en captivité chez les Allemands, pour ensuite être déporté dans un camp de concentration pendant le siège de Leningrad. Après la guerre, celui-ci erre en apatride à travers le monde, travaille comme valet de chambre en Argentine puis comme chauffeur à Hambourg, et le spectateur en comprend la raison lorsque — beaucoup plus tard dans le film — le héros retourne en Union soviétique. Là-bas, la femme de son frère aîné refuse tout contact avec lui : elle craint de s’exposer à des complications si on la voit avec un homme venant de l’étranger. Dans ces scènes, le film touche à un thème longtemps demeuré dans l’ombre en Union soviétique et, à plus forte raison, en RDA : la stigmatisation stalinienne des soldats soviétiques tombés aux mains des fascistes, vus comme des apostats et des traîtres. Bien que la fin fausse quelque peu l’histoire (le héros rencontre une médecin à laquelle il avait sauvé la vie pendant la guerre et commence une nouvelle vie à ses côtés), le film propose des nuances neuves dans la représentation de la guerre et de ses conséquences.

Ce sont cependant d’autres oeuvres qui ont contribué en RDA à une appréhension réellement nouvelle du thème de la guerre. Quatre films de la DEFA se sont aventurés en terrain vierge en modelant politiquement et esthétiquement les thèmes du IIIe Reich et de la Seconde Guerre mondiale : Étoiles de Konrad Wolf (Sterne, 1959), Opération Gleiwitz de Gerhard Klein (Der Fall Gleiwitz, 1961), Enfants de roi de Frank Beyer (Königskinder, 1962) et Les aventures de Werner Holt de Joachim Kunert (Die Abenteuer des Werner Holt, 1965). Étoiles, une production de la DEFA en collaboration avec la Bulgarie, décrit le processus de la prise de conscience d’un sergent allemand qui s’éprend d’une Juive grecque lors d’une opération dans l’arrière-pays bulgare ; il ne peut toutefois empêcher sa déportation. Opération Gleiwitz, lui, montre avec précision et froideur l’élaboration de l’attaque de l’émetteur radio Gleiwitz par les Allemands — un crime camouflé en attaque polonaise, que Hitler prit comme prétexte pour déclencher la Seconde Guerre mondiale. Enfants du roi se déroule entre 1933 et 1943 et retrace la vie d’un couple de Berlinois antifascistes plusieurs fois séparés par les événements. Le film nous mène directement des tranchées d’une compagnie disciplinaire de la Wehrmacht — dans laquelle le héros masculin (joué par Armin Mueller-Stahl) est embrigadé — aux quartiers de l’Armée rouge, ce qui permet d’aborder le thème de la désertion (connotée positivement), qui marquera ultérieurement quelques films de la DEFA. Enfin, Les aventures de Werner Holt (d’après le roman très populaire de Dieter Noll) met en oeuvre le processus par lequel un jeune homme dévoué aux nazis gagne progressivement en maturité. À travers diverses rencontres avec ses contemporains de toutes tendances politiques et sa mobilisation au front, ses yeux s’ouvrent sur la nature du fascisme et de la guerre.

Que le thème de la guerre puisse être abordé de manière fortement stylisée (Opération Gleiwitz) ou au moyen d’un langage visuel particulièrement expressif (Enfants du roi) était aussi une conséquence de l’ambiance de renouveau dans la cinématographie des États socialistes. Qu’il s’agisse d’Andrzej Wajda, Andrzej Munk et Jerzy Kavalerovicz en Pologne, de Zoltán Fábri en Hongrie, de Frantisek Vlacil ou Jan Nemec en Tchécoslovaquie, de Michaïl Kalatosov, Serguei Bondartschuk ou Grigori Tschuchrai en Union soviétique, tous montraient comment le cinéma pathétique et naturaliste des années 1940 et du début des années 1950 était désuet, et à quel point une forme différente de cinéma, intense et audacieuse, pouvait s’avérer séduisante. En République fédérale d’Allemagne (RFA), le « nouveau cinéma allemand », de son côté, ne s’est quasiment pas intéressé à la question du front de l’Est. Était-ce par ignorance ou parce que la nouvelle génération de réalisateurs se refusait d’aborder le thème pour ne pas se retrouver dans les funestes parages des films de guerre à vocation de « réhabilitation » des années 1950, c’est-à-dire du « cinéma de papa » ?

De tous les films tournés par la DEFA consacrés à la Seconde Guerre mondiale et aux relations entre Allemands et Russes, le plus important est J’avais 19 ans (Ich war neunzehn), de Konrad Wolf, tourné en 1967-1968. Wolf, fils du médecin et écrivain Friedrich Wolf, avait émigré avec ses parents en Union soviétique et s’était enrôlé dans l’Armée rouge à 18 ans, en 1943. Alors qu’il servait au sein de l’unité politique de la 47e armée qui réussit à faire son chemin du Caucase à Berlin, il a tenu un journal, dont les dernières entrées datant d’avril 1945 constituent le point de départ de Ich war neunzehn. Tout comme dans d’autres de ses films, Wolf y ébauche le thème de sa propre vie : le rapport à l’Allemagne (ce qui ne signifie pas uniquement la RDA !), la quête de la patrie perdue et le rapprochement de celle qui lui est étrangère. Lorsque Konrad Wolf retourne dans son pays natal à dix-neuf ans, ce dernier lui apparaît comme une figure monstrueuse de laquelle on ne s’approche qu’en tremblant. Au contraire, l’Union soviétique avait offert un refuge à la famille juive-allemande à laquelle il appartenait. À Moscou, Wolf était devenu mature autant sur le plan personnel que politique. Déchiré entre son origine allemande et son affinité avec les Russes, le réalisateur s’est toujours perçu, jusqu’à sa mort prématurée en 1982, comme un médiateur entre les peuples, les cultures et les hommes.

J’avais 19 ans commence peu avant le 16 avril 1945, sur le bord de l’Oder, et se termine le 3 mai dans une ferme située sur une route à l’ouest de Berlin : c’est l’heure de la dernière offensive russe. Le personnage principal du film et alter ego de Wolf, Gregor Hecker, est lieutenant d’une unité de reconnaissance de l’Armée rouge. D’une voiture à haut-parleurs déglinguée où il vit depuis des mois, il parle aux soldats allemands et les somme de déposer les armes. Au début du film, le regard que Gregor porte sur les Allemands est encore, à bien des égards, peu différencié : il doute que ce peuple soit en fait apte à vivre un nouvel ordre démocratique. Au cours des divers épisodes du film, Gregor Hecker croise une foule de personnages ayant des mentalités très variées. Particulièrement étonnantes sont celle d’une jeune femme léthargique et désespérée, habitée d’une peur et d’un pessimisme dont il est incapable de venir à bout, et celle d’un paysagiste qui a vécu près d’un camp de concentration (mais refoule ce qu’il en sait) et fuit désormais dans l’émigration intérieure entouré de littérature classique. Hecker est tour à tour en bute à l’hypocrisie, à l’étroitesse d’esprit, à l’apathie, à la froideur, à l’incertitude.

Figure 1

J’avais 19 ans (Ich war neunzehn, KonradWolf, 1968) © DEFA Stiftung

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Mais à force d’être attentif à ce qui l’entoure, le héros subit une métamorphose : ce n’est plus le mot d’ordre irrité d’Ilya Ehrenburg, « Tuez les Allemands où qu’ils se trouvent ! », qui détermine son comportement, mais bien la reconnaissance de ce que le pays, détruit tout autant extérieurement qu’intérieurement, ne peut être rebâti qu’avec l’aide de ses habitants. Hecker commence à éprouver les mêmes sentiments que les Allemands : il a honte pour eux, se réjouit avec eux. Ses adieux à l’autre patrie, la patrie russe, ont débuté. La dernière séquence ne propose toutefois pas une fin positive : une troupe de SS dispersés qui a réussi à fuir Berlin abat l’ami de Gregor, le jeune Russe Sacha. Gregor crie aux tireurs en fuite qu’il ne les oubliera jamais : « Je serai à vos trousses jusqu’à votre mort… Jusqu’à ce que vous ayez compris que tout cela est terminé, terminé une fois pour toutes. » Il les vise de loin pendant qu’un officier allemand prisonnier fait une remarque malveillante : « Des Allemands tirent sur des Allemands. »

Avec de telles scènes, J’avais 19 ans était un film audacieux en 1968, dans la mesure où il contredisait la conception déformée de l’histoire du SED (Sozialistische Einheitspartei Deutschlands, le parti socialiste unifié d’Allemagne). En RDA, le mois de mai 1945 avait depuis longtemps été officiellement réduit à l’idée de « libération » : les Russes passaient en bloc, sans aucune remise en question, pour des « amis ». Dans le berceau « antifasciste » apprêté par les autorités, le citoyen de la RDA pouvait oublier sa complicité avec la guerre et la mort. Wolf montrait néanmoins que seule une minorité se sentait « libérée » en 1945 : la plupart étaient sous l’emprise de la peur, de la haine, du désespoir et d’un profond pessimisme devant les vainqueurs en marche — tout à la fois porteurs et victimes de l’idéologie nazie. La force du film trouve sa source dans ce sens rigoureux de la véracité et son souci extrême d’authenticité.

J’avais 19 ans fait partie des films antiguerre allemands les plus importants. C’est sans pathos ni larmoiement que Konrad Wolf a exhibé l’horreur de la guerre et la culpabilité des Allemands. Contrairement à ce qui se passe dans d’autres films de la DEFA, dans le sien, les Russes ne sont pas présentés en héros : ils demeurent des êtres humains, avec leurs particularités et leurs faiblesses. Wolf, par ailleurs, ne force jamais la main des spectateurs en sollicitant exagérément leur émotivité. Entre des images souvent aphoristiques, il laisse suffisamment de place aux associations de chacun.

La même année est tourné un film qui fait écho à celui de Wolf, Les Russes arrivent (Die Russen kommen, Heiner Carow, 1968-1987), une production de la DEFA. J’avais 19 ans relate l’histoire d’un jeune homme dont les parents sont Allemands et qui retourne avec l’Armée rouge dans son pays qui lui est devenu étranger ; Les Russes arrivent, celle d’un jeune de seize ans ayant tellement intériorisé le discours des nazis qu’il finit par sombrer dans la folie. Comme pour beaucoup de ses pairs dans l’Allemagne fasciste, il est « normal » pour lui « d’être en tête » lorsque l’occasion se présente de pourchasser un travailleur étranger soviétique en fuite. Que le « jeu de piste » prenne un tour sanglant — un policier zélé abat le Russe traqué dans le hall d’un dépôt — ne le rend à ses yeux en rien criminel. Ce n’est pas la victoire de l’Armée rouge qui, avec le temps, finira par le rendre fou, mais le comportement de son entourage : dans le chaos de la défaite, les habitants de la petite ville s’avèrent d’égoïstes pilleurs (dont les orgies d’« autoravitaillement » ont été mariées par le réalisateur à des motifs de la Neuvième Symphonie de Beethoven). Un enseignant allemand, intellectuel nationaliste, se suicide parce qu’il craint « le déclin de l’Occident » prophétisé par Oswald Spengler. Parmi les nombreux « sympathisants », une mère brûle toutes les photos où l’on peut voir en uniforme son mari tombé à la guerre. Pour sa part, le policier qui a la mort du Russe sur la conscience non seulement nie son acte mais en rejette, dans une cellule au sous-sol de la Kommandantur russe, la responsabilité sur le jeune homme.

Par des images suggestives, Carow fait transparaître les pensées et sensations de ces héros dévoyés. En premier lieu, il présente la masse comme un simple ornement : des images d’un rassemblement des jeunesses hitlériennes accompagné de battements de tambour et de flambeaux rappellent intentionnellement les films de Leni Riefenstahl et se présentent comme le reflet d’une dépersonnalisation totale. Les moments intimes sont pour leur part représentés par des personnages seuls dans de vastes espaces : témoignages de solitude, de vide et de peur. Par le montage, Carow associe étroitement la gloire au crime : à l’image du serment fait au « Führer » est associée celle d’un travailleur étranger mort, tête première, dans une charrette. Ce mort vivra plus tard, pour ainsi dire, sa résurrection : le même acteur reviendra au sein de l’histoire-cadre dans le rôle d’un jeune soldat de l’Armée rouge, Igor. La dernière scène du film le montre seul sur la mer, et la dernière phrase qu’il prononce est celle-ci : « Humains, où êtes-vous ? »

Quand Heiner Carow a tourné Die Russen kommen, il s’est heurté à l’incompréhension des studios de la DEFA. On a reproché au film ses tendances formalistes et modernistes et d’hésiter entre naturalisme et symbolisme ; on a prétendu y reconnaître une « analyse psychologique du fascisme », et l’on a rejeté l’association de réel, de rêves et de cauchemars, de chimères et de visions. Parmi les critiques auxquelles le réalisateur s’est vu confronté, se trouvait même l’insinuation abstruse qu’en faisant occasionnellement parler le soldat Igor en anglais, il avait voulu propager en RDA le mouvement hippie et son slogan « Make love, not war ». Die Russen kommen fut interdit. Ce n’est qu’en 1987 que l’on a pu tirer un nouveau négatif à partir de la seule copie de travail ayant été conservée clandestinement par la chef monteuse, la femme du réalisateur. Le film fut alors expressément dédié à Konrad Wolf.

Comme Wolf dans J’avais 19 ans, Carow dévoile la peur panique des Allemands devant l’approche de l’Armée rouge. Mais il montre aussi comment le jeune hitlérien allemand et le soldat russe du même âge se rencontrent, dans une cave de la Kommandantur. Le soldat de l’Armée rouge a un jouet sous le bras : un petit diable enfermé dans une caisse de bois, métaphore représentant le fascisme vaincu. Dans leur cellule, le jeune Russe offre son amitié au jeune Allemand. Lorsque le film est sorti en salle en 1987, des objections ont été soulevées précisément en raison de cette scène : « Dommage, écrivait alors la critique de Berlin-Est Rosemarie Rehahn (1987), ce sont là des séquences, qui dans une anticipation bien intentionnée du futur, diminuent, voire rendent idylliques, l’envergure et les souffrances du moment de la victoire et de la libération des vaincus. »

En réalité, des décennies durant, la représentation réaliste de la relation entre les Allemands et les Russes pendant et après la Seconde Guerre mondiale fut rarement possible à la DEFA. Ce qui pouvait encore tout juste « passer » dans la littérature — par exemple, la représentation d’actes violents envers la population civile, comme le viol de femmes allemandes par des soldats soviétiques [8] —, notamment lors de certaines phases de la libéralisation politique, semblait absolument impensable sur un écran. C’est aussi pour cette raison que l’indulgence de la DEFA envers les films de guerre où l’on voyait des personnages russes fut limitée à quelques films [9]. De plus, la représentation de l’armée soviétique basée en RDA restait presque totalement taboue [10].

Comme toujours, Konrad Wolf et son scénariste Wolfgang Kohlhaase ne choisirent pas la facilité lors de la réalisation de Maman, je suis en vie (Mama, ich lebe), en 1976. Le premier plan de ce film montre une photo de groupe de soldats allemands qui portent l’uniforme soviétique. Les personnages principaux de Wolf et Kohlhaase sont quatre jeunes hommes dans un camp de prisonniers de guerre qui décident non de se battre contre « les Allemands », mais contre le fascisme en soi. Il s’agit d’un lycéen, d’un étudiant en théologie, d’un charpentier et d’un prétendu artiste et jongleur, qui par la suite s’avère être un facteur. Au moyen de scènes brèves et concises, le film décrit comment les prisonniers allemands se comportent vis-à-vis des « déserteurs » : ils sont dégoûtés, brutaux et pleins d’aversion. Dans cette perspective, Maman, je suis en vie n’offre pas une image simplificatrice de la démarche absolument peu courante de la désertion à l’ennemi. Il n’y avait par exemple aucune allusion aux « gènes prolétariens » des personnages. Le film reflète plutôt un vague malaise face à l’expérience de la guerre, et exalte des vertus fondées sur le christianisme et des traits de caractère tels que l’intégrité ou une humanité indéracinable.

Tout comme dans Chercheurs de soleil et J’avais 19 ans, les Russes sont ici présentés de manière nuancée. Le tableau n’est pas celui d’héroïques combattants, inébranlables sur leurs piédestaux, mais au contraire celui d’hommes qui n’aiment pas la guerre. En route vers le front, un général partisan qui est apiculteur dans la vie civile distribue du miel : « Je ne suis général que par obligation. » Ici, la méfiance des soldats et officiers russes envers les « transfuges » allemands joue également un rôle permanent. Bien qu’il existe des scènes similaires dans les films de guerre allemands de l’Est, la discrète histoire d’amour entre le charpentier allemand et une officière russe fut une nouveauté au sein de la DEFA. En mettant une telle liaison en scène, Wolf et Kohlhaase font référence au thème longtemps tabou — également du côté russe — de la sexualité féminine réprimée pendant les années de guerre.

La fin de la DEFA

Pendant la dernière décennie de la DEFA, la représentation de la Seconde Guerre mondiale n’a plus atteint l’importance ni le public qui avait été celui de J’avais 19 ans ou de Maman, je suis en vie [11]. Cela tient sans doute au fait que — excepté La maison au bord du fleuve (Haus am Fluss, 1986) de Roland Gräf, un psychodrame du « front intérieur », et Le cas Ö (Der Fall Ö, 1991), parabole philosophique de Rainer Simon dont le théâtre est la Grèce occupée — les principaux sujets de ces films étaient des histoires d’enfants et d’adolescents. Par exemple, Alexandre le petit (Alexander der Kleine), une production de la DEFA en collaboration avec le studio Gorki de Moscou et portée à l’écran en octobre 1982, est passé pratiquement inaperçu. Le réalisateur, Vladimir Fokin, y prolonge la guerre jusqu’aux premières semaines suivant la capitulation allemande et montre une attaque perpétrée par de jeunes Werwölfe dans un orphelinat pour enfants allemands, au moment même où des soldats russes les approvisionnent en vivres, en chaussures et en médicaments. Alexander der Kleine oppose le fanatisme farouche à la bonté inépuisable. Un ancien membre des jeunesses hitlériennes se retrouve entre les fronts et fait preuve d’un franc dégoût lors de sa première rencontre avec les Russes : « Je ne parle pas la langue des chiens », répond-il à un capitaine de l’Armée rouge. Il comprend toutefois peu à peu qu’il est sous l’emprise d’un funèbre délire.

Pour la première fois dans l’histoire de la DEFA, un film était consacré au thème des Werwölfe, ces bandes de jeunes maraudeurs qui saccageaient le pays après le 8 mai 1945. En démontrant le danger qu’ils constituaient, le film propageait le mot d’ordre politique du jour, « La paix doit être armée », et manifestait un refus de la tendance pacifiste qui progressait aussi en RDA. Une représentation critique et réaliste de ces cas authentiques, relatant l’histoire d’adolescents allemands qui, sans raison ou sous de fausses accusations, furent incarcérés ou déportés par les forces d’occupation entre 1945 et 1946, était impensable au moment du tournage. Au lieu de cela, on a brossé un portrait plutôt adouci de la réalité de l’après-guerre, à l’aide de scènes comme celle où le capitaine russe laisse le jeune Allemand se sauver immédiatement après une attaque au pistolet.

Comme les réalisateurs ouest-allemands des années 1960 et 1970, la nouvelle génération de réalisateurs de la DEFA des années 1980 ne s’est plus particulièrement intéressée à la guerre ni à « l’amitié née au combat entre Allemands et Soviétiques ». Un seul autre film important — mais resté ignoré — portant sur les derniers mois du IIIe Reich a été produit : Stielke, Heinz, quinze ans (Stielke, Heinz, fünfzehn, Michael Kann, 1985-1986). Le héros, un jeune hitlérien, apprend en avril 1944, avant d’être expulsé du lycée et des jeunesses hitlériennes, que son père était Juif. Durant l’odyssée qui suit, le personnage n’a pas le temps de réfléchir à sa nouvelle situation, somme toute sans espoir : les événements se précipitent et il est tout occupé à survivre. À la toute fin de la guerre, Stielke subit un entraînement pour le front ; lors d’un moment de répit, un camarade lui lit la lettre d’adieu de son père :

Nous nous sommes disputés à propos du Chant des Niebelungen, et j’étais d’avis que l’exigence de fidélité s’éteint lorsqu’un commandement se révèle imprudent, que la continuation d’un projet s’avère insensée, voire criminelle… Il n’y a que la défaite totale qui pourra faire renaître l’Allemagne. Elle renaîtra peut-être honnête à nouveau. Pour y arriver, les vieux doivent complètement céder leur place. Tu dois vivre mieux que moi mon garçon…

Mais il y avait déjà longtemps qu’une telle phrase ne s’appliquait plus seulement à la chute du IIIe Reich : elle visait aussi l’agonie de la RDA.