Corps de l’article

Québec : une ville, deux visages

Incités non seulement par le peu de congestion dans la ville de Québec grâce à un réseau autoroutier très développé (ce dernier a joué un rôle de premier plan dans l’étalement urbain : la ville s’étend sur 542 km2), mais aussi par le confort de la voiture personnelle, les habitants de la ville de Québec ont fait de l’automobile leur mode de transport privilégié. Selon l’enquête origine-destination réalisée en 2001, 73 % de tous les déplacements effectués sur le territoire de la région métropolitaine de Québec (RMQ) sont effectués en automobile (conducteur ou passager) et la proportion dépasse les 80 % lorsque l’on ne considère que les déplacements domicile-travail. Avec 76 % des déplacements domicile-travail effectués en mode autoconducteur seulement, la RMQ distance la moyenne des régions métropolitaines du Canada qui est de 70,7 % (Statistique Canada, 2001). La construction du réseau autoroutier (figure 1) entre 1960 et 1980 a favorisé une restructuration sans précédent de l’ensemble des activités sur le territoire : étalement résidentiel et croissance du nombre d’emplois plus rapide en périphérie qu’au centre. Cette restructuration s’est traduite par un bouleversement des niveaux d’accessibilité dans la région urbaine de Québec et plus spécifiquement par une décentralisation marquée de l’accessibilité aux emplois (Vandersmissen et al., 2003).

Figure 1

Arrondissements et réseau routier de la ville de Québec, 2005

Arrondissements et réseau routier de la ville de Québec, 2005

-> Voir la liste des figures

De façon générale, l’accessibilité est un concept qui fait référence au potentiel d’interaction offert par un espace géographique, le plus souvent urbain, et qui varie en fonction de la structure interne de cet espace (Hansen, 1959). Ces interactions peuvent être de nature économique (emplois, commerces) (Levinson, 1998) ou sociale (Handy et Niemeier, 1997). L’accessibilité est non seulement fonction de la localisation des activités dans cet espace, mais aussi de la nature du réseau de transport et des modes de transport disponibles (Hanson, 2004).

Comme de nombreuses villes de taille moyenne en Amérique du Nord, Québec s’est dotée, dans les années 1970, d’un système de transport public (autobus seulement) permettant à la population (527 000 habitants) de rejoindre les principaux lieux d’activité. La concurrence de l’automobile, jumelée à une mauvaise image de l’autobus et à son inefficacité à long terme à répondre aux besoins et à l’accroissement de la population de Québec, ont obligé la société qui gère le réseau d’autobus de Québec, le Réseau de transport de la Capitale (RTC) [1], à revoir entièrement son réseau. En 1981, le RTC commande une étude de faisabilité concernant l’implantation d’un système léger sur rail (SLR) ou d’un autobus en site propre. Cette dernière option est retenue et en 1991, le RTC entreprend la mise en oeuvre d’un plan d’action (étalé sur trois ans) visant à étendre et améliorer le réseau et à maintenir constant le nombre de passagers afin de pouvoir continuer à assurer ce service indispensable à une partie de la population (tableau 1). La mise en place du Métrobus et la multiplication des express constituent les changements majeurs introduits par ce plan (CTCUQ, 1991) : une partie de ces parcours a ainsi remplacé les lignes régulières plus lentes, donc moins attractives. Le Métrobus est un service d’autobus à passages fréquents, sur des voies réservées aux heures de pointe et avec des arrêts plus espacés que pour les autres lignes afin d’accélérer sa vitesse de parcours. Il circule sur deux axes majeurs de la ville, très denses en lieux de résidence, de commerces, de travail, de loisirs et d’études (figure 2). Le RTC a aussi multiplié le nombre d’autobus express. Introduits dans la ville de Québec en 1985, ces autobus relient les principaux secteurs résidentiels périphériques au centre-ville de Québec et au centre de l’arrondissement Sainte-Foy–Sillery, via les autoroutes, du lundi au vendredi, principalement aux heures de pointe. Ils circulent de façon unidirectionnelle avec une plus grande vitesse qu’aux heures régulières en raison du nombre restreint de zones de montée et de descente. Ces changements ont été positifs dans l’ensemble, les nouvelles lignes se situant parmi les plus achalandées du réseau (RTC, 2005), bien qu’elles n’aient pas été suffisantes pour stopper la chute de la part modale de l’autobus, la ralentissant à peine (Bourel, 2005).

Tableau 1

Composition du réseau de transport en commun à Québec*

Année

Réseau total

Lignes régulières

Lignes express

Lignes Métrobus

Kilomètres

Nombre de lignes

Kilomètres

Nombre de lignes

Kilomètres

Nombre de lignes

Kilomètres

1991

1 403

53

939

20

462

0

0

1996

1 820

47

705

44

1 062

2

54

2001

1 830

45

700

44

1 077

2

54

*

Données compilées à partir des parcours du RTC

Source : Bourel (2005 : 7)

-> Voir la liste des tableaux

Figure 2

Réseau du transport collectif à Québec en 2001

Réseau du transport collectif à Québec en 2001

-> Voir la liste des figures

Une double iniquité

La mise en service du réseau d’autoroutes, d’une part, et la restructuration du réseau d’autobus, d’autre part, ont permis à deux villes, de plus en plus étrangères l’une à l’autre de se développer côte à côte : l’une axée sur le Métrobus, l’autre sur les autoroutes qui ceinturent la première (Villeneuve et Vandersmissen, 2002). Outre ses coûts collectifs et environnementaux, et en dépit du fait qu’elle a facilité l’accès à la propriété résidentielle à bas coût à un grand nombre de ménages, la ville des autoroutes soulève un premier enjeu lié à l’équité territoriale : les résidents de la ville des autoroutes ont plus aisément accès à la ville du Métrobus que l’inverse. En effet, il est plus facile de circuler en automobile dans la ville du Métrobus qu’en autobus dans la ville des autoroutes. Ce qui vaut ici pour l’accès général aux activités est encore plus crucial pour l’accès aux emplois.

L’accès aux emplois soulève également un enjeu d’iniquité de sexe. Pour les femmes comme pour les hommes, la mobilité apparaît comme une des conditions fondamentales de l’accès au marché du travail, c’est-à-dire non seulement de l’intégration mais aussi de la progression au sein de ce marché. La mobilité est définie ici comme étant la capacité de se déplacer pour atteindre les lieux d’activité et réaliser ainsi l’accessibilité. Plus les lieux d’activité sont éloignés les uns des autres, plus il faut être mobile pour maintenir le même niveau d’accessibilité. Les nombreuses recherches sur les différences liées au sexe dans la mobilité ont démontré, entre autres, que les femmes sont moins mobiles que les hommes, et qu’en raison d’un accès moindre à l’automobile du ménage, elles sont de plus grandes utilisatrices des modes de transport collectif (Coutras, 1997 ; Séguin et Bussière, 1997 ; Wyly, 1998 ; Hanson, 2004).

Les travaux menés à Québec vont dans le même sens bien que les écarts semblent aller en diminuant dans le temps (Vandersmissen et al., 2001). L’utilisation des transports publics varie cependant à l’intérieur d’une zone urbaine et selon le moment de la journée. En général, pour rejoindre les lieux de travail au centre des grandes zones urbaines, les hommes comme les femmes utilisent les transports publics (Fagnani, 1983 ; Preston et McLafferty, 1993). Toutefois, avec la décentralisation des emplois, les femmes qui ne disposent pas d’une automobile, peu importe leur lieu de résidence, peuvent éprouver certaines difficultés à rejoindre ces emplois (McCray et Brais, 2007). La construction de power centers (lieux d’achats mais aussi lieux d’emplois) le long des autoroutes à Québec en est un exemple très clair : tout dans l’aménagement de ces lieux milite contre une desserte en autobus (Villeneuve et Vandersmissen, 2002). Des travaux réalisés en Île-de-France ont également identifié le très faible niveau d’accessibilité depuis les zones périphériques comme responsable des faibles marchés de l’emploi en transports collectifs (Wenglenski, 2002). Ce double enjeu sert de fil conducteur à la recherche présentée ici : d’une part, les analyses réalisées tiennent compte du sexe (bien que pour des raisons d’espace, la plupart des résultats présentés se rapportent aux femmes) ; d’autre part, les analyses ont été effectuées selon un découpage territorial : dans le corridor du Métrobus et à l’extérieur de ce corridor.

Cet article traite de l’évolution de l’accessibilité aux emplois en transport collectif à Québec. Précisément, il vise à décrire, dans un premier temps, l’impact de la restructuration du réseau d’autobus de la ville de Québec sur l’accessibilité aux emplois des résidentes et en deuxième lieu, son impact sur leur mobilité professionnelle, c’est-à-dire leur progression dans le marché du travail. C’est dans cette perspective que nous émettons l’hypothèse que, dans la ville de Québec, la restructuration du réseau d’autobus en 1992, par la multiplication des lignes d’autobus express et la mise en place du Métrobus, a permis aux résidents de la ville, et plus particulièrement aux femmes (qui sont toujours plus nombreuses que les hommes à utiliser le transport en commun), d’améliorer leur mobilité et du coup leur accessibilité aux emplois. Bien qu’à long terme notre intérêt soit dirigé vers l’accessibilité aux emplois décentralisés, cet article s’inscrit plutôt dans l’amélioration des connaissances de l’impact d’une infrastructure publique forcément centralisée (pour des questions d’efficacité) sur l’accessibilité aux emplois, également situés dans les quartiers centraux.

La section suivante présente un bref état des recherches sur les liens entre la mobilité et l’accès aux emplois. Par la suite, nous présentons des précisions concernant les données et les outils utilisés avant d’analyser les résultats à l’aide d’illustrations cartographiques. La présentation des résultats sera suivie d’une discussion soulignant la contribution de cette recherche aux connaissances sur les liens entre la mobilité et l’accès aux emplois.

Mobilité et accessibilité aux emplois des femmes

Les comportements des hommes comme des femmes quant à leur mobilité (c’est-à-dire leur facilité ou leur capacité à se déplacer entre les lieux d’activité, ainsi que leurs choix concernant leur lieu d’habitation, de travail ou le moyen de transport qu’ils utilisent) sont des phénomènes complexes à étudier, car ils varient d’une personne à l’autre en fonction, par exemple, du sexe (voir les travaux mentionnés dans Vandersmissen et al., 2001), du statut des personnes et du nombre d’enfants (Hanson 1981 ; Thomas 1998), du type de ménage (Johnston-Anumonwo, 1992), de l’emploi occupé (Broze et al., 2002), du revenu (Johansson-Stenman, 2002) ou encore de l’appartenance ethnique (Johnston-Anumonwo, 1995). Dans un contexte de consommation intensive et de mobilité accrue, caractéristiques des sociétés dites occidentales, l’automobile est souvent perçue comme indispensable et les efforts pour faire prévaloir le transport en commun sont souvent vains (Kohn, 2000), même si son utilisation offre des avantages certains, comme la diminution de la congestion et de la pollution. Les femmes qui n’ont pas d’automobile ont généralement moins facilement accès aux emplois qui se trouvent éloignés de leur lieu de résidence : c’est l’hypothèse de la discordance spatiale (spatial mismatch) (Cooke, 1997 ; Preston et McLafferty, 1999). Certaines d’entre elles sont donc contraintes d’accepter des emplois situés à proximité de leur lieu de résidences et moins bien payés (Rutherford et Wekerle, 1988). Pourtant, même si son utilisation n’est pas toujours choisie par les femmes, le transport en commun peut tout de même devenir un atout pour ces dernières. En effet, dans leur analyse de la position des femmes sur le marché du travail dans la région métropolitaine de Montréal entre 1971 et 1981, Villeneuve et Rose (1988) ont démontré que le métro, mis en service à la fin des années 1960, a permis aux femmes, autrefois faiblement motorisées, d’avoir accès à un plus large bassin d’emplois et de services. Ainsi, les secteurs d’activité dans lesquels la ségrégation occupationnelle avait le plus diminué correspondaient aux secteurs où la séparation spatiale entre les lieux d’emplois et de résidences était la plus grande. En d’autres termes, les femmes ont connu une ascension occupationnelle dans les activités économiques les plus centralisées (affaires, services financiers, etc.), ascension non observée chez les hommes. Les temps de trajet sont quant à eux restés stables entre 1971 et 1981, ce qui implique que les déplacements sont devenus plus rapides. L’existence d’une relation entre la mobilité géographique en transport public et la mobilité occupationnelle est ainsi suggérée.

Mais c’est le plus souvent l’automobile qui permet aux femmes d’améliorer leur mobilité (Coutras, 1997 ; Vandersmissen et al., 2001). À Québec, entre 1977 et 1996, les femmes ont connu une diminution de leur temps de déplacement domicile-travail en automobile à partir des zones centrales, et ce malgré l’augmentation des distances en raison de la dispersion des lieux de travail. Ce temps a en revanche augmenté en autobus dans 25 % de ces zones. Selon Vandersmissen et al. (2001), l’augmentation de l’accessibilité aux emplois est donc due à un meilleur accès des femmes à l’automobile qui leur a permis de diminuer leur temps de trajet dans 75 % des zones du territoire étudié. Les femmes sont ainsi passées d’une stratégie de proximité, c’est-à-dire se localiser à proximité des emplois ou occuper des emplois à proximité des lieux de résidence, à une stratégie de mobilité, ce qui correspond à l’amélioration du rang professionnel, du revenu et de la motorisation. En effet, le calcul d’un rang professionnel moyen pour évaluer la progression des femmes sur le marché du travail a montré qu’il y a eu une augmentation de ce rang dans un peu plus de la moitié des zones de résidence, entre 1977 et 1996. Mais même si l’accès des femmes à l’automobile s’est amélioré, il reste significativement inférieur à celui des hommes (Vandersmissen, 2002). De plus, l’accès à l’automobile pour se rendre au travail dépend de la localisation résidentielle : plus la résidence s’éloigne de la zone centrale, plus les déplacements effectués en automobile sont nombreux. L’utilisation d’un indice d’accessibilité aux emplois montre que les zones concernées par une amélioration de cette accessibilité grâce à l’automobile sont situées dans les nouvelles banlieues de Québec, alors que les anciennes banlieues connaissent une amélioration due à l’autobus, dont la desserte a été rendue plus efficace grâce à la mise en place du Métrobus (même si son impact exact n’est pas encore réellement connu). Mais de façon générale, ce sont les zones centrales, où le transport en commun est plus développé et efficace, qui démontrent une bonne accessibilité aux emplois en autobus.

Les différences d’accessibilité aux emplois entre les sexes, même si elles tendent à s’amoindrir au fil du temps, existent donc toujours, et certaines femmes qui n’ont pas le choix que de se déplacer en autobus dans la ville de Québec se retrouvent souvent lésées par rapport à celles qui possèdent une automobile (McCray et Brais, 2007).

L’accessibilité constitue à elle seule un thème de recherche extrêmement riche et complexe, lié à la fois aux questions de navettage et d’aménagement urbain (Levinson, 1998 ; Horner, 2004). De façon générale, les mesures d’accessibilité aux emplois exploitent de l’information détaillée sur la séparation spatiale entre les lieux de résidences et les lieux d’emplois, c’est-à-dire sur les coûts de déplacement entre ces lieux. Ces coûts peuvent être mesurés de diverses façons : en distance, en durée ou en coût monétaire du déplacement. Une analyse complète de ces mesures déborde largement l’objet de cet article d’autant plus que d’excellentes revues ont été publiées à ce sujet (Handy et Niemeier, 1997 ; Harris, 2000 ; Joerin et al., 2000 ; Kwan et Weber, 2003 ; Kwan et al., 2003). Plus spécifiquement, mentionnons ici les travaux de Wengleski (2002, 2006) sur l’accès potentiel à l’emploi dans la région parisienne. L’auteure mesure une accessibilité individuelle en calculant des marchés de l’emploi, définis comme la somme des déplacements individuels potentiels vers l’emploi, recensant les emplois accessibles pour les actifs caractérisés par leur profil socioprofessionnel, leur probabilité d’accès aux modes de transport et leur localisation résidentielle dans une durée observée. L’approche est séduisante bien qu’exigeante en terme de données, notamment sur la localisation des emplois par catégorie socioprofessionnelle. En ce qui nous concerne, afin d’alléger les traitements dans cette première exploration, nous avons choisi de délaisser le potentiel d’emplois dans la mesure de l’accessibilité et de mesurer celle-ci par la durée des déplacements entre les lieux de résidence et les lieux de travail.

Par ailleurs, entre 1991 et 2001, la société a évolué à Québec comme partout ailleurs, et de nombreux changements sont survenus en ce qui concerne le profil des habitants et leur façon de vivre la ville et leur mobilité quotidienne. Massot et Orfeuil (2005) parlent de contextes différents de production de la mobilité : contextes démographiques (sexe, âge, position de l’individu dans le cycle de vie, rôle familial), contextes socioéconomiques (profession, revenu, augmentation de la scolarisation) ou contextes spatiaux (la localisation de la résidence face aux pôles d’emplois). Ajoutons à ces contextes, les changements dans les réprésentations des modes de transport, et surtout l’image des transports publics qui pourrait avoir été influencée par la restructuration du réseau. Comme dans toute recherche diachronique, nous ne pouvons tenir compte dans notre recherche de ces nombreux changements, appelés aussi évolutions structu-relles (Scheiner et Kasper, 2003) et qui constituent un arrière-plan plutôt qu’un objet d’étude. De même, le fait de parcourir de longues distances ou non pour se rendre au travail n’est pas forcément un choix, de multiples facteurs entrant en ligne de compte comme le coût du logement, la nécessité d’avoir un accès rapide à certains biens ou services (commerces, garderies, etc.). Bref, le mode de transport utilisé pour se rendre au travail, l’accessibilité aux emplois et la mobilité professionnelle sont liés entre eux, mais dépendent également d’éléments relevant d’univers très différents, le tout formant un système complexe dont la figure 3 illustre certaines des relations prises en compte (contrôlées) dans cette recherche.

C’est pourquoi notre intention est d’estimer si la restructuration du réseau d’autobus de la ville de Québec a permis d’améliorer l’accessibilité aux emplois des femmes, et en conséquence leur mobilité professionnelle, c’est-à-dire leur progression sur le marché du travail.

Figure 3

Modèle de liens entre le mode de transport, l’accessibilité aux emplois et la mobilité professionnelle

Modèle de liens entre le mode de transport, l’accessibilité aux emplois et la mobilité professionnelle

-> Voir la liste des figures

Méthodologie

Enquêtes origine-destination et temps de déplacement

Les données utilisées dans cette recherche sont issues des enquêtes origine-destination (OD) de 1991 et 2001, soit un an avant et neuf ans après la mise en place du Métrobus et de la majorité des express. Ces enquêtes sont effectuées tous les cinq ans depuis 1977 par le ministère des Transports du Québec (MTQ) et le RTC. Ce sont des enquêtes téléphoniques, effectuées de septembre à décembre auprès d’un échantillon représentatif des ménages demeurant dans l’agglomération urbaine de Québec [2]. Ces enquêtes caractérisent les déplacements effectués durant un jour normal de semaine d’automne (du lundi au vendredi) par 50 808 personnes en 1991, réparties dans 20 796 logis et ayant réalisé 111 224 déplacements, et de 68 121 personnes en 2001, réparties dans 27 839 logis et ayant réalisé 174 243 déplacements. Outre le fait que les enquêtes contiennent des données totalement désagrégées, tous les lieux d’origine et de destination sont géoréférencés à l’échelle du code postal à six positions en 1991 et à l’échelle du bâtiment en 2001. De plus, les enquêtes contiennent des facteurs d’expansion (ou de pondération) établis à partir des données de population par sexe et par groupe d’âge des recensements canadiens effectués aussi en 1991 et 2001, ce qui permet d’ajuster les échantillons des enquêtes OD afin de diminuer les problèmes de couverture spatiale non-uniforme. Ces facteurs sont utilisés dans tous les traitements présentés ici.

Comme précisé dans la section précédente, nous avons choisi de mesurer l’accessibilité aux emplois par la durée des déplacements en autobus. Or l’enquête OD ne contient aucune information sur la durée des déplacements [3]. Nous avons donc utilisé les durées de déplacement estimées par Bourel (2005) qui étaient les plus fiables au moment des analyses. Ces durées ont été calculées grâce à des estimations sur le réseau routier produites dans le logiciel de système d’information géographique (SIG) en transport, TransCAD™, selon un algorithme du plus court chemin, en tenant compte de la congestion, des temps d’attente au niveau des intersections avec arrêts, des feux de circulation, etc. [4]

Découpage de l’espace et indicateurs

Les enquêtes OD portent sur des échantillons indépendants qui ne permettent pas de suivre les changements individuels des comportements de mobilité (choix modal), ni les changements individuels dans le rang professionnel. Les échantillons de 1991 et 2001 ne peuvent donc être appariés que par l’espace. En d’autres termes, tous les indicateurs, pourcentages et rapports traduisant l’évolution ou un changement entre 1991 et 2001 se rapportent uniquement à l’espace et non aux personnes. Il s’agit d’une limite importante de cette recherche liée à la nature des données disponibles. L’hypothèse ne pourra être vérifiée que sur le plan strictement géographique : nous supposons que les secteurs résidentiels desservis par le Métrobus et les express offrent une meilleure accessibilité aux emplois (durée moyenne de déplacement moins longue) qu’avant la restructuration et que le rang professionnel moyen féminin calculé pour ces secteurs a progressé entre 1991 et 2001.

Un découpage neutre a donc été appliqué au territoire couvert par les enquêtes à l’aide d’une grille formée d’hexagones de 500 mètres de côté, forme qui évite les biais directionnels et les formes allongées. Les différents attributs des déplacements, des personnes et des ménages seront agrégés dans ces cellules hexagonales, considérées comme zones d’origine des déplacements (et de résidence des personnes). Seules les cellules à l’intérieur desquelles 20 femmes ou plus (avec pondération) se sont déplacées ont été retenues dans l’analyse. Nous sommes conscients que le problème de l’aire spatiale modifiable (MAUP) est omniprésent dans cette analyse : le choix d’un maillage de taille et de forme différentes aurait pu générer des résultats différents. L’hexagone de 500 mètres de côté a été retenu après plusieurs essais : c’était le plus petit niveau d’agrégation possible qui permettait de garder un nombre statistiquement respectable de cellules contenant au moins 20 déplacements féminins.

Une zone-tampon a été créée autour des lignes de Métrobus : elle mesure 1,6 kilomètre de largeur, soit 800 mètres de part et d’autre de chacune des lignes. Cette distance de marche peut paraître longue dans des conditions climatiques difficiles, mais elle est acceptable pour les usagers du Métrobus en raison de ses avantages (voies réservées aux heures de pointe et passages fréquents) [5]. C’est en fonction de cette zone que les cellules précédemment créées sont spécifiquement étudiées pour évaluer les impacts du Métrobus et des express (donc en dehors de cette zone) sur l’évolution de la part modale, de l’accessibilité aux emplois, et de la mobilité professionnelle des femmes. Seuls les déplacements domicile-travail pendant les heures de pointe du matin (6h30–9h00) dans la ville de Québec effectués en mode autoconducteur et en autobus ont été retenus. Également, seuls les lieux de travail à l’intérieur du (futur) couloir du Métrobus, dans lequel se situent aussi majoritairement les lieux de travail desservis par les express, ont été pris en compte.

Plusieurs indicateurs et rapports ont été calculés à partir des variables incluses ou générées à partir de l’enquête OD décrivant les personnes, les ménages ou les déplacements, et ont par la suite été agrégés à l’échelle des zones de résidence (cellules hexagonales). Il s’agit du taux de motorisation des ménages (pourcentage de ménages possédant au moins une automobile), de la part modale des déplacements effectués en autobus, de l’accessibilité aux emplois en terme de temps de déplacement et du rang professionnel moyen. Dans le cadre de cette recherche, la part modale de l’autobus est définie par le rapport du nombre de déplacements effectués en autobus sur le nombre total de déplacements effectués en autobus et en automobile. Pour chaque zone de résidence, la part modale a été calculée en 1991 et en 2001, ainsi qu’un ratio entre la part des déplacements féminins effectués en autobus et la part des déplacements féminins effectués en conduisant une automobile, ceci afin d’apporter de l’information supplémentaire concernant la part de l’autobus (en tant que moyen de transport et d’accessibilité aux emplois) par rapport à celle de l’automobile personnelle.

Concernant la mesure de l’accessibilité aux emplois, rappelons que nous ne prenons en compte que la durée des déplacements. Dans un premier temps, les durées des déplacements domicile-travail féminins effectués pendant les heures de pointe du matin (6h30–9h00) en autobus ont été agrégées (moyenne arithmétique) par zone de résidence. Dans un second temps, les déplacements effectués en mode autoconducteur ont été affectés au mode autobus afin d’estimer la durée des déplacements domicile-travail des conductrices d’automobile si celles-ci devaient prendre l’autobus (ce que nous appellerons par la suite les durées présumées en autobus, en opposition avec les durées réelles des personnes ayant effectivement pris l’autobus pour se rendre au travail). Cette réaffectation est possible puisque pour chaque déplacement, les lieux de résidence et de travail sont connus et géoréférencés. Les durées de déplacement obtenues permettent ainsi d’identifier les lieux de résidence à partir desquels la décision de se rendre au travail en autobus coûte cher en temps de transport. Elles permettent également d’analyser l’évolution de l’accessibilité aux emplois en autobus avant et après la restructuration du réseau.

Quant à la mobilité professionnelle, elle est mesurée par le ratio entre le rang professionnel moyen des femmes en 2001 sur celui de 1991. Vingt-sept catégories socioprofessionnelles caractérisent les travailleurs interrogés dans les enquêtes OD, ces catégories ayant été regroupées en sept grands groupes (tableau 2). Selon Villeneuve et Rose (1995, repris par Vandersmissen et al., 2001), les catégories socioprofessionnelles (CSP) peuvent être mesurées sur une échelle ordinale allant de « 1 » pour les ouvriers non qualifiés à « 7 » pour les cadres. Plus le rang est élevé, plus le niveau de qualification l’est aussi, de même que le salaire, bien que ce ne soit pas toujours le cas. On sait par exemple que les ouvriers qualifiés ont, d’une manière générale, de très bons revenus. Le calcul du rang professionnel moyen a été effectué en calculant, pour chaque zone de résidence, en 1991 comme en 2001, une moyenne des rangs associés à chaque CSP pondérés par le facteur d’expansion des personnes. L’indice de mobilité professionnelle a par la suite été créé : les valeurs supérieures à « 1 » indiquent une augmentation du rang professionnel moyen, tandis que celles inférieures à « 1 » sont synonymes de diminution.

Tableau 2

Hommes et femmes dans les catégories socioprofessionnelles

Année

1991

2001

Évolution

Pourcentage de femmes

Pourcentage d'hommes

Pourcentage de femmes

Pourcentage d'hommes

Pourcentage de femmes

Pourcentage d'hommes

Cadre

18,8

81,2

34,9

65,1

+130,8

‑2,5

Contremaître

34,1

65,9

40,5

59,5

+47,7

+9,8

Professionnel

37,2

62,8

44,1

55,9

+47,4

+8,2

Employé spécialisé

61,5

38,5

64,0

36,0

+29,4

+13,7

Ouvrier qualifié

9,3

90,7

12,1

87,9

+61,7

+17,8

Employé non spécialisé

49,6

50,4

50,7

49,3

+27,1

+18,9

Ouvrier non qualifié

12,3

87,7

12,0

88,0

+21,3

+22,0

Non classé

59,5

40,5

55,6

44,4

+16,2

+33,3

Échantillon pondéré

494 553

482 264

614 818

586 222

+120 265

+103 958

Total échantillon pondéré

976 817

1 201 040

+224 223

Source : Enquêtes OD - Traitements : Vincens, 2006

-> Voir la liste des tableaux

L’analyse de variance (ANOVA) a été utilisée afin de tester l’existence de différences entre la zone-tampon du (futur) Métrobus et le reste du territoire (zone des express) tant sur le plan de la part modale que de la durée des déplacements ou de la mobilité professionnelle. Signalons que l’analyse de variance permet de décomposer la variation totale d’un ensemble régional en deux éléments : la variation intrarégionale et la variation interrégionale, et qu’elle ne s’applique que lorsque les variances des deux groupes sont égales (test de Levene non significatif). Toutefois, il semble que l’analyse de variance soit peu sensible à la non-normalité des populations et à la non-égalité des variances également, à condition que les tailles d’échantillon soient égales (Béguin, 1979 : 65), ce qui est le cas de quelques indicateurs. Les résultats des analyses de variance réalisées pour 1991 et 2001 sont présentés au tableau 3 (les résultats significatifs apparaissent en caractères gras) et sont rappelés sur chacune des cartes selon les symboles suivants :

***

Différence Métrobus versus extérieur significative au seuil 0,01

**

Différence Métrobus versus extérieur significative au seuil 0,05

*

Différence Métrobus versus extérieur significative au seuil 0,1

Les cartes décrivant la variation spatiale de chaque indicateur ont été réalisées pour 1991 et 2001 (Vincens, 2006), mais, sauf exception, seules les cartes représentant le changement entre 1991 et 2001 sont reprises dans cet article.

Tableau 3

Comparaison des indicateurs dans le corridor du Métrobus et à l'extérieur (ANOVA)

 

 

Corridor Métrobus

Extérieur

Statistique de Levene

P

F de Fisher

P

Taux de motorisation

1991

48,44%

56,64%

0,419

0,518

34,629

0,000

2001

56,14%

64,19%

0,903

0,342

41,071

0,000

Évolution 1991‑2001

17,14%

15,99%

0,843

0,359

0,116

0,734

Part modale des déplacements féminins en autobus

1991

34,96%

32,73%

0,357

0,551

0,662

0,417

2001

31,74%

26,00%

2,262

0,135

6,756

0,011

Évolution 1991‑2001

1,39%

‑9,39%

1,026

0,314

0,800

0,374

Ratio part modale des déplacements féminins autobus/auto

1991

57,47%

51,82%

0,004

0,947

0,790

0,376

2001

50,54%

36,73%

7,245

0,008a

8,312

0,005

Densité des lieux d'emplois

1991

19,00

5,69

73,393

0,000b

80,66

0,000

2001

29,38

8,13

75,370

0,000b

102,35

0,000

Évolution 1991‑2001

10,38

3,83

49,125

0,000b

48,44

0,000

Durée des déplacements féminins en autobus, heure de pointe

1991

29,23 m.

36,86 m.

9,663

0,002b

11,466

0,001

2001

27,80 m.

38,78 m.

5,146

0,025a

29,58

0,000

Évolution 1991‑2001

‑1,43 m.

1,92 m.

3,388

0,069

2,219

0,140

Durée présumée des déplacements féminins auto en autobus

1991

31,76 m.

47,99 m.

11,983

0,001b

43,932

0,000

2001

29,27 m.

50,52 m.

12,559

0,000b

57,416

0,000

Évolution 1991‑2001

‑2,49 m.

2,53 m.

2,812

0,095

0,741

0,390

Rang professionnel moyen des femmes

1991

3,53

3,44

4,151

0,043

0,720

0,398

2001

3,68

3,81

2,790

0,097

1,036

0,311

Mobilité professionnelle

1991‑2001

1,19

1,07

3,626

0,061

3,140

0,080

Mobilité professionnelle standardisée

1991‑2001

0,12

0,03

5,192

0,017

1,842

0,179

a

Variances non homogènes mais taille des échantillons égale

b

Variances non homogènes et taille des échantillons inégale, analyse de variance non valide

-> Voir la liste des tableaux

Impact potentiel de la restructuration du réseau

Les indicateurs et l’analyse de leurs variations spatiales sont regroupés sous trois thèmes : la mobilité (motorisation et part modale de l’autobus), l’accessibilité aux emplois (densité d’emploi et durée des déplacements domicile-travail) et la mobilité professionnelle (rang professionnel moyen).

Mobilité

Avant de nous attarder à la motorisation et à la part modale de l’autobus, penchons nous sur la distribution des déplacements selon les différents modes de transport en 1991 et en 2001. Sans surprise, les enquêtes origine-destination permettent de montrer clairement que l’automobile est le principal mode de déplacement des habitants de la ville de Québec, quel qu’en soit le motif, tandis que l’utilisation de l’autobus est en forte chute entre 1991 et 2001 (tableau 4). Les hommes demeurent les principaux utilisateurs de l’automobile en tant que conducteurs, tandis que les femmes font davantage de déplacements que les hommes en tant qu’autopassagères et en autobus (tableau 5.) Ces différences vont cependant en s’atténuant entre 1991 et 2001, d’une part en raison de l’augmentation chez les femmes de l’utilisation de l’automobile en tant que conductrices, et d’autre part en raison de l’augmentation de l’utilisation de l’autobus chez les hommes. Il est possible que cette augmentation soit liée en partie à la restructuration du réseau et au changement de perception des déplacements en autobus auprès des hommes, mais le type de données récoltées dans les enquêtes OD ne nous permet pas de tester cette hypothèse [6].

Tableau 4

Part modale dans la ville de Québec, tous motifs de déplacement confondus (%)

 

1991

2001

Variation

Autoconducteur

51,1

57,9

+36,90

Autopassager

13,0

15,0

+39,49

Autobus

13,9

8,6

‑25,20

Autres

22,0

18,6

+2,20

Total (échantillon pondéré)

1 082 907

1 308 626

+225 719

Source : Enquêtes OD - Traitements : Vincens, 2006

-> Voir la liste des tableaux

Tableau 5

Part des hommes et des femmes dans l'utilisation de différents modes de transport pour se rendre au travail

 

1991

2001

Variation

 

Femmes (%)

Hommes (%)

Femmes (%)

Hommes (%)

Femmes (%)

Hommes (%)

Autoconducteur

36,7

63,3

41,4

58,6

+26,8

‑4,5

Autopassager

66,9

33,1

64,4

35,6

+8,2

+10,9

Autobus

59,8

40,2

56,7

43,3

+6,6

+11,1

Autres

48,1

51,9

44,0

56,0

+2,9

+11,3

Total

42,7

57,3

44,8

55,2

+18,0

‑0,6

Échantillon pondéré

94 724

127 347

106 515

131 341

11 791

3 994

Total (échantillon pondéré)

222 071

237 856

15 785

Source : Enquêtes OD - Traitements : Vincens, 2006

-> Voir la liste des tableaux

Taux de motorisation des ménages

En 2001, selon l’enquête OD, 62,5 % des ménages résidant dans l’agglomération urbaine de Québec possédait au moins une automobile, comparativement à 54,7 % en 1991. Ce taux de motorisation est particulièrement élevé, même si l’on retrouve des disparités significativement différentes entre le corridor du Métrobus (arrondissements de La Cité et Limoilou essentiellement où ce taux est plus faible), et l’extérieur, en 1991 comme en 2001 (tableau 3). C’est cependant dans l’ensemble de la ville que ce taux a augmenté entre ces deux dates, et ce sans aucun lien avec l’espace, puisqu’il n’y a pas de différence significative entre le couloir du Métrobus et l’extérieur (figure 4).

Figure 4

Évolution du taux de motorisation des ménages entre 1991 et 2001

Évolution du taux de motorisation des ménages entre 1991 et 2001

-> Voir la liste des figures

Part modale de l’autobus

Un premier constat concernant la part modale des déplacements domicile-travail féminins en autobus est le faible nombre de zones de résidence concernées, et dont la majorité se concentre dans le couloir du (futur) Métrobus ainsi que, dans une bien moindre mesure, autour des principaux sites de départ des express, ce qui implique donc une relation entre le lieu de travail, le lieu de résidence et le moyen de transport utilisé pour s’y rendre. Cette part modale était généralement comprise entre 24 et 60 % en 1991 (mis à part dans les extrémités du couloir du Métrobus où elle était plus faible) et entre 24 et 39  % en 2001. La différence entre la part modale des déplacements féminins en autobus dans les corridors du Métrobus et à l’extérieur est cependant significativement différente en 2001 (tableau 3).

Il n’en demeure pas moins que la mise en place des lignes de Métrobus n’a pas eu pour effet la progression de la part modale de l’autobus aux alentours : non seulement le nombre de cellules dans ce couloir est moins élevé en 2001 qu’en 1991, traduisant la diminution de ce type de déplacement, mais de plus, l’évolution de la part modale est généralement en décroissance chez les femmes, sans différence entre les corridors du Métrobus et l’extérieur (figure 5).

Figure 5

Évolution de la part modale des déplacements domicile-travail féminins en autobus, 1991 - 2001

Évolution de la part modale des déplacements domicile-travail féminins en autobus, 1991 - 2001

-> Voir la liste des figures

Les figures 6 et 7 présentent les ratios des déplacements domicile-travail des utilisatrices du RTC et des conductrices d’automobile. Un ratio supérieur à 1 signifie que les déplacements domicile-travail en autobus sont plus nombreux que ceux en automobile à partir de la zone de résidence considérée, tandis qu’un ratio compris entre 0 et 1 signifie l’inverse. De manière générale, la part modale de l’autobus par rapport à celle de l’automobile, même si elle reste toujours aussi élevée dans le corridor du Métrobus et au niveau des express, est en déclin sur l’ensemble du territoire : de 57,5 % à 50,4 % dans le corridor du Métrobus et de 51,8 % à 36,7 % à l’extérieur. La différence entre les deux zones n’est d’ailleurs significative qu’en 2001 (tableau 3).

Les résultats montrent donc qu’aux lieux de résidence, l’autobus est de moins en moins utilisé par les femmes qui travaillent dans le couloir du Métrobus, et ce au profit de l’automobile. De manière générale, la proximité des lignes du Métrobus et des express ne semble pas avoir incité les actives à utiliser davantage l’autobus.

Figure 6

Part des déplacements féminins effectués en autobus sur ceux effectués en automobile, lieux de travail situés dans le couloir du futur Métrobus, 1991

Part des déplacements féminins effectués en autobus sur ceux effectués en automobile, lieux de travail situés dans le couloir du futur Métrobus, 1991

-> Voir la liste des figures

Figure 7

Part des déplacements féminins effectués en autobus sur ceux effectués en automobile, lieux de travail situés dans le couloir du Métrobus, 2001

Part des déplacements féminins effectués en autobus sur ceux effectués en automobile, lieux de travail situés dans le couloir du Métrobus, 2001

-> Voir la liste des figures

Accessibilité aux emplois en autobus

Densité d’emploi

Même si notre définition de l’accessibilité aux emplois ne repose que sur un temps de déplacement, l’évolution de la répartition des lieux d’emploi à Québec est brièvement traitée ici, à titre d’élément contextuel. Les lieux de destination des déplacements domicile-travail ont permis d’identifier les lieux de travail fréquentés des personnes enquêtées. Ces lieux se sont multipliés et dispersés entre 1991 et 2001 dans l’ensemble de la ville de Québec, mais essentiellement dans les nouvelles banlieues ainsi qu’à la périphérie de la ville (tableau 6). À l’échelle des zones de résidence, c’est cependant l’arrondissement de La Cité qui a connu les plus fortes augmentations lui permettant ainsi de maintenir son rôle de principal pôle d’emplois de la ville (figure 8). Les différences numériques de densité d’emplois entre le corridor du Métrobus et l’extérieur sont importantes tant en 1991 qu’en 2001 (tableau 3) mais ne sont pas validées par l’analyse de variance.

Tableau 6

Nombre de lieux d'emploi par zone urbaine, 1991-2001

 

1991

2001

Variation

Vieux centre

673

1 040

+54,5

Anciennes banlieues

1 175

1 707

+45,3

Nouvelles banlieues

1 428

2 892

+102,5

Périphérie

202

1 150

+469,3

Source : Enquêtes OD - Traitements : Vincens, 2006

-> Voir la liste des tableaux

Figure 8

Évolution du nombre de lieux d’emplois à Québec, 1991-2001

Évolution du nombre de lieux d’emplois à Québec, 1991-2001

-> Voir la liste des figures

Durée de déplacement

Sachant, d’une part, que les lieux d’emplois sont contrôlés au niveau du couloir du (futur) Métrobus (c’est-à-dire que seules les personnes qui travaillent dans ce couloir, en 1991 et en 2001, ont été prises en compte) et, d’autre part, qu’ils sont concentrés dans les arrondissements de Sainte-Foy–Sillery, La Cité et Limoilou, les femmes qui habitent ces secteurs devraient donc avoir des temps de déplacement en autobus pour se rendre au travail beaucoup plus courts que celles qui habitent les arrondissements situés aux extrémités du couloir ou, dans une plus forte mesure, sur le reste du territoire en dehors des lignes du (futur) Métrobus. En 1991 comme en 2001, les femmes se déplaçant pendant les heures de pointe y ont des durées de déplacement généralement comprises entre 4 et 33 minutes, tandis qu’ailleurs, la durée varie entre 33 et 78 minutes. La différence entre les durées moyennes des deux zones (corridor du Métrobus et extérieur) n’est cependant significative qu’en 2001 (tableau 3). Il est donc logiquement beaucoup moins avantageux pour les utilisatrices du transport en commun travaillant au centre-ville de demeurer en périphérie, même pour celles utilisant les express amenant rapidement les travailleurs sur leur lieu d’emploi le matin. Cependant, on observe à partir des lieux de résidence une diminution des durées de déplacement des femmes dans le couloir du Métrobus (jusqu’à 8 minutes) sauf aux extrémités où elles ont généralement augmenté de 6 à 15 minutes (figure 9). Cette amélioration des temps et donc de l’accessibilité aux emplois semble être liée à la mise en place du Métrobus qui circule sur des voies réservées pendant les heures de pointe. En revanche, les express ne semblent pas avoir eu cet effet puisque les zones de résidence concernées affichent en effet des valeurs très variables qui ne semblent pas avoir de lien avec le réseau d’autobus.

Figure 9

Évolution de la durée de déplacement des femmes en autobus aux heures de pointe, 1991 - 2001

Évolution de la durée de déplacement des femmes en autobus aux heures de pointe, 1991 - 2001

-> Voir la liste des figures

Concernant les durées présumées de transport en autobus des conductrices d’automobile pour se rendre au travail en heures de pointe dans le couloir du (futur) Métrobus, en 1991 et en 2001, elles sont relativement plus élevées que les durées « réelles » en autobus, et vont en croissant de Sainte-Foy–Sillery vers la périphérie : de 5 à 24 minutes au centre et jusqu’à près de 3 heures pour les zones les plus éloignées. Ceci tend à montrer que les zones de résidence périphériques possèdent une faible accessibilité aux emplois situés dans le couloir du (futur) Métrobus, une des raisons pour lesquelles l’automobile y est le mode de transport privilégié. Les différences numériques entre les durées présumées (le corridor du Métrobus par rapport à l’extérieur) sont importantes particulièrement en 2001, mais ne sont pas validées par l’analyse de variance (tableau 3). Ces durées présumées sont pourtant en diminution dans les zones de résidence situées dans les corridors du Métrobus (sauf aux extrémités), tandis que l’évolution est plus variable sur le reste du territoire (figure 10).

Figure 10

Évolution de la durée présumée de déplacement en autobus des conductrices d’automobile aux heures de pointe, 1991 - 2001

Évolution de la durée présumée de déplacement en autobus des conductrices d’automobile aux heures de pointe, 1991 - 2001

-> Voir la liste des figures

Mobilité professionnelle

Entre 1991 et 2001, on observe, dans la majorité des zones de résidence, une progression moyenne du rang professionnel des utilisatrices du transport en commun qui travaillaient dans le corridor du Métrobus à l’une ou l’autre de ces deux dates (figure 11). Cette progression, significativement différente entre les deux zones (seuil de 0,1 %) (tableau 3), n’a pas été observée du côté masculin. Toutefois, l’impact réel de la restructuration du réseau d’autobus ne peut être mesuré directement. En effet, en dix ans, les profils de modes de vie de la population peuvent avoir changé, comme les niveaux de vie (scolarité, revenu) et donc avoir un effet sur la mobilité professionnelle (figure 3), c’est ce que nous appellerons l’effet régional.

Figure 11

Mobilité professionnelle dans les zones de résidence des usagères de l’autobus, 1991-2001

Mobilité professionnelle dans les zones de résidence des usagères de l’autobus, 1991-2001

-> Voir la liste des figures

Pour cerner, en partie du moins, cet effet, nous avons, pour chacune des zones de résidence, retranché la mobilité professionnelle mesurée pour l’ensemble des résidentes de la ville. Ainsi, les zones de résidence où la mobilité professionnelle demeure positive sont celles où l’effet régional ne suffit pas pour expliquer la progression du rang professionnel moyen, indiquant que la restructuration du réseau aurait pu avoir une influence sur cette progression. À l’opposé, les zones de résidence où les valeurs deviennent négatives sont celles où la mobilité professionnelle régionale est supérieure à celle des usagères de l’autobus travaillant dans le couloir du Métrobus, ce qui indique qu’il n’y aurait pas eu d’effet de la restructuration du réseau d’autobus, ou du moins que cet effet serait caché par l’effet plus grand de la scolarité et du taux de motorisation.

Dans la majorité des zones de résidence (sauf dans le voisinage de la Colline parlementaire dans l’arrondissement La Cité, et en basse ville, notamment Limoilou), la mobilité professionnelle des femmes est demeurée positive après que la mobilité professionnelle régionale a été retranchée. Les valeurs sont d’ailleurs très élevées dans le corridor nord du Métrobus. Ainsi, aux lieux de résidence, le réseau d’autobus a possiblement joué un rôle dans la progression des femmes sur le marché du travail (figure 12) bien que la différence ne soit pas statistiquement significative (tableau 3).

Figure 12

Mobilité professionnelle standardisée dans les zones de résidence des usagères de l’autobus, 1991-2001

Mobilité professionnelle standardisée dans les zones de résidence des usagères de l’autobus, 1991-2001

-> Voir la liste des figures

Quant aux hommes, bien que, comme nous l’avons vu plus haut, la part de leurs déplacements domicile-travail en autobus a progressé entre 1991 et 2001, l’automobile reste leur moyen de transport privilégié, et risque de le rester d’autant plus que la diminution des temps de déplacement en autobus est beaucoup moins prononcée que chez les femmes. Il ne semble d’ailleurs pas y avoir de lien entre l’évolution des temps de déplacement et le lieu de résidence ou l’utilisation du Métrobus. Les résultats de l’étude de la mobilité professionnelle standardisée de ces derniers montrent une diminution du rang professionnel moyen dans 33 cellules et une augmentation dans 37 cellules, encore une fois sans lien apparent avec l’espace.

Discussion et conclusion

Révélateurs de l’essoufflement du réseau de transport collectif de Québec, les résultats montrent une diminution de plus de 38 % de la part des déplacements en autobus tous motifs confondus entre 1991 et 2001. Cette diminution risque d’ailleurs de s’aggraver avec la redistribution des lieux d’emplois dans la ville de Québec, en nouvelles banlieues et en périphérie, donc difficilement accessibles en autobus, du moins à l’heure actuelle. Pour la même période en revanche, le critère du sexe dans l’utilisation des différents moyens de transport entre les hommes et les femmes ont eu tendance à s’atténuer, ces dernières semblent de moins en moins captives de l’autobus, ce qui n’est pas sans lien avec l’augmentation généralisée du taux de motorisation dans la ville de Québec.

En raison de sa fréquence de passage très élevée, particulièrement pendant la semaine, et du fait qu’il circule tous les jours de l’année, la mise en place du Métrobus avait pour but non seulement d’améliorer les durées de déplacement, mais aussi de donner une meilleure image de l’autobus et d’inciter les habitants de la ville à délaisser leur automobile pour devenir des usagers réguliers du transport collectif. Ces changements ont été positifs dans l’ensemble, les parcours du Métrobus se situant parmi les plus achalandés du réseau (RTC, 2005). Dans son plan de développement stratégique (horizon 2014), le RTC a pour objectif d’augmenter la part modale de l’autobus à 13 % en développant l’achalandage, entre autres par la mise en place de nouveaux parcours de Métrobus reliant les anciennes banlieues est (Beauport) et nord (Les Saules) aux axes actuellement desservis, formant en quelque sorte une boucle desservant les secteurs les plus denses de la ville. La marche est haute si l’on considère la tendance générale dans les villes des pays membres de l’OCDE à l’augmentation de la motorisation en raison d’une diminution des coûts de possession et d’utilisation d’une automobile par rapport aux revenus ainsi qu’à l’augmentation moyenne de la qualité des voitures particulières (confort, durabilité et équipement en dispositifs auxiliaires), ce qui augmente leur attrait, au détriment des transports publics. Parallèlement, dans ces mêmes villes, on a également assisté à un recul général des déplacements effectués en transport public et plus particulièrement des déplacements en autobus (OCDE, 2002). Il ne reste à espérer que la conscientisation accrue de la population concernant les problèmes dus aux gaz à effet de serre incluant les changements climatiques, permette au réseau de transport public de se développer et ainsi devenir un système de transport efficace pour quiconque souhaitant se déplacer plus écologiquement dans la ville de Québec.

Les résultats cartographiques ont non seulement montré que, à partir des zones de résidence, les express sont peu utilisés par les actives pour se rendre au travail, mais aussi que même dans le couloir du Métrobus, clé de la restructuration du réseau, la part modale de l’autobus a régressé. Pourtant, dans ces mêmes lieux de résidence, les durées de déplacement en autobus ont diminué entre 1991 et 2001. Ce phénomène peut s’expliquer par la présence en 2001 des express et du Métrobus dont les vitesses de parcours sont nettement plus rapides que pour les autobus réguliers.

Quant au rang professionnel moyen des utilisatrices du transport en commun, les résultats obtenus montrent que la restructuration du réseau d’autobus a effectivement pu jouer un rôle dans son amélioration, l’indice de mobilité professionnelle étant resté positif dans une majorité des zones de résidence après y avoir retranché l’effet régional. Mais cette progression sur le marché du travail fait partie d’un système complexe, et l’amélioration de l’accessibilité aux emplois en autobus peut ne pas être la seule cause de ce phénomène. De plus, il est probable que certaines femmes aient amélioré leur rang professionnel grâce à une meilleure accessibilité aux emplois en autobus en raison de la restructuration du réseau, mais que ces dernières n’ont pu être repérées en 2001, leur progression professionnelle ayant permis d’améliorer leur revenu et donc l’achat d’une automobile.

Il ressort de ces analyses que malgré sa richesse et ses nombreux avantages dont la géoréférence de tous les lieux d’activité, la seule base de données de l’enquête OD n’apporte pas une information suffisante pour répondre à la question de recherche présentée au début de cet article et ne permet pas de vérifier de manière satisfaisante les hypothèses même géographiques. Le recours à d’autres bases de données existantes doit être envisagé pour les recherches ultérieures. Par exemple, l’utilisation des taux de déménagement (aux cinq ans) des données du recensement de Statistique Canada permettrait de calculer les proportions locales de variation décennale dans la population active en distinguant les locataires (plus mobiles) et les propriétaires. Par la suite, les rôles d’évaluation serviraient à estimer les proportions de locataires et de propriétaires dans chaque zone de résidence (cellule) afin d’évaluer les taux de mobilité résidentielle qui créent un bruit de fond masquant ici la mobilité professionnelle. Une mesure de l’accessibilité tenant compte des marchés potentiels d’emplois combinés à la durée des déplacements enrichirait considérablement l’analyse. Toutefois, force est de reconnaître que la question très complexe des liens entre le choix modal, l’accessibilité aux emplois et la progression dans la structure professionnelle ne pourrait idéalement être traitée que par des données longitudinales, couvrant une période suffisamment longue pour capter ces relations. Malgré ses limites, cette recherche, par ses résultats préliminaires, contribue à éclairer cette problématique complexe.