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Incontestablement, le gatt et l’omc sont parvenus à abattre le mur tarifaire érigé par les gouvernements un peu partout dans le monde. Pour rappel, les tarifs douaniers, évalués à entre 30 et 40 % lors du cycle de Genève lancé en 1947, ne se situent plus qu’à environ 3,8 % pour les produits industriels dans les pays développés à partir du cycle de l’Uruguay conclu en 1993[1]. Évidemment, cette réduction tarifaire n’est pas uniforme d’un pays à l’autre et surtout, bon nombre de pays en voie de développement (pvd) présentent encore un taux moyen supérieur à 10 %. Par exemple, en 2002, alors que le tarif simple moyen sur les produits manufacturés se situe à 0 % à Singapour, à 0,6 % en Norvège, à 2,4 % au Japon, à 2,9 % dans l’Union européenne, à 3,8 % aux États-Unis et à 4,7 % au Canada, il demeure assez élevé en Russie (10,5 %), en Argentine (14,8 %), au Brésil (15,1 %), au Maroc (28 %), en Inde (30,8 % en 2001)[2], etc. De plus, le protectionnisme demeure virulent dans certaines industries, en particulier dans les secteurs agricoles et des services. Mais le succès du gatt et de l’omc se mesure aussi par le nombre sans cesse grandissant de ses membres, auxquels se sont récemment ajoutés la Chine et les pays d’Europe de l’Est.

Toutefois, cette tendance à une plus grande libéralisation du commerce se confronte à une réalité troublante. En effet, il semble que les mesures tarifaires et non tarifaires fonctionnent comme des vases communicants : la baisse des unes semble faire augmenter les autres. Ainsi, les litiges commerciaux concernent de plus en plus les questions de dumping et de subvention à l’exportation, en dépit même de l’adoption de règles de discipline. Même si le gatt s’est rapidement attaqué au dossier des mesures non tarifaires dès le cycle Kennedy et plus particulièrement lors du cycle de Tokyo et celui de l’Uruguay, il ne parvient pas à limiter l’ardeur des pays membres à y recourir. Plus inquiétant encore, les législations antidumping, autrefois l’apanage exclusif des pays industrialisés, se propagent maintenant vers les pvd désireux de limiter les impacts de la compétition internationale et de préserver leur base industrielle. Ces législations sont d’autant plus encouragées que le dumping a mauvaise presse, à un point tel que les mesures de rétorsion bénéficient maintenant de lettres de noblesse.

Peut-on vraiment partager cette vision des choses ? Répondre à cette question est l’objet de ce texte, structuré en trois parties. La première présente l’analyse économique du dumping et permet de se prononcer sur sa rationalité à travers l’étude de sa définition et de ses effets escomptés. La deuxième partie examine l’évolution des mesures antidumping (mad) en observant les données relevées à propos des pays utilisateurs et des pays visés, ainsi que leur répartition industrielle. Enfin, la dernière partie aborde la mise en oeuvre de l’accord de l’omc sur les mad afin de souligner les principaux enjeux qui se cachent derrière le règlement de ces litiges commerciaux.

I – L’analyse économique du dumping

A — Précis sur le concept

Il est généralement admis que le dumping consiste à vendre des biens ou des services sur les marchés extérieurs à des prix inférieurs à ceux pratiqués sur le marché national. Cette pratique peut même conduire à écouler des biens à perte sur les marchés étrangers. Au 19e siècle, le dumping prend une signification plus large dans la mesure où on l’assimile à la vente à des prix inférieurs à ceux que peuvent offrir les producteurs les moins efficients[3]. Ainsi défini, le terme dumping paraît simple à comprendre, mais il demeure difficile de l’évaluer et de circonscrire ses effets. D’abord, le dumping renvoie au phénomène de discrimination des prix selon les marchés (national versus étranger) séparés par des barrières importantes, telles que le coût de transport et d’entreposage, les législations fiscales, les tarifs et les mesures non tarifaires. On en vient alors à distinguer trois types de dumping : le persistant, le sporadique et le prédateur.

Le dumping persistant, voire naturel, survient dès lors que l’élasticité-prix de la demande d’un bien est variable selon les marchés. Ainsi, le prix sera moindre sur le marché d’élasticité-prix la plus élevée. Par exemple, en raison de l’implication des États dans les programmes d’assurance maladie, le prix des médicaments varie sensiblement d’un pays à un autre. Il n’est donc pas étonnant qu’un médicament mis au point par Glaxo au Royaume-Uni soit vendu à meilleur marché au Portugal[4]. Ce phénomène s’observe également à l’intérieur d’un pays, où les prix peuvent varier selon la situation géographique ou le type de clientèle. En conséquence, ce type de dumping perdurera tant et aussi longtemps que les consommateurs d’un pays à l’autre réagiront différemment à une variation de prix. Par ailleurs, ce phénomène bénéficie au pays importateur[5].

Le dumping sporadique est dû pour sa part à une surcapacité temporaire de production. Pour ne pas voir ce surplus se perdre, les producteurs le vendent à meilleur prix à l’étranger. De cette façon, l’équilibre du marché domestique est préservé. On retrouve de nombreux exemples de dumping sporadique dans le secteur agricole, qui est caractérisé par une politique de soutien de revenu par le biais des offices de commercialisation. Pensons notamment à la pratique de l’Office canadien du blé, des oeufs, du lait ou encore à la Politique agricole commune de l’Union européenne, réformée à plusieurs reprises, mais toujours axée sur l’unicité du marché et la préférence communautaire. De leur côté, les États-Unis ont mis en place le Farm Bill dans les années 2000 afin de relancer les exportations tout en assurant un minimum de revenu à leurs agriculteurs.

Quant au dumping prédateur enfin, il relève de la concurrence déloyale. On demande délibérément un prix plus bas à l’étranger à court terme dans le but d’y pénétrer et d’éliminer les concurrents, pour finalement les ajuster à la hausse. C’est cette stratégie prédatrice qui est à l’origine de la mise en place des législations antidumping. La difficulté réside dans la distinction entre ces trois types de dumping qui convergent dans leur but ultime, à savoir l’éviction des concurrents.

Une autre distinction digne de mention, sans pour autant former une autre catégorie, est ce que l’on appelle le dumping stratégique, qui consiste à obtenir des économies d’échelle sans avoir à affecter les prix domestiques[6]. Ainsi, une entreprise peut chercher à récupérer ses coûts fixes en écoulant ses surplus de production sur les marchés étrangers à un prix inférieur au prix domestique. Cette discrimination est rendue possible par l’exploitation des économies d’échelle. Par cette stratégie, la compagnie renonce à maximiser ses profits mais freine l’émergence de concurrents.

B — Les effets escomptés du dumping : une stratégie pas toujours gagnante

La prolifération des mesures de rétorsion laisse à penser que le dumping est une stratégie concurrentielle à effet redoutable. Pourtant, de nombreux observateurs pensent que ces mêmes mesures antidumping constituent un problème encore plus grave que celui qu’elles tentent de régler, constituant ainsi une entrave importante au commerce international. Qui plus est, la littérature économique invite à une mise en doute de l’approche de conquête des marchés par le dumping.

Concentrons-nous sur le cas particulier des prix prédateurs, les plus souvent dénoncés. Tout d’abord, il semble difficile de distinguer a priori les pratiques prédatrices des pratiques concurrentielles normales. Ni la référence au coût variable moyen, ni la renonciation à un profit immédiat, ne permettent de conclure sans l’ombre d’un doute qu’il y a pratique prédatrice. Comme le souligne Benzoni : « Seule une connaissance intime des marchés et de leur histoire peut aider à tirer des conclusions définitives sur des pratiques de prix[7] ». En évoquant l’affaire opposant Microsoft à Netscape, l’économiste Richard Schmalensee souligne que le prix de vente de Windows est six fois inférieur au prix susceptible de maximiser le profit. Les consommateurs de Windows bénéficient donc de plus bas prix, tandis que Microsoft peut écarter la concurrence. Par ailleurs, pour être en mesure de pratiquer le dumping prédateur, l’entreprise doit pouvoir compter sur des avantages concurrentiels certains, soit : i) un vaste marché national permettant de bénéficier d’une rente servant à subventionner l’activité exportatrice ; ou ii) disposer de ressources financières largement supérieures à celles des concurrents[8]. Des conditions aussi restrictives font en sorte que la stratégie prédatrice ne peut qu’être rare, du moins en théorie.

Certains auteurs vont jusqu’à remettre en cause l’efficacité même de la pratique prédatrice. Tel que le souligne Grossman, l’approche des bas prix n’est pas toujours la bonne pour pénétrer un marché : « Les firmes ne se concurrencent pas seulement sur les prix et les quantités offertes. D’autres instruments de concurrence stratégique renvoient à la qualité du produit, l’étendue de la ligne de produits, le service après-vente, la recherche et développement, la publicité[9] ». Ainsi, évincer un compétiteur d’un marché peut s’avérer extrêmement coûteux, d’autant plus que la réussite est incertaine puisque les concurrents visés peuvent contre-attaquer[10].

Au-delà de ces questions, les mad sont souvent motivées par des évaluations tendancieuses en faveur des industries concernées. En effet, la mise en oeuvre des législations nationales antidumping est souvent entachée par de nombreuses irrégularités. Cet arbitraire dans l’administration des mad est soulevé par bon nombre d’auteurs, dont Norall[11], Boltuck et Litan[12], Murray[13], Palmeter[14], McGee[15], Tharakan[16], et Waer et Vermulst[17]. En se basant sur leurs travaux, Niels[18] relève quatre principaux arguments à l’appui de ce constat : i) le gonflement artificiel de la marge de dumping ; ii) la comparaison asymétrique des éléments de coûts entre pays ; iii) l’ajout de montants arbitraires pour des frais généraux ; iv) la dépendance aux informations fournies par les entreprises nationales. Étant largement impliquées dans le processus, ces dernières forment des groupes de pression qui incitent les gouvernements à agir en leur faveur et ce, au détriment des consommateurs qui n’ont pas voix au chapitre, et des concurrents étrangers qui l’ont encore moins.

Du point de vue économique, le dumping prédateur paraît déloyal. Or, tel que démontré, l’occurrence de ce type de dumping est plutôt faible. Un argument fréquemment soulevé est que le dumping réduit l’efficience en envoyant le mauvais signal de prix. S’il est vrai que le dumping peut entraîner des distorsions à ce niveau, il arrive également que certains producteurs locaux ne parviennent pas à soutenir ces prix à cause d’un manque de compétitivité[19]. Aussi, certains mentionnent que les mad pourraient favoriser la libéralisation du commerce en agissant comme des soupapes faisant évacuer les fortes pressions venant du milieu industriel. Il n’existe toutefois pas de preuve claire en faveur de ce raisonnement[20]. En ce qui concerne l’argument de justice, il soutient qu’un monopole ayant fait ses frais sur son marché national ne devrait pas se vendre à un prix inférieur à son coût de production à l’étranger, dans la mesure où ce prix ne reflète pas sa réelle efficience. Cependant, cette argumentation est remise en cause par certains auteurs, dont Niels, qui affirme que chaque pays peut tirer profit du libre-échange, même si les gains ne sont pas partagés de façon équilibrée entre les partenaires[21].

Globalement, les mad semblent donc injustifiées du point de vue économique car elles nuisent au bien-être général. D’une part, elles affectent les consommateurs qui payent plus cher les produits assujettis à ces mesures ; d’autre part, elles peuvent également affecter les entreprises nationales qui doivent débourser plus pour les produits importés entrant dans leur production finale. De plus, l’existence de mad change la vision stratégique des entreprises, particulièrement au niveau des prix et de l’allocation des ressources[22]. Ceci se traduit par des prix à l’exportation plus élevés et peut engendrer une diminution de la production, résultant en une demande de main-d’oeuvre plus faible. Dans le même sens, on peut assister à des actes de vengeance (retaliation) entre les pays. Dans cette situation qui n’a rien d’atypique, le bien-être global est réduit.

Des cas d’impacts concrets de mesures antidumping ont d’ores et déjà été examinés. Mankiw et Swagel[23] observent que les tarifs antidumping sont généralement de 10 à 20 fois plus élevés que les tarifs douaniers ordinaires. De plus, une fois imposés, les tarifs antidumping demeurent généralement en vigueur pendant une longue période avant d’être abolis. Les effets pervers des droits antidumping s’observent particulièrement dans plusieurs secteurs, notamment dans celui de l’acier aux États-Unis. Comme les deux auteurs le soulignent, près des la moitié des droits antidumping imposés par le gouvernement américain entre 1970 et 2005 sont concentrés dans cette industrie. Cela résulte en une surenchère du prix de l’acier, ce qui pénalise les producteurs nationaux d’automobiles et de machinerie qui doivent payer plus cher pour leurs intrants, minant ainsi leur compétitivité. Jeffrey Hart[24] explique que dans un autre secteur, l’imposition par le gouvernement américain d’un tarif antidumping de 62,7 % sur les écrans plats (flat panel display) a amené les constructeurs d’ordinateurs à transférer leur production des États-Unis vers l’Asie. Qui plus est, il n’est pas rare que les mesures antidumping attirent des représailles. En octobre 2001, les États-Unis avaient imposé un droit antidumping de 32 % sur les tomates de serre en provenance du Canada[25]. Quelques semaines plus tard, le gouvernement canadien ripostait en lançant une ouverture d’enquête antidumping sur les tomates des champs importées des États-Unis. La guerre des tomates ainsi déclenchée n’a été résolue qu’en juillet 2002 par un accord à l’amiable consacrant l’élimination de ces droits.

Afin de déterminer l’impact des mad, il est utile de se pencher sur les travaux de Prusa[26], qui s’est particulièrement intéressé au phénomène. Au cours de ses recherches, il a observé que l’ouverture d’une enquête antidumping provoque un effet d’investigation qui résulte souvent en une baisse des importations de l’ordre de 20 %, même si les tarifs antidumping ne sont pas encore en place. Deuxièmement, on observe un effet de détournement du commerce puisque les pays tiers non visés par les mad en bénéficient. Ainsi, Prusa[27] note que le Canada et le Mexique bénéficient souvent des mad imposées par les États-Unis sur des producteurs d’autres pays du monde. Le cas du conflit commercial du blé entre le Canada et les États-Unis est également fort instructif sur l’impact des mad. Après que les États-Unis aient imposé un droit antidumping de 50 cents le boisseau en 2003 sur le blé et l’orge canadien, les importations canadiennes ont chuté de 50 %. Il a fallu attendre deux ans pour que ce droit soit éliminé, ce qui a porté préjudice aux producteurs du Canada.

En résumé, les impacts concrets des mad se mesurent à travers de nombreux effets : i) hausse de prix ; ii) baisse des importations ; iii) détournement du commerce et de la production ; iv) actes de représailles. Ainsi l’Organe de règlement des différends (ord) est de plus en plus interpellé par ces conflits, sujet qui sera abordé plus loin dans cette étude.

C — Les alternatives aux mesures antidumping

Les législations antidumping ont été mises en place afin de protéger les marchés contre le dumping prédateur. Le problème est qu’il existe un écart notable entre l’intention originale et la pratique actuelle. À cet égard, si le motif original demeure, alors les mesures antitrust semblent plus appropriées puisqu’elles sont axées sur la défense de la concurrence et non contre elle. De plus, une utilisation plus rigoureuse des mesures de sauvegarde pourrait constituer une autre alternative. Telles que définies par l’omc, elles permettent de restreindre temporairement les importations d’un produit si une augmentation de celles-ci cause ou menace de causer un dommage de degré élevé à la branche de production domestique. Selon certains auteurs[28], elles constituent un moyen permettant de s’attaquer aux problèmes justifiant l’existence des mad tout en évitant les dommages causés par elles. D’abord, ces mesures présentent l’avantage majeur d’être provisoires. Ensuite, elles possèdent des critères d’application très restrictifs puisqu’elles ne peuvent être mises en place qu’après qu’un tribunal du commerce international ait déterminé que des importations spécifiques causent des dommages à l’industrie domestique. De plus, ces mesures ne sont prises que lorsque le tribunal a prouvé qu’aucun facteur n’est plus important que l’augmentation des importations dans le dommage causé à l’industrie.

Cette analyse du dumping sous l’angle économique achevée, penchons-nous sur l’évolution des mesures antidumping dans le temps afin de mieux cerner leurs enjeux.

II – L’évolution des mesures antidumping

A — L’origine des mad

Les premières mad ont fait leur apparition en 1904 au Canada. Elles visaient alors les exportations d’acier américain servant à la construction du chemin de fer transcontinental[29]. Aussitôt après la fin de la Première Guerre mondiale, des pays tels que l’Australie, la Nouvelle-Zélande, les États-Unis, la France et le Royaume-Uni ont suivi la voie canadienne en adoptant des lois antidumping. Trois raisons essentielles sont évoquées à l’appui de ces législations : i) l’hostilité envers l’Allemagne ; ii) l’effet de halo de confiance (trust-busting) ; iii) le niveau élevé des tarifs.

En premier lieu, l’hostilité à l’égard de l’Allemagne, nourrie sur le plan militaire, déborde également dans le domaine économique. Ainsi, dès la fin de la Première Guerre mondiale, il est reproché au gouvernement allemand d’accumuler d’importants stocks de biens dans le but de les liquider à très bas prix sur les marchés mondiaux. La deuxième raison de la montée des mad durant les années 1920 est attribuable à l’effet de halo de confiance. Comme le mentionnent Taussig et White : « Toute concurrence n’est pas bienvenue et la concurrence étrangère est particulièrement perverse[30] ». Cette perception des effets néfastes de la concurrence est prédominante à cette époque. Enfin, le maintien de hauts niveaux de tarifs durant la période d’après guerre vient renforcer la justification de l’adoption de lois antidumping. Les tarifs qui culminent à des sommets historiques en 1930 dans les divers pays cités plus haut, à l’exception du Royaume-Uni, permettent aux entreprises nationales protégées de la concurrence étrangère de pratiquer des prix monopolistiques sur leur marché domestique tout en leur laissant la possibilité de pénétrer les marchés étrangers par une stratégie de bas prix[31].

Dès le début des années 1950, on assiste à une croissance du nombre de pays ayant adopté des lois antidumping, alors que le nombre de pays membres du gatt suit une progression semblable. Ce que certains observateurs voient comme une corrélation a été expliqué par la diminution graduelle des tarifs, l’intensification du commerce international et la prise de conscience de l’existence des politiques antidumping par les gouvernements et les groupes de pression des pays adhérents. Ainsi, le nombre de pays ayant adopté de telles lois, évalué à moins d’une douzaine tout au long des années 1930 et 1940, passe à une vingtaine dès 1960 et à plus de quarante au milieu des années 1980[32]. On estime qu’en 2003, 98 pays avaient adopté des législations antidumping, parmi lesquels la quasi-totalité des pays participants au commerce mondial[33]. De nos jours, ces législations ont donc cessé d’être l’apanage des utilisateurs dits traditionnels (Australie, Canada, États-Unis, ue et Nouvelle-Zélande) et se sont propagées aux pvd.

B — L’expansion des mad

Examinons brièvement les statistiques concernant les mad afin de pouvoir tirer des conclusions appropriées sur leur rationalité. Le tableau 1 donne des indications sur les mad en vigueur au 30 juin 2004. Sur un total de 1349 mad répertoriées par l’omc dans l’ensemble des pays membres, un nombre impressionnant (293) provient des États-Unis, soit 22 %. Ce pays est suivi par l’Inde (16 %), l’Union européenne (12 %), et un peu plus loin par le Canada (6,3 %). Fait révélateur de ce tableau, de nombreux pays en développement sont largement utilisateurs de mad, notamment l’Afrique du Sud, l’Argentine, la Chine, la Corée, la Thaïlande, et le Mexique, ce qui n’était pas le cas il y a quelques années à peine. En effet, si l’on se penche sur les données de 1995, on observe que l’omc recensait 781 mad au total, dont 304 érigées par les États-Unis (39 %), 159 par l’ue (20 %), 94 par le Canada (12 %), et 88 par l’Australie (11,3 %).

Tableau 1

État récapitulatif des mesures antidumping : 1er juillet 2003 – 30 juin 2004

 

Ouverture d’enquête

Mesures provisoires

Droits définitifs

Engagements en matière de prix

Mesures en vigueur au 30 juin 2004

Afrique du Sud

10

6

2

0

84

Argentine

7

0

2

0

76

Australie

9

4

12

2

51

Brésil

8

0

3

0

54

Canada

13

14

9

0

85

Chine, Rép. pop.

22

13

26

1

56

Comm. européennes

18

12

8

2

165

Corée

17

9

5

1

23

Costa Rica

0

0

1

0

1

Égypte

0

0

2

0

17

Etats-Unis

42

22

15

0

293

Inde

37

12

38

2

216

Indonésie

6

0

3

0

2

Israël

0

0

1

1

5

Jamaïque

1

1

1

0

4

Japon

0

0

0

0

2

Malaisie

3

0

5

0

11

Mexique

11

11

8

0

58

Nouvelle-Zélande

4

1

2

0

10

Pakistan

4

3

3

0

4

Pérou

6

2

7

0

29

Philippines

0

0

0

0

3

Taipei chinois

0

0

0

0

4

Thaïlande

2

3

1

0

23

Trinité-et-Tobago

0

1

0

0

4

Turquie

19

10

11

0

53

Venezuela

0

0

1

0

16

Total

239

124

166

9

1349

Source : omc, Rapport annuel de l’omc, 2005, p. 4.

-> Voir la liste des tableaux

Lorsque l’on s’attarde aux données sur les ouvertures d’enquête présentées au tableau 2 (qui visent à confirmer l’existence de dumping et à évaluer les menaces de préjudices infligées aux branches de production domestique), on remarque que les pays industrialisés sont très actifs dans l’utilisation des actions antidumping (États-Unis, ue, Canada). On voit également que plusieurs grands utilisateurs sont des pays en développement, dont l’Inde et la Chine particulièrement. C’est ainsi que certains auteurs en arrivent à la conclusion qu’en termes relatifs (ouvertures d’enquête sur la valeur des importations), les pays en développement utilisent les actions antidumping plus intensément que les pays industrialisés[34]. Faisons également remarquer que tout au long des années 1990, le nombre d’ouvertures d’enquêtes a fortement augmenté passant d’un total annuel de 157 en 1995 pour atteindre 364 en 2001. La décélération observable dès 2002 s’est poursuivie durant les trois années subséquentes, au point où l’on enregistre un total de seulement 191 ouvertures d’enquêtes en 2005[35]. Cette évolution à la baisse s’explique en grande partie par leur moins grande utilisation de la part des pays développés. Par ailleurs, l’omc rapporte que durant la période allant du 1er juillet au 31 décembre 2006, le nombre d’ouvertures d’enquêtes a relativement augmenté par rapport à la même période en 2005. Pour l’instant, il est donc trop tôt pour déterminer si l’évolution récente va se poursuivre au cours des prochaines années. Un retournement de tendance peut fort bien se produire, d’autant plus que les pays en développement ont de plus en plus recours à cette arme concurrentielle et que le développement économique tarde encore à se concrétiser dans bon nombre de ces pays.

Parallèlement, le recensement des mesures antidumping prises par les pays rapporteurs (tab. 3) indique que malgré la quantité notable d’ouvertures d’enquête, seule une fraction aboutit à la mise en place de mesures concrètes[36]. En effet, sur un total de 2 840 ouvertures d’enquête entre 1995 et 2005, seulement 1 804 (63,5 %) ont donné lieu à l’implantation de mesures. Cela signifie qu’un pourcentage élevé des ouvertures d’enquête ne donne pas lieu à l’érection de mesures antidumping. Dans bien des cas, des ententes négociées interviennent entre les parties sans que l’omc ait à trancher.

Tableau 2

Ouvertures d’enquête antidumping par pays rapporteur : janvier 1995 – décembre 2005

Rang

Pays rapporteurs

1995

1996

1997

1998

1999

2000

2001

2002

2003

2004

2005

Total

1995-2005

%

total

Pays industrialisés

2

États-Unis

14

22

15

36

47

47

75

35

37

26

12

366

13,0

3

Union euro.

33

25

41

22

65

32

28

20

7

30

24

327

11,5

6

Australie

5

17

42

13

24

15

23

16

8

9

7

179

6,3

7

Canada

11

5

14

8

18

21

25

5

15

11

1

134

4,7

 

Japon

0

0

0

0

0

0

2

0

0

0

0

2

-

16

N.-Zélande

10

4

5

1

4

9

1

2

5

5

0

46

1,6

Sous-total

73

73

117

80

158

124

152

78

72

81

44

1052

37,0

Pays en développement

1

Inde

6

21

13

28

64

44

79

81

46

21

25

425

14,9

4

Argentine

27

22

14

8

23

45

26

14

1

12

12

204

7,2

5

Afrique du S.

16

33

23

41

16

21

6

4

8

6

23

197

6,9

8

Chine, Rép.p.

0

0

0

0

0

6

14

30

22

27

24

123

4,3

9

Brésil

5

18

11

18

16

11

17

8

4

8

6

122

4,3

10

Turquie

0

0

4

1

8

7

15

18

11

25

12

101

3,5

11

Mexique

4

4

6

12

11

6

5

10

14

6

7

85

3,0

12

Corée, Rép.

4

13

15

3

6

2

4

9

18

3

4

81

2,8

13

Indonésie

0

11

5

8

8

3

4

4

12

5

0

60

2,1

14

Pérou

2

8

2

3

8

1

8

13

4

7

4

60

2,1

Sous-total

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

1458

51,3

Total 16 pays

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

2510

88.3

Grand total

157

225

243

257

354

292

364

312

232

213

191

2840

100,00

Source : omc, Les mesures antidumping. Données statistiques, www.wto.org.

-> Voir la liste des tableaux

Tableau 3

Mesures antidumping prises par les pays rapporteurs : 1 janvier 1995 – 31 décembre 2005

Pays rapporteurs

1995

1999

2000

2003

2005

Total

Pays industrialisés

États-Unis

33

24

31

12

18

234

Communauté européenne

15

18

41

2

21

219

Canada

7

10

14

5

4

84

Australie

1

6

5

10

3

67

Nouvelle-Zélande

3

0

0

0

4

17

Pays en développement

Inde

7

23

53

53

17

316

Argentine

13

9

15

19

8

147

Afrique du Sud

0

35

13

1

0

113

Brésil

2

5

9

2

3

66

Chine

0

0

0

33

16

68

Mexique

16

7

6

7

8

76

Turquie

11

1

8

28

9

86

Corée du Sud

0

0

5

4

3

46

Pérou

2

3

4

7

3

40

Égypte

0

13

0

4

0

30

Thaïlande

0

0

0

20

2

27

Total

119

185

228

221

131

1804

Source : omc, Les mesures antidumping. Données statistiques, 2006, www.wto.org.

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Dans le tableau 4, on observe les pays vers lesquels les mesures antidumping sont dirigées. Ces données révèlent clairement que les pays asiatiques sont les plus visés, en particulier la Chine, la Corée du Sud, le Japon, la Thaïlande, l’Indonésie, ainsi que l’Inde. Parmi les pays occidentaux, ce sont principalement les États-Unis qui sont touchés. Ils sont l’objet de nombreuses attaques de la part du Mexique, de l’Inde et du Canada.

Tableau 4

Pays les plus visés par les mesures antidumping

 

Pays visés

Etats-Unis

CE

Canada

Australie

Nouvelle-Zélande

Japon

Inde

Argentine

Afrique du Sud

Brésil

Chine

Mexique

Turquie

Corée du Sud

Indonésie

Thaïlande

Russie

Sous-total

Reste du monde

Total

Pays initiateurs

 

Etats-Unis

-

0

4

0

0

21

10

5

8

7

62

8

3

11

8

8

8

160

74

234

CE

5

-

0

2

0

7

16

0

3

4

51

3

2

11

11

15

14

144

75

219

Canada

10

0

-

0

0

2

3

0

3

3

15

2

3

4

2

1

3

51

33

84

Australie

4

0

1

-

0

2

0

0

2

0

9

0

0

11

4

7

1

41

26

67

N.-Zélande

0

0

0

0

-

0

0

0

3

0

2

0

0

3

1

5

0

14

3

17

Japon

0

0

0

0

0

-

0

0

0

0

1

0

0

1

0

0

0

2

1

3

Inde

15

27

3

0

0

17

-

0

5

7

90

2

4

23

12

11

13

229

87

316

Argentine

5

0

0

1

1

4

2

-

6

28

45

2

2

10

2

2

2

112

35

147

Afr. du Sud

5

0

0

3

0

1

10

0

-

3

18

0

2

14

3

4

2

65

48

113

Brésil

8

2

0

0

1

1

3

3

2

-

13

2

0

1

0

1

2

39

27

66

Chine

10

3

0

0

0

12

2

0

0

0

-

1

0

16

1

1

5

51

19

70

Mexique

19

1

2

0

0

2

1

0

0

8

15

-

0

1

1

0

6

56

20

76

Turquie

1

0

0

0

0

0

5

0

0

1

41

0

-

5

1

6

5

65

21

86

Corée

5

0

1

0

0

10

2

0

0

0

12

0

0

-

2

0

2

34

12

46

Indonésie

1

1

0

1

0

1

6

0

0

0

5

0

1

3

-

1

2

22

5

27

Thaïlande

0

1

0

0

0

2

1

1

1

0

4

0

0

3

3

-

2

18

9

27

Source : omc, Les mesures antidumping. Données statistiques, 2006.

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C — Les industries les plus touchées

Une lecture des statistiques de l’omc[37] concernant l’utilisation des mad dans les différents types de produit est riche d’enseignements. En effet, on observe que cinq groupes d’industries rassemblent près de 80 % de toutes les mad recensées entre 1995 et 2005, soit : i) les métaux communs et ouvrages en ces métaux (32,5 %) ; ii) les produits des industries chimiques ou industries connexes (20 %) ; iii) les matières plastiques et ouvrages en ces matières (12,5 %) ; iv) les appareils électriques et électroniques (7,5 %) ; v) les textiles et vêtements (7,4 %). Si l’on examine plus particulièrement la répartition industrielle des mad imposées par le Canada, on observe qu’elles sont fortement concentrées, à hauteur de 71 %, sur les produits des métaux. Aux États-Unis, 140 des 234 mad (60 %) portent sur les métaux ; 12 % sur les produits chimiques ; et 6 % sur les matières plastiques[38]. Au niveau de l’Union européenne, 36 % des 219 mad imposées sont centrées sur les produits des métaux ; 19 % sur les produits chimiques ; et 13 % sur les machines et appareils électromécaniques[39]. Ainsi, il est clair que le dumping est plus souvent évoqué dans les biens à forte composante de ressources naturelles, tels que les métaux, les minéraux, et le bois. Les pays jouissant d’importantes réserves de ces ressources possèdent un avantage comparatif certain dans l’exportation de ces produits. Ils sont donc susceptibles de nuire aux industries nationales étrangères ne bénéficiant pas d’avantages aussi marqués.

En ce qui concerne la production de textile et de vêtements, elle demeure toujours intensive en travail en dépit de la percée des nouvelles technologies. Le coût de la main-d’oeuvre constitue donc un des critères majeurs de compétitivité. Il n’est donc pas surprenant que des pays asiatiques tels que la Chine, l’Inde, l’Indonésie, la Thaïlande, et la Malaisie, excellent à l’exportation de ces marchandises. Entre 1980 et 2004, la part mondiale des exportations de textiles et de vêtements de la Chine est respectivement passée de 4,6 % à 17,2 % et de 4 % à 24 %. Le recours à des mesures non-tarifaires (incluant les droits antidumping), autant par les pays industrialisés que par les pays en développement, vise à contrer les importations et à donner le temps aux industries domestiques de s’adapter.

Pour ce qui est des produits chimiques, des produits électroménagers, et des appareils électriques, ils comptent des sous-catégories caractérisées par une technologie moyenne et surtout par un procédé de fabrication relativement maîtrisé et uniforme. Suivant l’approche du modèle du cycle de produit, ces divers biens deviennent progressivement plus intensifs en capital physique qu’en capital humain. Les nouveaux pays industrialisés, particulièrement ceux d’Asie (Taïwan, Corée du Sud, Inde, Chine, Indonésie), ont recours à une stratégie d’attrait de l’investissement direct étranger (ide) afin de se doter du capital physique nécessaire et de demeurer compétitifs dans la production de ces biens. En Chine, le gouvernement a mis en place des politiques visant à assurer le transfert technologique et l’émergence d’entreprises nationales en forçant les investisseurs étrangers à s’établir en coentreprise avec des partenaires locaux[40].

À l’opposé, les secteurs de très haute technologie, c’est-à-dire très intensifs en recherche et développement, sont peu touchés par les mad. Selon la Banque mondiale[41], seuls quelques nouveaux pays industrialisés d’Asie présentent une intensité technologique d’exportation relativement élevée. C’est le cas des Philippines (74 %), de Singapour (59 %), de la Malaisie (58 %), de la Corée du Sud (32 %), de la Chine (27 %), et de la Thaïlande (30 %). Presque tous les autres pvd ont un taux d’intensité technologique inférieur à 12 %. L’Inde (5 %), l’Afrique du Sud (5 %), l’Argentine (9 %), et le Brésil (12 %), grands utilisateurs de mad, se démarquent par leur faible taux d’intensité technologique.

En résumé, les actions antidumping, initialement lancées par quelques pays industrialisés au lendemain de la Première Guerre mondiale, se sont vite propagées à travers le monde dès le début des années 1970 en raison d’une conjoncture économique particulièrement défavorable (chocs pétroliers, stagflation, flottement des taux de change, endettement extérieur des pvd). Aujourd’hui, les mad sont concentrées dans les produits des ressources primaires, les industries chimiques, les matières plastiques, le textile et vêtement, ainsi que les appareils électriques et électroniques. Ces secteurs se caractérisent par une vive concurrence mondiale et par l’importance de l’avantage compétitif par le salaire. C’est ainsi que la remarque de Finger prend tout son sens : « les lois antidumping sont un moyen par lequel une entreprise peut utiliser le pouvoir de l’État pour obtenir un avantage compétitif aux dépends d’un concurrent étranger[42] ». Concentrons-nous maintenant sur les dispositions prévues par l’omc en cette matière.

III – Dispositions générales de l’omc et règlement des différends

A — Dispositions générales de l’article iv de l’Accord du gatt 1994 – Accord antidumping

L’Accord sur la mise en oeuvre de l’article iv de l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce de 1994 (Accord antidumping du gatt) encadre l’application des mesures antidumping par les membres de l’omc. Plus précisément : l’Accord établit des règles détaillées concernant la « détermination de l’existence d’un dumping, d’un dommage et d’un lien de causalité[43] » et énonce les procédures à suivre pour ouvrir ou mener une enquête antidumping. De plus, il précise le rôle des Groupes spéciaux chargés de régler les différends.

L’article premier aborde le principe selon lequel un membre ne peut imposer de mad sans avoir mené une enquête dont les conclusions démontrent « l’existence d’importations faisant l’objet d’un dumping, d’un dommage important causé à la branche de production nationale et un lien de causalité entre les importations faisant l’objet d’un dumping et ce dommage[44] ».

L’article 2 fournit une définition du dumping. Formellement, un produit est considéré comme faisant l’objet d’un dumping si le prix à l’exportation de ce produit « est inférieur au prix comparable pratiqué au cours d’opérations commerciales normales pour le produit similaire destiné à la consommation dans le pays exportateur[45] ». En fait, il s’agit d’une comparaison entre le prix du bien importé dans le pays d’origine et le prix du produit dans le pays d’importation. Cette discrimination des prix n’est toutefois possible que si le marché étranger est séparé du marché domestique à la fois géographiquement et par des barrières. De plus, il ne doit pas y avoir de revente d’un marché à un autre, une condition difficilement réalisable sur le marché international.

L’article 3 concerne la détermination de l’existence d’un dommage[46]. L’idée fondamentale est qu’il faille procéder à « un examen objectif, fondé sur des éléments de preuve positifs ». En ce qui concerne le volume des importations, l’enquête devra montrer qu’il y a eu une « augmentation notable […], soit en quantité absolue, soit par rapport à la production ou à la consommation du membre importateur ». Enfin, il est important de montrer l’existence d’un lien de causalité entre les importations faisant l’objet d’un dumping et les dommages importants. À cet égard, l’article 3.5 stipule que « les facteurs connus autres que les importations faisant l’objet d’un dumping qui peuvent causer un dommage doivent être examinés, et que le dommage causé par ces facteurs ne doit pas être imputé aux importations faisant l’objet d’un dumping ». Il s’agit là de l’élément le plus souvent contesté lors des litiges commerciaux.

L’Accord antidumping énonce un certain nombre de prescriptions procédurales. Dans un premier temps, une enquête est généralement ouverte suite à une demande écrite de la branche de production nationale ou de ses représentants. Pour éviter la poursuite d’enquêtes sans fondements, l’article 5.8 stipule que « la clôture de l’enquête sera immédiate lorsque le volume des importations est négligeable ou que la marge de dumping est minime, c’est-à-dire, si exprimée en pourcentage du prix de l’exportation, elle est inférieure à 2 pour cent[47] ». L’article 7 prévoit la possibilité d’appliquer des mesures provisoires 60 jours après l’ouverture d’une enquête. Les membres peuvent également prendre des « engagements en matière de prix ». En fait, les exportateurs offrent un prix, qui, une fois accepté par l’autre partie, les protège des mad. L’Accord contient aussi des règles visant à éviter que les droits perçus soient supérieurs à la marge de dumping. L’article 11 explique l’obligation d’extinction selon laquelle « tout droit antidumping sera normalement supprimé cinq ans au plus tard suite à sa mise en place ». De plus, l’article 12 prévoit une procédure relative à l’avis public que doivent fournir les autorités. Ceci a pour objectif de rendre le processus plus transparent.

Le dernier élément important concerne l’Organe de règlement des différends. En effet, l’article 17 stipule qu’un membre insatisfait des résultats du processus de consultation, ou considérant que la solution mutuellement convenue n’est pas adéquate, pourra faire appel au Mémorandum d’accord sur le règlement des différends et demander la constitution d’un groupe spécial. Ce dernier sera chargé d’évaluer les faits et d’interpréter les dispositions pertinentes de l’Accord afin de formuler ses conclusions.

B — Les grandes tendances dans la résolution de conflits commerciaux liés au dumping

L’une des particularités des litiges portés devant l’ord en regard du dumping est l’omniprésence des pays industrialisés, ce qui n’est guère surprenant si l’on considère qu’ils comptent pour environ 70 % du commerce international. De plus, il faut remarquer qu’une infime partie des mad donnent lieu à un recours devant l’ord. En fait, seulement 59 cas de dumping sur un total de 1804 ont été soumis à l’ord entre 1995 et 2005[48]. Cela s’avère assez surprenant compte tenu de la nature protectionniste de ces mesures.

Un regard attentif sur les activités de l’ord liées aux mad se révèle très instructif. Lorsque l’on consulte la liste des litiges concernant les mad entre 1995 et 2006, on constate que les États-Unis sont le pays le plus visé par des recours (42 %), suivi des Communautés européennes (ce, 11 %) et du Mexique (11 %). Lorsqu’ils sont tous comptabilisés, les pays développés sont ciblés dans plus de 54 % de litiges. Dans le cas des États-Unis, les plaintes proviennent principalement du Canada (20 %), des ce (16 %), du Japon (16 %), du Mexique (16 %) et de la Corée (12 %). Au niveau des pays plaignants, le Mexique a soumis 15 % des litiges entre 1995 et 2006. Les ce sont en deuxième position (14 %), suivies par l’Inde (11 %), le Brésil (11 %), puis par les États-Unis, le Canada et la Corée (6 % chacun). En somme, se sont presque exclusivement des pays industrialisés et quelques nouveaux pays industrialisés qui s’accusent mutuellement auprès de l’ord.

Si l’on se penche sur les secteurs faisant l’objet des plaintes, on observe qu’ils sont sensiblement les mêmes que ceux faisant l’objet de mad, à savoir les métaux, le bois, le papier, le textile et vêtement, et l’agroalimentaire[49]. En ce qui concerne le règlement des litiges, plus de 48 % sont demeurés au stade de la consultation et n’ont donné lieu à aucune suite. En outre, plus de 41 % des litiges ont conduit à un règlement, dont 37 % selon une décision de l’ord et 4 % selon une solution mutuellement convenue entre les parties. Enfin, dans 8 % des cas, les mesures antidumping sont toujours en vigueur bien qu’elles aient été jugées non conformes aux dispositions de l’Accord.

Afin d’étudier plus en détail le processus de règlement des différends portés devant l’ord, nous avons étudié quatre rapports rendus par cette instance sur des cas de dumping. Le premier concerne un litige à propos des droits antidumping définitifs imposés par les Communautés européennes sur les importations de linge de lit en coton en provenance de l’Inde. Le deuxième rapporte le conflit qui oppose le Canada aux États-Unis sur l’exportation de certains bois d’oeuvre résineux. En troisième lieu, nous nous sommes penchés sur l’enquête antidumping ouverte par les États-Unis contre le Mexique concernant le sirop de maïs à haute teneur en fructose. Enfin, nous nous sommes attardés sur le cas des droits antidumping et compensateurs provisoires imposés par le Canada sur le maïs en grains en provenance des États-Unis. Les grandes étapes de ce dernier sont reprises brièvement à titre illustratif. Le lecteur intéressé peut consulter les rapports détaillés sur le portail du Règlement des différends, disponibles en ligne sur le site Internet officiel de l’omc[50].

Dans une décision rendue le 31 décembre 2005, le Gouvernement du Canada impose des droits antidumping et compensateurs provisoires sur les importations de maïs en grain à l’état brut en provenance des États-Unis[51]. Cette décision était basée sur les conclusions de l’enquête du Tribunal canadien du commerce extérieur (tcce) du 30 novembre 2005 qui concluait que « les éléments de preuve indiquent, de façon raisonnable, que le dumping et le subventionnement du maïs-grain à l’état brut ont causé un dommage à la branche de production nationale[52] ». Ainsi, le 17 mars 2006, les États-Unis ont demandé l’ouverture de consultations. Dans leur demande, les États-Unis allèguent que les droits provisoires imposés sont incompatibles avec les obligations du Canada au titre des dispositions du gatt de 1994, de l’Accord antidumping et de l’Accord smc. Le 3 mai 2006, le tcce rendait les conclusions de son enquête à l’effet que « le dumping et le subventionnement des marchandises […] n’ont pas causé et ne menacent pas de causer un dommage à la branche de production nationale[53] ». De plus, « il n’existe pas de lien de causalité entre le dumping et le subventionnement des marchandises en question et le dommage ou la menace de dommage causé à la branche de production nationale ». Enfin, le tribunal ajoute que « le dommage qui a été subi durant la période visée par l’enquête est attribuable à d’autres facteurs, principalement à la fluctuation du taux de change et à des facteurs inconnus[54] ».

À la lumière de cet examen de règlement de litige entre le Canada et les États-Unis, ainsi que dans les trois autres cas précités, il ressort que l’efficacité de la procédure est discutable. En effet, celle-ci est extrêmement complexe du fait des outils d’appel utilisés et du fardeau de la preuve, qui doit être établi. Par ailleurs, près de la moitié de tous les litiges soumis n’ont jamais abouti à l’étude par un Groupe spécial. De plus, seulement 41 % d’entre eux donnent lieu à un règlement, après de multiples contestations devant les différents organes d’appel. Malgré la non-conformité des mesures, les pays visés tardent à rectifier la situation. Cependant, il semble que porter un litige devant l’ord soit profitable. Dans les quatre cas étudiés, les Groupes spéciaux ont conclu que les mesures prises par les pays visés étaient incompatibles avec les dispositions de l’Accord antidumping. L’Union européenne, le Mexique et le Canada ont abrogé leurs mesures suite aux conclusions de l’ord. De plus, il semble que le cas du bois d’oeuvre soit sur la voie d’un règlement.

Face à ce bilan assez mitigé, on ne peut que s’interroger sur la rationalité du code antidumping adopté par l’omc. L’un des aspects positifs est l’augmentation du nombre de plaintes déposées par les pays membres touchant à l’ensemble des mesures commerciales[55]. De plus, il faut souligner qu’un nombre croissant de pays en développement ont recours à l’ord d’où les propos de Jouanneau : « Là où le gatt était désarmé face à l’unilatéralisme, l’omc a introduit sécurité et prévisibilité. Chaque État sait qu’il pourra avoir accès à l’ord s’il s’estime lésé ; aussi puissante que l’autre partie soit[56] ». Cependant, le nombre peu élevé de plaintes (59 sur un total de 1804 mad imposées entre 1995-2005) suscite des interrogations. Il faut se rappeler que l’accord n’interdit pas les mad, mais cherche à préciser les conditions à réunir pour les imposer. En réalité, ces conditions sont basées sur des concepts sujets à interprétation, tels que le préjudice et la valeur normale[57]. Il ne faut alors guère se surprendre du caractère peu contraignant de l’Accord.

Conclusion

L’analyse économique du dumping démontre qu’il s’agit d’un concept difficile à cerner dont les effets sont incertains. Cela mène certains économistes à conclure que non seulement ces mesures antidumping sont inefficaces pour contrer cette pratique, mais encore qu’elles ont des impacts négatifs en agissant trop souvent comme des mesures protectionnistes. Ce phénomène est d’autant plus inquiétant que son expansion semble inévitable dans les années à venir. En effet, les statistiques démontrent clairement que les mad sont de plus en plus invoquées par les pvd qui ont imité l’exemple des pays industrialisés. Face à cet essor des mad, l’Organe de règlement des différends de l’omc manque d’efficacité. La complexité et la longueur des procédures ne sont pas de nature à régler les problèmes urgents qui se posent lorsque surviennent des litiges entre partenaires commerciaux. Dans ces conditions, il semblerait profitable de chercher des alternatives au mad. À ce sujet, certains économistes proposent de miser sur le développement des législations antitrust et sur les mesures de sauvegarde qui apparaissent moins arbitraires et sont de nature à favoriser la concurrence. Il s’agit, selon nous, d’une avenue intéressante à explorer, mais dont l’acceptation par les gouvernements pourrait être laborieuse à obtenir.