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L’évolution du fédéralisme au Québec et au Canada constitue l’un des plus beaux exemples de débat inachevé, aux ramifications multiples, mais aux solutions que l’on garde volontairement sous le boisseau. La réforme constitutionnelle est une boîte de Pandore que pratiquement aucun politicien ne veut ouvrir et il faut quelques faits saillants (en immigration ou en santé, par exemple) pour que ce dossier bouge. D’entrée de jeu, le directeur de l’ouvrage prévient pourtant que « le fédéralisme pratiqué au Canada n’a jamais eu la cote auprès des Québécois » (notre souligné). Si cette affirmation est objectivement exagérée, son ton même souligne l’intérêt, voire la nécessité de nous pencher sur cette question. Ne serait-ce que pour cette raison, nous sommes ici en présence d’un ouvrage qui est le bienvenu.

Le titre que Gagnon a donné à son introduction laisse à penser que son recueil offrira des « regards croisés » sur le fédéralisme, en provenance surtout de politologues, mais aussi de sociologues, de juristes et d’universitaires provenant des univers de la philosophie et du travail social, chercheurs chevronnés ou en émergence, qui scrutent la dynamique fédérale à partir de promontoires divers. Nous devons toutefois déplorer qu’il s’agisse davantage de regards en parallèle posés sur le fédéralisme, car rarement s’interpellent-ils. Il en résulte une compilation d’analyses et d’essais divergents qui ouvrent divers volets annoncés en fonction de quatre grands thèmes : les fondements et traditions sur lesquels repose le fédéralisme canadien ; le système fédéral compris dans une dynamique évolutive marquée par les tensions politico-sociologiques, les vecteurs juridiques ou les pressions internationales ; la gestion du fédéralisme au Canada, des relations fédérales-provinciales jusqu’aux interventions au niveau municipal ; la gestion de la diversité dans un contexte fédéral. L’ouvrage présente enfin, en annexe, un discours que le ministre québécois des Affaires intergouvernementales canadiennes, Benoît Pelletier, a prononcé lors de l’inauguration de la Chaire de recherche du Canada en études québécoises et canadiennes de l’UQAM. Il se dégage de l’ensemble un survol, quoique incomplet, mais à partir duquel il serait possible de faire progresser certains aspects d’un débat trop souvent circulaire.

La première partie de l’ouvrage répond bien à l’exigence d’établir et de situer dans le contexte historique approprié les bases utiles à la compréhension du fédéralisme canadien contemporain. Les contributions de Chevrier et de Karmis se distinguent par les nuances qu’elles apportent dans leurs définitions des incarnations possibles du fédéralisme. La seconde partie est beaucoup plus hétéroclite : à la suite du texte de Rocher qui aurait très bien pu figurer en première partie, nous retrouvons deux analyses (Caron, Laforest et Vallières-Roland et Woehrling) entre lesquelles s’intercalent trois essais au ton parfois ouvertement militant (Lajoie, Seymour, Facal). La troisième partie propose des analyses appliquées à certains domaines politiques. Après la mise en contexte de Gagnon – qui aurait pu être incluse dans la partie précédente – les textes de Noël, de Fortin (plus narratif), de Vaillancourt et Thériault et de Turgeon (à l’intéressante prospective), présentent quelques domaines d’application du fédéralisme dont le choix aurait mérité d’être explicité. Enfin, la quatrième partie explore d’autres domaines d’application tels que la citoyenneté (Cardinal et Brady) et les politiques autochtones (Papillon) avant de revenir à un chapitre théorique portant sur la gestion de la diversité (Burgess) et de clore avec l’analyse comparative de McRoberts, une pièce fort bien ficelée, mais aux références généralement peu récentes.

De cet ensemble, nous pouvons regretter que certains sujets aient été omis : que ce soit le rôle des entités fédérées sur la scène internationale (quoique brièvement abordé par Caron, Laforest et Vallières-Roland et insinué par quelques autres) ou les questions de compétence nommément partagée, il s’agit d’éléments qu’un ouvrage prétendant « se démarquer par son caractère exhaustif » ne pouvait négliger. Sur le plan de la présentation, l’absence d’un index, outil pourtant indispensable dans un recueil de cette envergure, est regrettable. Enfin, le travail de révision avant impression aurait pu être plus attentif puisqu’il subsiste quelques erreurs typographiques impardonnables. On doit surtout déplorer le manque d’uniformité dans le niveau des interventions qui est exacerbé parce que rien n’a été fait pour intégrer le propos. En fait, il n’est pas exagéré de dire que le recueil constitue un exemple concret de la pire lacune que peut présenter un ouvrage collectif : il propose une série de textes sur un thème commun plutôt qu’une réflexion articulée et éclairée par l’apport de plusieurs auteurs. Nous n’avons ni question structurante pour l’ensemble du propos ni de conclusion générale qui pourrait permettre au lecteur de rassembler quelques idées maîtresses et de poursuivre sa réflexion à partir de quelques axes. En fait, les chapitres semblent avoir été construits sans tenir compte les uns des autres. Par exemple, les premiers chapitres offrent des éléments utiles pour l’analyse, mais on les retrouve difficilement dans les exposés qui suivent, à l’exception de celui de Caron, Laforest et Vallières-Roland. Avec celui de Gagnon qui le fait de manière incidente, ce sont les seuls endroits où des références explicites à d’autres contributions sont avancées. Gagnon traite par contre du fédéralisme asymétrique en parfaite ignorance de ce que Seymour développe dans la section précédente de l’ouvrage, et vice-versa. Cette remarque s’applique aussi au chapitre de McRoberts qui traite du même sujet. En fait, si certains auteurs se citent mutuellement, ils le font sans tenir compte des contributions au présent volume. Certes, les brèves présentations en épigraphe des diverses sections se veulent les précurseurs d’une certaine cohésion, mais cela n’est pas suffisant puisqu’elles n’offrent qu’un paragraphe général suivi des résumés des chapitres à venir, autant d’éléments qui devraient en principe se trouver dans l’introduction. Ici, l’effort de fusion amorcé par le regroupement des contributions en fonction de quatre axes n’est qu’un premier pas en vue d’une intégration du propos, malheureusement restée inachevée. En conséquence, l’ouvrage ne dépasse pas la somme de ses parties.

Au-delà de ces lacunes qui sont davantage liées au travail du directeur de publication, les meilleurs textes pourront s’avérer de précieux outils pour l’enseignement dans les cours de fin de parcours de premier cycle universitaire de même que nourrir la réflexion dans les séminaires de deuxième et de troisième cycles dans la plupart des champs disciplinaires intéressés par le fédéralisme. L’ouvrage pourrait aussi s’adresser à un assez vaste public puisque les auteurs ont pris soin de rendre leur propos clair, largement dépourvu d’un jargon hermétique auquel le sujet se prête pourtant bien. Somme toute, nous sommes ici en présence d’un certain nombre d’analyses souvent solides qui apportent un regard la plupart du temps original sur une question aux composantes trop largement tenues pour acquises. Même si les essais reprennent des arguments souvent entendus, plusieurs des chapitres analytiques de ce volume offrent la possibilité de renouveler le débat. Étudiants et analystes des questions fédérales s’en réjouiront.