Corps de l’article

Introduction

Au Québec, une importante réforme de l’éducation est présentement en cours (MEQ, 2001). Ce renouveau pédagogique vise le développement global de l’élève et comprend à la fois des compétences spécifiques à chaque discipline et des compétences transversales qui transcendent les disciplines. Il est maintenant clair que l’éducation des jeunes repose sur une responsabilité partagée entre les établissements scolaires et la société, plus spécifiquement entre l’école, la famille et la communauté (Deslandes et Bertrand, 2001 ; Deslandes, 2006). Cette concertation souhaitée entre les acteurs pose plusieurs défis et nécessite des transformations profondes pour vivre d’autres finalités et d’autres valeurs (Rivard, Deslandes, Lebel et Ouellet, accepté).

Or la représentation des valeurs de chacun des groupes d’acteurs constitue la pierre angulaire de tout changement important. L’école a donc la responsabilité d’assurer une cohérence entre les valeurs qu’elle vise à promouvoir et celles qu’elle incarne, tant par son organisation que par ses pratiques (MEQ, 2003) et son statut au sein de la communauté. Par conséquent, les enseignants doivent être conscients des valeurs qu’ils véhiculent. De même, les buts et les valeurs des parents, à titre de premiers agents de socialisation auprès de leur enfant, ont également un impact sur leurs pratiques parentales (Darling et Steinberg, 1993 ; Deslandes, 1996). Par exemple, le degré d’investissement parental dans une valeur est susceptible de prédire jusqu’à quel point le parent défendra cette valeur et utilisera des stratégies contrôlantes auprès de son enfant (Padilla-Walker et Thompson, 2005).

C’est dans un contexte de recherche de cohérence et de cohésion entre les parents et les professionnels oeuvrant auprès des jeunes que se situe l’étude actuelle. Dans un premier temps, il importe que les professionnels, notamment les futurs enseignants, prennent conscience de leurs propres valeurs et de celles de leurs parents. En clair, avant de penser à transmettre des valeurs, il faut d’abord cerner son propre système de valeurs et en connaître certaines de ses origines.

En plus du contexte de renouveau pédagogique, cette étude se situe également dans une perspective de meilleure connaissance des valeurs des membres de la génération Y ou des écho-boomers. En effet, les futurs enseignants visés ici sont âgés entre 18 et 25 ans (Fitzgerald, 2003). D’après Strauss (cité dans Fitzgerald, 2003), ces jeunes sont les enfants des baby-boomers et les petits-enfants de la plus grande des générations, celle qui a vécu la crise de 1929 et remporté la Deuxième Guerre mondiale. Ce texte fait suite à un article qui s’est attaché à identifier les valeurs de ces jeunes (Parent, Paré et Deslandes, 2006). Dans le présent article, il s’agit de vérifier jusqu’à quel point les valeurs des futurs enseignants, membres de la génération Y, sont similaires ou différentes de celles de leur mère et de leur père, membres de la génération des baby-boomers. Il sera aussi intéressant d’examiner, toujours selon la perception des jeunes, dans quelle mesure les valeurs de leur mère et celles de leur père, en tant que conjoints, diffèrent ou convergent.

Recension des écrits

Une panoplie d’études a été menée sur le système de valeurs des jeunes et de leur famille. Périodiquement, ce concept est ravivé et retient l’attention de chercheurs provenant de disciplines aussi variées que la sociologie, la psychologie sociale, la psychoéducation, l’anthropologie, les sciences économiques, les sciences de l’éducation, etc. Grâce à des chefs de file tels que Gecas (2000), Kasser et Ryan (1996), Konty (2002), Rokeach (1973), Schwartz (1992, 1994) ainsi qu’à des enquêtes d’envergure internationale comme ARVAL (Galland et Roudet, 2001) et EVS (Inglehart, Basanez et Moreno, 1998), des avancées ont été réalisées quant à la nature des valeurs, leur origine et leur transmission.

Quelques définitions et nomenclatures

Bien qu’il y ait maintenant consensus quant à la définition du concept de valeur, il en va tout autrement pour les autres concepts qui y sont associés, tels les croyances, les attitudes et les opinions. D’emblée, voici les définitions qui sont privilégiées dans le cadre de la présente étude. En nous basant sur les propos de plusieurs auteurs (Marini, 2000 ; Schwartz et Bilsky, 1987 ; Rocher, 1969 ; Schwartz et al., 2001), nous définissons les valeurs comme des croyances sur des façons d’être ou d’agir, reconnues comme idéales, qui guident l’évaluation que la personne se fait des événements et des comportements et qui sont ordonnées dans un système en fonction de leur importance relative (Padilla-Walker et Thompson, 2005). Une attitude est une organisation plutôt stable de croyances reliées à un objet ou à une situation qui prédispose une façon d’agir ou d’être. Toutes les croyances sont des prédispositions de l’action. Une opinion est définie comme l’expression verbale d’une croyance, d’une attitude ou d’une valeur (Rokeach, 1973). Notre étude s’appuie sur un questionnaire d’opinions ayant pour but de cerner les valeurs des jeunes et la perception qu’ils ont des valeurs de leurs parents. Le terme congruence revêt son importance dans la mesure où il est défini en termes de similitude et d’importance. Ainsi, selon Rokeach (1973), l’absence de différences significatives dans les valeurs de différents groupes d’acteurs signifie qu’il y a une très grande congruence entre les valeurs des individus ciblés.

Différentes nomenclatures des valeurs ont été mises de l’avant. La plupart sont étroitement liées aux valeurs universelles de l’UNESCO (Tillman, 2000) et comprennent des valeurs telles que l’amitié, l’amour, le bonheur, la coopération, l’égalité, la famille, l’honnêteté, l’intégration, la justice, la liberté, la paix, la persévérance, le respect, la responsabilité, la réussite, la santé et la solidarité. D’autres nomenclatures suggèrent des regroupements de valeurs par catégories. À titre d’illustration, dans leur étude menée auprès de 500 élèves du secondaire, Buidin, Petit, Galand, Philippot et Born (2000) ont relevé des valeurs d’intimité qui mettent l’accent sur la proximité émotionnelle avec soi et autrui (avoir des amis ; partager sa vie avec quelqu’un qu’on aime), des valeurs matérialistes prônant la réussite professionnelle et l’image de soi (réussir financièrement et être un leader ou un dirigeant) et des valeurs prosociales centrées sur l’altruisme et la contribution à la société (être utile aux autres, participer à des mouvements politiques). Pour leur part, Royer, Pronovost et Charbonneau (2004), qui se basent sur Boudon (2002), parlent plutôt de valeurs de légitimité (représentations de la famille, du mariage, du travail, de la religion, de la morale, de la vie, de la mort, du loisir), de valeurs d’action qui incluent les valeurs de sociabilité (l’entraide, la solidarité, l’amitié, la tolérance, la liberté, la justice, les rapports à la politique, à l’économie) et de valeurs personnelles qui renvoient aux représentations associées à l’image de soi et aux réalisations. À l’instar d’Assogba (2004), notre étude opte pour un regroupement basé sur cinq domaines de valeurs : famille, travail, amitié, politique et religion, qui s’insèrent dans l’un ou l’autre des regroupements mentionnés précédemment.

Sources d’influence sur les valeurs

Les agents de socialisation qui influencent les valeurs des jeunes sont multiples et incluent non seulement les parents, mais également les enseignants, les amis, les médias et la communauté (Padilla-Walker et Thompson, 2005). Parmi les facteurs d’influence individuels les plus souvent mentionnés figurent l’âge, le sexe et l’éducation (Hitlin et Piliavin, 2004). L’âge corrèle plus positivement avec le conservatisme, la tradition, la conformité et la sécurité et, plus négativement, avec l’ouverture au changement, l’autonomie et la stimulation. Les individus plus âgés sont plus préoccupés par le bien-être des autres, la bienveillance et la générosité que par le pouvoir et le succès (Kohn et Schooler, 1983 ; Sagiv et Schwartz, 2000). Les hommes préfèrent le pouvoir alors que les femmes priorisent la bienveillance (Sagiv et Schwartz, 2000). Selon les études de Beutel et Marini (1995) ainsi que de Marini, Fan, Finley et Beutel (1996), les femmes, comparativement aux hommes, obtiennent des résultats plus élevés quant aux valeurs intrinsèques, altruistes et sociales (préoccupation pour les autres), alors que les scores des hommes sont plus élevés en matière de matérialisme (bénéfices et compétition). Par rapport au travail, les femmes sont plus enclines à favoriser l’indépendance que les hommes (Xiao, 1999). Les gens plus scolarisés priorisent les valeurs reliées à l’autonomie et la stimulation plutôt que la conformité et la tradition (Kohn et Schooler, 1983).

Transmission des valeurs sur le plan intergénérationnel

Dans leur étude longitudinale menée sur deux générations au sujet des valeurs des jeunes et celles de leurs parents, Bengtson, Biblarz et Roberts (2002) ont mis en évidence trois types d’influence intergénérationnelle par rapport à la transmission des valeurs : 1) le statut socioéconomique des parents ; 2) l’apprentissage social ; et 3) la solidarité intergénérationnelle. Les attitudes et les valeurs des parents sont reliées de près à leur scolarité et à leur profession. Par exemple, les parents dont le travail valorise l’autonomie, la créativité et la prise de risque sont plus susceptibles de cultiver ces comportements dans leur style éducatif parental et leurs stratégies de communication. Ayant intériorisé ces valeurs, les jeunes recherchent à leur tour une éducation, un travail et des situations de vie qui renforcent la créativité et la prise de risque. L’investissement des parents dans des ressources sociales et culturelles pour leur enfant influe sur le développement de ses valeurs (Gecas et Seff, 1990 ; Ingelhart, 1990). Kasser, Ryan, Zax et Sameroff (1995) ont remarqué que les jeunes les plus matérialistes provenaient davantage de familles à faibles revenus.

L’apprentissage social (Bandura, 1997) s’effectue principalement par l’enseignement, le renforcement positif et négatif ainsi que l’imitation (modeling) des parents. Les jeunes ont tendance à imiter leurs parents et à reproduire ce même processus avec leurs propres enfants (Bengtson et al., 2002). Certains auteurs affirment qu’il y a une plus grande convergence dans les valeurs d’une dyade parent-enfant du même sexe (Maccoby et Martin, 1983). Par ailleurs, Simons, Whitbeck, Conger et Melby (1990) suggèrent que les valeurs des mères sont plus influentes que celles des pères. Kohn, Slomczynski et Schoenbach (1986) ont quant à eux conclu que l’influence des pères et des mères sur les valeurs des jeunes est semblable et que les valeurs des parents sont affectées par leur scolarité et leur statut socioéconomique.

La qualité de la relation parent-enfant joue un rôle clé dans la transmission des valeurs sur le plan intergénérationnel (Bengtson et al., 2002). La solidarité affective est caractérisée par un grand soutien, un attachement stable, une bonne communication et un respect mutuel (Silverstein et Bengtson, 1997). Les jeunes qui se sentent aimés et respectés par leurs parents sont aussi enclins à adopter des valeurs qui sont davantage collectives (Kurdek et Fine, 1994). Dans leurs travaux, Bengtson et son équipe (2002) ont observé des corrélations significatives entre les valeurs des jeunes et celles de leurs parents. Ils ont alors conclu que les parents, voire les familles, exercent toujours une influence importante dans la transmission des valeurs à leurs jeunes.

Valeurs des jeunes adultes québécois

Lors d’une étude réalisée auprès de 33 québécois âgés de 25 à 30 ans, Charbonneau (2004) a souligné la place prépondérante de la famille et du travail dans le système de valeurs des individus interviewés. Ces résultats rejoignent ceux provenant des enquêtes antérieures menées auprès de jeunes adultes québécois (Dion, 1990 ; Langlois, 1990 ; Lazure, 1990). Charbonneau (2004) y apporte toutefois des nuances et des précisions. À titre d’exemple, la vie à deux demeure une visée pour atteindre le bonheur, mais elle est porteuse de fortes attentes réciproques. Le désir d’enfant est toujours présent, quoique limité chez les femmes célibataires qui se veulent plus nombreuses. Sur le plan du travail, les jeunes recherchent davantage un emploi qui leur permettra de se réaliser sur le plan personnel. La poursuite des études est perçue comme un moyen leur permettant de réaliser leur rêve. Les relations amicales revêtent aussi une grande importance. Pour ce qui est de la politique et de la religion, il semble que les jeunes adultes québécois de la fin des années 1990 et du début des années 2000, comparés à leurs prédécesseurs, leur accordent moins d’importance (Assogba, 2004 ; Langlois, 1990).

Bref, bien qu’il existe une kyrielle d’études portant sur les valeurs des jeunes, beaucoup d’entre elles ont été effectuées sur le plan international (Boudon, 2002 ; Inglehart et al., 1998). D’autres, menées sur le territoire québécois, se sont adressées aux adolescents et à leurs parents (Royer, Pronovost et Charbonneau, 2004). Parmi celles qui se sont intéressées aux jeunes adultes québécois, plusieurs ont utilisé un échantillon restreint et l’entrevue comme méthode de collecte de données (Charbonneau, 2004 ; Gilbert et Parazelli, 2004). À notre connaissance, aucune d’entre elles ne s’est adressée spécifiquement aux futurs enseignants afin de mieux connaître leurs valeurs et celles de leurs parents et, notamment, à partir de questionnaires d’opinions.

Objectifs de l’étude

La présente étude s’insère dans une recherche plus vaste qui visait deux objectifs principaux. Dans un premier temps, il s’agissait de connaître l’opinion des jeunes sur différents énoncés regroupés en cinq thèmes correspondant à cinq domaines de valeurs fondamentales (famille, travail, amitié, politique et religion) et de leur accorder un ordre d’importance (Parent, Paré et Deslandes, 2006). Par la suite, l’étude se proposait de vérifier les relations entre les valeurs exprimées par les jeunes et celles de leur mère et de leur père, et entre leurs parents, en tant que conjoints, selon la perception qu’en ont les jeunes eux-mêmes. Le texte actuel porte sur ce deuxième objectif. Les deux questions qui ont guidé cette démarche de recherche se lisent comme suit : 1) Dans quelle mesure les valeurs des futurs enseignants membres de la génération Y correspondent-elles à celles de leur mère et de leur père issus de la génération des baby-boomers ? 2) Existe-t-il des différences dans les valeurs privilégiées par les parents à titre de conjoints ? En clair, il s’agit surtout de vérifier la continuité des valeurs entre la génération Yet la génération qui l’a précédée et la congruence entre les valeurs des parents, à titre de conjoints.

Méthodologie

Participants

Les participants sont des étudiantes et des étudiants inscrits dans les programmes en formation initiale des enseignants à l’Université du Québec à Trois-Rivières. Exactement 365 questionnaires d’opinions ont été distribués à l’ensemble des étudiants inscrits aux cours EEI-1015 - Inclusion en classes ordinaires des élèves en difficultés. Ces étudiants sont majoritairement des femmes (femmes = 298, 81,64 % ; hommes = 67, 18,36 %) dont l’âge moyen est 23,5 ans (écart-type de 5,08) et ils sont en cours de formation dans différents programmes d’enseignement (voir Tableau 1). 307 participants, âgés entre 18 et 45 ans, ont retourné leur questionnaire sur une base volontaire, représentant un taux de réponse équivalent à 84,10 %. Pour les fins de la présente étude, seuls les 244 participants âgés entre 18 et 25 ans ont été retenus dans l’échantillon final, car ils répondent aux critères d’inclusion à la Y, tels que définis par Tapscott (1999).

Tableau 1

Programmes de formation initiale en enseignement

Programmes de formation initiale en enseignement

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Procédures

Le questionnaire a été distribué dans le cadre du cours EEI-1015 - Inclusion en classe ordinaires des élèves en difficultés lors de la fin de la première rencontre de la session d’hiver 2006. Après avoir été informés des objectifs de l’étude, les étudiants pouvaient soit le remplir sur place pour le remettre au professeur qui animait le cours ou bien l’apporter chez eux pour le compléter et le remettre la semaine suivante. Les étudiants ont été avisés qu’ils étaient libres d’y répondre et qu’aucun renseignement ne permettrait de les identifier par la suite.

Instruments de mesure

Le Questionnaire portant sur les valeurs des jeunes et de leurs parents a été élaboré pour les fins de la présente recherche. Il contient trois sections : 1) une première section portant sur les renseignements sociodémographiques du participant ; 2) une deuxième qui dresse la liste des cinq thèmes du questionnaire ; et 3) une troisième visant à mesurer l’opinion du participant ainsi que sa perception de l’opinion de sa mère et de son père, en lien avec les énoncés portant sur la famille (26 énoncés), la politique (16 énoncés), la religion (18 énoncés), le travail et l’école (26 énoncés) ainsi que l’amitié (8 énoncés). Pour formuler les énoncés, nous nous sommes inspirés des auteurs ayant participé au collectif dirigé par Pronovost et Royer (2004) (Assogba, 2004 ; Gendron et Hamel, 2004 ; Gilbert et Parazelli, 2004 ; Royer, Pronovost et Charbonneau, 2004 ; Roy, 2004). Les énoncés ont ensuite été soumis à des professeurs experts afin de recevoir les commentaires permettant de réaliser la version finale qui a par la suite été soumise aux participants. Dans un premier temps, les professeurs experts étaient invités à juger chacun des énoncés à l’aide d’une échelle de type Likert en six points allant de Totalement en désaccord (1 point) jusqu’à Totalement en accord (6 points). Dans un deuxième temps, le participant devait aussi fournir sa perception de l’opinion de sa mère et de son père. Chacun des énoncés apparaissant sous l’égide d’un domaine de valeurs fondamentales est autonome et ne s’insère donc pas dans une échelle globale.

Résultats

Cette étude visait à vérifier si les valeurs des futurs enseignants membres de la génération Y correspondent à celles de leur mère et de leur père et s’il existe des différences dans les valeurs privilégiées par leurs parents, à titre de conjoints, issus de la génération des baby-boomers. Afin de déterminer s’il existe des différences de profil dans l’opinion des divers groupes d’acteurs concernés, nous avons effectué une série de tests-T pairés. Seules les analyses significatives à 0,002 (après correction Bonferroni) ont été retenues. Nous débutons par un bref rappel des principaux résultats de la première étude en lien avec les opinions des futurs enseignants dans les cinq domaines de valeurs retenus (pour plus de détails, voir Parent, Paré et Deslandes, 2006).

Résultats d’une première étude sur les valeurs des futurs enseignants

Les répondants considèrent la famille comme étant la plus importante des valeurs, suivie par l’amitié, le travail, la politique et la religion. Voici les résultats les plus probants dans chacun des domaines de valeurs, c’est-à-dire les énoncés avec lesquels les répondants étaient le plus en désaccord (score de 2 ou moins sur 6) et ceux avec lesquels ils étaient le plus en accord (score de 5 et plus sur 6) (voir tableaux 2 à 5).

Domaine de la famille

Les participants sont, en très grande proportion, en accord avec l’idée d’avoir des enfants, de pouvoir divorcer, de donner le droit aux gais et lesbiennes de se marier et de donner priorité à la famille comme valeur. Ils croient aussi à l’importance d’être fidèles dans le couple et de communiquer avec son conjoint. Par ailleurs, ils sont en désaccord avec les faits suivants : qu’il revient à la mère de prendre soin des jeunes enfants, qu’une femme et un homme devraient se marier vierges, qu’il faut être marié pour avoir un enfant, qu’une femme doit obéir à son conjoint, qu’un mari et son épouse doivent voter pour le même parti politique et que l’on doit être prêt à voler pour subvenir à un membre de sa famille dans le besoin.

Domaine du travail et de l’école

Les futurs enseignants croient qu’un travail doit permettre de se développer et de se réaliser, et ce, même s’il n’est pas lucratif ; ils croient qu’il faut être heureux dans son travail ou le quitter si on ne l’est pas, qu’il faut avoir du temps pour soi pour des activités personnelles et que les loisirs sont très importants. À l’inverse, ils ne croient pas qu’un mari devrait faire vivre sa femme ou que celle-ci doive rester à la maison. Ils se disent capables de travailler longtemps dans un emploi qu’ils n’aiment pas et estiment que les patrons sont nécessairement plus intelligents que les employés. Ils considèrent que plus un travail est difficile, plus il est lucratif. De même, ils ne pensent pas que l’on doive abolir les prestations de revenu garanti et l’assurance-chômage, que le travail est un moyen qui sert uniquement à apporter des moyens matériels pour bien vivre, qu’il faut empêcher les travailleurs de faire du temps supplémentaire, et que les personnes qui sont riches ont travaillé fort pour l’être. Finalement, ils n’ont ni l’intention de travailler jusqu’à leur mort ni de travailler à temps partiel toute leur vie.

Domaine de l’amitié

Les répondants affirment avoir des amis et qu’ils sont importants pour eux. Ils sont d’accord pour leur raconter leurs rêves, leurs idéaux. Ils ne croient pas pouvoir vivre heureux sans avoir d’ami.

Domaine de la politique

Les participants sont en faveur de plus longues années d’emprisonnement pour les criminels et de l’abolition des dictatures. Par contre, ils ne font pas confiance aux politiciens ; ils ne croient pas que ceux-ci prennent de bonnes décisions, mais sont en faveur d’une augmentation de salaire pour les députés, ministres et premiers ministres. Ils croient que la guerre devrait être permise si elle favorise la paix dans le pays, qu’il faut légaliser la prostitution, augmenter les frais de scolarité dans les universités et baisser les taxes, quitte à couper dans les services.

Domaine de la religion

Les futurs enseignants croient que tous les gens sont égaux. Ils se disent non pratiquants. Ils ne pensent pas que Dieu récompense les bons et punit les méchants, qu’il y aura la résurrection des morts un jour et que les gens qui ont mené une mauvaise vie iront en enfer. Ils sont en désaccord avec l’idée que les religions devraient être soutenues à partir des taxes et non des quêtes ou que les lois votées par les gouvernements doivent respecter les prescriptions des religions. Ils ne croient pas que la foi est quelque chose de personnel et qu’il ne faut jamais en parler. Ils ne considèrent pas que les gens de leur race sont supérieurs aux autres races. Ils ne sont pas d’accord avec le fait d’euthanasier un bébé qui naît lourdement handicapé, même si les parents le demandent. Finalement, ils sont contre le port du voile par les femmes islamiques.

Comparaison entre les valeurs des futurs enseignants et celles de leurs parents

Domaine de la famille

Lorsqu’ils sont comparés à leur mère et à leur père, bien qu’ils soient en accord avec eux, les jeunes inscrits en formation initiale en enseignement se disent moins en faveur du mariage et plus en faveur du divorce et de l’avortement. Ils sont davantage en accord avec les mariages entre gais et lesbiennes et avec le fait qu’ils puissent avoir des enfants ou en adopter. Ils croient plus à l’importance de la communication dans le couple et pensent moins que les enfants doivent respect et obéissance à leurs parents en tout temps.

Ils sont encore plus en désaccord que leur mère et leur père quand il s’agit de croire que c’est à la mère de prendre soin des jeunes enfants, que les femmes et les hommes devraient se marier vierges, qu’il faut être marié pour avoir un enfant, qu’une femme doit obéir à son conjoint et qu’un mari et son épouse doivent voter pour le même parti politique. Ils se différencient de leur mère dans le sens qu’ils sont moins d’accord qu’elle à l’effet que les parents doivent aider financièrement un enfant dans le besoin toute sa vie et avec l’euthanasie lorsqu’une personne le demande. Ils se démarquent de leur père, car ils sont plus en accord qu’eux pour que les enfants aident financièrement leurs parents dans le besoin et pour investir dans une thérapie conjugale si la relation de couple ne fonctionne pas.

Ils sont toutefois aussi d’accord que leur mère et leur père par rapport au désir d’avoir des enfants, à l’importance accordée à la famille comme valeur et à celle d’être fidèle à sa conjointe ou son conjoint ; comme leurs parents, il se disent prêts à mettre fin à la relation si leur partenaire est infidèle. Toujours à l’instar de leur mère et leur père, ils sont pour le suicide assisté, tant pour le parent ou l’enfant malade, ou encore pour l’euthanasie quand la personne le demande. Ils sont autant en désaccord que leurs parents avec la garde partagée des enfants obligatoire lors d’un divorce et avec l’idée d’être prêt à voler pour aider un membre de leur famille dans le besoin.

Les participants perçoivent leur mère, en tant que conjointe, plus en faveur que leur père lorsqu’il est question de l’importance de la fidélité et de la communication dans le couple et de s’investir dans une thérapie conjugale si la relation de couple ne fonctionne pas, de l’obligation pour les enfants d’aider financièrement leurs parents dans le besoin toute leur vie et de donner droit aux gais et lesbiennes de se marier et d’avoir des enfants ou d’en adopter. Ils perçoivent leur mère plus en désaccord que leur père avec l’idée qu’il revient à la mère de prendre soin des jeunes enfants, qu’une femme doit obéir à son conjoint et qu’il doit y avoir obligatoirement la garde partagée pour les enfants à la suite d’un divorce.

Tableau 2

Comparaison entre les participants et leur mère et leur père comme parents et comme partenaires en lien avec le domaine de la FAMILLE : moyennes, écarts-types et Tests-T

Comparaison entre les participants et leur mère et leur père comme parents et comme partenaires en lien avec le domaine de la FAMILLE : moyennes, écarts-types et Tests-T

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Domaine du travail et de l’école

Les participants ont une opinion plus rébarbative que leurs deux parents quand il s’agit pour un mari de faire vivre sa femme et que celle-ci reste à la maison, de voir le travail comme un moyen qui sert uniquement à leur apporter des moyens matériels pour bien vivre, d’être prêts à travailler toute leur vie pour le même employeur ou de travailler longtemps dans un emploi qu’ils n’aiment pas et de penser que les personnes riches ont travaillé fort pour le devenir.

Par rapport à leurs parents, qu’ils perçoivent en accord l’un avec l’autre, les futurs enseignants le sont encore davantage quant à l’importance des loisirs, la nécessité d’avoir du temps pour soi pour des activités personnelles et de pouvoir quitter un travail si on n’y est pas heureux. Encore plus que leurs parents, ils croient qu’un travail doit permettre de se développer et de se réaliser, même s’il n’est pas payant. Ils se disent davantage prêts à faire du bénévolat s’ils n’ont pas d’emploi. Comparativement à leur mère, ils ont une opinion plus défavorable quant aux faits de travailler à temps partiel toute leur vie et que les patrons sont nécessairement plus intelligents que les employés. Comparativement à leur père, ils se disent moins d’accord pour travailler le plus tôt possible, pour obtenir un emploi payant, pour devenir riche et pour considérer le travail comme une valeur importante. Ils sont cependant plus opposés que leur père à l’abolition des prestations de revenu garanti et de l’assurance-chômage.

Comme leurs deux parents, ils désirent travailler toute leur vie dans le même domaine et croient qu’il faut aller à l’école pour réussir. Tout comme eux, ils ne pensent pas vraiment que plus un travail est difficile, plus il est payant, qu’il faut empêcher les travailleurs de faire du temps supplémentaire ou qu’il faut travailler jusqu’à sa mort. Ils ne désirent pas non plus détenir un poste cadre avec des responsabilités importantes dans leur emploi. À l’image de leurs parents, ils sont à peu près neutres lorsqu’il est question de réduire la semaine de travail pour tous et de considérer le syndicat comme essentiel dans un milieu de travail.

Selon la perception des participants, leur père, comparativement à leur mère, considère qu’il est plus important de travailler le plus tôt possible et d’avoir un emploi payant. Leur père est plus dissident que leur mère pour ce qui est de travailler à temps partiel toute leur vie et de faire du bénévolat s’ils n’ont pas d’emploi. Par contre, ils sont moins en désaccord qu’elles pour abolir les prestations de revenu garanti et l’assurance-chômage et pour détenir un poste cadre avec des responsabilités importantes dans leur emploi. Selon les participants, leur père considère le travail comme une valeur plus importante que leur mère.

Tableau 3

Comparaison entre les participants et leur mère et leur père comme parents et comme partenaires en lien avec le domaine du TRAVAIL et de l’ÉCOLE : moyennes, écarts-types et tests -T

Comparaison entre les participants et leur mère et leur père comme parents et comme partenaires en lien avec le domaine du TRAVAIL et de l’ÉCOLE : moyennes, écarts-types et tests -T

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Domaine de l’amitié

Les participants disent avoir plus d’amis que leurs parents et accorder plus d’importance à l’amitié comme valeur. Ils se déclarent plus enclins à raconter leurs rêves, leurs idéaux à leurs amis et préfèrent plus que leurs parents faire des activités sportives ou culturelles avec leurs amis au lieu de les faire seuls. Ils sont plus en faveur d’aider financièrement un ami dans le besoin. Par contre, ils sont encore plus en désaccord que leurs parents avec le fait de pouvoir vivre heureux sans avoir d’ami. Par rapport à leur mère, ils sont moins opposés qu’elle à l’idée de dénoncer un de leurs amis qui commet un acte illégal.

Pour ce qui est de leur père et de leur mère considérés en tant que conjoints, ils les perçoivent tous les deux sur la même longueur d’onde en ce qui a trait à l’amitié, sauf lorsqu’il est question de raconter ses rêves et ses idéaux à leurs amis ; leur mère, dans ce cas, est encore plus positive que leur père.

Tableau 4

Comparaison entre les participants et leur mère et leur père comme parents et comme partenaires en lien avec le domaine de l’AMITIÉ : moyennes, écarts-types et tests-T

Comparaison entre les participants et leur mère et leur père comme parents et comme partenaires en lien avec le domaine de l’AMITIÉ : moyennes, écarts-types et tests-T

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Domaine de la politique

Comparativement à leurs parents, les futurs enseignants de la génération Y sont moins en défaveur de la légalisation de la marijuana et de la prostitution. Toutefois, ils sont plus défavorables à une réduction des taxes, quitte à couper dans les services. Par ailleurs, ils sont moins en accord que leurs parents quant au fait d’aller voter à toutes les élections et de donner de plus longues années d’emprisonnement aux criminels. Contrairement à leur père et à leur mère, les futurs enseignants sont plutôt en accord pour lutter contre la pauvreté, quitte à augmenter les impôts. Ils sont plus négatifs que leur père quand il s’agit de croire que la guerre devrait être permise si elle permet d’apporter la paix dans le pays et si elle met fin à des conflits, de même que pour imposer la peine de mort et pour considérer la politique comme valeur importante pour eux.

À l’instar de leurs parents, ils ne font pas confiance aux politiciens et ne croient pas que ceux-ci prennent de sages et de bonnes décisions. Ils ne croient pas non plus qu’il faut accorder des augmentations de salaire aux députés, ministres et premiers ministres et augmenter les frais de scolarité. Pareillement, ils appuient l’abolition des dictatures. Ils ne se différencient pas de leurs parents en ce qui touche l’appui à l’indépendance du Québec. Bien qu’ils soient un peu en accord et leurs parents un peu en désaccord, aucune différence statistiquement significative entre les scores n’est relevée.

Selon les participants, leur mère se distingue de leur père de diverses façons. Par rapport à l’indépendance du Québec, elles sont perçues comme un peu en désaccord tandis que les pères sont perçus comme un peu en accord. Les mères sont encore plus défavorables que les pères à la peine de mort et à la guerre. Toutefois, elles sont moins défavorables qu’eux à la lutte contre la pauvreté par l’augmentation des impôts.

Tableau 5

Comparaison entre les participants et leur mère et leur père comme parents et comme conjoints en lien avec le domaine de la POLITIQUE : moyennes, écarts-types et tests-T

Comparaison entre les participants et leur mère et leur père comme parents et comme conjoints en lien avec le domaine de la POLITIQUE : moyennes, écarts-types et tests-T

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Domaine de la religion

Les futurs enseignants de la génération Y sont, comparativement à leurs deux parents, plus rébarbatifs à l’idée que Dieu récompense les bons et punit les méchants, qu’il y aura la résurrection des morts un jour, que l’enfer existe et que les gens qui ont mené une mauvaise vie iront y brûler. Ils sont aussi moins en accord qu’eux avec l’idée que les lois votées par les gouvernements doivent respecter les commandements de Dieu ou les prescriptions des religions, ou avec celle que les gens de leur race sont supérieurs aux autres races. Ils se disent aussi moins pratiquants. Toutefois, ils sont moins en opposition avec le fait que les religions sont toutes égales et qu’elles se valent toutes. Comparativement à leur mère, ils sont plus en désaccord pour soutenir les religions à partir des taxes et non des quêtes. Leur opinion diverge de celle de leur mère au sens où ils ne croient pas en l’existence de Dieu ou à une âme éternelle. Ils ne perçoivent pas la religion comme une valeur importante tandis que leur mère le croit. Ils sont aussi moins en accord qu’elle au sujet de la vie après la mort.

Par rapport à leur père, ils croient davantage que tous les gens sont égaux. Pareillement à leurs parents, ils ne tolèrent pas l’obligation pour les femmes islamiques de porter le voile et de percevoir la foi comme quelque chose de personnel. Ils sont également en accord avec eux pour affirmer leur croyance ou leur athéisme devant d’autres personnes.

D’après la perception des futurs enseignants, leur mère se différencie de leur père à plusieurs égards. Ainsi, leur mère semble moins opposée que leur père à l’idée que Dieu récompense les bons et punit les méchants, à l’idée qu’il faut pratiquer ou qu’il y aura la résurrection des morts un jour. Elle est aussi moins opposée aux faits que les religions devraient être soutenues à partir des taxes et non des quêtes, que les gens qui ont mené une mauvaise vie iront en enfer. Leur mère se démarque du père, car elle considère la religion comme une valeur importante et croit avoir une âme éternelle. Elle est plus d’accord que le père avec l’idée de la vie après la mort et que tous les humains sont égaux. Elle est plus en désaccord avec leur conjoint pour considérer les gens de leur race supérieurs aux autres races et pour euthanasier un bébé qui naît lourdement handicapé si les parents le demandent.

Tableau 6

Comparaison entre les participants et leur mère et leur père comme parents et comme partenaires en lien avec le domaine de la RELIGION : moyennes, écarts-types et tests-T

Comparaison entre les participants et leur mère et leur père comme parents et comme partenaires en lien avec le domaine de la RELIGION : moyennes, écarts-types et tests-T

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Discussion

Le premier objectif de cette étude était de comparer les valeurs des futurs enseignants membres de la génération Yà celles de leur mère et de leur père issus de la génération des baby-boomers. Au terme de cette étude, et en nous inspirant en partie de Boudon (2002) et de Bengtson et al. (2002), nous concluons à une similarité et une continuité des valeurs des participants avec celles qu’ils perçoivent chez leur mère et leur père ; aussi, cette étude relève l’absence de différence significative entre les deux générations. Autrement dit, l’opinion des participants et leur perception de celle de leurs parents sont identiques. La notion de continuité signifie que même s’il y a un écart significatif, les opinions se situent sur le même continuum allant du moins au plus en désaccord et du moins au plus en accord.

Similitude des valeurs

Les données montrent une congruence parfaite entre les valeurs des futurs enseignants et celles qu’ils perçoivent chez leurs parents par rapport à certains énoncés se retrouvant dans quatre des cinq domaines de valeurs à l’étude : 1) famille ; 2) travail et école ; 3) politique ; et 4) religion. Dans le domaine de la famille, cette congruence se situe aux plans de la place prépondérante accordée à celle-ci comme valeur, au désir d’avoir des enfants, à l’importance de la fidélité dans le couple, à la possibilité de divorcer en cas d’infidélité, à la tolérance à l’égard du suicide assisté tant pour le parent ou l’enfant malade, et à l’euthanasie quand la personne le demande. Dans le domaine du travail et de l’école, les deux générations croient de façon similaire à l’importance de la scolarisation pour réussir et à un travail effectué dans un même domaine pendant toute leur vie. Tout comme leurs parents, les futurs enseignants n’ont pas l’intention de travailler jusqu’à leur mort et les postes qui impliquent des responsabilités ne les intéressent pas vraiment. Ils sont aussi tolérants à l’égard du temps supplémentaire effectué par les travailleurs. La réduction de la semaine de travail et la place du syndicat dans le monde du travail ne retiennent pas vraiment leur attention. Dans le domaine de la politique, la confiance à l’égard des politiciens n’est pas au rendez-vous, et ce, pour les deux générations. Pas question non plus d’accorder des augmentations de salaire aux politiciens ni d’augmenter les frais de scolarité. Devant leur désir d’abolir les dictatures, il est possible de déduire un intérêt pour la démocratie. L’ambivalence face à l’indépendance du Québec semble régner. Dans le domaine de la religion, les deux générations ont comme valeurs communes l’affirmation publique de leurs croyances et leur désapprobation face au port obligatoire du voile pour les femmes islamiques.

La grande majorité de ces observations suivent la tendance rapportée par des études antérieures (Boudon, 2002 ; Bréchon 2000 ; Charbonneau, 2004 ; Galland et Roudet, 2001 ; Inglehart, 1993). Les auteurs font état du désir d’avoir des enfants, de la valorisation de la fidélité dans le couple et de l’importance des études pour réussir. Ils rapportent également un manque de confiance à l’égard des politiciens et un intérêt pour la démocratie (Assogba, 2004). Les données recueillies dans le cadre de la présente étude apportent toutefois de l’information plus pointue quant à l’importance de l’affirmation publique de ces convictions et à la désapprobation face à l’obligation du port du voile pour les femmes islamiques.

Continuité des valeurs

Il est plausible de considérer un début de changement intergénérationnel en lien avec certains énoncés rattachés aux domaines de la politique et de la religion, en considérant que l’écart se situe sur le continuum entre « un peu en désaccord » et « un peu en accord ». Les futurs enseignants de la génération Y sont plutôt d’accord pour lutter contre la pauvreté quitte à augmenter les impôts alors que leurs deux parents sont plutôt en désaccord. Ces résultats nuancent la conclusion de Boudon (2002) à l’effet de l’affirmation d’un plus grand individualisme chez les jeunes et montrent plutôt l’intérêt de ceux-ci pour le collectivisme. Ces résultats pourraient s’expliquer en partie par le plus grand nombre de participants de sexe féminin. En effet, tel qu’observé par plusieurs auteurs, les femmes ont généralement des valeurs plus altruistes et sociales (Beutel et Marini, 1995 ; Marini et al., 1996). Contrairement à leur mère, les participants ne croient pas en l’existence de Dieu, ils ne pensent pas avoir une âme éternelle et ne perçoivent pas la religion comme une valeur importante. Ces constats appuient ceux de recherches antérieures qui indiquent une réduction de la religiosité chez les jeunes adultes (Assogba, 2004).

Pour ce qui est des autres énoncés en lien avec le domaine de la famille, on observe plutôt des tendances significatives vers le changement. Certaines valeurs déjà présentes chez leurs parents le sont davantage chez les répondants comme l’appui au divorce, à l’avortement, aux mariages entre gais et lesbiennes, aux relations sexuelles avant le mariage, à la communication dans le couple, à l’autonomie de l’enfant et à celle de la femme par rapport à son conjoint. En ce qui concerne la politique, il s’agit surtout du travail des femmes à l’extérieur et de la responsabilité des enfants face aux parents dans le besoin. Ils privilégient moins la responsabilité financière à long terme des parents à l’égard de leurs enfants que leur mère.

Du côté du travail et de l’école, les futurs enseignants recherchent davantage un travail et des loisirs qui leur permettront de s’autoréaliser pleinement ; ils sont plus favorables à l’idée de prendre du temps pour soi. La réalisation de soi leur paraît plus importante que le salaire et la stabilité d’emploi, ce qui ouvre la porte au bénévolat. Les participants accordent moins de mérite aux gens riches tout comme ils sont plus pessimistes que leurs parents par rapport à la supériorité intellectuelle des patrons. Ils s’opposent également davantage à l’abolition des prestations de revenu garanti et de l’assurance-chômage que leur père.

Par rapport à la politique, les participants sont moins rébarbatifs à la légalisation de la marijuana et de la prostitution que leurs parents. Par contre, ils voient moins l’importance à voter à chaque élection. La guerre, la peine de mort et de longues périodes d’emprisonnement ainsi que la politique elle-même sont des issues sur lesquelles les futurs enseignants membres de la génération Y portent un regard plus négatif que leurs parents.

Quant à la religion, il est possible de constater chez les répondants un déclin des croyances en Dieu, en la résurrection des morts, en la vie après la mort, en l’existence de l’enfer et en la supériorité de leur race et de leur religion. L’égalité de tous les individus et le soutien des religions à partir des quêtes demeurent des croyances fortes chez les jeunes adultes de la génération Y. Pour ce qui est de la sociabilité et de l’amitié, il est clair que les futurs enseignants leur accordent plus d’importance que leurs parents comme valeur et comme sources de confidence, de plaisir, d’échange, d’attachement et de soutien.

Dans l’ensemble, ces résultats apportent une nouvelle contribution à ceux des études antérieures pour ce qui est de la plus grande permissivité et de la plus grande tolérance des jeunes à l’égard de questions telles que la sexualité avant le mariage, le divorce, l’égalité entre conjoints, les mariages entre gais et lesbiennes et l’euthanasie. Les résultats appuient cependant ceux qui ont montré le déclin de la religiosité et de l’intérêt pour la politique chez les jeunes adultes. Ils corroborent aussi les données relatives à la plus grande place des loisirs et de l’amitié dans la vie des jeunes adultes et confirment la prépondérance du regard porté au travail basé à la fois sur les avantages matériels et la réalisation de soi (Assogba, 2004 ; Boudon, 2002 ; Bréchon 2000 ; Charbonneau, 2004 ; Galland et Roudet ; 2001).

Une question nous interpelle : dans quelle mesure les valeurs des futurs enseignants, membres de la génération Y, s’associent-elles au sexe des parents ? Autrement dit, les valeurs des répondants rejoignent-elles davantage celles de leur mère ou de leur père ? La réponse n’est pas simple. Dans le domaine de la famille, il semble y avoir des zones de ressemblance ou de dissemblance avec l’un ou l’autre des parents. À titre illustratif, la volonté des jeunes de s’investir dans une thérapie conjugale si la relation ne fonctionne pas rejoint davantage la mère. Il en est de même lorsqu’il s’agit de l’aide financière des enfants envers leurs parents dans le besoin. Par ailleurs, à l’instar de leur père, les répondants croient moins que leur mère ait la responsabilité financière des parents par rapport à leurs jeunes. Dans les domaines du travail et de la politique, il est indéniable que les opinions des participants rejoignent davantage les valeurs qu’ils perçoivent chez leur mère. Ils trouvent moins important que leur père de travailler le plus tôt possible, d’avoir un emploi payant, de devenir riche. Bref, le travail est une valeur moins privilégiée que chez leur père. Par rapport à la politique, leurs opinions se distinguent de celles de leur père en regard de la valeur accordée à la politique, la guerre et la peine de mort. Il en va tout autrement quand on parle de religion. Le degré de religiosité des futurs enseignants rejoint celui de leur père. Ces résultats contredisent en partie ceux de Maccoby et Martin (1983) et ceux de Simons et al. (1990) qui montrent une plus grande convergence des valeurs dans la dyade parent-jeune de même sexe ou encore de la plus grande influence de la mère à l’égard des valeurs transmises. Selon les résultats de la présente étude, il semble plutôt essentiel d’examiner la relation entre les valeurs des parents et celles des futurs enseignants en fonction des domaines de valeurs.

Le deuxième objectif de cette étude visait à vérifier s’il existe des différences dans les valeurs privilégiées par les parents des futurs enseignants à titre de conjoints. Il ne s’agissait pas de s’investir dans une étude sur les relations de couple, mais plutôt d’examiner jusqu’à quel point les futurs enseignants de la généra- tion Y perçoivent de la concordance ou de la discordance dans les valeurs privilégiées par leur mère et leur père issus de la génération des baby-boomers. Les résultats montrent que les futurs enseignants observent un grand nombre de divergences dans les valeurs de leur mère et de leur père.

Dans le domaine de la famille, toutes les questions reliées à l’importance de la fidélité et de la communication dans le couple, à la thérapie conjugale en cas de besoin, à la responsabilité des enfants par rapport à leurs parents et aux mariages entre gais et lesbiennes prédominent chez la mère. Par ailleurs, l’obligation de la mère de prendre soin des jeunes enfants, d’obéir à son conjoint et de la garde partagée à la suite d’un divorce revêtent une importance moindre pour les mères, comparativement aux pères. Les pères accordent plus de poids que les mères à la valeur travail. Obtenir un emploi lucratif et à temps plein rapidement est plus important pour eux. Ils sont moins opposés que leurs conjointes à l’obtention d’un poste cadre avec des responsabilités importantes. Le travail à temps partiel et le bénévolat en absence de travail les intéressent moins.

Du côté de la politique, les pères sont plus favorable à l’indépendance du Québec que les mères. Ils sont aussi moins négatifs par rapport à la guerre et la peine de mort. La lutte contre la pauvreté par l’augmentation des impôts semble moins acceptable pour eux que pour les mères.

En ce qui a trait à la religion, les résultats révèlent des différences encore plus nombreuses. Les mères accordent plus d’intérêt à la religion comme valeur. Les notions reliées à l’existence de Dieu, à la vie après la mort, à la résurrection, à l’existence de l’enfer comme punition après une mauvaise vie et la nature éternelle de l’âme prédominent chez les mères. Elles croient moins que leurs conjoints à la supériorité des gens de leur race et à l’euthanasie pour un bébé quand les parents le demandent.

Quant à la valeur amitié, les répondants ne perçoivent aucune différence notoire entre les conjoints si ce n’est en regard de la divulgation de ses idéaux à des amis avec lesquelles les mères sont plus à l’aise. Bien que nous notions des différences entre les deux conjoints, il importe de préciser que les résultats se situent sur un même continuum ; ils affichent ainsi une certaine cohérence entre les valeurs privilégiées par les mères et les pères. De même, il est possible que les différences observées soient associées au sexe des conjoints. Considérant que les hommes préfèrent le pouvoir et le matérialisme et que les femmes priorisent les valeurs intrinsèques, altruistes et sociales, il n’est guère étonnant de constater que les mères accordent de l’importance à la religion et que les pères privilégient davantage les valeurs correspondant au travail et à la politique (Marini et al., 1996 ; Sagiv et Schwartz, 2000).

Conclusion

Les résultats de cette étude ont mis en exergue certains éléments de similitude et de continuité entre les valeurs des futurs enseignants, membres de la génération Y, et celles de leur mère et de leur père, comme parents, puis comme conjoints. Il ressort une parfaite congruence quant à la place de la famille comme valeur prépondérante, à l’importance de la fidélité dans le couple et à celle de la scolarisation pour réussir, de même qu’à la non-confiance à l’égard des patrons et des politiciens. Comparativement aux parents, l’amitié est une valeur plus importante chez les jeunes de la génération Y alors que la religion est en déclin. Les futurs enseignants affichent une plus grande tolérance relativement à certaines questions de l’heure comme l’appui au divorce, l’avortement, les relations sexuelles avant le mariage, les mariages entre gais et lesbiennes, la légalisation de la marijuana et de la prostitution. Les loisirs occupent une plus grande place dans la vie des jeunes et le travail est perçu non seulement comme une source de bénéfices matérialistes, mais aussi comme un moyen de réalisation de soi. Dépendamment des domaines de valeurs, celles des futurs enseignants rejoignent davantage celles de leur mère ou de leur père. Bien que des divergences soient relevées dans les valeurs perçues chez leur mère et leur père, il se peut que celles-ci soient davantage reliées aux différences de genre des conjoints, certaines valeurs étant plus privilégiées par les femmes et d’autres par les hommes. Nos résultats montrent donc la nécessité d’examiner la similitude et la continuité dans les valeurs entre deux générations en fonction des grands domaines de valeurs. Toutefois, certaines limites inhérentes à la recherche invitent à la prudence par rapport à la généralisation des résultats. Une première limite se situe dans l’utilisation des perceptions des jeunes adultes pour évaluer l’opinion de leur mère et de leur père. Bien que les jeunes soient considérés comme des informateurs fiables (Deslandes, 1996), il serait intéressant, dans des études ultérieures, de faire appel directement aux mères et aux pères des participants. Une deuxième limite se situe dans la composition de l’échantillon. Comme les participants sont surtout des étudiants de sexe féminin inscrits en formation initiale en enseignement, il serait important, dans le cadre d’études ultérieures, de s’adresser à des cohortes comprenant plus de participants de sexe masculin et à des étudiants inscrits dans d’autres disciplines de formation. Finalement, malgré certaines relations observées dans les dyades parent-jeune, les résultats ne permettent pas de parler d’influence directe de chacun des parents sur les valeurs des futurs enseignants. Il conviendrait donc de poursuivre la même étude dans un cadre élargi tout en incluant des questions sur les mécanismes de transmission des valeurs, un volet absent de la présente étude. Globalement, les résultats confirment la complexité du thème des valeurs et montrent de façon indubitable la pertinence et la nécessité de s’y attarder en formation initiale des enseignants.