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Introduction

Depuis la création du ministère de l’Éducation (MEQ) en 1963, le milieu scolaire a beaucoup évolué. Plusieurs modifications ont été apportées au cours des années, rendant nécessaire un exercice d’analyse de l’état de la situation au milieu des années 1990 (MEQ, 1996a, 1996b). Le gouvernement du Québec crée alors une commission des États généraux sur l’éducation qui débouche sur de nouvelles dispositions dans la Loi sur l’instruction publique, une nouvelle politique de l’adaptation scolaire ainsi qu’une nouvelle réforme (Gouvernement du Québec, 1998 ; MEQ, 1997a, 1997b, 1999). Le gouvernement québécois réitère son intention de laisser une plus grande place à l’implication des parents et à l’intégration scolaire des élèves en difficulté dans l’école du quartier. Cette réforme est, depuis, implantée dans toutes les écoles primaires du Québec. Plusieurs questions ressortent de son application : les attentes ne sont pas toujours précisées, des frustrations sont vécues autant chez les enseignants que les parents et des revendications sont faites de part et d’autre. On questionne la poursuite de certains objectifs, notamment l’intégration scolaire des élèves en difficulté. Parallèlement à ces questionnements, des organismes officiels produisent des documents visant l’amélioration de la relation famille-école (Conseil de la famille et de l’enfance, 2001 ; Conseil supérieur de l’éducation, 2002 ; MEQ, 2004), sans, toutefois, définir le rôle des parents et des enseignants.

Problématique

Plusieurs chercheurs se sont penchés sur la dynamique famille-école (Bouchard, 1998 ; Christenson et Sheridan, 2001 ; Claes et Comeau, 1996 ; Conseil de l’enfant et de la famille, 1995, 2001 ; Conseil supérieur de l’éducation, 1994 ; Deslandes, 1999, 2003 ; Epstein, 1992, 2001 ; Gayet, 1999a, 1999b, 2004 ; Hoover-Dempsey et al., 2005 ; Merrieu, 2000 ; Montandon, 1996 ; Pourtois et Desmet, 1997 ; Saint-Laurent, Royer et Tardif, 1994). Ils ont fait ressortir l’importance de l’implication des parents dans le cheminement scolaire de l’enfant et de la communication entre les parents et les enseignants pour la réussite scolaire de celui-ci. Cette présence accrue des parents dans la scolarisation de leurs enfants, ajoutée au contexte d’évolution de la famille et de l’école, a contribué à modifier les rôles de chacun. Cependant, peu d’auteurs se sont attardés à définir les rôles des parents et des enseignants. Conséquemment, chacun définit, à partir de son vécu, ce qu’est son rôle et celui de l’autre. De plus, il considère que sa représentation de ces rôles est partagée par les autres.

Le contexte d’intégration scolaire n’échappe pas à ces observations. La relation famille-école est considérée par plusieurs auteurs comme une condition essentielle à la réussite de l’intégration scolaire de l’élève présentant des difficultés (Beveridge, 2005 ; Bouchard et Kalubi, 2003 ; Doré, Wagner, et Brunet, 1996 ; Lavallée, 1986 ; Kalubi, Bouchard et Beckman, 2001 ; Turnbull, Turnbull, Erwin et Soodak, 2006). Toutefois, là encore, le rôle des parents et des enseignants est rarement défini.

Pour mieux saisir les représentations que les parents et les enseignants ont de leurs rôles dans le contexte d’intégration scolaire, nous avons ciblé une population précise, celle des parents et des enseignants d’élèves dysphasiques. Peu de chercheurs se sont penchés sur cette population ; quelques recherches concernent les parents d’enfants dysphasiques intégrés en classe ordinaire (Beauregard 2002 ; Juspin, 1996 ; Saint-Pierre, 1997), alors qu’il n’y en a aucune au sujet des enseignants. Par ailleurs, les élèves dysphasiques vivent une situation particulière qui peut complexifier la relation famille-école : la reconnaissance par le ministère de l’Éducation de leur handicap. En effet, ces enfants peuvent être considérés comme « élève handicapé » s’ils répondent aux critères du ministère de l’Éducation. Dans le cas inverse, ils sont considérés comme des élèves à risque, ce qui est perçu par les parents comme un déni de la déficience de leur enfant (MEQ, 2000). Enfin, le fait de cibler une population homogène permet de mieux saisir les facteurs qui influencent les rôles de celle-ci. À noter que pour cette étude, nous utiliserons, lorsque cela s’avérera pertinent, l’expression enfant-élève, car la relation famille-école, les rôles des parents et des enseignants existent à cause d’un individu qui est considéré par l’un comme un enfant et par l’autre comme un élève.

Recension des écrits et cadre de référence

Contexte d’intégration scolaire

La façon dont un parent ou un enseignant conçoit son rôle auprès de l’enfant ou de l’élève s’appuie sur sa compréhension et sa vision de la situation dans laquelle il exerce son rôle. Il faut donc, en premier lieu, contextualiser la situation. Nous retrouvons dans la littérature une vaste terminologie concernant l’intégration scolaire (Barth, 1996 ; Doré etal., 1996 ; Kavales et Forness, 2000b ; Lupart, 1998 ; Rousseau et Bélanger, 2004 ; Snell et Brown, 2005). Certains termes constituent des approches, d’autres, des politiques scolaires ou des modèles. Même si tous visent le même but, soit celui d’intégrer l’enfant en difficulté dans un milieu le plus normal possible, leurs conceptions de l’enfant et les pratiques pour y arriver diffèrent. Des auteurs ont, en outre, identifié les conditions de réussite de l’intégration scolaire (Doré etal., 1996 ; Evans et Lunt, 2002 ; Goupil et Boutin, 1983 ; Lavallée, 1986 ; Pivik, McComas et Laflamme, 2003). Certaines conditions sont rattachées aux structures du système (programmes, soutien, etc.), alors que d’autres concernent les valeurs et les attitudes (croyances, ouvertures, etc.) à adopter. Le respect de ces conditions assurerait un plus grand succès quant à l’intégration scolaire d’élèves en difficulté.

Plusieurs chercheurs se sont penchés sur le contexte d’intégration scolaire. Ils l’ont étudié sous différents aspects : choix, attentes, perceptions, etc. Le choix d’intégration scolaire n’est pas toujours volontaire, particulièrement chez les enseignants. En effet, pour eux, l’intégration scolaire d’élèves en difficulté fait partie de leurs responsabilités professionnelles (Evans et Lunt, 2002 ; Kabano, 2000 ; Scruggs et Mastropieri, 1996). Les parents, pour leur part, ont une position à l’égard de l’intégration scolaire qui varie. Certains parents s’y opposent en invoquant notamment la discrimination que leur enfant pourrait vivre en classe ordinaire ou encore la sévérité de la déficience de leur enfant. D’autres parents choisissent l’intégration scolaire en classe ordinaire parce qu’ils croient que c’est dans ce milieu que leur enfant progressera le plus sur le plan social et scolaire (Bennett, Deluca et Burns, 19997 ; Jenkinson, 1998 ; Ryndak, Dowing, Jacqueline et Morrisson, 1995).

Que le choix soit volontaire ou non, les parents et les enseignants ont des attentes particulières relatives au contexte d’intégration scolaire. Elles sont nombreuses et varient selon la famille, l’enseignant, le milieu sociodémographique, le type et la sévérité des difficultés, etc. (CSE, 1996 ; OCDE, 1995). Cependant, il ressort que les attentes concernent principalement le soutien (à l’enfant, à l’enseignant, aux parents) et la collaboration, qu’il s’agisse de la collaboration famille-école ou de la collaboration entre les différents intervenants scolaires (Bennett etal., 1997 ; Beckman, Barnwell, Horn, Hanson, Gutierrez et Lieber, 1998 ; Brophy, Webb et Hancock, 1998 ; Brunet et al., 1996 ; Jenkinson, 1998 ; Garneau, 1997 ; Grove et Fisher, 1999 ; Tardif et Lessard, 1999).

La façon dont le milieu scolaire répond à ces attentes, les habiletés de collaboration et les attitudes des personnes concernées par l’intégration scolaire sont des facteurs qui influencent les perceptions des parents et des enseignants sur le contexte d’intégration scolaire (Avramadis et Norwich, 2002 ; Scruggs et Mastropieri, 1996). S’ajoutent à ces facteurs des variables associées à l’organisation institutionnelle du milieu scolaire (soutien, disponibilité des professionnels, matériel, formation des enseignants, etc.). Les contraintes et les obstacles auxquels parents et enseignants se heurtent conduisent à une insatisfaction à l’égard de la situation qu’ils vivent. Par contre, des attitudes d’ouverture, une communication constructive et des moyens mis en place pour faciliter l’intégration scolaire produisent un sentiment de satisfaction chez les parents et les enseignants (Bennett etal., 1997 ; Brophy etal., 1998 ; Vidovich et Lombard, 1998).

Il ressort de ces écrits que, d’une part, peu d’études concernent à la fois les perceptions des parents et des enseignants dans le contexte d’intégration. Lorsqu’une étude poursuit un tel objectif, les enfants ou les élèves présentent alors des difficultés différentes. D’autre part, très peu de chercheurs se penchent sur le rôle des parents et des enseignants dans le contexte d’intégration scolaire. Certains soulignent le souhait des parents d’être plus impliqués dans le processus d’intégration scolaire de leur enfant ou celui des enseignants de voir les parents participer davantage. Ils exposent quelques tâches, activités ou pratiques rapportées par les participants de leur étude, sans plus. Ils ne définissent pas le concept de rôle ou ne s’attardent pas spécifiquement sur le rôle que les parents ou les enseignants jouent dans le contexte d’intégration scolaire.

Notion de rôle

Plusieurs auteurs s’entendent pour dire que les rôles des parents et des enseignants sont multidimensionnels (Altet, 1994 ; Brunet etal., 1996 ; CFE, 2001 ; CSE, 2002 ; De Perretti, 1993 ; Deslandes et Bertrand, 2003 ; Dupuis, 1991 ; Epstein, 1992, 2001 ; Gettinger et Waters-Guetschow, 1998 ; Gunn-Morris et Taylor, 1998 ; Hoover-Dempsey et al., 2005 ; Montandon, 1996 ; Tardif et Lessard, 1999). La notion de rôle est cependant rarement définie et les rôles sont plutôt décrits à partir de composantes (activités, tâches, pratiques) (Fan et Chen, 2001). Nous retrouvons dans les écrits différentes typologies qui regroupent les composantes des rôles des parents et des enseignants. Pour cette étude, nous utilisons la typologie d’Epstein pour classer les pratiques des parents et une typologie construite à partir d’un avis émis par le Conseil supérieur de l’éducation (2002) pour les enseignants.

Si ces typologies aident à classer les pratiques des parents et des enseignants, il reste à définir la notion de rôle. Quel que soit l’écrit consulté, le rôle est défini à partir des postures, des positions, des statuts ; il a à la fois un volet individuel et social, il se manifeste dans les actions, les pratiques et répond à des attentes (Biddle, 1979 ; Bloch, 1999 ; Legendre, 2005, Robert, 1999 ; Rocheblave-Spenlé, 1969). De ces définitions, nous retenons qu’il existe un rôle joué et un rôle attendu. Cependant, nous ne savons pas si ces rôles sont ceux qu’un individu ou un groupe d’individus veulent jouer. Pour cette étude nous avons choisi d’examiner le rôle sous trois angles (rôle attendu, rôle joué et rôle souhaité) et de le définir ainsi : le rôle attendu renvoie aux attentes quant aux pratiques d’un individu selon son appartenance à un groupe ; le rôle joué réfère aux pratiques de l’individu, pratiques qui doivent correspondre au groupe auquel l’individu appartient ; le rôle souhaité se rapporte aux pratiques qu’un individu voudrait avoir.

La façon dont un individu ou un groupe d’individus définit son rôle s’appuie sur leurs représentations sociales et individuelles du contexte et des rôles qui en découlent. Ils appliqueront alors les pratiques qu’ils jugent pertinentes et nécessaires pour jouer leur rôle le plus efficacement possible.

Théories des représentations sociales

Les représentations sociales étant l’un des deux concepts centraux de cette étude, il importe de définir ce que nous entendons par ce terme. Plusieurs définitions de ce concept existent. Certaines exploitent l’aspect processus (Abric, 1989, 1994a ; Jodelet, 1989), d’autres s’attardent au produit (Doise, 1986), tandis que d’autres se penchent sur la communication (Moscovici, 1992). Les représentations sociales sont en fait tout cela à la fois : un produit et un processus comprenant un aspect communicationnel et un aspect comportemental (Moscovici, 1976). La définition pour laquelle nous optons est celle d’Abric (1989), car elle regroupe plusieurs aspects :

Le produit et le processus d’une activité mentale par laquelle un individu ou un groupe reconstitue le réel auquel il est confronté et lui attribue une signification spécifique. Une représentation est donc un ensemble organisé d’opinions, de pratiques, de croyances et d’informations se référant à un objet ou une situation. Elle est déterminée à la fois par le sujet lui-même (son histoire, son vécu), par le système social et idéologique dans lequel il est inséré, et par la nature des liens que le sujet entretient avec ce système social.

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Cependant, nous apportons une modification à cette définition. Abric utilise le terme « attitude » dans sa définition au lieu de « pratique ». Or ce mot est défini de la sorte par les tenants de la théorie des représentations sociales :

On désigne ainsi un moment, c’est-à-dire une forme spécifique d’occurrence d’une représentation sociale ou d’une combinaison de représentations sociales partiellement déterminée par la situation. L’attitude fournit « la raison » des opinions ou prises de position enregistrées, et la représentation sociale fournit la raison de l’attitude.

Rouquette, 1998, p. 120

Autrement dit, l’attitude se situe entre la représentation sociale et la prise de position. Nous avons donc privilégié le terme « pratique ». Les pratiques sont plus qu’un simple comportement, elles sont également « des systèmes complexes d’actions socialement investis et soumis à des enjeux socialement et historiquement déterminés » (Abric, 1994b, p. 7). Flament (2001) réfère à différentes définitions et note que les pratiques sont, dans un sens général, « usage, coutume, façon d’agir, reçus dans un pays, ou dans une classe de personnes » (p. 44). Autrement dit, les pratiques sont un ensemble ou un système de comportements reconnus socialement et qui peuvent différer d’un groupe à l’autre.

Nous nous intéressons, pour cette étude, au contenu des représentations des parents et des enseignants et examinons les représentations que chaque groupe a de son rôle et du rôle de l’autre. La relation famille-école est diffusée dans les rôles joués, attendus et souhaités de l’un et de l’autre. Les objectifs poursuivis sont donc : 1) connaître les représentations que les parents et les enseignants ont de l’intégration scolaire ; 2) connaître les représentations que les parents et les enseignants ont de leur rôle dans ce contexte ; 3) identifier les pratiques qu’ils mettent en place pour accomplir leur rôle.

Méthodologie

Participants

Les objectifs poursuivis ainsi que le manque de connaissances sur la population ciblée par cette étude orientent notre recherche vers le paradigme qualitatif. Le groupe ciblé est composé de onze parents avec des familles de deux à sept enfants. Huit familles ont un autre enfant présentant une dysphasie ou des difficultés d’apprentissage. Enfin, deux parents sont également intervenants en milieu scolaire (une orthopédagogue et une technicienne en éducation spécialisée). Le groupe d’enseignants est formé de neuf participants dont trois ont une formation en adaptation scolaire et six une formation au préscolaire et au primaire. Tous ont suivi ou suivent des formations continues sur les élèves en difficulté et deux enseignants complètent des études universitaires de deuxième cycle. Cinq enseignants travaillent au premier cycle, trois autres au deuxième cycle et la dernière enseigne au troisième cycle. Outre l’élève dysphasique, ils ont tous au moins un autre élève qui présente des difficultés d’adaptation ou d’apprentissage dans leur classe. Enfin, une enseignante est également parent d’un enfant dysphasique et cinq autres ont un enfant présentant des difficultés (déficit d’attention, difficultés d’apprentissage, déficience auditive, etc.). Il faut noter que les parents et les enseignants rencontrés pour cette étude n’étaient pas parent et enseignant du même enfant-élève.

Cueillette de données

Trois instruments ont été prévus pour la cueillette de données. Le premier consiste en un questionnaire de renseignements personnels qui nous a permis de décrire les participants. Un deuxième instrument est un entretien de recherche semi-dirigé d’une durée approximative de 60 minutes et enregistré sur bande audio. Les questions ouvertes sont orientées vers des thèmes précis, tels le cheminement scolaire de l’élève dysphasique, la signification pour les parents et les enseignants de la notion d’intégration et les attentes qui en découlent, les rôles joué, attendu et souhaité, les pratiques conséquentes et, enfin, la vision de la relation parent-enseignant. Le troisième instrument est un entretien de groupe qui a comme objectif de vérifier auprès des participants notre compréhension de leur discours et la vraisemblance de ces données (Boutin, 1996 ; Van der Maren, 1995). Malheureusement, cet entretien de groupe n’a pas eu lieu pour le groupe des enseignants, ces derniers ne pouvant y participer pour diverses raisons. Plusieurs enseignants, invoquant leur horaire chargé, avaient fait part lors de l’entretien individuel de cette impossibilité. Cependant, chaque enseignant a été contacté par téléphone pour que leur soient présentées les données de leur groupe.

Analyse des données

La méthode d’analyse privilégiée pour cette étude est l’analyse de contenu. Cette analyse est qualitative et permet de décrire, de clarifier, de comprendre ou d’interpréter une réalité (Denzin et Lincoln, 2005 ; Glaser et Strauss, 1967). L’analyse par thématisation continue de Paillé et Mucchielli (2003) a été privilégiée, car elle permet une analyse approfondie du contenu. Dans notre étude, le logiciel Atlas ti est l’instrument qui a servi à coder les données. Ces données ont été, par la suite, codées à l’aide d’une grille construite à partir des deux typologies des rôles et des questions de l’entretien. Il s’agissait d’une grille évolutive au sens où de nouvelles catégories se formaient au fur et à mesure de l’analyse des entretiens.

Les données sont codées selon trois façons. La première consiste à coder à partir des questions, c’est-à-dire que la réponse obtenue pour une question est associée directement à un code correspondant. La deuxième consiste à associer les données correspondant aux pratiques aux différentes dimensions des typologies présentées dans le cadre de référence, soit la typologie d’Epstein pour les parents et celle inspirée d’un document du Conseil supérieur de l’éducation (2002) pour les enseignants. La troisième tient compte de données et de catégories nouvelles, c’est-à-dire émergeant des propos des participants, mais non mentionnées par les auteurs.

Les deux grilles d’analyse ont été validées lors d’une étape de contre-codage. Pour assurer cette validité, nous avons demandé à des pairs de contre-coder des unités de sens. Nous leur avons fourni des matrices comprenant des unités de sens choisies au hasard pour chaque thème (environ 10 % de l’ensemble des unités de sens) de même que la grille de codage avec les définitions des thèmes et les catégories correspondantes. Les thèmes et les catégories sont représentés dans la grille d’analyse par des codes. Deux pairs ont contre-codé les données provenant des enseignants et deux autres celles des parents. Nous avons obtenu un taux d’accord moyen de 77 % entre les contre-codeurs et la chercheure, et l’unanimité après discussion entre les codeurs.

Résultats

Les données recueillies ont permis de connaître les composantes des représentations des parents et des enseignants du contexte d’intégration scolaire et d’identifier leurs pratiques dans ce contexte. Les représentations qu’ils ont de l’enfant-élève dysphasique ont également été évoquées, bien que nous n’ayons pas posé de question spécifique sur celui-ci ; d’emblée, parents et enseignants décrivent comment ils le perçoivent. Ils parlent des caractéristiques de leur enfant ou de leur élève, de ses forces et de ses faiblesses langagières, comportementales et scolaires ou encore de son potentiel, de sa motivation, de son tempérament, de la conscience qu’il a de sa différence, etc. Bref, ils livrent spontanément leurs représentations de l’enfant-élève dysphasique dont ils ont ou ont eu la responsabilité. Ceux qui ont plus d’un enfant ou d’un élève dysphasique apportent les nuances qui différencient les individus entre eux. Les parents et les enseignants observent qu’ils adaptent leurs pratiques selon les caractéristiques de l’enfant. Les connaissances qu’ils ont sur ce dernier et sur la dysphasie faciliteront d’ailleurs leur rôle.

Contexte d’intégration scolaire

Les résultats obtenus pour cette étude vont dans le même sens que ce que nous avons trouvé dans les écrits. Les parents et les enseignants ont une représentation semblable de la notion d’intégration scolaire, c’est-à-dire que l’intégration scolaire signifie selon eux que l’élève en difficulté est intégré en classe ordinaire avec du soutien. Toutefois, pour les parents, l’intégration scolaire est également un moyen d’intégrer socialement leur enfant. Des parents choisissent l’intégration scolaire pour faciliter l’intégration sociale, d’autres pour que leur enfant puisse exploiter ses capacités. Quelques-uns font ce choix parce que les autres options sont insatisfaisantes à leurs yeux. Les enseignants, pour leur part, n’ont pas vraiment le choix d’intégrer un élève en difficulté dans leur classe, cela faisant partie de leurs responsabilités professionnelles. S’ils acceptent de remplir ce rôle, ils déplorent cependant le fait de ne pas être consultés avant le début de l’année scolaire. Même si la vision que les participants ont de la classe spéciale n’est pas l’objet de notre étude, elle ressort de leurs propos. Il est important de la prendre en considération, car elle joue sur le choix d’intégrer ou non l’élève en difficulté.

Ce choix d’intégration scolaire, qu’il soit volontaire ou non, amène chez les participants plusieurs attentes. Celles-ci touchent, dans le cas des parents, la communication foyer-école, le soutien à l’enfant, l’insertion sociale et la progression scolaire de leur enfant. Pour les enseignants, les attentes concernent la collaboration avec les parents et les intervenants scolaires, le soutien envers l’élève et eux-mêmes, et la progression scolaire de l’élève. Quelques participants, que ce soit des parents ou des enseignants, disent ne plus avoir d’attentes à l’égard du milieu scolaire et de ses intervenants, car ils ont trop souvent été déçus par la façon dont on a répondu à leurs attentes.

Relation famille-école

Les représentations que les parents et les enseignants ont quant à la relation famille-école diffèrent selon le groupe. Les enseignants sont satisfaits de leur relation avec les parents. Ils s’expriment sur la grande collaboration de ces derniers, sur les outils qu’ils leur fournissent et sur l’admiration qu’ils ont pour ces parents. Les parents, pour leur part, sont plus mitigés quant à leur relation avec les enseignants. Ils observent que leur relation avec l’enseignant va dépendre des attitudes de celui-ci : son ouverture, son écoute, son empathie. Parfois, la relation est constructive, d’autres fois, elle est très difficile. Ces observations s’appliquent également pour les autres intervenants scolaires.

Quelles que soient les représentations que les parents et les enseignants ont de l’enfant-élève dysphasique et du contexte d’intégration scolaire, c’est à partir de celles-ci qu’ils construisent les représentations de leurs rôles. Ces représentations guident également leurs pratiques.

Rôle des parents

Les parents se perçoivent, dans le processus d’intégration scolaire, comme les premiers intervenants auprès de leur enfant. Ils veulent être consultés pour toute décision le concernant. Ils se voient également comme le pivot de l’équipe-école, c’est-à-dire qu’ils sont le lien entre les intervenants avec lesquels leur enfant interagit. Il peut s’agir des enseignants et des intervenants du milieu scolaire, mais également des intervenants du milieu de la santé. Quelques parents se voient également comme des pionniers, c’est-à-dire qu’ils se donnent comme mission de sensibiliser l’école à l’intégration scolaire de l’enfant dysphasique. Les parents agissent donc en fonction des rôles qu’ils s’attribuent. Le Tableau 1 situe le nombre d’unité de sens pour chaque dimension de la typologie d’Epstein et le nombre de participants correspondant à celles-ci.

Tableau 1

Dimensions des pratiques parentales

Dimensions des pratiques parentales
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Nombre de participants impliqués sur un total de onze.

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D’abord, nous constatons que tous les parents ou presque rapportent exécuter des pratiques appartenant aux dimensions « communication foyer-école », « obligation et soutien » et « suivi scolaire à la maison ». Outre les pratiques mentionnées dans les écrits, nous retrouvons également dans ces trois dimensions des pratiques non mentionnées qui s’ajoutent aux précédentes.

La dimension « communication foyer-école » est la plus importante, non seulement parce que tous les parents y réfèrent, mais également parce qu’elle comprend le plus grand nombre d’unités de sens, soit plus de 55 %. Cette dimension est composée de pratiques, telles qu’informer les enseignants sur les caractéristiques de leur enfant, participer au plan d’intervention, fournir des rapports ou des évaluations médicales, etc. Certaines pratiques non mentionnées sont en lien direct avec la vision que les parents ont de leur enfant, de ce qu’est l’intégration scolaire et du rôle qu’ils jouent. Par exemple, ils font le lien entre les différents intervenants, c’est-à-dire qu’ils transmettent l’information sur leur enfant d’un enseignant à l’autre, vérifient si tout ce qui a été décidé au plan d’intervention est mis en place, demandent des rencontres pour discuter du classement de leur enfant, notamment lorsqu’on leur signifie que leur enfant est considéré comme un élève à risque et non pas handicapé, etc. En fait, par ces pratiques, ils jouent leur rôle de pivot de l’équipe-école. Par ailleurs, les parents insistent sur le tact que la communication demande afin de ne pas vexer ou insulter qui que ce soit.

Si les pratiques sont parfois mentionnées dans les écrits, elles prennent une couleur particulière dans cette étude. C’est notamment le cas des pratiques « bénévolat à l’école ou bénévolat en classe », pratiques appartenant à la dimension « implication scolaire de la famille » ou encore la pratique « implication dans des comités officiels » appartenant à la dimension « participation aux prises de décisions ». Généralement, les parents appliquent ces pratiques pour aider l’école du quartier. Or les parents de cette étude poursuivent des objectifs précis. D’abord, ils veulent se faire connaître des membres de l’équipe-école et les rassurer sur leur implication et sur leur enfant. Ces parents veulent que l’équipe-école les perçoive comme de bons parents qui s’impliquent sans s’ingérer dans leur travail ; en même temps, ils sont là pour les aider si une difficulté quelconque survient avec leur enfant. La pratique d’implication dans des comités officiels, quant à elle, vise à faire prendre conscience aux dirigeants que la dysphasie existe et qu’il y a des enfants dysphasiques intégrés en classe ordinaire dans la commission scolaire. De plus, ils espèrent connaître le fonctionnement du système scolaire de telle sorte qu’ils savent quoi faire, qui contacter, quelles démarches utiliser lorsqu’une difficulté se présente.

Les représentations que les parents ont du rôle attendu sont les mêmes pour tous et concernent, d’une part, le bien-être de leur enfant et son soutien affectif et, d’autre part, l’appui qu’ils donnent au travail pédagogique des enseignants en s’assurant notamment que les leçons et les devoirs sont effectués.

Les représentations que les parents ont de leur rôle souhaité varient quant à elle. Si certains se disent satisfaits du rôle qu’ils jouent, tout en souhaitant qu’il soit moins lourd, d’autres rapportent jouer un rôle auquel ils ne s’attendaient pas. Ces parents croyaient que les membres de l’équipe-école et les intervenants du milieu scolaire les considéreraient comme des partenaires et les consulteraient pour l’expertise qu’ils ont développée auprès de leur enfant dysphasique. Or ils constatent le contraire. Enfin, tous les parents réclament des conditions qui leur permettraient de remplir adéquatement leur rôle de parent. Ils observent devoir mettre en place des pratiques pour atténuer le manque de soutien et d’ouverture du milieu scolaire dans le contexte d’intégration scolaire.

Rôle des enseignants

Les enseignants, pour leur part, se perçoivent comme la personne accompagnant l’élève dysphasique dans son cheminement scolaire en se mettant à sa portée. L’élève dysphasique est le point de départ pour l’enseignement. Ils examinent d’abord ses connaissances puis son évolution, ses caractéristiques, ses besoins. Ils ajustent leurs pratiques à partir de ces critères. Certains enseignants se voient comme une personne-ressource, c’est-à-dire la personne sur laquelle repose la progression scolaire de ce jeune. Ils considèrent qu’une fois l’enfant assigné à leur classe, la responsabilité de l’intégration scolaire leur incombe, car ils reçoivent peu, pour ne pas dire aucun soutien. Quelle que soit la vision de leur rôle, les enseignants, tout comme les parents, agissent en conséquence de celle qu’ils ont adoptée. Le Tableau 2 situe le nombre d’unités de sens pour chaque dimension de la typologie des enseignants et le nombre de participants correspondant à celles-ci.

Tableau 2

Dimensions des pratiques des enseignants

Dimensions des pratiques des enseignants
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Nombre de participants impliqués sur un total de neuf.

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Nous constatons que tous les enseignants, à une exception près, rapportent exécuter des pratiques pour quatre des cinq dimensions. Cependant, elles n’ont pas toutes la même importance à leurs yeux. Outre les pratiques mentionnées dans les écrits, nous retrouvons également, dans les deux premières dimensions, des pratiques non mentionnées qui s’ajoutent aux précédentes.

La dimension relationnelle est la plus importante. En effet, près de la moitié des pratiques concernent la collaboration, que ce soit avec les autres intervenants scolaires, les parents ou les élèves. La collaboration vise l’échange d’informations sur l’élève dysphasique, sur les outils pédagogiques à mettre en place, etc. Les enseignants insistent sur l’importance de bien définir les rôles de chacun dans la collaboration avec les intervenants. Les deux autres dimensions auxquelles les enseignants réfèrent le plus souvent concernent les pratiques professionnelles et les pratiques pédagogiques. Ainsi, ils font les démarches nécessaires pour recevoir l’information ou la formation dont ils ont besoin, ils mettent en place les moyens qu’ils ont à leur portée pour que l’élève dysphasique progresse, etc.

Tout comme pour les parents, des pratiques non mentionnées ressortent des propos des enseignants. Il s’agit, par exemple, dans la dimension relationnelle de la pratique « établir une relation avec l’élève dysphasique et les autres élèves ». Tous les enseignants se disent préoccupés par la relation avec leur élève dysphasique, car la communication avec ce dernier est plus difficile en raison de la dysphasie. Par ailleurs, tous les enseignants sont préoccupés par la qualité de l’attention qu’ils donnent aux autres élèves de la classe. Ils ne veulent pas que ces derniers soient pénalisés par la présence de l’élève dysphasique. Ils mettent donc en place divers moyens et pratiques qui facilitent la communication avec l’élève sans porter préjudice aux autres élèves de la classe.

Dans la dimension professionnelle, nous trouvons également une pratique non mentionnée : « sensibiliser à la différence ». Les enseignants observent que cela fait partie de leur rôle de sensibiliser à la différence les autres élèves de la classe. Par contre, ils s’interrogent sur cette pratique lorsqu’ils doivent sensibiliser les autres parents de la classe et leurs collègues de travail. À qui devrait incomber cette responsabilité ?

Les enseignants ont également des représentations du rôle qu’on attend d’eux. Outre celui d’agir comme des professionnels, ils croient que les parents s’attendent à ce que les enseignants mettent en place ce qu’il faut pour que leur enfant apprenne et qu’ils communiquent avec eux. Tous les enseignants se disent satisfaits de leur rôle et n’en souhaitent pas d’autre. Cependant, ils souhaiteraient avoir des conditions qui leur permettraient de remplir leur rôle plus efficacement.

Par ailleurs, différents facteurs influençant les pratiques ont émergé des propos des participants. Ces facteurs sont de deux ordres. Certains sont associés aux structures du système scolaire : le soutien, la formation, le ratio enseignant/élèves, la disponibilité des intervenants scolaires, etc. D’autres facteurs sont reliés aux individus : les caractéristiques de l’enfant-élève, les croyances de chacun, les attitudes de l’interlocuteur, etc. Ces différents facteurs conduisent les participants à entretenir des pratiques qu’ils n’entretiendraient probablement pas si les conditions qu’ils jugent essentielles à la réussite de l’intégration scolaire étaient mises en place. D’ailleurs, les participants mentionnent souvent qu’ils « compensent » pour les lacunes du milieu scolaire. Enfin, les expériences d’intégration scolaire vécues par les parents et les enseignants produisent chez eux des émotions diverses.

Discussion

Les données recueillies auprès des participants nous ont permis de cerner les représentations que les participants ont de l’enfant-élève dysphasique, de l’intégration scolaire, de la relation parent-enseignant, de leurs rôles et des pratiques associées à ces rôles. Ainsi, il est possible d’établir des liens entre ces notions. Les résultats nous ont également permis d’identifier des points de convergences et de divergences, d’abord entre les membres d’un même groupe, puis entre les deux groupes de participants.

Les représentations qu’ont les participants de leur rôle prennent source dans leurs représentations de l’enfant-élève dysphasique, de l’intégration scolaire, des objectifs poursuivis par celle-ci et des attentes qui en découlent. Ils ont une vision du rôle qu’ils vont jouer et des pratiques qu’ils doivent avoir pour remplir ce rôle. Ils ont également une idée de ce que devrait être le rôle de l’autre et de ce que l’autre attend d’eux. En définitive, ces représentations vont orienter leurs pratiques.

Ces rôles joués sont composés de différentes dimensions, certaines plus importantes que d’autres. Les dimensions reliées à la relation et à la communication sont les plus importantes pour les deux groupes. Cependant, les objectifs poursuivis peuvent différer d’un groupe à l’autre, même au sein des membres d’un même groupe. Cela suggère que, dans la relation et la communication foyer-école, il importe de connaître précisément les objectifs poursuivis par l’un et par l’autre, et non de tenir pour acquis que chacun vise les mêmes. Les autres dimensions des rôles joués étant spécifiques à chaque groupe, il est difficile d’identifier des points convergents ou divergents pour celles-ci. Cette étude montre toutefois que la source des représentations des rôles, de même que les facteurs influençant ces représentations et les pratiques conséquentes sont similaires.

Les diverses situations que les participants vivent dans ce contexte produisent chez ces derniers diverses émotions qui peuvent être positives (joie devant le succès de l’enfant-élève, soulagement, respect, satisfaction, etc.) ou négatives (colère, frustration, découragement, insatisfaction, etc.) à l’égard de l’intégration scolaire et des rôles qu’ils jouent. Tout dépendra de la façon dont le milieu répondra à leurs attentes, des pratiques des autres individus concernés par l’intégration scolaire et de la façon dont eux-mêmes peuvent remplir leur rôle. D’une façon ou d’une autre, ce vécu modifie les représentations que les parents et les enseignants ont de l’intégration scolaire et de leurs rôles dans ce contexte. Dans certains cas, particulièrement chez les parents, cela ira jusqu’à souhaiter de jouer un autre rôle, celui que tout parent d’enfant ordinaire joue. Connaître les représentations des parents et des enseignants quant à leur rôle nous permet de mieux comprendre l’analyse qu’ils font de leur implication, de la relation parent-enseignant ainsi que des conditions qui mènent soit à un engagement clair et renforcé à l’égard de l’intégration scolaire, soit à un désengagement.

Les participants ont également une vision de ce qu’on attend d’eux (rôle attendu). Les parents pensent que les enseignants attendent d’eux un suivi scolaire à la maison et ils adoptent les pratiques correspondantes. Or lorsque les enseignants s’expriment sur leurs attentes, ils mentionnent le suivi scolaire à la maison. La représentation des parents quant au rôle attendu correspond aux attentes exprimées par les enseignants et réciproquement. Puisque les parents et les enseignants que nous avons rencontrés ne sont pas du même milieu et ne sont pas les parents et les enseignants du même enfant-élève dysphasique, nous ne pouvons déduire ou caractériser un lien entre le rôle attendu des uns et les attentes des autres. Toutefois, cet élément appelle à la réflexion et justifie de poser l’hypothèse d’un tel lien qui reste évidemment à vérifier. Une recherche menée auprès des parents et des enseignants des mêmes enfants-élèves dysphasiques pourrait apporter des éléments de réponses et vérifier si les attentes correspondent bien aux représentations du rôle attendu. Nos résultats indiquent également l’importance dans la relation parent-enseignant de connaître les attentes de l’un à l’égard de l’autre et de vérifier les représentations que l’on a du rôle attendu. Dans le cas où il n’y a pas correspondance entre les attentes et les représentations du rôle attendu, il faut penser à trouver un consensus pour que la relation parent-enseignant soit constructive.

Enfin, la posture du participant est primordiale dans sa façon de concevoir son rôle. Pour le parent, il s’agit de son enfant. En conséquence, il a une posture, des responsabilités et des buts à l’égard de celui-ci qui diffèrent de l’enseignant. Il n’a ni les relations, ni les responsabilités de l’enseignant envers les autres élèves de la classe dans laquelle son enfant est intégré. Le parent voit évoluer son enfant dans différents milieux (famille, école, société) et à différentes étapes de sa vie (naissance, enfance, adolescence, vie adulte). Le parent, à la naissance de son enfant, a une vision de son rôle et imagine les activités qu’il fera avec cet enfant : jouer au ballon, lire des livres, etc. Cette vision change lorsqu’il apprend que son enfant a une déficience langagière. Une fois le choc de l’annonce passé, il entreprend différentes démarches lui permettant de connaître et de comprendre la dysphasie : il participe à différentes thérapies et apprend à fonctionner avec son enfant dysphasique, il rencontre d’autres parents ou des intervenants, etc. Il sélectionne ainsi certaines informations et en rejette d’autres jusqu’à ce qu’il se soit reconstruit une représentation de son enfant qui tient compte de cette déficience. Il adapte son rôle de parent d’enfant ordinaire à celui de parent d’enfant dysphasique.

L’enseignant, de son côté, voit l’élève dans un temps limité (une année scolaire), il ne l’a pas connu et ne le suivra pas durant toutes ses étapes de développement. Il se construit une représentation de son rôle en grande partie à partir de sa formation et de son expérience dans l’enseignement. Sans nécessairement connaître la dysphasie, il a une représentation de ce que doit être son rôle d’enseignant dans le contexte d’intégration scolaire auprès d’enfants présentant des difficultés et des besoins particuliers. Il adaptera son rôle en fonction des caractéristiques de l’élève dysphasique. La posture occupée par l’un et par l’autre permet de mettre en contexte la réalité de chacun ; elle joue sur la représentation que parents et enseignants ont de l’intégration scolaire, de leurs rôles et des attentes qu’ils nourrissent envers les personnes impliquées dans la question d’intégration scolaire.

Les résultats montrent l’importance de la posture des participants (parent, enseignant) sur la représentation qu’ils ont de l’intégration, le choix et les objectifs poursuivis par ce choix. Nous avons vu que, pour les parents, l’intégration sociale est indissociable de l’intégration scolaire, ce qui ne ressort pas chez les enseignants. On peut se demander si cette différence de point de vue peut être source de conflits. Par exemple, comment les parents et les enseignants vont-ils s’entendre sur les besoins de l’enfant intégré si l’un vise l’intégration sociale et l’autre la progression scolaire ?

Conclusion

Le but de cette étude était de mettre en lumière les représentations des parents et des enseignants du primaire au sujet de leur rôle dans l’intégration scolaire d’élèves dysphasiques en classe ordinaire. Les connaissances acquises, au cours de cette étude, permettent de comprendre que les représentations, lorsque confrontées à une réalité, se transforment et peuvent conduire à un changement de position à l’égard de cette réalité. Elles indiquent également que les émotions participent de façon importante à cette transformation. Cela suggère que, selon des conditions mises en place et les émotions ressenties, les représentations peuvent être à nouveau modifiées. Cela permet de poser l’hypothèse suivante : un participant pourrait changer à nouveau sa position à l’égard de l’intégration scolaire si ses attentes sont comblées, s’il joue le rôle qu’il souhaite et s’il ressent une satisfaction à l’égard de ce qu’il vit.

Par ailleurs, les connaissances sur les représentations des rôles et des facteurs pouvant influencer ces représentations permettraient aux intervenants de guider des actions pour développer un partenariat tout en acceptant que chacun ne partage pas nécessairement les mêmes visions. L’important demeure, en premier lieu, d’avoir conscience des différences de point de vue. À partir du moment où le parent et l’enseignant comprennent leurs rôles, ont conscience des facteurs qui les favorisent et savent mesurer leur motivation et leur engagement face à ce rôle, il devient possible de favoriser un partenariat parent-enseignant en mettant en place les conditions permettant de développer une collaboration où chacun est considéré sur un pied d’égalité et où il y a de l’écoute et du respect, tout en tenant compte des contingences provenant du milieu scolaire et des différences de position. Ce qui est important, c’est de s’assurer que la signification que chacun donne aux termes utilisés (soutien, collaboration, attentes, etc.) représente pour tous une évidence.

Cette recherche comporte certaines limites. Bien entendu, le faible nombre de participants ne nous permet pas de généraliser les résultats à l’ensemble de la population, bien que ce ne soit pas le but d’une recherche exploratoire. Ces conclusions peuvent cependant orienter d’autres travaux pour permettre d’améliorer nos connaissances des rôles des parents et des enseignants dans le contexte d’intégration scolaire. Ainsi, des propositions pour faciliter cette relation peuvent concerner autant les futurs enseignants que les enseignants et les parents afin qu’ils développent des attitudes d’ouverture et d’écoute les uns à l’égard des autres.