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Introduction

La « nouvelle politique » dans les établissements scolaires français invite à prendre en compte, autant qu’il est possible, les acquis, les procédures et les rythmes d’apprentissage de chaque enfant. Ainsi, l’objectif prioritaire dès l’école primaire, la conquête de la langue, suppose que tout soit mis en oeuvre pour respecter ce principe. On sait que les différences entre les enfants sont déjà fortes à l’école maternelle, notamment parce que les modes de vie familiaux sont divers et parce que les façons dont chaque famille considère la place du langage dans la vie quotidienne et la place de l’écrit, en particulier, sont elles aussi variées. Les difficultés scolaires ne sont pas isolables du contexte humain, social, culturel, économique qui imprime sa marque à l’ensemble d’un groupe social. Ainsi, il s’agit de choisir des moyens pour répondre à un défi dont la dimension est avant tout socioculturelle, d’assurer dans les zones sensibles, recouvrant largement la carte des Zones d’éducation prioritaires (ZEP), la réussite scolaire de tous les élèves, l’acquisition par tous d’une qualification et l’intégration civique et sociale. L’objectif de l’école primaire étant la conquête de la langue, l’équipe pédagogique doit agir de manière déterminante dès le début du cycle 1 (3 ans) jusqu’à la fin du cycle 3 (10 ans), pour que chaque enfant accède à une pratique efficace de la langue française. Cette pratique devra se poursuivre et se renforcer tout au long du collège (11 ans à 14 ans). On sait par ailleurs que selon la loi d’orientation sur l’éducation du 10 juillet 1989, l’enseignant doit organiser son enseignement de telle manière que les élèves acquièrent connaissances et méthodes ; cela doit être fait en prenant en compte les rythmes d’apprentissage de chacun.

Dans ce contexte, nous nous proposons de présenter les principaux résultats de deux études réalisées à partir de l’analyse de productions écrites d’élèves. Notre objet d’analyse porte sur l’étude de l’emploi des organisateurs textuels et des temps du récit au travers de 91 textes narratifs produits par des élèves de 9 ans (CM1) et de 10 ans (CM2) (Schultz-Romain, 1999), puis au travers de 171 textes narratifs produits par des élèves issus des quatre niveaux du collège (11 ans - 6e, 12 ans - 5e, 13 ans - 4e et 14 ans - 3e) (Schultz-Romain, 2000). Tous sont issus de milieux socioculturels contrastés. L’analyse de ces productions écrites vise à établir s’il existe des différences entre les élèves selon leurs niveaux scolaires et selon leurs milieux socioculturels (défavorisés / favorisés) en fonction des trois indicateurs retenus pour les besoins de l’analyse : la structure narrative, les temps verbaux et les connecteurs.

Après avoir fait une première présentation des différents indicateurs retenus pour les besoins de l’analyse au travers d’un rapide état des lieux en linguistique, en sociolinguistique et en psycholinguistique, nous présenterons la méthodologie : le terrain, le recueil des données, les modalités de production, le codage des textes et la méthode d’analyse. Puis, nous présenterons l’analyse des résultats obtenus à la suite du traitement des 262 productions narratives d’élèves âgés de 9 à 14 ans.

Cadre théorique

Les notions d’organisateurs textuels et de temps méritent de faire l’objet d’une étude commune. En effet, l’utilisation d’organisateurs textuels et de temps déterminés suppose le respect d’une certaine structure narrative ; ils participent donc à la cohésion du texte narratif. Nos objectifs consisteront à déterminer s’il existe des différences significatives du point de vue des compétences discursives selon l’origine socioculturelle des élèves ou encore s’il y a des similitudes du point de vue de ces mêmes compétences si aucune distinction n’est établie quant à leur origine socioculturelle. Les nouveaux programmes de 2002 ont introduit ces éléments de grammaire textuelle. C’est là une véritable nouveauté : jusqu’alors, la grammaire scolaire s’en tenait aux limites de la phrase. Les programmes de 1995 étaient extrêmement timides à l’égard des ouvertures vers le texte[1]. À présent, dès l’âge de huit ans, les élèves travaillent sur les anaphores (retrouver à quel substantif du texte renvoient les différents substituts : pronoms, substituts nominaux), sur les connecteurs (interpréter correctement les différents mots de liaison d’un texte) et sur l’emploi des temps verbaux dans les récits (comprendre correctement la signification des divers emplois des temps verbaux du passé dans la narration).

Avant de présenter l’état des lieux des différentes recherches sur lesquelles nous nous sommes appuyée pour mener notre propre analyse, nous évoquerons les difficultés rencontrées par certains élèves dans leur maîtrise de la langue en milieu scolaire et, plus particulièrement encore, des causes possibles de la notion d’échec scolaire. Étant entendu que notre objet d’étude se limite à l’analyse du contenu formel des textes, nous ne chercherons pas à proposer des pistes hypothétiques ou explicatives, des pistes pédagogico-didactiques ou encore à tirer des conclusions. Nous attirerons seulement l’attention du lecteur sur les points clés des résultats obtenus à la suite du traitement des données, en visant à établir des relations entre les indicateurs retenus pour les besoins de l’analyse et l’appartenance socioculturelle des élèves.

Échec scolaire et appartenance sociale

Influence du milieu socioculturel

Au début des années 1960, la notion de handicap socioculturel apparaît aux États-Unis. La thèse centrale avance qu’il manque aux élèves issus de milieux défavorisés les bases culturelles et linguistiques nécessaires pour réussir à l’école, car leur milieu, culturellement et linguistiquement pauvre, ne leur permet pas de se développer intellectuellement. Ces conceptions du langage sociodifférencié se retrouvent chez Bernstein (1975), tout comme plus tard dans les travaux de Lahire (1993) et de Bentolila (1996). Il faut néanmoins noter que Lahire (1999), critiquant le traitement des concepts produits par Bentolila, appellera à la vigilance dans le traitement analytique de l’espace social. Il lui reproche notamment de négliger les aspects socioéconomiques de la maîtrise de la langue. La thèse principale de Bernstein consiste en le fait que l’apprentissage et la socialisation sont marqués par la famille dans laquelle les élèves sont élevés et, donc, que la structure sociale détermine entre autres choses les comportements linguistiques. Il définit ainsi deux codes : le code restreint du milieu défavorisé (classe ouvrière - working class) et le code élaboré du milieu favorisé (classe supérieure - upper class). Ainsi, l’appartenance socioculturelle à un milieu défavorisé constituerait un handicap. De leur côté, Charlot et Figeat (1985) souligneront que les aptitudes ne sont pas génétiques, mais développées par le milieu. La critique du handicap socioculturel va ensuite être conduite par des linguistes qui s’intéressent à l’enseignement dans les ghettos. Au contraire de l’approche de Bernstein, la classe sociale devient une variable parmi d’autres. Selon Labov (1976), il n’y a pas de supériorité générale du sujet fonctionnant en code élaboré sur le sujet fonctionnant en code restreint. En France, dès les années 1964, les sociologues Bourdieu et Passeron (1970) ainsi que Baudelot et Establet (1971) présentent l’école elle-même comme la cause de l’échec des élèves issus des couches défavorisées. En effet, le modèle culturel de l’école étant celui des couches favorisées, celle-ci ignore la diversité des cultures et, par conséquent, les inégalités des élèves devant la culture. En réalité, les élèves de milieux défavorisés ne sont pas moins intelligents, mais un certain nombre d’outils dont ils disposent sont censurés par l’école. À partir des années 1980, ce problème est repris sur de nouvelles bases. En particulier, la notion de rapport instrumental au savoir va apparaître : pour les élèves issus de milieux défavorisés, seule la vie active fait sens, et non le savoir scolaire. C’est le problème du sens de l’activité langagière dans le milieu scolaire. Selon Charlot, Bautier et Rochex (1992) ainsi que Vargas (1998), c’est d’abord leur rapport au savoir et à l’école qui permet de comprendre ces problèmes, et non la seule comparaison avec les élèves en réussite scolaire.

Conflits entre normes identitaires et normes scolaires

Le problème pour l’enfant issu d’un milieu socioculturel dit « défavorisé » consiste en ce que le langage, dans son univers, détient une fonction proprement pragmatique ou pratique. Ces élèves se demandent toujours si ce qu’ils font à l’école va leur permettre d’avoir une «  belle vie ». Selon, Charlot et son équipe (1992) de même que Vargas (1996, 1998), les élèves issus de milieux défavorisés et les élèves issus de milieux favorisés obéissent à deux logiques différentes. La première est liée à l’accès au métier, à la fréquentation de l’institution « École » et à la réussite au sein de celle-ci. La seconde établit un lien entre le métier et l’acquisition de savoirs. Le rapport au savoir des élèves issus de milieux défavorisés ne se fait pas en regard d’un objet détenant une existence et une valeur propre, mais s’établit davantage par le biais de l’institution scolaire ; il s’agit d’un rapport à l’avenir. Dans les « bonnes » classes, la référence première est, au contraire, le savoir lui-même. Aussi, les élèves en difficulté scolaire qui se trouvent majoritairement dans les ZEP ou dans les quartiers populaires présentent des lacunes en matière de savoir, de compétences, et sur le plan du sens accordé au savoir. Dans ce contexte, l’apprentissage du français et des domaines qui y sont liés (lecture, écriture) sont beaucoup plus complexes qu’il n’y paraît de prime abord. En effet, cet objet d’étude va de pair avec la représentation de la langue qui, elle, dépend des valeurs et des pratiques sociales qui y sont rattachées. La première relation que l’enfant entretient avec la langue est de type instrumental. Il s’agit donc, dans ce contexte, de modifier ce rapport pour faire de l’outil un objet d’étude signifiant. Bronckart (1996) souligne que tout énoncé étant contextuellement situé, le lieu social duquel il émerge se voit alors identifié. Ainsi, l’énoncé produit par un émetteur donne une idée quant à l’intégration de celui-ci dans la communauté et détermine la pertinence de sa position énonciative. Dans le cas des élèves issus de milieux sociaux défavorisés ou de milieux où le français n’est pas la langue première, on va éventuellement modifier cet outil langagier en apprenant à l’enfant des règles grammaticales ou du vocabulaire. Ainsi, une modification des formes langagières s’opère au sein de l’école et non au sein du milieu familial. Au cours de recherches menées dans les années 1990 dans certaines ZEP, Charlot et son équipe (1992) ont souligné la forte résistance des barrières culturelles qui font que ces élèves vont très rapidement avoir le sentiment d’une dénaturation de leur langue et surtout d’une dévalorisation de leur milieu familial où l’écrit est utilisé dans son caractère le plus pratique et où le travail manuel prime sur le travail intellectuel ; ce dernier se révèle même quasi inexistant dans la plupart des cas. Tout cela va, dans la très large majorité des cas, provoquer un sentiment d’aliénation envers la langue (Gombert, 1990 ; Charlot et al., 1992 ; Vargas, 1996). L’outil qui, jusque-là, apportait satisfaction à l’enfant ne convient plus. Selon Vargas (1997), l’école construit moins un modèle qu’un portrait de la langue : écrite, unifiée, corsetée et orthographiée. Ce portrait est étranger à l’image de la langue que l’enfant issu d’un milieu socioculturel défavorisé s’était construit empiriquement. La langue apparaît donc comme un des lieux où se manifestent les rapports et les conflits à l’oeuvre dans la société (Vargas, 1997). Pour éviter que les normes maternelles véhiculées par les pairs au sein des milieux dits défavorisés fonctionnent comme des contre-normes vis-à-vis de celles de l’école, et pour éviter que les attitudes prescriptives à l’égard des contre-normes confortent ces enfants dans le rejet du Français Normes étrangères, Vargas (1996) propose de recevoir positivement leur Français Normes maternelles et/ou leur Français Normes des Pairs oral et d’en faire un objet d’analyse. De la sorte, ces enfants se sentiront reconnus et pourront en venir à reconnaître la fonctionnalité des formes langagières dites légitimes. Ainsi, l’école est en mesure d’intervenir en donnant à chaque enfant les moyens d’acquérir les codes spécifiques de la langue qui permettent d’être à l’aise dans des sociabilités plus larges que celles auxquelles ils se rattachent spontanément (voir le concept de didactique plurinormaliste de la langue maternelle de Vargas, 1991). Pour conclure, mentionnons rapidement certaines recherches à dominante ethnographique, réalisées ou en cours, qui ont porté sur l’étude des phénomènes d’enseignement et d’acculturation scolaire dans le cadre de la scolarité obligatoire. Elles ont permis de montrer l’intérêt et la nécessité d’examiner les arrière-plans (pratiques sociales, scolaires ou familiales afférentes à l’usage des règles) pour comprendre l’action des enseignants, mais aussi la façon dont les élèves incorporent les règles spécifiques de la « culture scolaire » et les divers rapports qu’ils établissent à l’égard de l’usage des connaissances enseignées (voir les travaux de Clanché, 1999a, 1999b et de Sarrazy, 2001, 2002a, 2002b).

Les organisateurs textuels

Classification traditionnelle des connecteurs temporels

Riegel, Pellat et Rioul (1994) recensent les connecteurs temporels, les connecteurs argumentatifs et les connecteurs énumératifs. Ils présentent les connecteurs, dans l’enchaînement linéaire du texte, comme « des éléments de liaison entre des propositions ou des ensembles de propositions ; ils contribuent à la structuration du texte en marquant des relations sémantico-logiques entre les propositions ou entre les séquences qui le composent » (Riegel, Pellat et Rioul, 1994, p. 616). Ces auteurs les regroupent en deux grandes classes. D’une part, il y a les connecteurs temporels (alors, ensuite, après, et, puis, etc.) et les connecteurs spatiaux (ici, là, en haut, en bas, à gauche, à droite, devant, derrière, etc.) qui ordonnent la réalité référentielle. D’autre part, on trouve les connecteurs argumentatifs (au contraire, quand même, pourtant, donc, etc.), les connecteurs énumératifs (aussi, en, de plus, d’abord, ensuite, etc.) et les connecteurs de reformulation (autrement dit, en un mot, etc.) qui marquent les articulations du raisonnement. Les premiers se rattachent surtout au récit (narration et description) et les seconds, à l’exposé des idées. Cependant, si ces connecteurs sont associés à un certain type de texte, ils ne sont pas pour autant exclus d’autres types où ils prennent éventuellement d’autres valeurs. À ce stade, nous signalons que nous privilégierons le terme d’organisateur textuel, dans le cadre de cette étude, puisqu’il va s’agir d’étudier ces outils linguistiques en fonction de leur rôle d’introducteur des différentes étapes de la structure narrative des élèves et non d’opérer un relevé exhaustif des différents connecteurs utilisés dans les textes étudiés.

Études portant sur l’analyse de la maîtrise de l’utilisation des connecteurs chez les enfants à l’école primaire (enfants de 6 à 10 ans) et au collège (enfants de 11 à 14 ans)

Fayol (1981) est l’un des premiers à s’être intéressé aux problèmes de la mise en texte chez les enfants. Ayant étudié des récits d’enfants de six à dix ans, il a établi que le problème ne se situe ni dans la maîtrise cognitive des notions, ni dans la connaissance linguistique des marques, mais dans la structuration des textes. Fayol a étudié un corpus de 250 textes. Il montre que, pour les enfants de sept ans, c’est essentiellement la situation déictique qui compte (la relation avec la situation d’énonciation), alors que pour les enfants de neuf ans, on assiste à un début de prise en compte de la dimension intratextuelle (relation des événements entre eux). De plus, le travail de Fayol (1981, 1986) montre que l’on assiste, de six à dix ans, à la mise en place et à l’utilisation d’oppositions de plus en plus diversifiées. Les constatations de Fayol (1981) sont confirmées par celles de Bronckart et Schneuwly (1984) et de Schneuwly et Rosat (1986). Ces derniers ont pu observer des variations très importantes des configurations d’organisateurs en fonction de quatre types de textes (argumentation, explication, récit, narration). La superstructure plus ou moins marquée des différents types a une incidence particulièrement importante sur la densité des organisateurs. Le rapport entre la planification et l’utilisation d’organisateurs semble donc étroit. Les résultats de leur étude rejoignent ceux de Smith et Frawley (1983) qui montrent notamment que les catégories d’organisateurs textuels utilisés varient étroitement en fonction des conditions de production de texte qui ont une incidence importante sur la dimension coordination/subordination.

Au collège, ce sont notamment Bronckart et Schneuwly (1984) qui ont étudié, chez les jeunes de 11 à 14 ans, la production des organisateurs textuels dans trois types de textes nés de trois situations contrastées : le discours théorique, le discours en situation et le récit conversationnel. Les constatations de ces auteurs confirment celles de Fayol (1981). Concernant plus particulièrement les enfants de 11 à 12 ans, ils ont établi que « et », « mais », « car » et « donc », appelés par les auteurs coordinateurs à valeur logique, sont nettement plus fréquents dans les récits conversationnels que dans les discours en situation ou dans les discours théoriques où ce sont surtout des organisateurs textuels temporels qui sont produits (puis, alors, ensuite, après). Ce constat ne coïncide pas avec d’autres études sur le sujet, dont celle de Kernan (1977). À la suite de ce résultat paradoxal, Bronckart et Schneuwly (1984) ont émis l’hypothèse que la macrostructure sémantique des récits conversationnels était à ce point prégnante que l’ordre de succession des propositions et la présence du coordinateur neutre « et » suffisaient pour la « marquer en surface », et cet effet est sans doute renforcé par le caractère écrit des récits conversationnels. Par ailleurs, Bronckart et Schneuwly (1984) ont relevé que si dans les productions narratives des élèves de dix ans les organisateurs textuels temporels étaient très fréquemment produits, les organisateurs textuels argumentatifs étaient, à 13 ans, tout aussi fréquents dans les récits écrits. Schneuwly (1988) a d’ailleurs établi que l’acquisition des compétences argumentatives était mise en place tardivement, vers 12 ou 13 ans. Bronckart et Schneuwly (1984) ont également relevé chez ces derniers une diversification des organisateurs textuels par rapport aux élèves de dix ans. De même, ils ont noté un emploi massif du « et » dans le récit, comparativement au discours. Aussi, les organisateurs textuels « après » et « ensuite » dominent dans les récits écrits, en ce qu’ils servent à marquer la succession des événements. Entre dix ans et onze ans, un accroissement de l’occurrence de « alors » est constaté. Il semble être utilisé comme marqueur de succession temporelle. Turco et Coltier (1988) soulignent que l’une des difficultés les plus fréquemment signalées par les enseignants de collège relève de l’incapacité de leurs élèves à organiser les matériaux qu’ils ont rassemblés. Ils ont consacré leur étude aux marqueurs d’intégration linéaire, selon l’appellation d’Auchlin (1981), tels que « d’abord », « ensuite » et « enfin ». Cette étude leur a permis de souligner, d’une part, qu’en cas d’absence de marqueurs d’intégration linéaire, les élèves présentaient des problèmes de compréhension de texte. D’autre part, l’absence, dans la phase d’écriture, de marqueurs spécifiques que les élèves interprètent correctement en lecture témoigne moins de leur incapacité à les activer au moment de la production que d’une difficulté plus fondamentale à planifier et à organiser leurs textes. Ainsi, ce n’est pas parce que les élèves n’utilisent pas de marqueurs d’intégration linéaire qu’ils ne les connaissent pas ou qu’ils ne les comprennent pas. Selon Turco et Coltier (1988), il s’agit avant tout, outre la conduite d’un travail d’ordre lexical sur les différents organisateurs textuels, de privilégier les activités plus globales concernant l’organisation des textes. Selon une étude menée par Florès d’Arcais (1978), différentes stratégies caractérisent l’évolution de la différenciation. Dans un premier temps, l’enfant choisit le connecteur sur la base de sa familiarité (indépendamment du fait qu’il soit ou non approprié au contexte) ou de sa similitude physique avec un connecteur déjà connu (avant / après). Ensuite, la stratégie la plus fréquente consiste à choisir un connecteur non connu après avoir exclu les connecteurs connus non appropriés. Enfin, plus tardivement, l’enfant choisit un connecteur qui présente des éléments communs avec le connecteur approprié, ces recouvrements partiels impliquant que l’enfant possède déjà un savoir sur les différences et les similitudes entre ces mots. Par conséquent, les tâches qui exigent un haut niveau d’abstraction (par exemple, la hiérarchisation des connecteurs par proximité) requérant une connaissance de la signification hors contexte ne sont pas maîtrisées avant l’âge de 11 ou 12 ans. Néanmoins, Kail et Weissenborn (1984) estiment que, si de telles recherches apportent un éclairage nouveau dans un domaine où l’on infère trop souvent la connaissance des connecteurs à partir de la compréhension des phrases où ils sont insérés, il reste que la nature très métalinguistique des connecteurs ne permet pas d’atteindre le savoir implicite à l’oeuvre dans la différenciation linguistique de ces derniers.

Les temps normés du récit

Concernant les temps normés du récit, la mise en relief temporel de Weinrich (1973) désigne le fait que les temps ont parfois pour fonction de donner du relief à un texte en projetant au premier plan (plan de l’action, du récit proprement dit) certains éléments du contenu et en repoussant d’autres éléments en arrière-plan (ce qui, à lui seul, n’éveillerait pas l’intérêt, mais qui aide le lecteur à s’orienter à travers le monde raconté en rendant sa lecture plus aisée). L’imparfait et le passé simple sont, en français, des temps narratifs. Le premier est, dans le récit, le temps de l’arrière-plan et le second, celui du premier plan. Ainsi, leur fonction dans le récit n’est autre que de lui donner du relief, en l’articulant par une alternance récurrente de ces deux plans. Le problème que va rencontrer l’enfant à l’école élémentaire sera de passer progressivement du discours (oral) au récit (écrit) et d’un type d’énonciation qui lui est familier à un type d’énonciation qu’il connaît plutôt en tant que récepteur (de contes, de romans, etc.). Ce passage va lui poser des problèmes sur le plan de l’emploi des pronoms et des adverbes ainsi que de la sélection et du jeu des temps de verbes. Du point de vue des compétences, les élèves de neuf à dix ans doivent savoir employer l’imparfait en situation, notamment dans l’univers du non-vécu. Selon Bronckart, Sinclair et Du Cher (1985), les unités spécifiques de la narration sont le passé simple, l’imparfait, les organisateurs temporels et l’absence de futur (à l’exception du futur d’anticipation). Cependant, d’après ces auteurs, la singularité d’un texte narratif est assurée avant tout par le sous-système temporel passé simple/imparfait. Par conséquent, pour l’élève arrivé au cycle des approfondissements (huit à dix ans), il s’agira moins d’enregistrer mécaniquement la morphologie des conjugaisons que de s’initier à l’usage des temps et des modes et d’en appréhender progressivement la signification. L’emploi du couple imparfait/passé simple dans un récit emprunté à l’univers du non-vécu (avec la présence de connecteurs temporels comme « il était une fois », « soudain », etc.) doit être acquis à dix ans. En effet, il faut que les élèves soient capables, à ce stade de leur scolarité, de distinguer dans un texte ce qui est central et qui concerne le premier plan de ce qui est secondaire et qui concerne l’arrière-plan. Ils doivent par ailleurs être capables de réinvestir ce savoir dans leurs productions écrites, avec l’emploi maîtrisé des temps correspondants. Enfin, à onze ans (c’est-à-dire à leur arrivée au collège), les élèves doivent savoir employer l’imparfait en situation, notamment dans l’univers du non-vécu.

Pour clore cet état des lieux, nous rappellerons que Schneuwly (1988) souligne la difficulté chez les jeunes enfants à passer d’un langage oral à un langage écrit du fait de la nécessaire prise en compte, d’un point de vue formel, du destinataire et du but dans la construction de l’énoncé. Il ajoute que les capacités rédactionnelles doivent être partiellement réapprises pour chaque type d’écrit et insiste sur l’importance de proposer aux élèves une diversification des activités d’écriture afin que ces derniers parviennent à s’approprier des « schèmes d’utilisation ». Selon Fayol (1996), l’objectif consiste à repérer les lacunes des apprenants et à mettre en oeuvre des procédures visant à induire l’acquisition. Toutefois, Bonnotte et Fayol (1993) soulignent que les connaissances des paradigmes linguistiques, tels que l’acquisition des formes verbales, sont parfois très complexes à mettre en place. Ainsi, des études longitudinales montrent que les formes verbales ne sont pas encore clairement établies à l’écrit chez les enfants de dix ans. C’est pourquoi Fayol (1992) décrit la production écrite comme une activité complexe, nécessitant la coordination d’opérations diverses, nombreuses et souvent cognitivement coûteuses. Ainsi, la recherche et l’organisation des idées peuvent venir à l’emporter sur les aspects linguistiques formels. Finalement, partant du constat qu’il existe des ensembles de genres textuels adaptés à des situations de communication ou d’activités déterminées, Dolz et Pasquier (1993), mais aussi Schneuwly et Dolz (1997), insistent sur l’importance de rendre l’élève conscient de cette correspondance, et de le rendre apte à choisir les modèles de genres pertinents pour une activité langagière donnée. De plus, sachant que les élèves rencontrent divers problèmes linguistiques lors de la rédaction ou de la lecture-compréhension de tout texte, il faut leur permettre d’accéder à la maîtrise technique de sous-ensembles de processus de structuration des textes. Dans cette perspective, Dolz, Noverraz et Schneuwly (2000) soulignent la nécessaire prise en considération par les enseignants, dans la construction de leurs séquences, de l’utilité, de la finalité et de la fonctionnalité scolaire du genre à enseigner, de la constitution d’un corpus de textes adéquats par rapport aux capacités des élèves, fournissant des exemples du genre considéré et, bien sûr, de la prise en compte du genre ainsi que des pratiques sociales de référence associées. Enfin, Lammertyn (2000) rappelle l’intérêt de la finalité de la didactique du récit à travers la représentation de l’acte d’écrire par les élèves et notamment du recours à l’imaginaire. Dans cette perspective, l’importance de la clarté de la consigne dans la réussite de la production est rappelée par Froment et Hudelot (2002). Ces derniers s’intéressent à ce que font les élèves d’une consigne magistrale trop vague ; les savoirs, expérience et points de vue mobilisés par les élèves vont être très différents. Ce qu’ils « entendent » de la consigne va se projeter dans leur texte, découvrant en même temps une part de ce qu’ils sont eux-mêmes. Chaque élève répond à sa manière à la consigne, sans que le sens qu’il y trouve corresponde à ce que cherche le maître. D’où l’importance de rendre la consigne la plus claire possible.

Méthodologie

Le terrain

Afin de mener notre étude, il nous fallait trouver deux écoles et deux collèges, avec pour chacune des écoles une classe de CM1 (9 ans) et une classe de CM2 (10 ans) et pour chaque collège une classe de 6e (11 ans), de 5e (12 ans), de 4e (13 ans) et de 3e (14 ans). Nous signalons que nous avons choisi la lettre A pour désigner le milieu socioculturel dit «  favorisé » et la lettre B pour désigner le milieu socioculturel dit « défavorisé ».

L’école et le collège à milieu socioculturel favorisé (A)

Les enseignants nous ont informée que la population d’élèves composant ces classes était d’origine française. Tous sont nés en France et, dans leur milieu sociofamilial, on parle exclusivement le français. Les deux parents travaillent dans 90 % des cas. Ils occupent des postes à responsabilités ou exercent des professions libérales. Ces deux établissements se situent dans le cinquième arrondissement de Marseille, à quelques minutes du centre-ville. Le quartier est relativement bourgeois et il y a de très nombreux commerces, le tramway marseillais, le métro, de nombreuses lignes d’autobus, un hôpital, deux hôtels, un lycée technique, deux écoles et deux grands supermarchés. Le quartier est très vivant ; jeunes et vieux s’y côtoient.

L’école et le collège à milieu socioculturel défavorisé (ZEP) (B) 

Pour ces milieux, nous avons également pu obtenir un certain nombre d’informations par les enseignants. Ainsi, la grande majorité de la population d’élèves composant les classes du cours moyen et du collège sont des enfants et des petits-enfants d’immigrés. Dans leur milieu sociofamilial, on parle pour la grande majorité le français. Par ailleurs, la situation sociale des parents est diverse : chômage, bénéficiaires du Revenu minimum d’insertion (RMI), longue maladie, monde ouvrier. Les mères sont sans profession pour la majorité. La situation économique de la famille souche semble donc être précaire. Au cours moyen, on notera, toujours selon les enseignants, que les parents se disent, pour un certain nombre, soucieux de l’avenir scolaire de leurs enfants, mais se reconnaissent incompétents pour les aider. Lorsque le contact est bien établi avec l’école, ils s’en remettent volontiers à l’enseignant afin de surveiller le travail de leurs enfants. De même, au collège, on notera que les enfants sont issus de familles nombreuses, vivant dans de trop petits logements sociaux où rares sont les enfants ayant leur propre chambre. Ils ne bénéficient d’aucun soutien parental pour leurs études. Un grand nombre de ces élèves sont considérés «  à problème » par les enseignants. Ces élèves sont sous contrat, c’est-à-dire qu’ils peuvent être exclus de l’établissement à tout moment du fait essentiellement de leur violente indiscipline, dont nous avons d’ailleurs été le témoin à de multiples reprises. Enfin, on soulignera que lorsque nous avons souhaité connaître la profession des parents et, plus généralement, le milieu socioculturel des familles, nous avons rencontré de grandes résistances et réticences. Ainsi, il ne nous a pas été possible de prendre connaissance des dossiers concernant les élèves[2].

Concernant la localisation géographique, l’école primaire est située dans le centre-ville de Gardanne, commune des Bouches-du-Rhône, situé à 30 kilomètres de Marseille. Le centre-ville, assez pauvre, héberge 70 % de chômeurs. On y trouve des commerces et un lycée. Une citée, composée de HLM, se situe à deux cents mètres de l’école. Le collège, quant à lui, est situé tout près du centre-ville de Vitrolles, commune des Bouches-du-Rhône, situé à 40 kilomètres de Marseille. Il est entouré par une autoroute et par une cité, composée de HLM, donnant directement sur les salles de classe.

Pour terminer, nous signalons que, d’une manière générale, l’accueil a été assez bon dans les deux écoles, tant du côté des enseignants que du côté des élèves. Néanmoins, force est de constater que lors des visites dans les établissements B, l’enthousiasme de ces élèves a été de courte durée. En effet, lors de la présentation et des consignes – à savoir, écrire une histoire à partir d’une image – ils se sont montrés assez hostiles. Prévenus à l’avance des sérieuses difficultés que ces élèves éprouvaient en expression écrite, nous avons présenté le travail à faire avec la plus grande délicatesse possible, en leur rappelant à plusieurs reprises que, dans ce cadre, l’orthographe était sans importance, qu’aucun jugement ne serait porté, que leur production ne serait pas notée… Finalement, au sein de l’école, après de multiples explications, ils se sont prêtés avec plaisir et, nous le croyons, avec entrain, à ce travail. En revanche, au sein du collège, et bien qu’ils se soient prêtés à cet exercice, force est de constater que les élèves se sont sentis contraints par les exigences de la consigne. Ainsi, une part d’entre eux ne l’ont pas respectée, puisqu’ils ont raconté des histoires qui n’avaient pas l’image proposée comme support. Nous avons néanmoins conservé ces copies, car elles comportaient un récit. D’autre part, notons que les productions des classes de 4e et de 3e ont été réalisées dans un vacarme qui aura été à la limite de dégénérer en bagarre générale.

Recueil des données

Comme nous l’avons évoqué, notre travail a consisté à examiner des productions d’élèves qui consistaient en un premier jet. Nous avons donc travaillé sur les compétences immédiatement utilisables et non sur des compétences médiates, mobilisables seulement à travers des procédures réflexives de type métalinguistique. À partir d’une image que nous leur avions amenée, représentant une grande scène de bataille, les élèves devaient produire, sur notre demande, un texte racontant l’histoire dans laquelle s’inscrivait la scène. Une fois les textes recueillis et rendus anonymes, nous avons eu à effectuer leur « toilettage ». Certains d’entre eux étant inexploitables quant à l’intérêt du sujet, nous les avons laissés de côté (pour les écoles : textes exclusivement descriptifs, textes se réduisant à deux ou trois mots, dialogues ; pour les collèges : textes exclusivement descriptifs). Deux constatations initiales s’imposent à ce stade de la démarche : d’une part, les copies des élèves des établissements B sont plus difficiles à lire, car les mots sont mal découpés et écrits de manière phonétique, alors que pour les élèves des établissements A, les productions sont souvent plus longues, plus lisibles et plus chargées de contenu. D’autre part, chez les élèves des établissements B, il convient d’avouer qu’à première vue, leurs textes donnent une très mauvaise impression (il faut dire que nous avions à nous défaire d’un certain a priori défavorable, le fameux « effet d’attente » dont parlent les psychologues). Mais qu’en est-il vraiment ? Que constatons-nous ? Dans l’ensemble, pour les deux écoles et pour les deux collèges, nous constatons une assez bonne écriture qui serait tout à fait lisible si ce n’était le découpage extrêmement fantaisiste des mots. Surtout, nous pouvons constater que plusieurs élèves possèdent une certaine compétence narrative. De plus, les récits répondent dans de nombreux cas à la consigne. Enfin, nous rappelons que nous avons mis de côté quelques copies que nous n’avons pu insérer dans notre étude ; si, au cours moyen, il y en avait plusieurs, les copies non exploitables sont particulièrement peu nombreuses au collège.

Méthode d’analyse

Une fois effectué le « toilettage » de toutes les copies, nous nous sommes appliquée à découper chaque texte en fonction de la structure narrative adoptée. Ce découpage a été particulièrement délicat à effectuer, car il n’a pas été toujours facile de déterminer la limite entre deux étapes de la structure narrative (par exemple, il a été difficile de déterminer là où s’arrête la complication et là où commence l’action, car il y a plusieurs événements qui viennent troubler le récit). Puis, nous avons procédé à un relevé exhaustif des temps employés à l’intérieur de chacune des étapes de la structure narrative utilisée par chaque élève, ainsi qu’à un relevé exhaustif des différents types d’organisateurs textuels utilisés pour introduire ces mêmes étapes. On notera qu’il a parfois été difficile de déterminer le temps employé dans certaines constructions (par exemple, « dit » est à la fois la forme du présent et du passé simple ; le premier verbe du texte étant au présent et les deux verbes suivants étant au passé simple, nous en avons conclu que ce quatrième verbe était au passé simple).

À ce stade, et pour chacune des productions narratives recueillies, notre démarche a consisté à analyser, pour chaque étape de la structure narrative (cinq étapes ont été recensées lors de l’analyse des textes narratifs : situation initiale, complication, action, résolution, situation finale) l’utilisation, par les élèves, des temps caractéristiques de l’énonciation de type historique (dont le couple imparfait / passé simple est le principal illustrateur) ou d’autres temps. Nous avons aussi observé leur utilisation des organisateurs textuels pour introduire les différentes étapes de la structure narrative. En outre, nous avons vérifié s’ils utilisent une structure narrative quinaire ou bien minimale (situation initiale ou complication / action / résolution ou situation finale) ou encore incomplète (récit tronqué, c’est-à-dire l’absence de situation initiale et de complication ou bien l’absence de résolution et de situation finale). De plus, nous nous sommes demandée si certains organisateurs textuels sont plus utilisés que d’autres pour certaines étapes de la structure narrative, s’il existe des différences et/ou des similitudes suivant les classes et/ou suivant les milieux socioculturels et, finalement, s’il y a des rapports entre l’emploi des temps et l’emploi des organisateurs textuels. Notre objectif consiste à établir d’éventuelles relations entre ces différents indicateurs ainsi qu’entre les performances textuelles et les origines socioculturelles. À ce stade nous émettrons l’hypothèse que les enfants issus d’un milieu socioculturel défavorisé utiliseront peu d’organisateurs textuels, présenteront de sérieuses lacunes concernant les temps du récit et que leurs structures narratives seront souvent incomplètes ; en revanche, les enfants issus d’un milieu socioculturel favorisé utiliseront de nombreux organisateurs textuels, maîtriseront les temps du récit et choisiront le plus souvent une structure narrative quinaire.

Enfin, avant de commenter les résultats obtenus, il conviendra de noter quelques points concernant la maîtrise des formes discursives de l’écrit des élèves issus de milieux socioculturels contrastés. D’une part, il faut relever que les différents niveaux scolaires étudiés présentent bien évidemment des élèves différents. D’autre part, il faut rappeler qu’il s’agit seulement de 12 classes et non de toutes les classes de tous les collèges ; par conséquent, il s’agit d’éviter de parler en termes de stricte progression et de généraliser les résultats obtenus. De même, comme ce ne sont pas les mêmes élèves que l’on a suivis tout au long du collège (de 11 à 14 ans), d’autres variables peuvent intervenir ; par exemple, il serait relativement difficile de parler de régression d’une classe à l’autre dans le cas d’un groupe de 3e (élèves âgés de 14 ans) «  faible » et d’un groupe de 4e (élèves âgés de 13 ans) particulièrement performant. Par conséquent, il existe une part d’aléatoire dont il faut s’accommoder, car il ne serait neutralisable que par l’étude d’un grand nombre de classes. C’est pourquoi, comme nous l’avons énoncé plus haut, nous nous garderons de tirer des conclusions fermes, interprétatives ou explicatives pour nous contenter de comparer les résultats obtenus avec ceux d’autres études énumérées ci-avant.

Les résultats de l’analyse du corpus

Les élèves de 9 à 10 ans

Avant de présenter les résultats de l’analyse conduite au cours moyen, nous proposons, à travers le Tableau 1, une présentation synthétique de la fréquence d’utilisation par les élèves, dans les copies étudiées pour les besoins de l’analyse, de la combinaison organisateurs textuels/temps normés du récit écrit (énonciation de type historique)/structure narrative. Puis, dans les Tableaux 2 et 3, nous proposons une présentation synthétique de la fréquence d’utilisation des organisateurs textuels et des temps par les élèves.

Tableau 1

Fréquence d’utilisation de la combinaison organisateurs textuels/temps normés du récit écrit/structure narrative par les élèves de 9 à 10 ans

Fréquence d’utilisation de la combinaison organisateurs textuels/temps normés du récit écrit/structure narrative par les élèves de 9 à 10 ans

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Tableau 2

Fréquence d’utilisation des organisateurs textuels par les élèves de 9 à 10 ans

Fréquence d’utilisation des organisateurs textuels par les élèves de 9 à 10 ans

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Tableau 3

Fréquence d’utilisation des temps par les élèves de 9 à 10 ans

Fréquence d’utilisation des temps par les élèves de 9 à 10 ans

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L’analyse du corpus montre une forte corrélation entre les différents indicateurs retenus pour évaluer une compétence textuelle écrite, à savoir la présence d’une structure textuelle caractéristique du corpus considéré (quinaire ou ternaire), l’utilisation d’organisateurs textuels et l’emploi normé des temps du récit (couple classique, mais non exhaustif d’autres temps, caractérisant l’énonciation de type historique). L’analyse fait également apparaître des évolutions attendues entre les deux niveaux de scolarité. Ainsi, dans les deux écoles, on assiste à une progression quant à l’utilisation correcte des temps du récit, des organisateurs textuels et d’une structure narrative cohérente. Ces résultats soulignent donc des similitudes entre les compétences discursives de tous les élèves sans distinction quant à l’origine socioculturelle. À ce titre, ces résultats se révèlent particulièrement intéressants du point de vue d’une prise en compte didactique puisqu’ils révèlent une maîtrise des indicateurs. Néanmoins, l’analyse fait également apparaître certaines différences significatives liées aux milieux socioculturels. D’une part, l’utilisation, dès neuf ans, d’organisateurs textuels argumentatifs et de temps normés du récit sont caractéristiques de l’école A. D’autre part, l’utilisation de combinaisons de trois et quatre temps et l’utilisation des temps de l’oralité sont caractéristiques de l’école B. On relèvera que l’école A est plus proche de la norme que l’école B. Enfin, outre les évolutions attendues entre les deux niveaux de scolarité et les différences significatives liées aux milieux socioculturels, des disparités internes à chaque milieu existent. Elles semblent montrer que le milieu social n’est pas le seul facteur prégnant dans les performances des élèves en matière de maniement de l’écrit.

Dans l’ensemble, il n’y a pas de différences absolues entre les deux écoles ; pour un même exercice, des élèves de milieu favorisé échouent, tandis qu’en milieu défavorisé des élèves réussissent, et inversement. Si on a pu relever des compétences discursives communes aux deux catégories d’élèves, il convient néanmoins de relever qu’un plus grand nombre d’élèves de milieu favorisé se conforment à la norme scolaire. Ainsi, cette étude met en avant une différence d’ordre essentiellement quantitatif entre les deux milieux socioculturels. En effet, l’utilisation des temps normés du récit, des organisateurs textuels et de la structure narrative quinaire concerne les deux écoles, bien que ces utilisations soient plus prégnantes en milieu favorisé. Par ailleurs, si l’utilisation de temps non conformes à la norme se retrouve dans les deux écoles, elle est plus importante en milieu défavorisé (par exemple : le présent, les combinaisons de quatre temps, les temps du récit oral). Concernant les élèves issus de milieux socioculturels défavorisés, il est important de mentionner que la très large majorité d’entre eux sont d’origine nord-africaine. Aussi, leur utilisation un peu plus prégnante des temps du récit oral à l’écrit peut s’expliquer par l’utilisation, dans la plupart de ces familles, de la langue arabe. Cette langue présente, d’après l’analyse morphologique de Lecomte (1968), cinq temps, quatre inaccomplis et un seul accompli. D’un point de vue morphématique, Kernan (1977) et Touratier (1996) estiment que le temps accompli de l’arabe est proche du passé composé français. On voit bien, dans ce cas précis, que la position sociale n’explique pas tout et qu’il existe d’autres variables susceptibles d’expliquer les difficultés scolaires.

Les élèves de 11 à 14 ans

Comme pour le cours moyen, nous proposons à travers le Tableau 4 une présentation synthétique de la fréquence d’utilisation par les élèves du collège de la combinaison organisateurs textuels/temps normés du récit écrit/structure narrative. Puis, dans les Tableaux 5 et 6, nous proposons une présentation synthétique de la fréquence d’utilisation des organisateurs textuels et des temps.

Tableau 4

Fréquence d’utilisation de la combinaison organisateurs textuels/temps normés du récit écrit/structure narrative par les élèves de 11 à 12 ans

Fréquence d’utilisation de la combinaison organisateurs textuels/temps normés du récit écrit/structure narrative par les élèves de 11 à 12 ans

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Tableau 5

Fréquence d’utilisation des organisateurs textuels par les élèves de 11 à 12 ans

Fréquence d’utilisation des organisateurs textuels par les élèves de 11 à 12 ans

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Tableau 6

Fréquence d’utilisation des temps par les élèves de 11 à 12 ans

Fréquence d’utilisation des temps par les élèves de 11 à 12 ans

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À nouveau, l’analyse du corpus montre une forte corrélation entre les différents indicateurs retenus pour évaluer une compétence textuelle écrite, à savoir la présence d’une structure textuelle (quinaire ou quasi-quinaire), l’utilisation d’organisateurs textuels et l’emploi normé des temps du récit écrit. Par ailleurs, et comme pour les élèves de neuf à dix ans, des évolutions attendues entre les quatre niveaux de scolarité apparaissent. En comparaison avec les résultats obtenus au cours moyen, on a pu constater que pour les deux collèges, on observe une utilisation plus importante des temps du récit écrit, de la structure narrative complète et de la combinaison structure narrative complète et organisateurs textuels et temps du récit écrit. Ces résultats indiquent qu’il y a des similitudes entre les compétences discursives des élèves issus de milieux socioculturels différents.

Les similitudes

Considérant isolément chaque indicateur, il a été observé que, d’une part, dans les deux collèges, les temps du récit écrit voient leur utilisation plus importante en fin de collège où ils sont utilisés dans quasiment toutes les copies. D’autre part, dans les deux collèges, la structure narrative complète est présente dans au moins les trois quarts des copies de chacun des niveaux scolaires, quoique de façon plus importante en fin de collège. La structure narrative incomplète est par conséquent un phénomène marginal ; toutefois, elle est relativement significative chez les élèves âgés de 14 ans. Enfin, dans les deux collèges, « et », « un jour », « alors » sont les organisateurs textuels les plus fréquents. Les organisateurs textuels temporels sont les plus utilisés et les organisateurs présentatifs sont quant à eux utilisés de manière significative à l’issue du collège. De plus, dans l’usage des organisateurs textuels, il apparaît une prédominance de l’usage oral des « mots du discours » sur l’usage écrit. Ils apparaissent comme des organisateurs textuels, mais aussi comme des « particules énonciatives » ou des « appuis du discours ». Ceux-ci jouent un rôle de ponctuant, car ils font progresser le discours en lui permettant de rebondir.

Les différences

Organisateurs textuels

L’analyse fait aussi apparaître certaines différences significatives liées aux milieux socioculturels. D’une part, le taux d’utilisation d’organisateurs textuels des élèves des collèges A reste plus ou moins stable tout au long du collège, tandis que chez les élèves des collèges B, leur présence a tendance à être moins importante en fin de collège, bien que le plus haut taux d’utilisation soit atteint en 5e (élèves de 12 ans). Les organisateurs temporels sont plus présents en B qu’en A ; les élèves B les utilisent surtout à la fin du collège alors que l’on observe l’inverse pour les élèves A. De plus, en A, on observe une utilisation plus importante des organisateurs textuels argumentatifs chez les 13 à 14 ans, tandis qu’en B, leur utilisation est marginale, malgré une utilisation significative chez les 11 à 12 ans. Cela laisse entrevoir des compétences discursives, notamment en matière d’argumentation, potentiellement supérieures en milieu favorisé par rapport au milieu défavorisé. Concernant l’utilisation du « et » comme « lubrifiant » de l’organisation textuelle, nous avons relevé que, s’il est significativement présent au début du collège en A, il l’est davantage chez les 12 à 13 ans en B.

Temps normés du récit écrit

D’autre part, si, pour les deux collèges, l’utilisation des temps normés du récit écrit est plus fréquente dans le dernier niveau de scolarité (presque toutes les copies présentent une telle utilisation), en B la différence entre les taux obtenus au début et à la fin du collège est plus importante. De même, si dans les deux collèges il y a une utilisation moins prégnante des temps du récit écrit, elle apparaît à deux niveaux scolaires différents, soit la 5e (élèves de 12 ans) pour A et la 4e (élèves de 13 ans) pour B. Si l’utilisation du passé composé peut expliquer cette baisse, il faut ajouter à ce facteur l’utilisation des temps du récit écrit (énonciation de type historique) pour A et celle des temps du récit oral (énonciation de type discours) pour B.

Structure narrative des textes

Enfin, concernant la structure narrative utilisée par les élèves, on remarque qu’en A, c’est la structure narrative quasi-quinaire (où il manque une seule étape ne remettant pas en cause la cohésion textuelle) qui est la plus utilisée, tandis qu’en B, c’est le contraire qui se produit. La structure narrative complète atteint son seuil le plus haut en 3e (élèves de 14 ans) pour B et en 4e pour A (élèves de 13 ans).

Croisement et comparaison des données

On relèvera que le collège A et le collège B sont tous deux proches de la norme en ce qui concerne l’utilisation de la structure narrative complète et l’utilisation des temps du récit écrit. Néanmoins, concernant l’emploi des organisateurs textuels pour introduire les différentes étapes de la structure narrative, il atteint en A son taux de rendement le plus élevé puisqu’il reste plus ou moins stable tout au long des années de scolarité. Toutefois, en B, l’utilisation des organisateurs textuels est moins importante chez les 13 à 14 ans. Cependant, il est bien évident que la présence d’organisateurs textuels n’est pas obligatoire pour structurer un texte ; ainsi, dans certains cas, une ponctuation bien employée aura un effet plus efficace encore pour le guidage de l’interprétation du lecteur. Outre les évolutions attendues entre les deux niveaux de scolarité et les différences significatives liées aux milieux socioculturels, notre analyse fait ressortir des disparités internes à chaque milieu. Dans l’ensemble, il n’y a pas de différences absolues entre les deux collèges ; la majorité des élèves présentent certaines compétences linguistiques alors qu’une minorité ne les possèdent pas. On a pu relever des compétences discursives communes aux deux collèges ainsi qu’une conformité partagée par tous ces élèves à la norme scolaire, qu’ils soient issus d’un milieu socioculturel favorisé ou d’un milieu socioculturel défavorisé. Enfin, nous avons constaté que ces différents résultats apparaissent comme contraires à ceux de Bronckart et Schneuwly (1984) à divers égards. D’une part, « après » et « ensuite » ne sont pas dominants dans les récits écrits des élèves des deux collèges, à l’exception de « après » qui est essentiellement utilisé par les élèves du collège à milieu socioculturel défavorisé et plus spécialement par les élèves de 12 ans. D’autre part, pour ces mêmes élèves et dans les deux collèges, les organisateurs textuels argumentatifs n’ont pas une fréquence d’utilisation comparable à celle des organisateurs textuels temporels. De même, dans les deux collèges, l’occurrence du « et » est de moins en moins privilégiée par les élèves. Enfin, si, selon ces auteurs, « alors » est particulièrement prisé par les 11 à 12 ans, notre travail a fait ressortir que cet organisateur textuel était privilégié par le collège à milieu socioculturel défavorisé dans les classes des 12 à 13 ans, tandis que pour le collège à milieu socioculturel favorisé, ce phénomène apparaît comme peu significatif. Nous avons également observé, conformément à Bouchard (à paraître), qu’apparaît une prédominance de « alors », « mais », « donc », « et », sur lesquels prennent appui d’autres organisateurs textuels, comme des « particules énonciatives » ou des « appuis du discours » ou encore des « connecteurs composés ». Ceux-ci jouent un rôle de ponctuant, car ils font progresser le discours en le ponctuant de rebondissements.

Langues «  parlées » et français norme scolaire

L’un des intérêts de ce travail consiste à mettre en lumière un aspect de la différence linguistique entre les deux milieux socioculturels étudiés. Dans cette perspective, nous avons questionné les élèves sur les langues parlées à la maison. Bien que la fiabilité des réponses soit relative, il semble intéressant de s’interroger sur les modalités d’influence potentielle de l’utilisation d’une autre langue que le français à la maison ou du fait que le français ne soit pas la langue maternelle d’un grand nombre de parents d’élèves[3]. Il est vrai qu’à chaque collège correspond un profil général ; en conséquence, les constructions de compétences langagières peuvent souvent être généralisables pour un même groupe, voire pour plusieurs. Néanmoins, il s’agit toujours de faire une analyse plus fine et de ne pas s’arrêter à une analyse quantitative ou qualitative. Par conséquent, il s’agit de se pencher sur les comportements linguistiques des différents individus ou groupes d’individus faisant l’objet de notre étude par comparaison entre milieux socioculturels, mais aussi au sein d’un même milieu socioculturel. Ainsi, la linguistique éclaire le contenu pédagogico-didactique en permettant à l’enseignant de s’adapter en fonction de ce qui, chez l’élève, est acquis et de ce qui ne l’est pas. Il doit par conséquent cibler les exercices sur les faiblesses de ce dernier et personnaliser la correction si les conditions le permettent.

La très grande majorité des élèves des établissements B viennent d’une famille de culture différente de celle dite française. Ainsi, ils se trouvent bien souvent confrontés à deux utilisations différentes du français (le français acquis par les parents et le français normé de l’institution scolaire) auxquelles s’ajoute la langue maternelle des parents. En effet, très peu de parents ont le français comme langue maternelle ; aussi, leurs enfants ne peuvent pas fonder leur raisonnement sur une maîtrise préalable des fondements de la langue, leurs parents n’ayant quasiment pas de compétences linguistiques du point de vue de la réflexion et de l’intuition. Dans ce cadre, il va s’agir pour l’enseignant d’inculquer un certain raisonnement à l’élève, de l’aider à améliorer son intuition linguistique, à créer un système de contrôle. Il est à craindre que ces élèves, tiraillés entre deux langues, n’en maîtrisent aucune parfaitement et ne créent par calque linguistique, c’est-à-dire qu’une force d’attraction du modèle prédominant à la maison agisse, par exemple, sur le syntagme à produire dans le milieu scolaire. Il est important pour l’enseignant de considérer tous ces facteurs et de faire prendre conscience aux élèves de la langue de l’institution scolaire, en prenant éventuellement appui sur la langue de la maison. Rappelons que pour beaucoup d’immigrés adultes, n’ayant donc jamais été scolarisés sur le territoire français, il n’y a pas d’action volontaire d’amélioration de la langue ; étant capables de communiquer, ils ont acquis un niveau de langage qu’ils jugent suffisant. Il s’agit ici d’un système intermédiaire d’apprentissage, d’une fossilisation à laquelle seront confrontés de façon directe et quasi exclusive leurs enfants (nous nous permettons d’attirer l’attention du lecteur sur le fait que cette fossilisation ne concerne que les parents immigrés de la première génération et qu’elle ne saurait altérer la volonté de certains parents de voir leurs enfants acquérir une meilleure maîtrise de la langue française). Deux français sont ici en présence : un français commun et un français hybride. Ce dernier est construit sur des erreurs et sur un calque du système de la langue parlée à la maison qui peuvent se manifester chez les enfants à certains stades de l’apprentissage et peuvent expliquer les difficultés. C’est à travers la langue que les enfants accèdent au langage. Toutefois, si cette langue est déformée par rapport à la norme, cela risque de créer un conflit ; c’est précisément ce conflit que l’enseignant doit prendre en compte.

Nous dirons donc quelques mots des relations entre les langues dites parlées à la maison et le français norme scolaire. Nous avons pu relever que près des trois quarts des élèves de B parlent une autre langue que le français à la maison. C’est le cas, d’une part, des trois quarts des élèves âgés de 11, 12 et 14 ans et, d’autre part, de la moitié des élèves âgés de 13 ans. Pour l’essentiel, nous avons noté que, parmi ces élèves, plus de la moitié parlent l’arabe (la moitié des 11, 12 et 14 ans disent parler l’arabe, tandis qu’en 4e, ce sont quasiment tous les élèves qui parlent cette langue) et un tiers parlent l’italien ou l’espagnol. Chez les 11 ans, il y a une relative différence entre les élèves d’une première catégorie, c’est-à-dire ceux ne parlant que le français et les élèves d’une seconde catégorie, c’est-à-dire ceux parlant ou étant régulièrement en contact avec une autre langue. D’abord, près de la moitié des élèves de la seconde catégorie utilisent les temps normés du récit écrit, alors que, parmi les élèves de la première catégorie, presque tous utilisent les temps du récit écrit. Ensuite, les deux tiers de la seconde catégorie d’élèves utilisent une structure narrative complète tandis que le tiers restant est constitué par les seuls élèves de cette classe à utiliser une structure narrative incomplète. Aucun élève de la première catégorie n’utilise une structure narrative incomplète. Enfin, quasiment tous les élèves des deux catégories utilisent des organisateurs textuels pour introduire les différentes étapes de la structure narrative. Chez les 12, 13 et 14 ans, il n’y a pas de différence entre les enfants ne parlant que le français et les enfants qui parlent et/ou sont en contact avec une autre langue. Ainsi, concernant les deux catégories d’élèves, la majorité d’entre eux utilisent les temps normés du récit écrit. Néanmoins, il semblerait que les élèves de 12 et 13 ans utilisent en plus grand nombre les temps du récit écrit. Finalement, quasiment tous les élèves utilisent une structure narrative complète ainsi que des organisateurs textuels pour introduire les différentes étapes de la structure narrative.

Conclusion

Lorsque l’on compare les résultats obtenus, on se rend compte que les différences qui étaient essentiellement quantitatives au début du cours moyen (élèves âgés de 9 ans) régressent au point de disparaître à la fin du collège (élèves âgés de 14 ans). Toutefois, on relèvera que l’utilisation des temps du récit oral, à l’exclusion de tout autre temps, est propre aux établissements B et que l’utilisation des organisateurs textuels argumentatifs est propre aux établissements A. Le passé composé, temps caractéristique du récit oral, est un phénomène relativement marginal au cours moyen, mais apparaît au collège A, plus particulièrement en 5e (élèves âgés de 12 ans). Les combinaisons de plusieurs temps, qui étaient l’apanage du cours moyen du milieu défavorisé, n’existent quasiment plus dans le collège B. La différence essentiellement quantitative entre les deux milieux du cours moyen disparaît donc en fin de collège ; le profil des élèves de B rejoint celui des élèves de A concernant la structure narrative, l’utilisation des temps du récit et la combinaison organisateurs textuels des temps du récit écrit et de la structure narrative. Néanmoins, les organisateurs textuels sont moins fréquemment utilisés au collège B, bien qu’ils soient encore suffisamment nombreux. Finalement, la différence entre les deux milieux est essentiellement qualitative concernant, comme au cours moyen, les organisateurs textuels argumentatifs qui sont privilégiés en A.

Au cours moyen et au collège, notre analyse nous a donc permis de dégager une forte corrélation entre les différents indicateurs linguistiques retenus. Cela semble souligner l’intérêt de travailler de paire la structure narrative, les organisateurs textuels et l’emploi des temps en classe, et ce, quelle que soit l’origine socioculturelle des élèves. Elle nous a également permis de relever une grande conformité à la norme quant à l’utilisation par les élèves des différents marqueurs linguistiques étudiés isolément les uns des autres. Néanmoins, comme nous venons de le rappeler, leur fréquence d’apparition est nettement plus importante au collège, au point que les différences qui étaient d’ordre quantitatif entre les milieux socioculturels au cours moyen ont tendance à disparaître au collège ; toutefois, il subsiste une différence d’ordre qualitatif concernant l’utilisation des organisateurs textuels argumentatifs qui est significative uniquement pour les élèves issus du milieu socioculturel favorisé. Ainsi, Vallet (1996) désigne par « assimilation scolaire des minorités issues de l’immigration » le processus temporel par lequel, avec l’avancement dans la scolarité, les parcours des enfants de ces minorités s’améliorent et convergent en moyenne vers ceux des autres élèves, ce que confirme notre étude. Selon cet auteur, l’assimilation scolaire des minorités issues de l’immigration peut trouver sa source dans un processus cognitif de rattrapage des performances et/ou dans des facteurs sociopsychologiques liés à des aspirations spécifiques. Elle pourrait aussi être affectée par le comportement des enseignants à l’égard des élèves issus de ces minorités ainsi que par l’environnement contextuel de leur scolarisation. À cet égard, les analyses empiriques menées par Vallet (1996) soulignent surtout le rôle joué par les facteurs sociopsychologiques. Selon cet auteur, toutes les familles immigrées peuvent entretenir des attentes plus fortes en matière quant à la durée des études et exprimer des souhaits d’orientation plus ambitieux pour leurs enfants. Finalement, cela suggère que, dans la société française, le système éducatif apparaît aux familles immigrées comme une voie importante d’intégration sociale.

Ainsi, si elle veut s’adapter à tous, l’institution scolaire doit prendre en compte les différences sociofamiliales des enfants et s’appuyer sur elles pour établir ses démarches pédagogico-didactiques. Néanmoins, on peut s’interroger sur l’intérêt d’une démarche qui consisterait à impliquer les familles dans un travail d’information, d’orientation, voire de formation. En effet, les parents n’ont pas tous le même capital culturel ; lorsque les parents sont dits culturellement « défavorisés », ayant un capital socioculturel peu prononcé ou différent de celui de l’institution scolaire, il nous est permis de douter des bienfaits de leur implication dans la scolarité de leurs enfants. En effet, cette implication conduirait à accroître les différences, si ce n’est d’élargir la culture scolaire à d’autres cultures afin que les deux grands types de milieux socioculturels (favorisé/défavorisé) échangent leurs contenus et leurs compétences. Finalement, il semble que ce soit à l’institution scolaire de prendre en compte les différences familioculturelles des enfants afin de mieux répondre à leurs besoins, d’autant que les collèges se polarisent. En effet, pourquoi, par exemple, ne pas mettre en place deux types d’enseignement présentant un fond identique, mais ayant deux formes différentes portant chacune sur des contenus linguistiques spécifiques afin de pallier les manques des enfants issus de milieux socioculturels défavorisés ? Pourquoi ne pas plutôt former des enseignants plus flexibles et curieux de la « culture écrite et orale » de leurs élèves, intéressés à les comprendre pour mieux les informer dans un premier temps et pour mieux les former dans un second temps ? Ces interventions seraient certainement plus fructueuses que la volonté de faire intervenir des parents armés d’outils linguistiques inégaux et ce, d’autant que les écarts tendent à s’estomper entre les deux groupes socioculturels. Pourquoi toujours vouloir que les différences du système culturel envers l’institution scolaire s’effacent au profit de la seconde, au point d’aller jusqu’à modifier la culture parentale ?