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Comme on peut le constater en effectuant une recension des écrits sur le sujet, le leadership des gestionnaires est un objet de recherche important en administration de l’éducation. Un des thèmes d’intérêt dans ce domaine est la question du leadership selon le genre. L’analyse des recherches sous l’angle de leur qualité méthodologique laisse toutefois apparaître des faiblesses qui permettent de douter des conclusions qui en sont tirées. Par exemple, pour Baudoux (2002), les recherches du type quantitatif réalisées en milieux organisationnels masculins se révèlent inappropriées pour étudier le leadership des femmes, alors que les résultats des recherches basées sur des méthodes qualitatives sont difficilement généralisables. En commentant ces recherches, Baudoux (2002 : 69) affirme que « des postulats essentialistes sous-tendent la plupart du temps leur échafaudage théorique, méthodologique ou interprétatif. La masculinité et la féminité y sont considérées en filigrane comme des données de nature. » Les rapports sociaux inégalitaires présents dans les organisations et les établissements d’enseignement sont, selon elle, à l’origine des différences entre le type de gestion des femmes et le type de gestion des hommes. Les différences notées s’expliqueraient donc par les processus de socialisation différenciée pour les hommes et pour les femmes et relèveraient principalement des époques, des secteurs d’activité, des contraintes distinctes, du statut de minorité ou de majorité, des statuts hiérarchiques différents ou de positions inégales, des contextes, de la formation reçue et des processus d’acculturation et de sélection. Ce cadre explicatif des différences observées donne priorité au caractère acquis et contextuel des différences plutôt qu’à leur caractère inné et universel. Ces facteurs sont toutefois très peu contrôlés dans nombre d’études sur le leadership différencié des femmes et des hommes, ce qui constitue un problème que nous associons au design méthodologique.

Afin de réfléchir plus à fond sur ce problème, notre article présente tout d’abord les principaux constats soulignés par Baudoux (2002) et par Shakeshaft et autres (2006) dans leurs recensions des écrits concernant le leadership selon le genre. Par la suite, devant le défi méthodologique posé, nous proposons une piste intéressante à notre avis, celle de la statistique textuelle. Enfin, les résultats d’une recherche réalisée en appliquant cette méthode mixte nous permettent de mieux préciser le rôle joué par différents facteurs contextuels et démographiques dans l’explication des différences entre le leadership des femmes et celui des hommes, ce qui démontre ainsi l’intérêt de cette méthode pour celles et ceux qui étudient le leadership selon le genre.

Recensions des écrits sur le leadership selon le genre en éducation

Deux importantes recensions des écrits sur le leadership selon le genre en éducation, celles de Baudoux (2002) et de Shakeshaft et autres (2006), ont analysé les résultats de recherches à ce sujet. Leurs constats convergent en ce qui a trait aux résultats des recherches ayant étudié les caractéristiques des femmes occupant un poste de leadership en éducation (voir le tableau 1). Ainsi, ces deux recensions d’écrits rapportent des résultats selon lesquels les femmes leaders favoriseraient la coopération et les relations humaines, géreraient dans la collégialité, selon une notion du pouvoir avec plutôt que du pouvoir sur, et seraient portées à innover.

Tableau 1

Caractéristiques du leadership des femmes selon les recherches

Baudoux (2002)

Les femmes :

Shakeshaft et autres (2005)

Les femmes :

 

travaillent pour la justice sociale, veulent changer les choses

 

ont un leadership porté par leur spiritualité

favorisent la coopération

donnent priorité aux relations humaines (écoute, empathie, sollicitude) et utilisent l’humour

démontrent une gestion fluide, basée sur la collégialité

ont une conception du pouvoir avec, pas du pouvoir sur

sont peu moulées dans la culture traditionnelle de gestion et voient les choses différemment, ce qui fait qu’elles sont portées à innover

donnent priorité aux aspects pédagogiques et appuient le développement professionnel des enseignantes et des enseignants ainsi que l’innovation

 

recherchent un équilibre entre le travail et la vie privée

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Par ailleurs, les synthèses faites par Baudoux (2002) et par Shakeshaft et autres (2006) à propos des recherches comparatives entre les hommes et les femmes soulignent les différences observées entre les genres quant au sens donné au leadership et à sa pratique (voir le tableau 2). Ainsi, les femmes viseraient le mieux-être des personnes et des groupes, favoriseraient la coopération, privilégieraient les rapports du type collégial et innoveraient facilement, alors que les hommes viseraient les résultats, favoriseraient la compétition, privilégieraient les rapports hiérarchiques et auraient une vision traditionnelle qui semble peu propice à l’innovation.

Tableau 2

Différences notées dans les recherches entre le leadership des femmes et celui des hommes

Les femmes :

Les hommes :

visent le mieux-être des personnes et des groupes

visent les résultats

favorisent la coopération

favorisent la compétition

privilégient les rapports du type collégial

privilégient les rapports du type hiérarchique

sont moins moulées par les traditions et innovent facilement

ont une vision plus traditionnelle basée sur les règles, les structures et le contrôle

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Toutefois, tant Baudoux que Shakeshaft et autres soulignent la présence d’aspects problématiques dans les fondements théoriques de plusieurs recherches. De son côté, Baudoux remarque tout d’abord que « le débat au sujet d’une gestion au féminin est piégé par l’idéologie » (2002 : 52). Shakeshaft et autres mentionnent également cette faiblesse en soulignant que les études sur le leadership des femmes postulent une qualité supérieure aux caractéristiques des femmes par rapport à celles des hommes[1]. Baudoux souligne ensuite que les recherches pointeraient plus vers des nuances dans l’expression de traits communs plutôt que de traits mutuellement exclusifs, ce qui rejoint Shakeshaft et autres selon qui il n’avait pas été possible, lors d’études comparatives, de conclure que les caractéristiques attribuées aux femmes leur étaient exclusives. Par ailleurs, Shakeshaft et autres soulignent que la plus grande partie des recherches américaines réalisées de 1985 à 2005 sur le leadership des femmes en éducation ont porté sur ces dernières exclusivement. À ce sujet, elles mettent en garde les chercheuses et les chercheurs quant au fait suivant : documenter les comportements de leadership prédominants chez les femmes n’est pas la même chose que de dire que les femmes dirigent différemment des hommes. De plus, elles observent que, bien que toutes les études qualitatives à caractère comparatif concluent à des différences selon le genre, seulement 14 % des études quantitatives rapportent de telles différences. Enfin, Shakeshaft et autres insistent sur l’importance d’indiquer, lors de recherches, les proportions d’hommes et de femmes qui travaillent dans une organisation, cette caractéristique étant accompagnée de pratiques de leadership différentes. Par exemple, elles rapportent des résultats très intéressants de Gardiner, Enomoto et Grogan (2000) qui ont observé que, dans un contexte organisationnel où la majorité du personnel est féminin, les dirigeantes font plus appel aux conduites interpersonnelles que les dirigeants, alors qu’en contexte majoritairement masculin les hommes et les femmes font autant appel à ce type de conduite. Baudoux (2002), de son côté, retient les variations constatées dans les pratiques de leadership en fonction de caractéristiques démographiques des leaders et rapporte des résultats de recherche selon lesquels les différences entre les hommes et les femmes s’atténueraient en fonction du nombre d’années d’expérience en gestion, ce qui rejoint les constats de Langlois (1997, 1999 et 2004) sur le leadership éthique des gestionnaires de commissions scolaires.

Notre propre recension d’écrits non répertoriés par Baudoux (2002) ou Shakeshaft et autres (2006) nous a permis de découvrir des résultats de recherche récents portant sur les différences entre hommes et femmes quant au leadership en éducation. Comme on peut le constater dans les paragraphes qui suivent, les designs méthodologiques de certaines de ces recherches permettent de contrôler en partie les limites méthodologiques soulevées; ils sont diversifiés et font appel à des échantillons mixtes composés d’un grand nombre de femmes et d’hommes.

Par exemple, dans une étude effectuée auprès d’un échantillon de 1 240 écoles primaires et secondaires israéliennes réparties dans 111 districts scolaires, Addi-Raccah rapporte l’influence des variables contextuelles et sociodémographiques dans les variations observées quant aux postes occupés par les femmes et les hommes (2002 : 231) :

The results show that feminization occurs gradually and at different rates according to school structure and the characteristics of the local authority. The findings support the queuing model and suggest that different economic, sociocultural, and organizational contexts are associated with different patterns of intraoccupational gender segregation.

Dans un autre article, Addi-Raccah présente les résultats d’une enquête réalisée auprès d’enseignants (n = 25 769). Ses analyses lui ont permis de mettre en lumière différents patrons de stratification des genres et des groupes ethniques dans l’organisation (2005 : 217) :

Gender proved to exert a stronger effect than ethnicity. However, ethnicity differences were stronger among women than among men. These patterns were more prominent in state religious education than in state secular education. The findings support the claim that organizational culture serves as a mechanism that mediates ascriptive inequality and shapes the patterns of stratification by gender and ethnic differences.

Pour sa part, Collard arrive à des conclusions similaires à la suite d’une étude auprès de 400 hommes et femmes occupant un poste de direction d’école en Australie (2001 : 343) :

While confirming previous claims that there are significant differences in the perceptions and beliefs of male and female leaders, it acknowledges the importance of organizational cultures and values systems. It argues for a sophisticated research lens which comprehends the complex interactions between principals and the contexts in which they work. Findings with regard to students, teachers and parents are explored with reference to variables such as level and size of schools, sectorial values and student gender. These are linked to an argument that male and female leadership in Australian schools takes multiple forms and that differences within a gender can be as important as differences between them.

De son côté, Olsen (2005) a étudié les barrières auxquelles les femmes font face en accédant à un poste de directrice générale de commission scolaire et les attributs requis pour surmonter ces barrières. Les résultats d’une enquête réalisée auprès de 37 directrices générales et 37 directeurs généraux montrent des différences statistiquement significatives entre les hommes et les femmes quant à leur cheminement de carrière. En effet, les participantes accèdent à ce type de poste à un âge plus avancé que les participants, elles sont moins souvent mariées, elles sont assignées à des écoles de moins de 3 000 élèves et 55 % d’entre elles gagnent moins que le salaire moyen des hommes occupant le même type de poste. De plus, approximativement 26 % des répondantes indiquaient n’avoir reçu que peu d’appui de la part des employeurs au moment de leur recrutement.

Dans ces recherches, il apparaît évident que des variables démographiques et contextuelles participent à l’explication des différences observées entre le leadership des hommes et celui des femmes et appuient l’hypothèse selon laquelle ces différences sont le fruit d’un processus de socialisation et d’acculturation des personnes. Ces constats démontrent la complexité de la problématique du leadership selon le genre et le défi méthodologique auquel font face les chercheuses et les chercheurs dans ce domaine.

Relever le défi méthodologique des recherches sur le leadership selon le genre en passant par la statistique textuelle

Dans son texte intitulé Le leadership « féminin » en gestion de l’éducation. Baudoux conclut en disant ceci (2002 : 69) :

Les résultats des recherches portant sur la gestion au féminin s’avèrent, somme toute, assez contradictoires, que la comparaison porte sur une variété d’études ou sur les résultats quantitatifs et qualitatifs d’une même recherche. La question demeure alors entière. Comment expliquer ce phénomène?

Soulignons tout d’abord une difficulté méthodologique : les différences éventuelles étant de type qualitatif, les méthodes de recherche quantitatives se révèlent quelque peu inappropriées, en particulier si elles ont été testées en milieu masculin, ou s’il s’agit simplement, comme dans les résultats quantitatifs présentés dans ce chapitre, de simples perceptions mesurées par un questionnaire[2]. Par ailleurs, si les méthodes qualitatives permettent de mieux comprendre un phénomène, on ne peut, en revanche, en généraliser les résultats.

Afin de donner suite à ces constats de Baudoux, nous proposons une piste méthodologique qui nous semble pertinente pour les recherches sur le leadership différencié selon le genre, soit la statistique textuelle. Pour notre démonstration, nous utilisons les résultats d’une étude réalisée de 2003 à 2004 par Lapointe, Langlois et St-Germain[3] et qui avait pour objet de documenter le leadership des directrices et des directeurs d’école qui travaillent en milieu linguistique minoritaire, le cas étudié étant celui des écoles francophones canadiennes situées dans les provinces autres que le Québec. Une des questions de recherche posées dans ce projet était de savoir si les directrices et les directeurs d’école en milieu linguistique minoritaire ont les mêmes représentations du leadership.

Le cadre théorique retenu pour cette étude s’inspire des écrits récents en administration de l’éducation, et particulièrement de ceux d’Owens (2005), de Langlois (1997 et 1999) et de Lapointe (2002). On y retient cinq modèles dominants sur le leadership éducationnel : le leadership transactionnel, le leadership participatif, le leadership transformationnel, le leadership éthique et le leadership pédagogique. Godin et autres (2004 : 70, 71) ont décrit les profils de quatre de ces types de leader en éducation. Tout d’abord, on trouve le leader transactionnel :

[Ce leader] invite et encourage les membres de son équipe à construire ensemble une vision de la mission de l’école, à définir les objectifs à atteindre et à s’entendre sur les moyens pour y arriver dans un climat de négociation mutuelle. Les valeurs préconisées sont la participation de tous et de toutes dans la définition des objectifs, un certain partage du pouvoir, le maintien des rôles et fonctions dans l’organisation, le support mutuel et l’obéissance dans l’action vers les buts.

Un autre type est le leader transformationnel :

[Ce leader] se distingue du type transactionnel en ce qu’il favorise le développement d’un sentiment de pouvoir et de capacité d’agir chez tous les membres de l’équipe. Il vise la satisfaction de besoins de niveaux supérieurs chez les membres, tels que la réalisation de soi, ainsi que l’engagement et la confiance entière des membres dans l’importance de leur travail. Les valeurs sont l’encouragement mutuel, l’empowerment et la transformation des membres de l’équipe en leaders.

On trouve ensuite le leader éthique (Langlois et Lapointe 2002; Shields 2003; Starratt 1991) ou moral (Sergiovanni 1992) qui s’appuie sur l’analyse du processus décisionnel afin de découvrir les dimensions éthiques sous-jacentes. Selon Langlois (2004), ce type de leadership met en évidence le processus réflexif engagé par l’individu en faisant intervenir des dimensions telles que la sensibilité éthique, le jugement, l’évaluation éthique et la prise en considération des conséquences possibles des décisions. Les valeurs prépondérantes chez le leader éthique sont « le respect des personnes dans leur intégralité, la prise en compte des inégalités sociales et la prépondérance des moyens sur les fins » (Godin et autres 2004 : 70, 71). Enfin, toujours selon Godin et autres, le leadership pédagogique désigne « un comportement de leader ancré dans la préoccupation pédagogique, une approche qui influence positivement les processus d’enseignement et d’apprentissage ». Quant au leadership participatif, parfois associé au leadership démocratique, il se situerait entre le leadership transactionnel et le leadership transformationnel. Selon Drake et Roe (1999), cette approche du leadership mise sur une plus grande participation des actrices et des acteurs scolaires au processus de prise de décision soit pour des raisons d’efficacité et de motivation au travail (gestion dite à la japonaise), soit pour des raisons démocratiques (mouvement américain pour la justice sociale).

D’après les conclusions des études du type surtout qualitatif menées sur la question du leadership éducationnel selon le genre (voir les tableaux 1 et 2), les femmes détiendraient un leadership du type plutôt participatif ou transformationnel, axé sur la pédagogie et ancré dans une éthique de la sollicitude, alors que les hommes agiraient plus selon un leadership transactionnel marqué par l’éthique de la justice. La présence, chez les femmes, d’un leadership éthique inscrit dans des dimensions de l’éthique de la sollicitude a été souligné dans les travaux de Beck (1992), Brunner et Schumaker (1998), Marshall et autres (1993), Larocque et Coleman (1993) et Grogan (1996). Comme nous l’avons mentionné plus haut, les travaux de Langlois (1997, 1999 et 2004) ont démontré la présence de plusieurs éthiques (justice, sollicitude et critique) tant chez les hommes que les femmes. La méthode mixte que nous avons utilisée dans notre étude permet de clarifier en partie ces contradictions.

Méthode de recherche

Des entrevues semi-structurées ont été réalisées dans sept provinces du Canada (Île-du-Prince-Édouard, Nouvelle-Écosse, Nouveau-Brunswick, Ontario, Manitoba, Alberta et Colombie-Britannique) auprès de 21 directrices et de 26 directeurs, soit un total de 47 personnes. Le guide d’entrevue élaboré par Lapointe et Godin (2003) comprenait des questions relatives aux représentations du leadership en éducation (définitions personnelles de ce que signifie être une ou un leader, de son rôle et de son mandat, des qualités préconisées en tant que chef d’établissement) et aux pratiques du leadership (description du rôle, des tâches et d’incidents vécus en tant que leader en éducation). Le guide était constitué de deux parties : la première portait sur la définition générale du leadership en éducation, alors que la seconde situait le répondant ou la répondante dans le contexte particulier de l’école francophone en milieu minoritaire.

Le corpus créé à partir des 47 entrevues, retranscrites dans leur intégralité, a été analysé avec la méthode de la statistique textuelle à l’aide du logiciel Alceste. Ce programme procède tout d’abord à une classification descendante hiérarchique basée sur la fréquence relative (Chi2) des mots présents dans l’ensemble d’un corpus ainsi que leur cooccurrence, c'est-à-dire l’apparition simultanée de certains ensembles de mots différents d’autres ensembles (voir les figures 1 et 2). Les ensembles lexicaux ainsi créés sont appelés « classes ». Comme l’expliquent Lapointe et Langlois (2005), les classes « correspondent à la notion de monde de représentations issue de la psychologie sociale française ». L’analyse qualitative du vocabulaire de chaque classe et des extraits d’entrevue qui la représentent[4] permet l’identification des thèmes et sous-thèmes appartenant à cette classe.

Ensuite, le programme relie chacune des classes lexicales aux variables démographiques et contextuelles qui caractérisent le plus ses sujets. Dans le cas présent, les variables démographiques retenues sont le sexe des participants et des participantes, leur âge et leur nombre d’années d’expérience accumulées en éducation et en gestion, alors que les variables contextuelles sont la province où se situe l’école et les cycles scolaires offerts dans l’école. Cette relation statistique entre le vocabulaire des classes et les caractéristiques démographiques dont elles sont plus représentatives permet de vérifier qui dit quoi.

Résultats

Description de la population participante

Parmi les 47 gestionnaires qui ont participé à cette étude (voir le tableau 3), 18 comptent moins de cinq années d’expérience à la direction d’une école, 14 ont de six à dix années d’expérience, 9 totalisent de onze à quinze années d’expérience, et 6 en ont plus de quinze dans ce type de position. En ce qui a trait au nombre cumulé d’années d’expérience en éducation (y compris les années d’enseignement et les années de gestion), 11 personnes ont moins de dix années, 18 en comptent de onze à vingt, 11 en totalisent de vingt et une à trente et 7 en ont plus de trente. Les échelons scolaires offerts dans les écoles où travaillent les répondants et les répondantes sont les suivants : de la maternelle à la huitième année (n=23), de la neuvième à la douzième année (n=8) et de la maternelle à la douzième année (n=16). Enfin, le nombre de personnes rencontrées dans chacune des sept provinces a varié de 3 à 16 en fonction de la taille du système scolaire francophone provincial.

Tableau 3

Données démographiques

Sexe

(n)

Années d’expérience en direction

(n)

Années d’expérience en direction

(n)

École

(n)

Province

(n)

 

0-5

18

1-10

11

 

Alberta

6

Hommes

26

6-10

14

11-20

18

M-8

23

Colombie-Britannique

4

 

11-15

9

21-30

11

 

Manitoba

6

Femmes

21

16-20

6

31-40

7

9-12

8

Nouveau-Brunswick

7

 

 

 

 

Nouvelle-Écosse

5

 

 

 

M-12

16

Ontario

16

 

 

 

 

Île-du-Prince-Édouard

3

TOTAL

47

 

47

 

47

 

47

 

47

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Résultats obtenus lors de la classification descendante hiérarchique

Dans le cas de la première partie des entrevues qui portait sur la vision du leadership éducationnel de manière générale, la classification descendante hiérarchique a permis de retenir trois classes lexicales, ou trois mondes de représentation tels qu’ils sont exprimés par l’entremise de vocabulaires distincts (voir la figure 1). L’examen du diagramme, qui se lit de la droite vers la gauche, permet de constater que la procédure a d’abord distingué la classe 3 des classes 1 et 2, ce qui indique une distinction plus importante entre cette classe et les deux autres. Les classes 1 et 2 ont ensuite été distinguées l’une de l’autre.

Figure 1

Classification descendante hiérarchique : « Le leadership éducationnel en général »

Classification descendante hiérarchique : « Le leadership éducationnel en général »

Note : uce signifie « unité de contexte élémentaire ».

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Pour la seconde partie des entrevues, où les personnes interrogées exprimaient leur vision du leadership éducationnel dans le contexte d’une école francophone en milieu linguistique minoritaire, la classification descendante hiérarchique a retenu quatre classes (voir la figure 2) : la classe 2 se distingue en premier, ce qui signifie que l’on y trouve le discours le plus différent; puis la classe 1 se distingue des classes 3 et 4; et, enfin, ces deux dernières classes sont distinguées l’une de l’autre.

Figure 2

Classification descendante hiérarchique : « Le leadership éducationnel en milieu francophone minoritaire »

Classification descendante hiérarchique : « Le leadership éducationnel en milieu francophone minoritaire »

Note : uce signifie « unité de contexte élémentaire ».

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On constate donc que le discours des directions d’école se transforme quand on leur demande de parler du leadership dans leur contexte particulier de travail. Ainsi, les descriptions très théoriques de la première partie des entrevues, qui reflètent les modèles valorisés et les approches préconisées lors des formations universitaires et professionnelles, deviennent beaucoup plus personnelles et originales dans la seconde partie des entrevues.

Liens entre le genre et les représentations du leadership éducationnel

Dans la première partie des entrevues, deux des trois classes sont associées au genre : la classe 1 et la classe 2. Le discours de la classe 1 parle d’un processus de décision ancré dans la consultation, la communication et la réflexion : se demander, aller, faire, savoir, choses, dire, prendre, problème, capable, écouter, peut-être, réfléchir, décision. Cette classe est plus représentative des femmes (Chi2 = 56,62) qui ont moins de cinq années d’expérience en tant que directrices (Chi2 = 48,47) et qui travaillent dans des écoles regroupant des élèves de la maternelle à la huitième année (Chi2 = 131,53) situées dans les Maritimes (Île-du-Prince-Édouard : Chi2 = 80,94; Nouvelle-Écosse : Chi2 = 56,60; Nouveau-Brunswick : Chi2 = 32,43).

Le vocabulaire de la classe 2 porte sur le leadership transformationnel et pédagogique : rôle, assumer, communauté, apprendre, gestion, projet, support, initiative, ressources, mission, responsable, faciliter, leadership. Cette classe est plus représentative des hommes (Chi2 = 80,17), qui ont de dix à quinze années d’expérience comme directeurs (Chi2 = 54,05) et qui travaillent dans des écoles fréquentées par des élèves de la maternelle à la huitième année (Chi2 = 71,53) situées au Manitoba (Chi2 = 36,09), en Ontario (Chi2 = 29,96) et en Alberta (Chi2 = 17,95).

Le vocabulaire de la classe 3, qui est la classe la plus distincte, fait référence à la progression dans la carrière : année, école, secondaire, primaire, position, région, francophone, alors, adjoint, carrière, commencer, enseigner, rural. Au point de vue statistique, cette classe n’est liée ni au genre ni au nombre d’années d’expérience en gestion ou en éducation. Elle est plus représentative des personnes qui dirigent des écoles qui accueillent des élèves de la neuvième à la douzième année (Chi2 = 57,10) et de la maternelle à la huitième année (Chi2 = 27,27) situées en Ontario (Chi2 = 98,87) et en Colombie-Britannique (Chi2 = 30,81).

Dans la seconde partie des entrevues, trois des quatre classes sont associées au genre : les classes 1, 2 et 4. En réponse aux questions portant sur le leadership en milieu francophone minoritaire, le discours de la classe 1 reflète une prise de conscience critique à l’égard du contexte discriminatoire qui entoure l’école francophone et au défi d’aider les jeunes à développer une appartenance à ce milieu : francophone, région, minorité, ville, anglophone, appartenance, sens, école, famille, gens, considérer, grandir. Ce discours est plus représentatif des hommes (Chi2 = 7,81) qui dirigent des écoles fréquentées par des élèves de la neuvième à la douzième année (Chi2 = 14,74) en Ontario (Chi2 = 26,56) et au Nouveau-Brunswick (Chi2 = 10,55).

La classe 2, qui est celle qui se distingue le plus, décrit un monde d’action et d’activités parascolaires intensives : action, semaine, musique, participer, organiser, jour, étudiant, chanson, concours, danse, théâtre, spectacle, soir, matin, inviter, jouer, groupe, gagner. Elle est aussi plus représentative des hommes (Chi2 = 45,72) qui possèdent de dix à quinze années d’expérience en gestion scolaire (Chi2 = 25,43) et qui dirigent des écoles où vont des élèves de la maternelle à la douzième année (Chi2 = 24,53) au Manitoba (Chi2 = 62,49).

Le vocabulaire de la classe 3 parle du sens d’une mission ancré dans un leadership fondamentalement transformationnel : capable, travail, besoin, prendre, diriger, développer, mission, maîtriser, gérer, politique, partager, donner, leadership, mieux, valeur, confiant, accomplir, continuer, convaincre, découragé, imaginer. Une seule des variables démographiques est statistiquement liée à cette classe : le nombre d’années d’expérience à la direction d’école. En effet, cette classe est plus représentative des personnes qui comptent de quinze à vingt années d’expérience dans ce type de poste (Chi2 = 8,40).

Enfin, en ce qui a trait à la classe 4, son vocabulaire exprime une inquiétude pour les élèves qui fréquentent l’école francophone mais qui vivent dans des environnement familiaux où le français n’est plus parlé, ce qui dénote une sensibilité éthique à la fois de sollicitude et critique: parler, anglais, français, maison, enfant, mot,langue, communiquer, comprendre, ils, exprimer, parents, dire, message, écouter, expliquer, imposer, insister, encourager, plutôt. Cette classe est plus représentative des femmes (Chi2 = 50,38) qui ont moins de cinq années d’expérience en gestion (Chi2 = 14,78) et qui dirigent des écoles regroupant des élèves de la maternelle à la huitième année (Chi2 = 32,55) situées dans les Maritimes (Île-du-Prince-Édouard : Chi2 = 25,38; Nouveau-Brunswick : Chi2 = 23,01; Nouvelle-Écosse : Chi2 = 4,10) et en Colombie-Britannique (Chi2 = 12,33).

Vers une compréhension plus nuancée du phénomène du leadership selon le genre grâce à la statistique textuelle

L’analyse statistique appliquée aux discours des 47 personnes ayant participé à cette recherche a produit des résultats intrigants sur la question des différences entre le leadership des femmes et celui des hommes. On note tout d’abord que certains discours sont liés au genre, alors que d’autres ne le sont pas. Pour les classes non associées au genre des personnes interrogées (classe 3 de la partie 1 et classe 3 de la partie 2), il est question de la progression dans la carrière en éducation et d’un leadership transformationnel en vue de la réalisation de la mission de l’école. En ce qui a trait aux classes significativement liées au genre, les résultats indiquent que les leaderships participatif et éthique inspiré par la sollicitude et la critique sont plus représentatifs des femmes, ce qui rejoint en partie les conclusions des recherches sur le sujet. Pour les classes associées au genre masculin, on constate que le leadership des hommes interviewés est du type transformationnel, pédagogique et éthique (inspiré par la critique), ce qui diffère des conclusions rapportées dans les recensions des écrits.

Par ailleurs, l’analyse des Chi2 associés aux variables démographiques permet de constater que, dans une classe sur deux où le genre est associé significativement au discours, d’autres variables ont des Chi2 plus élevés que le sexe, soit les échelons scolaires enseignés à l’école et le contexte géographique, ce dernier semblant jouer un peu plus pour les hommes que pour les femmes. En outre, dans les autres classes associées au genre, le nombre d’années d’expérience en gestion scolaire, les échelons scolaires enseignés à l’école et le contexte géographique possèdent des Chi2 élevés, bien qu’ils soient inférieurs à ceux du genre.

Selon nous, ces résultats demandent de nuancer les conclusions quant à l’existence d’un lien entre le genre et les profils de leadership en administration scolaire, et encore plus quant au caractère inné de ce lien, car d’autres facteurs expliquent aussi ces différences de manière significative. Cela rejoint les observations de Baudoux et de Shakeshaft et autres quant au caractère probablement très contextuel de l’expression du leadership selon le genre.

Quelques mises en garde quant à l’utilisation de la statistique textuelle

Selon notre expérience, l’utilisation de la statistique textuelle demande l’élaboration d’un cadre théorique solide pour éviter des dérives potentielles lors de l’interprétation des données. De plus, les mots significatifs sur le plan statistique doivent être replacés dans le contexte des comptes rendus intégraux (verbatim) originaux en vue de conserver le sens et la signification que la locutrice ou le locuteur lui prêtait lors de l’entrevue. Un dernier élément constaté à la suite de notre étude concerne la mise en évidence des variables contextuelles pouvant enrichir l’interprétation des données. Par exemple, dans le cas présent, il aurait été intéressant, afin d’enrichir notre compréhension du leadership selon le genre, d’ajouter d’autres variables telles que le nombre d’élèves dans chaque école, la diversité culturelle présente parmi les élèves ou encore le caractère urbain ou rural du milieu environnant.

Conclusion

Il reste encore beaucoup à faire au niveau méthodologique pour bien documenter la problématique du leadership différencié des femmes et des hommes. Dans les recherches à venir, il faudra, entre autres, contrôler beaucoup plus rigoureusement les variables contextuelles, diversifier les études au niveau culturel et surtout, comme le dit Baudoux (2002), éviter de tomber dans le piège de la « stéréotypisation » naturelle des sexes ou de l’idéologie selon laquelle les qualités de leaders des femmes seraient « meilleures » que celles des hommes. Selon Baudoux, cette vision stéréotypée risque de favoriser le cantonnement des femmes dans des postes périphériques réclamant « leurs » habiletés humaines, qui, bien qu’elles revêtent un certain intérêt, ne conduisent pas souvent aux cercles et aux postes où se prennent les décisions stratégiques.