Corps de l’article

Partant de thématiques et de méthodes de chercheurs venant de disciplines diverses et travaillant sur des terrains éloignés (Québec et Bretagne), cet ouvrage collectif explore la construction des identités collectives, les représentations et le renouvellement des références identitaires liés au patrimoine et à la patrimonialisation. L’objectif est de mettre en exergue au travers du phénomène de la fabrication des objets patrimoniaux, les multiples enjeux des processus contemporains d’investissements identitaires dont les mécanismes de renouvellement intègrent la pluralité des références. Dans cette optique, les contributeurs (vingt-et-un articles) s’efforcent de proposer un éclairage théorique et empirique pour des questions portant sur les mémoires, les identités collectives et les paysages. Quatre thèmes généraux regroupent les différentes contributions : « Fabricants et passeurs de mémoire », « Racines urbaines et constructions naturelles », «Le temps des héritiers. Présentisme ou nostalgie », « Les paysages de divertissement ».

La démarche épistémologique énoncée consiste à explorer différentes dimensions de la patrimonialisation sur la base de deux notions essentielles : « L’interréférentialité » et le « présentisme ». La notion d’interréférencialité permet de désigner un processus à l’oeuvre dans la construction des identités. Elle est entendue ici au sens d’une mutation des références et s’éloigne de ce fait du multiculturalisme, du métissage et de toute forme de fusion puisque, selon les auteurs, elle fonctionne sur le mode de la distinction. En effet, la mondialisation a multiplié les aires référentielles et modifié les processus de représentations, mais elle participe tout autant au renforcement des identités locales grâce à diverses formes de résistance des populations concernées (résistance à la domination, au règlement, à la banalisation). À titre d’exemple, la récupération de la culture bretonne dans le culte catholique est considérée comme une forme de préservation légitime d’une identité menacée par la mondialisation (p. 23). Les études de cas montrent bien à quel point les formes de résistance sont à l’origine de l’émergence du modèle de la traçabilité comme référence absolue de l’hégémonie locale. Mieux, la référence au terroir participe à la formation du principe de l’identité nationale. La question est de savoir dans quelle mesure la patrimonialisation serait un absolu des identités nationales? Le patrimoine serait-il un marqueur exclusif de l’identité? Ces questions méritent certainement qu’on s’y attarde.

Quant à la notion de « présentisme », elle soulève des questions aussi ardues que celles qui lient la patrimonialisation à la marchandisation des mémoires. De ce fait, le « présentisme » est un signe du temps qui fabrique une accumulation de mémoires en convoquant et en labellisant toutes les couches du passé (p. 7, p. 362 et autres). La consécration du « bazar » du Warshaw Building sur la Main (p. 237) en est le témoignage le plus significatif. Les auteurs signalent les excès de la « représentation permanente » qui accordent à l’ordinaire et au quotidien un sens symbolique et mettent en évidence l’inflation du « stock de références ». La question est de savoir si la fabrication effrénée de références parfois antinomiques n’est pas le signe d’une recherche de reconnaissance et d’affirmation de l’identité collective. En ce sens, les problématiques portant sur le patrimoine et la patrimonialisation interrogent les rapports que les sociétés entretiennent avec le temps long dans un contexte mondialisé soumis au diktat de l’immédiateté et aux flux permanents. L’inscription temporelle des sociétés interroge le rapport aux lieux, à l’histoire, aux valeurs, aux générations, autant de questions possibles sur des réalités socialement différenciées. La réappropriation du temps passé par le temps présent se réalise grâce à la mise en oeuvre d’actions de préservation, de valorisation ou de mise en scène du patrimoine. Cette stratégie s’inscrit inévitablement dans l’activité touristique qui considère la patrimonialisation comme un outil de développement non négligeable. L’analyse économique apporte ici une explication possible à l’inflation des labels et sa relation au développement du tourisme local. Plusieurs dimensions sont donc nécessaires à la compréhension du phénomène de la patrimonialisation.

À ce titre, il convient de souligner que cet ouvrage riche, dense, pluriel soulève de nombreuses questions sur des problématiques en devenir. Toutefois, les postures critiques des auteurs rejoignent, par certains de leurs aspects, celles des anthropologues contre des initiatives de l’UNESCO concernant la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel et ses tendances à « la muséification du vivant ». Reste à souligner qu’une des forces du livre est de croiser des regards du Québec et de Bretagne dans une forme subtile de la comparaison.