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L’ouvrage d’Étienne Grieu présente non seulement un intérêt thématique, mais surtout un intérêt méthodologique. Intérêt thématique d’abord, parce que ce jeune théologien s’est intéressé aux itinéraires de trente-trois chrétiens français (tous de la région parisienne) âgés de vingt-huit à soixante-quatorze ans, engagés, à partir de récits de vie qu’il a recueillis auprès d’eux. Ce monde des chrétiens engagés a été peu exploré au cours des dernières années et, de ce fait, l’étude de Grieu présente une réelle originalité. Différents types d’engagement sont représentés dans cet ensemble : engagés en politique, dans des syndicats ou des associations et poursuivant des changements de société, d’autres, engagés à titre de bénévole, sans projet de société global. Enfin, ces personnes appartiennent à diverses cultures ecclésiales. Si plusieurs sont passées par l’Action catholique, d’autres appartiennent à une culture « grande Église », paroisses, aumôneries, groupes de jeunes ou mouvements, d’autres enfin sont venues à la foi alors qu’ils étaient adultes.

En écoutant ces personnes raconter leur histoire, É. Grieu ne cherchait pas à repérer leurs représentations religieuses (ou leur croyance), mais à arriver à rendre compte de la foi chrétienne ou de l’acte de foi aujourd’hui. À l’examen, l’A. en est venu à identifier quatre intrigues ou quatre chemins qui conduisent quelqu’un à devenir sujet-croyant : un premier groupe de récits se structure autour d’une situation initiale inhospitalière ; un deuxième groupe part d’une donation initiale qui se déploie et se heurte par la suite à des obstacles ; un troisième type d’intrigue se construit autour d’une décision fondatrice alors qu’un dernier type se construit par le tissage de plusieurs fils (ni situation de départ favorable ou défavorable, ni décision marquante, mais un cheminement fait de rencontres et d’événements multiples et variés). Cinq marqueurs se sont dégagés de ces récits : d’abord le désir, parfois exprimé sous forme d’aspiration, de conviction, de quête ou de souvenir heureux, ensuite la prise de parole, élément clé dans ce processus de devenir sujet-croyant, des expériences de transformation ou de passage, un accomplissement, qui donne unité et orientation à l’ensemble de ces récits et, enfin, la présence de donateurs, donateurs attendus (parents et maîtres) et donateurs de surcroît (personnes diverses qui ont permis à ces sujets d’être, en quelque sorte, mis au monde), ce qui indique l’importance de la qualité des relations qui ressort de tous ces récits. Au moment où l’on parle tant de la crise de la transmission, il est fort intéressant d’examiner ce que révèlent ces récits au chapitre des éléments qui ont conduit des personnes à devenir sujet-croyant.

Toutefois, l’intérêt de l’ouvrage ne réside pas seulement là. En effet, pour qui est intéressé à la théologie pratique, cet ouvrage est d’un intérêt capital, peut-être même est-il aujourd’hui une référence, pour ne pas dire, désormais, un classique. Se pose en effet la question : comment faire de la théologie à partir de récits ? Comme il le déclare explicitement (p. 49), Grieu n’est pas intéressé à se placer sur le terrain de la démarche sociologique. Ce qui l’intéresse est ailleurs, tenter, comme l’indique le sous-titre, une lecture proprement théologique de ces itinéraires de chrétiens engagés. Il le fait, d’une part, en entrant en dialogue avec Tillich et Rahner, dialogue qui le conduit à identifier quelques points d’attention pour la lecture de ces récits : explorer le lien entre le rapport à soi et l’ouverture à Dieu, s’intéresser à beaucoup plus que les expériences explicitement religieuses, etc. Il le fait aussi à partir de la lecture conjointe de cinq récits et de textes de l’Ancien et du Nouveau Testament. C’est là sans doute que Grieu innove. Cette méthode de tissage qui permet, sur une même trame, d’associer récits contemporains et récits d’expérience croyante attestée par la tradition est probablement l’élément le mieux réussi de cet ouvrage. Cette méthode, dont il faudrait sans doute rendre compte de manière plus argumentée, renouvelle à mon sens la méthode de corrélation d’abord élaborée par Tillich, mais qui a connu de nombreux affinements depuis.

Bref, un ouvrage d’une grande qualité, loin de la répétition de choses déjà entendues. Un ouvrage d’une grande fraîcheur et qui nous mène plus loin, tant du point de vue méthodologique que thématique.