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Ce livre a pour auteur un groupe social. Il s’agit d’un plaidoyer de sa part, mais aussi d’un ouvrage collectif, car on a eu la bonne idée de réunir des intellectuels et des chercheurs pour débattre de l’enjeu de la décentralisation. L’argumentaire est dans l’avant-propos, sous la signature de Jacques Proulx, fondateur de Solidarité rurale, ainsi que dans l’introduction de Cherkaoui Ferdous, son secrétaire général, et dans la conclusion qui présente la position officielle de l’organisme. L’enjeu de la décentralisation est très présent dans l’esprit public. Signalons à cet égard la parution simultanée d’un numéro sur la décentralisation d’Organisations et territoires (printemps-été 2006). Mais, comme le souligne le plaidoyer final, « la volonté gouvernementale tarde à se manifester concrètement, même si les discours ont atteint un point de saturation » (p. 211). Au fait, le lien entre décentralisation et volonté gouvernementale est au coeur de l’ouvrage. Jean Des Lauriers, de Solidarité rurale, décrit dans la première partie « les représentations gouvernementales de la décentralisation » depuis les années 1970. Il s’agit d’un rappel historique utile avant d’aborder les questions de fond. La partie 2, « Trois points de vue », comprend les contributions de Gil Courtemanche, Diane-Gabrielle Tremblay et Ricardo Petrella. La partie 3, « Deux incontournables : subsidiarité et territorialisation », présente des analyses de Vincent Lemieux et de Bernard Vachon. La postface, « Qui a peur de la gouvernance décentralisée ? », est un essai de Gilles Paquet.

Même si la structuration de l’ouvrage n’est pas sans justification – points de vue divers, approfondissement théorique et exercice de synthèse –, il n’y a pas de différence marquée entre les trois ensembles de textes, du point de vue de la forme, puisqu’on y retrouve, dans des dosages différents, un mélange de positivité et de normativité. Courtemanche énonce une profession de foi qui démonte habilement les a priori du centralisme et montre la valeur démocratique d’un pouvoir plus direct des citoyens. Si la phase de centralisation s’est avérée utile pour la construction du Québec, de nouvelles avancées supposent de plus grandes capacités d’action réparties sur le territoire. À l’opposé de Courtemanche, au plan de la forme, Vincent Lemieux propose une analyse conceptuelle, validée par l’observation sur le terrain, qui montre la faisabilité d’approches décentralisées. Les autres textes présentent un mélange d’analyses et de prises de position. Diane-Gabrielle Tremblay adopte un point globalement positif, mais plus critique, sur la décentralisation et sa place entre la remise en question de l’État et la confiance au marché. Elle s’appuie sur des propositions théoriques pour conclure aux bienfaits des modèles mixtes de gouvernance, « reposant sur un ensemble d’acteurs de la société civile » (p. 84). Ricardo Petrella, misant sur une vaste connaissance des politiques publiques, interprète la décentralisation à la lumière de la remise en question de l’État, et non comme une réorganisation de l’État pour établir un équilibre plus favorable aux citoyens, dans le nouveau contexte sociotechnique où l’innovation est un vecteur essentiel de développement et suppose une large diffusion des capacités d’action. Cette position est celle de Gilles Paquet qui analyse de façon convaincante les forces de résistance à la décentralisation et présente de manière rigoureuse les modèles de gouvernance décentralisée.

La contribution de Bernard Vachon relève pour l’essentiel du plaidoyer, tout en comportant des observations fines et pertinentes sur la dynamique régionale et l’occupation du territoire. Elle contient, notamment, le postulat qui justifie ou devrait justifier toute approche de décentralisation : « … il convient de considérer la dynamique productive d’un territoire comme le résultat d’un processus de construction issu de stratégies d’acteurs économiques et sociaux et de phénomènes d’apprentissage collectif, et non comme une donnée a priori ou importée » (p. 170).

Comme beaucoup d’autres du reste, Vachon considère la décentralisation du point de vue du Québec, en essayant de convaincre les détenteurs de pouvoir qu’il y aurait intérêt à décentraliser pour mieux occuper le territoire. Il faudrait pour cela une vision qui privilégie une base économique large et multipolaire. Or, le Québec adhère profondément à un modèle centralisé de développement, où la décentralisation apparaît comme un moyen de limiter les dégâts. Il faudrait plutôt construire une base économique large qui mette en valeur tout le potentiel de tous les territoires. Alors la décentralisation – le fait de créer dans chaque territoire des moyens d’innover et de mettre en valeur ses ressources – irait d’elle-même. Mais il y a tout de même un effet pervers à faire porter tout le débat sur les raisons et les modalités de la décentralisation à partir du centre. On néglige de travailler avec les acteurs du terrain pour soutenir leurs capacités d’action, partager des connaissances pour qu’ils comprennent mieux les contextes dans lesquels ils évoluent, perçoivent mieux les enjeux, sachent mieux les traduire en objectifs stratégiques, soient mieux à même de les mettre en oeuvre et d’en évaluer les résultats.