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Dans la conclusion de cet ouvrage, Françoise Renversez, cite Héraclite : « On ne descend jamais deux fois le même fleuve ». Professeure émérite à Paris x-Nanterre, comme plusieurs auteurs de ce volume, elle souligne que c’est là le défi relevé par les différents auteurs de ce volume, fruit d’un séminaire animé sur une période de deux ans par Pierre Grou et Michel Delapierre grâce à l’appui du cerna, une association localisée à Paris X-Nanterre. Quatre grandes questions ont fait l’objet des débats : le champ d’intervention de l’État, les biens publics, le rapport salarial et la régulation de la concurrence. Chacun de ces points a été abordé dans autant de parties non pas au niveau habituel de l’économie classique soit celui de l’économie nationale ou internationale, mais au niveau où leur objet se développe actuellement, à savoir celui de l’économie mondiale.

Comme l’indique C.A. Michalet en introduction, cet ouvrage représente une tentative de réflexion critique – au sens philosophique du terme – entre universitaires ayant, au départ, des positions relativement hétérogènes, voire divergentes, mais qui avaient en commun un certain penchant pour l’hétérodoxie. Leurs différences se retrouvent évidemment dans leurs différentes contributions. Ainsi, environ une vingtaine de collaborateurs, à des degrés divers, ont tenté dans les quatre parties du volume d’aborder des questions comme le retour des États-nations et des nationalismes. On sait que la mondialisation économique et culturelle devait éroder les nations et les nationalismes, hautement responsables des deux guerres mondiales, au profit d’une nouvelle phase historique inéluctable, voire souhaitable, de globalisation.

La première partie intitulée Le dépérissement de l’État et la régulation de la mondialisation débute par une contribution de Gérard Kébabdjian qui distingue quatre fonctions pour l’État familières à tous. À ses yeux, c’est celle visant l’accroissement et la préservation de sa puissance qui présente un retrait à la fois incontestable et possiblement irréversible. Pour s’en convaincre il suffit de considérer que la privatisation, tel que signalé, a été le grand mouvement de ces vingt dernières années autant dans les pays développés que moins développés. L’apport de C.A. Michalet professeur émérite lui aussi, mais de Paris-Dauphine, trouve son intérêt dans la présentation des quatre acceptations du concept de régulation. Il voit l’avènement d’un marché postmoderne caractérisé par un système s’étendant sur un espace mondial de réseaux reposant sur des contrats interfirmes où l’information ne sera pas davantage parfaite que dans « l’ancien régime ». Un contexte où le droit des affaires deviendra la lex mercatoria, mais pour seulement un temps. Car les agences de régulation devront s’affranchir du droit et des institutions nationales en renforçant leur autonomie et leur légitimité. Ce serait là le défi majeur pour la réussite de la régulation postmoderne. Un intéressant commentaire de Pierre Llau complète cette partie. À l’instar de l’auteur de ces lignes, le professeur, lui aussi émérite, n’affiche pas une affectation particulière pour le terme « postmoderne » préférant l’expression globalisation ou mondialisation régulée.

La deuxième partie, Les bien publics mondiaux, débute avec une contribution de Philippe Hugon, un auteur familier aux plus anciens lecteurs d’Études internationales pour ses travaux sur l’Afrique et l’économie informelle. Ici, ces sont les actions collectives dans la mondialisation dont il est question en s’attaquant, entre autres choses, aux différents argumentaires analytiques des biens publics mondiaux et aux conceptions pouvant fonder l’action publique sur le jeu des intérêts ou des conflits de valeurs.

La troisième partie portant sur le rapport salarial, contient un chapitre de Roland Guillon traitant de l’affrontement toujours possible entre les ong et les syndicats. Ceux qui comme moi, trouvent que l’expression « société civile » fait l’objet d’une utilisation abusive, apprécieront les quelques rappels sur ce concept (que l’on doit à Gramsci si je ne m’abuse). Cette partie se termine par un trop bref chapitre de Guy Caire, tout aussi émérite que ses collègues, que d’aucuns connaissent pour ses brillantes analyses du système de l’ex-urss.

La quatrième partie sur la régulation de la concurrence dans la mondialisation débute par une surprenante contribution d’une collègue d’ici, Michèle Rioux, professeure au Département de science politique de l’uqam. Le tout commence par une question : comment s’opposer aux pratiques anticoncurrentielles des entreprises et des États à une échelle devenue mondiale ? La réponse doit tenir compte d’un fait : il n’existe pas de droit international de la concurrence. Vient une autre question : comment établir des règles de concurrence à l’échelle internationale lorsque les pratiques anticoncurrentielles ne sont, bien souvent, qu’une des conséquences du laxisme des gouvernements, eux-mêmes engagés dans des stratégies compétitives qui les poussent à la surenchère lorsqu’il s’agit de promouvoir les intérêts nationaux sur les marchés étrangers ? En ce qui regarde nos voisins, l’auteure signale qu’ils déploient tous les moyens possibles en jouant les rapports de forces et les rivalités oligopolistiques. D’ailleurs, ne manque-t-elle pas de signaler, toutes les grandes nations et les grandes entreprises se sont construites à l’abri de la concurrence. Il serait donc souhaitable que les débats sur la concurrence aboutissent au développement d’un droit international de la concurrence qui permettrait d’accroître les bénéfices de la libération économique tout en maîtrisant quelque peu la globalisation économique.

Enfin, pour revenir à la conclusion de l’ensemble de Françoise Reversez, à son tour elle soulève l’interrogation, à savoir si face à cette nouvelle Rome que seraient les États-Unis, les interlocuteurs seront-ils les États actuels ou seront-ils d’autres États à la dimension des continents ?

Comme on le voit, cet ouvrage très sérieux, d’une lecture parfois exigeante, soulève plus de questions qu’il n’apporte de réponses, mais dans la mesure où il s’agit de questions fort pertinentes, tout lecteur intéressé par les thèmes traités trouvera une source importante d’inspiration.