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Introduction

À la suite d’un parcours[1] long et difficile marqué par des luttes parfois acerbes, les minorités francophones et acadiennes du Canada ont acquis le droit à la gestion autonome de leur système scolaire, un statut enviable par rapport à la situation des minorités linguistiques du monde entier (Landry et Allard, 1999 ; Landry et Rousselle, 2003 ; Commissariat aux langues officielles, 1998). Ayant comme but explicite « de maintenir les deux langues officielles du Canada ainsi que les cultures qu’elles représentent et de favoriser l’épanouissement de chacune de ces langues » (Mahe, Martel, Dubé et Association de l’école Georges et Julia Bugnet, 1990, p. 362), l’article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés (ministère de la Justice, 1982) garantit aux membres des minorités de langues officielles le droit de faire instruire leurs enfants, aux niveaux primaire et secondaire, dans leur langue et au sein des établissements où ils seront scolarisés (Foucher, 1996).

En Nouvelle-Écosse, les modifications au système scolaire francophone n’ont été apportées que très lentement, même après l’entrée en vigueur de l’article 23 de la Charte, de sorte que les ayants droit[2] des régions acadiennes de cette province ont été parmi les derniers au pays à pouvoir scolariser leurs enfants en français, dans des écoles homogènes gérées par la minorité (Bastarache, 1995 ; Commissariat aux langues officielles, 1998). C’est un arrêt de la Cour supérieure de la Nouvelle-Écosse, rendu en 2000, qui a finalement accordé aux Acadiens de la province l’accès à des écoles homogènes de langue française au niveau secondaire (Doucet-Boudreau, 2003). Le gouvernement de la Nouvelle-Écosse explique que ces délais étaient attribuables, en grande partie, à un vif débat au sein de la communauté sur la question de la langue de scolarisation. Alors que certains ayants droit revendiquaient l’obtention d’écoles homogènes de langue française et l’autonomie de gestion, d’autres luttaient pour des écoles bilingues ou mixtes (Ross, 2001).

Dans le présent article, nous analysons les fondements sociolangagiers et psycholangagiers de cette prise de position des ayants droit des régions acadiennes de la Nouvelle-Écosse à l’égard de la langue de scolarisation des enfants acadiens francophones. La recherche a pour objectif de préciser les principaux facteurs associés à la préférence de la scolarisation en français dans des écoles homogènes. Nous étudions les rapports constatés entre certains aspects du vécu ethnolangagier et du développement psycholangagier des ayants droit et leur positionnement envers la langue de scolarisation. Notre hypothèse principale est que le développement d’un bilinguisme additif est relié à une préférence pour la scolarisation en français. Le modèle des déterminants du bilinguisme additif et du bilinguisme soustractif de Landry et Allard (1990, 1996) fournit le cadre théorique et la base des hypothèses de la recherche. Cette étude de type corrélationnel permettra de mieux cerner les facteurs associés au choix de la langue de scolarisation en milieu minoritaire.

Minorités francophones et langue de scolarisation

Les Acadiens de la Nouvelle-Écosse, tout comme les francophones minoritaires des autres provinces et des territoires, ont dû surmonter de sérieux défis pour assurer la survie de leur langue et de leur culture. Des phénomènes sociaux comme l’exode rural, la diminution de l’influence de l’Église catholique, l’exogamie et la prolifération des médias de langue anglaise ont rendu très difficile la survie de ces communautés linguistiques (Allard, Landry et Deveau, 2003 ; Ross et Deveau, 1995 ; Louder, Trépanier et Waddell, 1999). En outre, il faut reconnaître l’effet dévastateur des politiques en éducation qui ont visé l’assimilation des Acadiens à la majorité anglophone (Ross, 2001).

De 1971 à 1996, alors que la population générale de la province a augmenté, l’effectif des francophones de la Nouvelle-Écosse a quant à lui diminué de 8,3 % (Marmen et Corbeil, 1999). De toute évidence, cette tendance persiste toujours ; elle s’avère d’autant plus menaçante lorsque l’on considère que seulement 54,4 % des francophones en Nouvelle-Écosse parlent plus souvent français à la maison, soit 2,3 % de moins qu’en 1996 (Statistique Canada, 2003). En 2001, la plus importante concentration de francophones dans la province se trouvait à Halifax (11 195 Acadiens francophones) mais ne représentait que 3,1 % de la population de cette agglomération métropolitaine (Statistique Canada, 2001). Ailleurs dans la province, les francophones restent concentrés principalement dans cinq régions acadiennes. Deux de ces communautés sont établies dans le sud-ouest de la province : l’une de 6195 personnes (70,4 % de la population) dans la municipalité de Clare, et l’autre de 4780 personnes (57,7 % de la population) dans la municipalité d’Argyle. Deux autres communautés relativement importantes se trouvent au Cap-Breton : l’une de 2955 personnes est concentrée principalement sur l’Isle-Madame dans le comté de Richmond (où ils représentent 52,0 % de la population), et l’autre de 2645 personnes à Chéticamp (où ils représentent 44,6 % de la population). Enfin, 525 francophones habitent le village de Pomquet, dans le comté d’Antigonish.

Au fil des ans, l’école est devenue un outil indispensable dans la lutte pour la survie de la langue française et de la culture acadienne francophone (Landry et Allard, 1999 ; Martel, 1991, 1993, 2001). De nombreuses recherches montrent qu’elle peut jouer, de concert avec la famille, un rôle capital dans le maintien de la langue et de la culture d’une communauté (Landry et Allard, 1990, 1996, 2000 ; Cummins, 1979, 1981, 2001 ; Gérin-Lajoie, 1996). Landry et Allard (1990) résument le rôle de l’école à l’aide du modèle des balanciers compensateurs. Selon ce modèle, dans un milieu où la communauté minoritaire est de faible vitalité ethnolinguistique, il est impératif de privilégier le développement de la langue minoritaire au sein des milieux familial et scolaire si on entend faire contrepoids à la force socialisante de la langue majoritaire, dominante dans le milieu socio-institutionnel, et favoriser un bilinguisme additif. Dans une recherche auprès d’élèves acadiens de la Nouvelle-Écosse, Landry et Allard (2000) affirment ainsi que les écoles bilingues ou mixtes, appelées communément le modèle 50/50, ne seraient justifiables que dans trois contextes : (1) si les apprenants à l’école vivaient dans un vacuum social isolés de tout contact interpersonnel et des structures sociales ; (2) si les structures sociales externes à l’école n’avaient pas d’effets sur le développement du bilinguisme ; ou (3) si les deux communautés linguistiques en contact avaient, dans la même société, le même degré de vitalité ethnolinguistique.

En dépit de l’évidence empirique, plusieurs parents continuent de craindre que les enfants entièrement scolarisés en français ne maîtrisent pas suffisamment l’anglais. Dans une étude portant sur les attitudes des parents acadiens de la Nouvelle-Écosse et dans une autre se rapportant aux attitudes des élèves acadiens de la Nouvelle-Écosse, Starets (1986, 1990) a montré que si la plupart des Acadiens néo-écossais voulaient que leurs écoles soient gérées en français, beaucoup s’opposaient à ce que tous les cours soient enseignés en français. En particulier, ces parents désiraient que les cours de sciences de la nature et de mathématiques soient enseignés en anglais.

Deveau, Clarke et Landry (2004) ont trouvé que seulement 29,9 % des ayants droit des régions acadiennes de la Nouvelle-Écosse préfèrent une scolarisation de langue française, alors que 63,8 % préfèrent que la moitié des cours soient enseignés en français et que l’autre moitié soient enseignés en anglais. Seulement 6,3 % ont dit préférer une scolarisation majoritairement ou entièrement en anglais. Cette étude révèle aussi que plus de sept personnes sur dix s’opposent à la création d’écoles homogènes de langue française et d’un conseil scolaire séparé pour les francophones.

Selon une étude menée auprès de parents d’Halifax, de Sudbury, de Calgary et de Vancouver (Réseau CIRCUM, 1999), les principales raisons fournies par les parents qui choisissent l’école anglaise (programmes de français cadre et d’immersion confondus) plutôt que l’école de langue française sont associées à l’exogamie du couple (mariage entre des conjoints de langues maternelles différentes). Les parents de couples exogames semblent avoir deux craintes principales : que leur enfant soit « insuffisamment francophone » pour réussir à l’école de langue française et que la participation du père ou de la mère anglophone aux études de l’enfant soit trop difficile. Parmi les autres raisons justifiant le choix de l’école anglaise dans cette étude, mentionnons l’importance accordée au bilinguisme et la perception que l’immersion y mènera, la domination de l’anglais dans la société et, enfin, l’idée que l’école anglophone est plus en mesure d’assurer la compétence en anglais. Ces dernières raisons ont été évoquées autant par les parents de couples endogames que ceux de couples exogames. Finalement, il y a aussi des parents de couples endogames francophones qui manifestent la crainte que leurs enfants éprouvent trop de difficultés en français pour être scolarisés dans cette langue.

Pour leur part, Landry et Allard (1994a, 1994b, 2000) soutiennent qu’il est possible que les inquiétudes de certains parents quant aux écoles homogènes de langue française soient le produit d’une certaine naïveté sociale. Autrement dit, ces personnes ne semblent pas reconnaître le rôle déterminant du milieu social dans l’apprentissage de l’anglais en contexte francophone minoritaire et paraissent méconnaître l’importance de la compétence en français langue maternelle comme base pour l’apprentissage de l’anglais langue seconde. Tout se passe comme si elles percevaient l’école comme oeuvrant dans un vacuum social ou comme constituant la source unique de l’apprentissage des deux langues. Conséquemment, elles privilégient souvent le modèle 50/50 pour favoriser le bilinguisme chez leur enfant. En ce sens, l’étude de Deveau, Clarke et Landry (2004) montre que la majorité des ayants droit néo-écossais qui préfèrent la scolarisation bilingue estiment qu’elle est le meilleur moyen de s’assurer que les enfants apprennent les deux langues et semblent croire qu’elle favorise davantage la mobilité sociale, l’accès aux études postsecondaires et l’obtention éventuelle d’emplois prestigieux. Par ailleurs, Landry et Allard (1994a, 1994b) soutiennent que le degré de naïveté sociale serait inversement relié au degré de scolarisation des répondants et au niveau de la profession qu’ils exercent. Allard, Landry et Deveau (2005) associent cette naïveté sociale à une conscience semi-transitive de la situation de leur langue et de leur communauté.

Si la préférence pour la scolarisation en anglais est surtout reliée à des raisons d’ordre pragmatique et extrinsèque, l’appui accordé à la scolarisation en français tend à être associé à des raisons plus affectives et intrinsèques, notamment la force de l’identification francophone, l’attachement à la communauté francophone, le souci de préserver la langue et la culture françaises et acadiennes, ainsi que le désir d’intégrer la communauté de langue française (Réseau CIRCUM, 1999 ; Landry et Allard, 1985 ; Tardif, 1995). Chez les ayants droit de la Nouvelle-Écosse, on trouve que 15,5 % des personnes qui préfèrent la scolarisation en français évoquent des raisons reliées à leur identité francophone ou acadienne, 14,2 % mentionnent le souci de préserver le patrimoine culturel de la communauté francophone ou acadienne de la Nouvelle-Écosse et 29,7 % fondent leur choix sur l’importance de la langue française (Deveau, Clarke et Landry, 2004).

Dans une étude auprès de parents acadiens du Nouveau-Brunswick, Allard et Landry (1986) montrent que la combinaison des croyances personnelles (ce que la personne croit par rapport à elle-même), des croyances normatives (ce qui devrait être dans son milieu) et des souhaits ou buts personnels (ce que la personne se fixe comme objectifs) par rapport à la vitalité ethnolinguistique de la communauté francophone discriminait correctement, à 89,3 %, les parents qui choisissaient d’envoyer leurs enfants à l’école anglophone, par opposition à ceux qui préféraient envoyer leurs enfants à l’école de langue française.

En somme, ces recherches soutiennent l’hypothèse que le positionnement par rapport à la langue de scolarisation pourrait être associé au type de bilinguisme développé. La préférence de la scolarisation en français pourrait être reliée au développement d’un bilinguisme de type additif et, en revanche, la préférence de la scolarisation en anglais pourrait être tributaire du développement d’un bilinguisme de type soustractif, autrement dit, d’un certain degré d’assimilation linguistique. Dans la prochaine section, nous situons cette hypothèse générale dans le cadre théorique de la recherche et nous proposons des hypothèses de recherche spécifiques.

Cadre théorique

Inspiré du concept de la vitalité ethnolinguistique (Giles, Bourhis et Taylor, 1977), le modèle macroscopique du développement du bilinguisme additif et du bilinguisme soustractif de Landry et Allard (1990) fait apparaître nettement les liens déterminants entre les aspects sociaux et les aspects psychologiques du bilinguisme. Selon Lambert (1975), le bilinguisme est dit « additif » lorsqu’une deuxième langue (L2) – l’anglais dans ce cas – est apprise sans que la langue première (L1) – ici, le français – soit menacée ou perdue. Le bilinguisme est dit « soustractif » dans le cas où il y a perte en L1 au profit de L2. Ce second type de bilinguisme est généralement associé à une transition progressive vers l’unilinguisme en L2. Landry et Allard (1988) proposent une définition élargie du bilinguisme additif, qui englobe les aspects linguistiques, cognitifs, affectifs et comportementaux de la langue, tout en tenant compte des dimensions sociales du bilinguisme. Selon cette définition, l’individu qui atteindrait un haut degré de bilinguisme additif :

[…] aurait un haut niveau de compétence en langue maternelle et en langue seconde tant au plan de la communication interpersonnelle qu’au plan cognitivo-académique ; maintiendrait son identité ethnolinguistique et manifesterait des attitudes et des croyances positives envers les deux langues et ferait une utilisation généralisée de sa langue maternelle sans diglossie, c’est-à-dire sans que celle-ci soit vouée à des fonctions sociales restreintes.

Landry et Allard, 1988, p. 40

Le modèle répartit en trois niveaux les variables reliées au développement du bilinguisme. Le premier niveau réunit les variables d’ordre sociologique dont dépend la vitalité ethnolinguistique d’une langue. Giles, Bourhis et Taylor (1977) ont défini celle-ci comme étant l’ensemble des facteurs structuraux qui font en sorte qu’une communauté linguistique se maintient et se développe en tant que collectivité distincte et active en situation de contacts intergroupes. À l’instar de Prujiner, Deshaies, Hamers, Blanc, Clément et Landry (1984), Landry et Allard (1996) résument les facteurs de la vitalité ethnolinguistique d’une communauté selon quatre types de capital linguistique : le capital démographique, le capital économique, le capital politique et le capital culturel.

Sur le plan sociopsychologique (deuxième niveau), le modèle propose que le vécu ethnolangagier des personnes se situe dans un réseau individuel de contacts linguistiques (RICL) qui est fortement relié à la vitalité ethnolinguistique du groupe. Le RICL comprend les sous-réseaux anglophone et francophone, divisés en cinq types de contacts linguistiques : les contacts interpersonnels, les contacts par l’entremise des médias, la scolarisation, les contacts dans les institutions et par le biais du paysage linguistique (affichage commercial et public).

Le vécu ethnolangagier, à son tour, est relié au développement psycholangagier (troisième niveau). Ce dernier se résume à deux facteurs : l’aptitude/compétence et la disposition cognitivo-affective. Le premier facteur consiste en la capacité d’apprendre et d’employer une langue. L’aptitude est reliée à des caractéristiques personnelles de l’individu et peut influencer la facilité à apprendre une langue. La compétence traduit l’habileté à faire usage d’une langue et est fortement influencée par le vécu ethnolangagier.

Le deuxième facteur représente la volonté d’apprendre et d’employer une langue. Cette disposition cognitivo-affective comprend les croyances par rapport aux langues et l’identité ethnolinguistique, que nous pouvons imaginer comme se situant sur un continuum allant du cognitif vers l’affectif. Située à l’extrémité cognitive du continuum, la vitalité ethnolinguistique subjective représente la première étape dans l’intériorisation de ce qui est extérieur à la personne – en d’autres termes, l’évaluation de la force relative des langues et des communautés linguistiques en question ; étant donné que celle-ci n’engage pas directement l’individu, elles ne prédisent pas très bien le comportement langagier (Allard et Landry, 1986, 1992, 1994). En revanche, le désir d’intégration des groupes ethnolinguistiques, situé davantage du côté affectif du continuum, est un très bon moyen de prédire le comportement langagier. Ce désir comporte les souhaits, les buts et les objectifs linguistiques et culturels de la personne. L’identité ethnolinguistique, située à l’extrémité affective du continuum, constitue le dernier bastion de résistance à l’assimilation linguistique et culturelle. L’identification au groupe minoritaire peut rester relativement forte, même lorsque l’individu emploie souvent la langue majoritaire. Cependant, en situation de faible vitalité ethnolinguistique, cette identité ethnolinguistique peut progressivement se transformer en une identité bilingue ou mixte, ce qui peut représenter une étape transitoire vers une identité ethnolinguistique reflétant le groupe à forte vitalité – une identité anglophone dans notre cas (Landry, Deveau et Allard, 2006).

Enfin, le comportement langagier, dernière composante du modèle, est tributaire des nombreuses expériences antérieures vécues par le truchement du RICL et est médiatisé par la disposition cognitivo-affective, par les compétences langagières ainsi que par les contraintes spécifiques à la situation de contact linguistique. Il est à la fois produit et cause. S’il résulte des contacts ethnolangagiers antérieurs, il est aussi l’assise de contacts ethnolangagiers futurs, ce qui fournit au modèle théorique une dimension dynamique.

Hypothèses

Selon ce modèle, l’hypothèse générale veut que le positionnement en faveur de la scolarisation en français soit relié au développement d’un bilinguisme additif, particulièrement sa composante affective (attitudes et croyances). Cette hypothèse générale s’opérationnalise en trois hypothèses spécifiques. Premièrement, étant donnée la relation entre le développement du bilinguisme additif et la socialisation ethnolangagière, nous faisons l’hypothèse que le positionnement en faveur de la scolarisation en français est relié à la force du vécu ethnolangagier francophone, notamment les aspects reliés à la disposition affective. Deuxièmement, plus le désir d’intégrer la communauté francophone des ayants droit est élevé, plus leur positionnement est favorable à la scolarisation en français. Troisièmement, plus l’identité ethnolinguistique francophone des ayants droit est forte, plus la scolarisation en français est préférée. Finalement, nous proposons une quatrième hypothèse selon laquelle le niveau de scolarisation des ayants droit est associé à une préférence pour la scolarisation en français.

Méthodologie

Échantillon

L’échantillon est constitué de 550 ayants droit provenant des cinq principales régions acadiennes de la Nouvelle-Écosse, soit Argyle, Chéticamp, Clare, Pomquet et Richmond. Si nous inférons que le nombre d’ayants droit dans ces régions est à peu près égal au nombre de personnes de 18 ans et plus qui ont le français comme langue maternelle (réponses uniques et réponses multiples), soit 23 397 personnes en 1996, le taux d’erreur associé à notre échantillon est de 4 %, soit 19 fois sur 20 (McCall, 1982).

Instrument

Le questionnaire utilisé est adapté du questionnaire qui a servi à Landry et Allard (1994a, 1994b). La première section permet de recueillir des informations générales de type démographique (par exemple la région, le sexe, l’âge et la langue maternelle). La deuxième section mesure le vécu ethnolangagier, organisé selon six catégories (voir le Tableau 1 dans la section « Résultats »). Il est demandé à la personne soumise au questionnaire quelle(s) langue(s) elle a employé lors de son dernier contact linguistique (par exemple : « La dernière fois que vous avez été au magasin de vêtements, avez-vous parlé à la vendeuse : uniquement en français ; surtout en français ; dans les deux langues également ; surtout en anglais ; uniquement en anglais »). Les coefficients de cohérence interne (Alpha de Cronbach) de ces échelles se situent entre 0,83 et 0,96, sauf pour la langue de scolarisation, où le coefficient est de 0,54. La troisième section du questionnaire comporte les questions associées au niveau psychologique du modèle. Six items mesurent la vitalité ethnolinguistique subjective par des questions du type : « Dans votre région, les services culturels comme la télévision ou le cinéma sont-ils offerts : uniquement en français […] ; uniquement en anglais » (Alpha = 0,42). Dix items mesurent le désir d’intégration en demandant, par exemple, aux personnes soumises au questionnaire : « Si vous aviez le choix, dans votre quartier ou dans votre village, préféreriez-vous parler : uniquement en français […] ; uniquement en anglais » (Alpha = 0,96). L’identité ethnolinguistique est mesurée à l’aide d’une seule question. Cette question demande à la personne d’indiquer si elle se considère comme étant : « complètement francophone ; surtout francophone ; autant francophone qu’anglophone ; surtout anglophone ; ou complètement anglophone ». Nous mesurons aussi l’autoévaluation de la compétence linguistique en anglais et en français : très bonne ; bonne ; faible ; et nulle (Alpha = 0,88 et 0,89, respectivement).

Le positionnement envers la langue de scolarisation, la variable dépendante, est mesuré à partir de quatre questions (Alpha = 0,72). Une question demande à la personne d’indiquer ce qui, en général, serait préférable pour ses enfants : qu’ils reçoivent « tous les cours en français » ; « la plupart des cours en français » ; « à peu près la moitié en français et la moitié en anglais » ; « la plupart des cours en anglais » ; ou « tous les cours en anglais ». Trois autres items reprennent la même question, mais spécifiquement pour les niveaux élémentaire et secondaire et pour les cours de sciences et de mathématiques au niveau secondaire.

Procédure

Les données de notre étude proviennent d’une enquête téléphonique effectuée pendant l’hiver 2000. Les personnes pouvaient répondre en anglais ou en français. L’anonymat était assuré et le répondant était libre de mettre fin à l’entrevue à tout moment. Les numéros de téléphone ont été tirés au hasard, tout en assurant une représentation équitable des cinq régions. La durée typique d’une entrevue était de 20 à 25 minutes. Alors que 599 personnes ont répondu au questionnaire, seuls les ayants droit ont été retenus pour la présente analyse.

Méthodes d’analyse

Nous avons tout d’abord utilisé la procédure WEIGHT du logiciel SPSS afin de pondérer statistiquement les données en fonction du sexe et de l’âge de la population, selon le recensement de 1996 (Statistique Canada, 1996). Cette méthode permet de s’assurer que les résultats ne soient pas faussés par la sous-représentation de certains groupes sur les variables mesurées. Les données manquantes ont été remplacées par les scores moyens de leur échelle d’appartenance. Les résultats descriptifs sont présentés en fonction de trois groupes de positionnement constitués à partir des réponses à la question générale portant sur la langue de scolarisation préférée. Des analyses de Khi-deux et des ANOVA fournissent des indications quant aux domaines de vécu qui peuvent être reliés à ce positionnement. Toutefois, pour vérifier la validité des hypothèses de recherche, nous avons procédé à deux analyses des composantes principales avec rotation VARIMAX (orthogonale), chacune étant accompagnée d’une analyse de régression multiple où les scores factoriels sont retenus comme variables indépendantes. Cette approche offre l’avantage de simplifier l’interprétation des variables indépendantes. De plus, l’orthogonalité des facteurs – c’est-à-dire le fait qu’ils soient indépendants les uns des autres – permet de calculer le pourcentage de variance et la proportion relative de la variance expliquée du positionnement envers la langue de scolarisation associés à chaque facteur. La première analyse a comme objectif de vérifier la relation directe entre l’ensemble des variables indépendantes et le positionnement. La deuxième a comme objectif de vérifier la relation indirecte entre le vécu ethnolangagier et le positionnement en vérifiant sa relation à la vitalité ethnolinguistique subjective, au désir d’intégration et à l’identité ethnolinguistique.

Résultats

Résultats descriptifs

Nous avons d’abord réparti les répondants en trois groupes à partir de la réponse choisie à la question générale portant sur la langue de scolarisation préférée pour leurs enfants. Le groupe PSA (proscolarisation en anglais) est composé des personnes qui préféreraient que leurs enfants soient entièrement ou surtout scolarisés en anglais (6,3 %). Le groupe PSB (proscolarisation bilingue) est constitué des personnes qui préféreraient pour leurs enfants une scolarisation bilingue (63,7 %). Le groupe PSF (proscolarisation en français) est formé des personnes qui préféreraient que leurs enfants soient surtout ou entièrement scolarisés en français, sauf pour le cours d’anglais (29,9 %).

Données démographiques

La majorité des répondants, quel que soit leur groupe de positionnement, indiquent que le français est leur langue maternelle (groupe PSA = 71,1 % ; groupe PSB = 67,3 % ; et groupe PSF = 70,5 %). Pour ce qui est du type de famille, la présence de l’exogamie semble moins forte dans le groupe PSF que dans les autres groupes (groupe PSA = 34,3 % ; groupe PSB = 27,9 % ; et groupe PSF = 17,5 %), mais le test de Khi-deux montre que cette relation n’est pas statistiquement significative (p > 0,05). De même, il n’y a pas de relation significative entre, d’une part, la région, le sexe et la langue maternelle et, d’autre part, le positionnement envers la langue de scolarisation. En revanche, les tests de Khi-deux font apparaître des différences intergroupes significatives pour les variables de l’âge (p < 0,001) et du degré de scolarisation (p < 0,001). Le groupe PSF est constitué à 66,6 % de personnes de moins de 45 ans, alors que les groupes PSA et PSB en sont constitués à 31,5 % et à 45,1 %, respectivement. Quant au degré de scolarisation, 41,6 % et 43,8 % des personnes dans les groupes PSA et PSB ont terminé leurs études secondaires, comparativement à 75,5 % des membres du groupe PSF.

Tableau 1

Score moyen sur les échelles de vécu ethnolangagier selon le groupe de positionnement envers la langue de scolarisation

Score moyen sur les échelles de vécu ethnolangagier selon le groupe de positionnement envers la langue de scolarisation

Légende : PSA = proscolarisation en anglais ; PSB = proscolarisation bilingue ; PSF = proscolarisation en français.

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Vécu ethnolangagier

Nous présentons au Tableau 1 les scores moyens pour les échelles du vécu ethnolangagier selon le groupe de positionnement. Les scores sur l’échelle du réseau social montrent que les contacts sociaux des membres des trois groupes se font plus en français qu’en anglais (de 3,50 à 3,76 sur une échelle de 5 points). Le vécu ethnolangagier dans le domaine économique, en revanche, se fait autant en anglais qu’en français. Dans les domaines politico-gouvernemental et culturel, ainsi que dans les contacts avec la langue d’affichage, les contacts linguistiques sont surtout vécus en anglais. Nous notons aussi que le degré de francité du vécu des personnes semble augmenter avec la préférence pour la scolarisation en français. Les analyses de la variance montrent que cette relation est statistiquement significative (p < 0,05) pour trois des six échelles : le domaine politico-gouvernemental (F[2, 490] = 3,15 ; p = 0,044), le domaine culturel (F[2, 490] = 3,34 ; p = 0,036) et la langue d’affichage (F[2, 473] = 4,03 ; p = 0,018). En revanche, le degré de scolarisation en français ne varie pas significativement en fonction du positionnement. Si nous ne prenons en compte que la langue de scolarisation au niveau postsecondaire, nous trouvons cependant une relation positive qui est statistiquement significative (F[2, 203] = 3,39 ; p = 0,035).

Variables psycholangagières

Le score sur l’échelle de la vitalité ethnolinguistique subjective indique que les répondants pensent que la vitalité du français et de l’anglais est à peu près égale dans leur région (voir Tableau 2). De plus, ils estiment que la vitalité relative des deux langues sera environ la même dans 20 ans. Alors qu’il n’y a pas de relation significative entre la vitalité ethnolinguistique subjective et le positionnement, la relation entre le désir d’intégrer la communauté de langue française et le positionnement est significative (F[2, 490] = 10,23 ; p < 0,001). Les personnes du groupe PSA semblent vouloir s’intégrer davantage à la communauté anglophone, les personnes du groupe PSB ne semblent pas manifester de préférence entre les deux communautés et les personnes du groupe PSF montrent une préférence modérée pour l’intégration à la communauté francophone. Pour ce qui est de l’identité ethnolinguistique, nous notons que les personnes qui préfèrent la scolarisation en français ont plus tendance à s’identifier comme étant francophones que les personnes des autres groupes (F[2, 480] = 5,74 ; p = 0,003).

Tableau 2

Score sur les échelles de développement psycholangagier selon le groupe de positionnement envers la langue de scolarisation

Score sur les échelles de développement psycholangagier selon le groupe de positionnement envers la langue de scolarisation

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En ce qui concerne l’autoévaluation de la compétence langagière, les membres des trois groupes ont tendance à se considérer comme plus compétents en anglais qu’en français. Ils se considèrent très bons en anglais (groupe PSA = 3,72 ; groupe PSB = 3,65 ; et groupe PSF = 3,77 sur une échelle de 4 points) et bons en français (groupe PSA = 2,98 ; groupe PSB = 2,84 ; et groupe PSF = 3,22). Alors que le groupe PSF semble se considérer légèrement plus compétent en anglais, l’effet intergroupe n’atteint pas tout à fait le seuil de signification (p = 0,052). En revanche, l’effet intergroupe pour l’autoévaluation de la compétence en français est statistiquement significatif (F[2, 490] = 12,12 ; p < 0,001).

Facteurs reliés au positionnement envers la langue de scolarisation

L’analyse en composantes principales avec rotation VARIMAX a été effectuée sur un ensemble de 66 variables de types démographique, sociopsychologique et psychologique. Elle a réduit la variance des variables originaires à 13 facteurs orthogonaux. Les facteurs expliquent 72,9 % de la variance originale. Les 13 facteurs sont présentés au Tableau 3, dans lequel ils sont mis en relation avec le positionnement envers la langue de scolarisation par l’entremise d’une régression multiple.

Tableau 3

Contributions relatives des scores factoriels de l’ensemble des variables à la prédiction du positionnement envers la langue de scolarisation : pourcentage de la variance expliquée et proportion relative du total de la variance expliquée

Contributions relatives des scores factoriels de l’ensemble des variables à la prédiction du positionnement envers la langue de scolarisation : pourcentage de la variance expliquée et proportion relative du total de la variance expliquée

Note : p < 0,001.

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La variable dépendante, soit le positionnement envers la langue de scolarisation, est constituée du score moyen aux quatre questions qui portent sur la langue de scolarisation des enfants, à savoir la langue de scolarisation préférée en général (score moyen de 3,43 et écart-type de 0,96), à l’élémentaire (score moyen de 3,70 et écart-type de 1,03), au secondaire (score moyen de 3,40 et écart-type de 0,95) et dans les cours de sciences de la nature et de mathématiques au secondaire (score moyen de 3,06 et écart-type de 1,26). Le coefficient de consistance interne de l’échelle est de 0,72.

Cinq des 13 facteurs sont reliés au positionnement envers la langue de scolarisation. Deux de ces facteurs – l’âge et le degré de scolarisation, d’une part, et le désir d’intégration, d’autre part – partagent une proportion relative de 0,84 de la variance totale expliquée. Le facteur « âge et degré de scolarisation » explique 12,4 % de la variance du positionnement envers la langue de scolarisation, soit la moitié (0,49) de la variance totale expliquée. Nous avons trouvé que la relation entre l’âge et le positionnement est négative et que la relation entre le degré de scolarisation et le positionnement est positive. Cela signifie que les personnes plus jeunes et plus scolarisées ont tendance à davantage préférer la scolarisation en français pour leurs enfants que les personnes plus âgées et moins scolarisées. Ce résultat confirme l’hypothèse qui énonçait qu’une relation positive existait entre le degré de scolarisation et le positionnement envers la langue de scolarisation. Les résultats relatifs à l’âge sont inattendus puisque nous n’avions formulé aucune hypothèse au sujet de cette variable.

Le facteur « désir d’intégration » est aussi associé à une proportion relative importante (0,35) de la variance totale expliquée. La relation entre le score factoriel et la variable dépendante est positive. Par conséquent, plus le désir d’intégrer la communauté francophone est fort, plus le positionnement est favorable à la scolarisation en français. Trois autres facteurs contribuent significativement à la prédiction de ce positionnement, soit le paysage linguistique, le vécu culturel et la compétence en français. Dans chacun des cas, le facteur est associé positivement au positionnement, mais le pourcentage de variance expliquée reste faible.

La combinaison de l’analyse factorielle et de l’analyse de régression multiple ne permet pas de vérifier la relation entre l’identité ethnolinguistique et le positionnement envers la langue de scolarisation. Le fait que l’identité soit mesurée à l’aide d’une seule question fait en sorte que l’analyse factorielle ne l’isole pas en tant que facteur orthogonal. Nous avons donc décidé de mesurer cette relation à l’aide de simples analyses de corrélation de Pearson. Avec une corrélation de 0,20 (p < 0,001), cette variable partage 4,0 % de sa variance avec le positionnement envers la langue de scolarisation, ce qui est conforme à notre hypothèse. Cette procédure ayant le désavantage de ne pas tenir compte des autres variables, l’interprétation de ce résultat doit être formulée avec une grande prudence.

Interdépendance entre le vécu ethnolangagier et la disposition cognitivo-affective

Nous avons effectué une deuxième analyse des composantes principales, cette fois au regard de 38 variables de vécu ethnolangagier. Les variables âge, degré de scolarisation, sexe et langue maternelle ont été ajoutées à celles-ci, pour arriver à un total de 42 variables. L’analyse a regroupé les variables en sept facteurs expliquant 68,9 % de la variance originaire. Les sept facteurs sont mis en relation avec les trois dimensions de la disposition cognitivo-affective au Tableau 4.

Tableau 4

Contributions relatives des scores factoriels du vécu ethnolangagier à la prédiction de la disposition cognitivo-affective : pourcentage de la variance expliquée et proportion relative du total de la variance expliquée (entre parenthèses)

Contributions relatives des scores factoriels du vécu ethnolangagier à la prédiction de la disposition cognitivo-affective : pourcentage de la variance expliquée et proportion relative du total de la variance expliquée (entre parenthèses)

Légende : 1 = Réseau social ; 2 = Contacts institutionnels ; 3 = Paysage linguistique ; 4 = Médias culturels ; 5 = Services paragouvernementaux ; 6 = Âge et degré de scolarisation ; 7 = Sexe.

Note : p < 0,001.

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À la première ligne du tableau nous observons que l’effet combiné de quatre facteurs du vécu ethnolangagier explique 18,8 % de la variance de la vitalité subjective. Le facteur contacts institutionnels explique plus de la moitié (0,56) du total de la variance expliquée. Deux autres facteurs sont associés à des proportions relatives de la variance expliquée qui sont modérément importantes, soit le facteur « paysage linguistique » (0,20) et le facteur « réseau social » (0,20). Une faible proportion de la variance expliquée est associée au facteur « médias culturels » (0,04).

L’effet combiné de cinq des sept facteurs du vécu ethnolangagier explique 67,3 % de la variance du désir d’intégration à la communauté de langue française. Nous notons que la plus grande partie de cette variance (0,61) est associée au facteur « réseau social ». Les facteurs « médias culturels » (0,18) et « contacts institutionnels » (0,17) expliquent aussi des proportions relativement importantes de la variance totale expliquée. Quant au reste de la variance expliquée, elle est associée aux facteurs « services paragouvernementaux » et « paysage linguistique ». Finale-ment, 62,2 % de la variance totale de l’identité ethnolinguistique peut être expliquée par l’effet combiné de six des sept facteurs. La proportion la plus importante est associée au facteur « réseau social » (0,68). Des proportions relativement élevées de la variance totale sont associées aux facteurs « contacts institutionnels » (0,18) et « médias culturels » (0,12). Les facteurs « services paragouvernementaux » et « paysage linguistique » représentent le reste (0,03) de la variance expliquée. Le facteur « âge et degré de scolarisation » est aussi associé à une faible proportion relative (0,01) de la variance expliquée de l’identité ethnolinguistique.

Discussion

Le sondage indique que la majorité (63,7 %) des ayants droit des régions acadiennes de la Nouvelle-Écosse préfèrent une scolarisation bilingue pour leurs enfants. Ces résultats ne sont toutefois pas inattendus. L’étude récente de Martel (2001), réalisée à partir des données du recensement, montre qu’en 1996 seulement 29,1 % des enfants d’ayants droit néo-écossais étaient scolarisés dans des écoles homogènes de langue française. D’ailleurs, même si on inclut les enfants qui étaient dans des programmes bilingues, ce pourcentage est de moins de 50 %. Il ne s’agit pas non plus d’un problème exclusif à la Nouvelle-Écosse, l’étude de Martel (2001) ayant montré que, à l’échelle du pays, seulement 54,4 % des enfants d’ayants droit fréquentent des écoles homogènes de langue française. La préférence pour la scolarisation bilingue n’est pas unique à la Nouvelle-Écosse. Landry et Allard (1994b) rapportent que la moitié des francophones du Nouveau-Brunswick ont indiqué une préférence pour une scolarisation bilingue de leurs enfants.

Les résultats de la présente étude appuient l’hypothèse selon laquelle le positionnement des ayants droit des régions acadiennes de la Nouvelle-Écosse envers la langue de scolarisation est associé à leur type de développement bilingue. Les personnes dont le bilinguisme est davantage de type additif ont plus tendance à préférer la scolarisation en français pour leurs enfants. Autrement dit, plus leur développement bilingue a favorisé le maintien du français, plus les ayants droit préfèrent que leurs enfants soient entièrement scolarisés en français, sauf pour le cours d’anglais.

Parmi les variables psycholangagières considérées, tel que nous le postulons dans nos hypothèses, ce sont les variables reliées aux dispositions affectives envers la communauté francophone qui semblent être les plus déterminantes. En particulier, le désir d’intégrer la communauté de langue française et l’identité ethnolinguistique francophone sont celles qui sont le plus fortement reliées à un positionnement favorable à la scolarisation en français (hypothèses deux et trois). Ces résultats corroborent les résultats de Deveau, Clarke et Landry (2004) montrant que la position proscolarisation française est souvent associée à des motifs d’affirmation identitaire.

Le vécu ethnolangagier explique toutefois peu la variance des scores de positionnement par rapport à la langue de scolarisation en termes directs (première hypothèse). Son effet semble plutôt indirect étant donné sa forte relation avec le désir d’intégrer la communauté francophone et l’identité francophone. De fait, ces deux variables sont fortement associées à la francité des contacts ethnolangagiers vécus. Ces résultats correspondent au modèle des déterminants du bilinguisme (Landry et Allard, 1990, 1996) qui postule que les comportements langagiers sont médiatisés par des facteurs du développement psycholangagier, lesquels, à leur tour, sont influencés par le vécu ethnolangagier.

Fait à signaler, près de la moitié de la variance expliquée des scores de positionnement envers la langue de scolarisation est associée à l’âge et au niveau de scolarisation des ayants droit. Ces résultats confirment notre quatrième hypothèse. Le fait d’être plus scolarisé est relié positivement au positionnement en faveur de la scolarisation en français. Nous tenons à signaler toutefois que 48,5 % des répondants ont indiqué qu’ils n’ont pas complété leurs études secondaires. L’analyse factorielle a regroupé en un même facteur le fait d’être jeune et celui d’être scolarisé. Il peut être encourageant de constater que les parents plus jeunes et plus scolarisés ont davantage tendance à vouloir scolariser leurs enfants en français que les parents plus âgés et moins scolarisés. Il reste incertain, toutefois, que ce phénomène puisse compenser celui de l’exogamie croissante des jeunes couples.

Par ailleurs, les résultats relatifs à la vitalité ethnolinguistique subjective semblent révéler une forme de conscience socio-langagière semi-transitive (Allard, Landry et Deveau, 2005). Indépendamment du positionnement envers la langue de scolarisation, la majorité des répondants disent que la vitalité relative des deux langues est à peu près égale dans leur région. Ces croyances paraissent optimistes, même dans les régions à forte concentration francophone. On semble oublier ou ne pas savoir que les francophones de la Nouvelle-Écosse ne constituent que 3,9 % de la population provinciale et que le taux de continuité linguistique n’est que de 54,4 % (Statistique Canada, 2003). Les ressources culturelles de langue anglaise sont généralement beaucoup plus accessibles que celles de langue française (par exemple, les journaux, la télévision, la radio et le cinéma). Le gouvernement provincial offre peu de services en français et une seule des régions bénéficie d’un gouvernement municipal bilingue. L’affichage public et commercial est presque exclusivement en anglais dans les cinq régions.

Conclusion

En conclusion, nous soutenons que la présente recherche contribue à la compréhension des facteurs reliés au positionnement des ayants droit envers la langue de scolarisation. Les résultats montrent que la création d’espaces francophones susceptibles d’accroître la francité du vécu ethnolangagier des gens de ces régions pourrait influencer positivement le degré d’identification et le désir d’intégration à la communauté francophone, et, en bout de ligne, la préférence pour la scolarisation en français. De plus, ils nous aident à cerner l’importance des stratégies de sensibilisation et de recrutement des ayants droit, qui font contrepoids au déterminisme social et à la naïveté sociale (voir Landry et Rousselle, 2003) ou qui favo--risent la construction d’une conscience ethnolangagière critique (Allard, Landry et Deveau, 2005). Les résultats appuient également toute mesure qui aurait pour effet d’accroître le degré de scolarisation des membres des communautés acadiennes francophones, particulièrement si cette scolarisation se faisait en français.

Nous tenons à souligner que les résultats et les conclusions de la présente recherche se limitent au contexte étudié. Ils ne peuvent être ni généralisés ni appliqués librement aux autres communautés francophones de la province ou du pays. Nous pensons toutefois que la méthodologie que nous avons utilisée serait très pertinente dans le cadre d’études portant sur le choix de la langue de scolarisation dans d’autres communautés francophones ou à l’échelle nationale. Il y aurait lieu d’étudier les facteurs liés au positionnement envers la langue de scolarisation dans d’autres provinces canadiennes. Aux facteurs que nous avons étudiés, nous proposons d’ajouter d’autres variables davantage reliées à la qualité des contacts ethnolangagiers, notamment les facteurs qui semblent être les plus propices au développement de l’engagement identitaire, de la conscience ethnolangagière critique et de l’autodétermination des comportements langagiers (Landry, Allard, Deveau et Bourgeois, 2005).