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Cet ouvrage a été produit par un groupe d’universitaires canadiens étroitement associés au fonctionnement de l’Association canadienne des relations industrielles, principale organisation universitaire et professionnelle s’intéressant au travail et à l’emploi au Canada. Il s’agit du premier effort véritablement scientifique de comparaison des systèmes de relations industrielles à travers les différentes provinces et régions du Canada et on peut affirmer que les auteurs ont réussi à produire un ouvrage remarquable malgré le décès prématuré de l’instigateur du projet – Anthony Smith – en cours de réalisation.

Les deux co-éditeurs, Mark Thompson et Joseph Rose ont pris la relève avec toute la compétence qu’on leur connaît et ils ont rédigé une introduction et une conclusion à partir d’un cadre d’analyse fort cohérent qui permet au lecteur de saisir les principales différences entre les différentes régions du Canada. Rose a en plus assumé la rédaction du chapitre sur l’Ontario ainsi qu’une annexe sur le Nouveau-Brunswick, province qui aurait dû être couverte plus en détails par le regretté Anthony Smith tandis que Thompson a participé à la rédaction du chapitre sur la Colombie-Britannique en compagnie de Brian Bemmels. Les autres collaborateurs sont les suivants : Michel Grant (Québec); John Godard (Manitoba); Larry Haiven (Saskatchewan); Andrew Luchak (Terre-Neuve et Labrador); Terry Wagar (Nouvelle-Écosse); et Allen Ponak, Yonathan Reshef et Daphne Taras (Alberta). L’Île-du-Prince-Édouard a été laissée de côté en raison de la petitesse de son économie et de l’impossibilité de trouver une personne ressource pour en assumer l’analyse.

Historiquement, l’analyse des différences régionales en matière de relations du travail et d’emploi s’est toujours faite en considérant le reste du Canada comme un bloc homogène et en incluant un chapitre particulier sur le Québec. C’est de cette façon que la plupart des « textbooks » sur le « Canadian Industrial Relations System » ont été rédigés, utilisant ainsi la formule classique généralement utilisée pour décrire les systèmes de relations industrielles de nos voisins du Sud ou de différents pays industrialisés du reste du monde.

Pourtant, au Canada et à l’opposé de la quasi-totalité des autres pays, la constitution prévoit que la législation du travail relève de la responsabilité des provinces, ce qui entraîne nécessairement des arrangements institutionnels différents en matière d’encadrement de l’action syndicale et de la négociation collective, sans compter les autres législations importantes en matière de travail et d’emploi telles celles portant sur : les normes du travail, la santé et la sécurité au travail, la discrimination et l’équité. Selon les auteurs du volume, une des raisons expliquant que les ouvrages décrivant les relations industrielles au Canada n’ont pas tenu compte de cette réalité importante est que l’on a toujours, à tort ou à raison, associé la situation prévalant dans le reste du Canada hors Québec à celle de l’Ontario. Beyond the National Divide propose d’aller plus loin que cette simplification à outrance et d’analyser chaque province à partir d’une série d’indicateurs que chaque auteur de chapitre devait documenter. Ces indicateurs étaient les suivants : la structure économique de la province; la situation des partis politiques et les relations du mouvement syndical avec ceux-ci; l’histoire des relations industrielles; la structure des trois acteurs du système de RI, notamment: la densité syndicale, l’organisation du monde patronal ainsi que les services gouvernementaux en matière de travail et d’emploi, incluant les organismes de consultation tripartites; la législation du travail et les politiques publiques en matière de travail et d’emploi; le profil des conflits de travail; les procédures de règlement des conflits et d’autres résultats (outputs) du système de RI, tels la jurisprudence arbitrale et le climat de travail prévalant dans les entreprises.

Ainsi, en utilisant comme principales variables la vitalité du mouvement syndical et le degré d’institutionnalisation des relations industrielles, on peut regrouper les huit provinces analysées en deux catégories : un premier groupe de provinces aurait un système de relations industrielles reconnu (« confirmed ») : il s’agit du Québec, de l’Ontario, de la Colombie-Britannique et du Manitoba. Dans ces provinces, on retrouve un mouvement syndical dynamique et la négociation collective y occupe une place prépondérante, étant encadrée par des législations du travail dont les syndicats assurent la surveillance, malgré certains reculs occasionnels, grâce à leur force politique qui provient d’une alliance formelle ou informelle avec un parti politique, la plupart du temps le NPD dans le reste du Canada et le parti Libéral ou le Parti Québécois selon les époques au Québec. Les quatre autres provinces (Sakatchewan, Nouvelle-Écosse, Terre-Neuve et Labrador et Alberta) auraient un système de relations industrielles subordonné (« dependent ») parce que les syndicats y sont moins influents et que les relations industrielles y sont moins institutionnalisées comme en témoigne le fait que les questions de relations du travail sont reléguées au second plan de la réalité socio-politique et économique des provinces en question.

Les auteurs en arrivent à ces conclusions malgré le fait que dans certaines provinces comme la Saskatchewan et Terre-Neuve et Labrador la densité syndicale soit plus élevée que la moyenne canadienne et qu’en Ontario celle-ci soit inférieure à la moyenne. Il en est ainsi parce que d’autres facteurs sont plus importants que la densité syndicale, à savoir, notamment : la composition de la structure industrielle de la province et l’institutionnalisation plus développée des relations industrielles. En effet, au moment où les législations du travail ont été adoptées, les syndicats dans les provinces en question (telle l’Ontario dans les années 1940) étaient très actifs dans les secteurs industriels clés de l’économie ce qui leur conférait un pouvoir politique suffisant pour pouvoir en influencer le contenu. Dans le cas du Québec, cette explication n’est peut-être pas aussi forte pour la première Loi des relations ouvrières de 1943 mais elle l’est très certainement pour le Code du travail de 1964. Pour illustrer également cette interprétation, on pourrait aussi mentionner la conjoncture particulière associée au passage la Loi des syndicats professionnels de 1924 au Québec avec la création de la CTCC en 1922.

D’autre part, dans les systèmes de RI de type subordonné les syndicats ne peuvent s’opposer efficacement aux efforts des employeurs de résister à l’accroissement des droits syndicaux ni de faire un lobbying efficace pour réduire les droits syndicaux existant, surtout dans le secteur privé de l’économie comme ce fut le cas en Nouvelle-Écosse avec le célèbre Bill Michelin en 1979. L’ouvrage contient également de précieuses informations statistiques qui illustrent bien le propos des auteurs. Ainsi dans les provinces à système de RI subordonné, on constate que la proportion des employés syndiqués provenant du secteur public dans l’ensemble des effectifs syndicaux est plus élevée que dans les provinces à système de RI reconnu. De plus, la proportion de conflits de travail illégaux est également plus élevée que dans l’autre groupe de provinces.

Beyond the National Divide souligne cependant un certain nombre de traits communs aux différents systèmes de RI, notamment : la présence de garanties sur les droits syndicaux fondamentaux et sur le fonctionnement de la négociation collective qui sont supérieures à ce que l’on retrouve dans la législation du travail aux États-Unis et ce, même dans les systèmes de RI de type subordonné; la vigueur de la négociation collective en général au Canada; la difficulté des syndicats à organiser le secteur des services privés; la décentralisation de la négociation collective à peu près partout au Canada, sauf au Québec et en Colombie-Britannique où l’on retrouve des exceptions dans certains secteurs; enfin, une constatation probante : l’importance des facteurs économiques plutôt que politiques dans le profil historique des conflits de travail.

Nous recommandons fortement la lecture de ce livre à toutes les personnes qui s’intéressent à l’analyse du fonctionnement des systèmes de relations industrielles dans les pays industrialisés.