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Il s’agit d’un ouvrage collectif présentant les actes du colloque sur les relations entre les francophonies qui s’est tenu en octobre 2001, en Ontario. L’intérêt d’un tel ouvrage tient au fait que les textes proviennent de plusieurs milieux : universitaire, politique et communautaire.

La première partie permet de prendre un recul historique sur la situation des francophones au Canada afin de mieux situer les facteurs ayant contribué à l’« éloignement » du Québec et des autres communautés francophones. On y parle d’une nation française idéalisée, entre la nostalgie et le ressentiment. Les textes permettent d’identifier cinq ruptures historiques en partie responsables des cheminements distincts des francophonies canadiennes et québécoise. Les politiques héritées de P.-E. Trudeau en matière de bilinguisme et de multiculturalisme reçoivent un éclairage nouveau : on peut lire le constat alarmant de la Commission des langues officielles à propos de la progression du taux d’assimilation et la diminution du nombre de francophones au pays depuis la mise en place de ces politiques. Pour certains, ce sont autant de preuves que les mesures gouvernementales en place entourant les politiques d’immigration (non francophone) et sur le bilinguisme ne permettent pas la préservation linguistique et culturelle des francophones au Canada. Les auteurs suggèrent donc de développer une politique d’asymétrie des langues qui permettrait de mettre à profit les acquis des francophonies canadiennes tout en appuyant l’épanouissement des communautés minoritaires de langue française. Pour clore la première partie, une auteure, dans un appel à la dignité, fait état des solitudes qui perdurent entre les francophonies canadiennes et traite de la méconnaissance désolante du Québec vis-à-vis des francophonies minoritaires ainsi que des évitements des francophonies minoritaires entre elles.

La seconde partie de l’ouvrage présente les défis qui attendent les communautés francophones du Canada désireuses de briser ces solitudes. Certains auteurs parlent de travailler à « briser les perceptions » alors que pour d’autres, la solution passe surtout par les partenariats. On insiste principalement sur la production de produits culturels francophones et sur le soutien accru des gouvernements envers la culture et le patrimoine. Certains textes soulignent aussi le besoin de rassembler les partenaires autour de nouveaux enjeux, rappelant qu’historiquement la mobilisation des francophones en milieu minoritaire se cristallisait surtout autour du milieu de l’éducation (revendications pour des écoles francophones) et de la transmission de la langue. Les textes abordent abondamment le développement de milieux communautaires francophones dynamiques, jugés essentiels pour l’exercice de la langue et le sentiment d’appartenance – la mobilisation des communautés permettrait aussi de faire face au désistement des gouvernements qui s’intéressent plus aux individus et aux familles qu’à la protection des petites communautés. Sur la scène économique, la réduction des barrières tarifaires est considérée comme une stratégie gagnante pour favoriser le libre-échange pancanadien et pour assurer que les économies francophones se taillent une place au niveau mondial. Fait intéressant, on mentionne qu’il faudrait reconnaître une fois pour toutes que le Québec doit protéger la langue française chez elle, et non seulement celle de la minorité (anglaise), en rappelant le Québec français est minoritaire tant au pays qu’en Amérique.

Finalement, la dernière partie est présentée en guise de conclusion des Actes de colloque. Les derniers textes soulignent l’importance du développement et du maintien des partenariats. Malgré les passés divergents, les auteurs reconnaissent, presque à l’unanimité, l’interdépendance des francophonies entre elles et le besoin de faire front commun pour réclamer la reconnaissance de l’asymétrie linguistique au Canada. On y traite aussi de la nécessité de se redéfinir mutuellement, de devoir « changer les mentalités » (p. 144) et d’inventer des « stratégies audacieuses » (p. 170) afin de soutenir cette vision commune de la francophonie en Amérique, et ce, pour tous les secteurs de la vie (santé, tourisme, technologies de l’information, etc). Il s’agit concrètement d’un appel collectif lancé à toutes les communautés francophones et acadiennes du Canada pour résister à l’assimilation.

Pour tous ceux et celles qui s’intéressent aux questions des minorités linguistiques au Canada, cet ouvrage de réflexion est éclairant sur plusieurs aspects. On situe bien l’évolution des politiques gouvernementales mises en place (ou non) touchant les minorités, ce qui explique clairement la position du Québec dans ses revendications en matière de protection et de promotion de la langue française. Présentant les deux côtés de la médaille, le recueil déplore aussi l’invisibilité relative des petites communautés francophones en milieu minoritaire qui font preuve d’un dynamisme exemplaire dans leur lutte acharnée pour leur survie, mais qui ne font les manchettes que lorsqu’elles ont recours à l’appareil juridique pour exister. Dans son ensemble, ce livre réussit à exposer de façon réaliste les défis des communautés francophones lorsqu’il s’agit d’assurer la vitalité du fait français en Amérique dans un contexte de concurrence des langues. C’est un ouvrage pertinent qui traite bien des bouleversements qu’ont connus les sociétés canadienne et québécoise dans les dernières années et du positionnement difficile des communautés francophones et acadiennes hors Québec devant les nouveaux enjeux politiques.