Corps de l’article

Nouvelle piste thérapeutique dans les maladies inflammatoires

Les polynucléaires neutrophiles humains (PN) sont une des premières barrières de défense contre l’introduction d’un agent pathogène dans l’organisme. Ils sont l’un des pivots de l’immunité innée et constituent un puissant système de défense de l’homme contre les agents pathogènes. Un système enzymatique complexe de ces cellules, la NADPH oxydase joue un rôle majeur dans leur activité microbicide, par la production de formes toxiques dites « réactives » de l’oxygène (FRO). Lorsque ces FRO sont produites de façon excessive et/ou inappropriée, elles participent à la physiopathologie de certaines maladies inflammatoires et sont responsables de lésions tissulaires. Parmi les processus de régulation de l’hyperactivation des PN, le priming joue un rôle majeur. Le priming correspond au fait qu’un pré-traitement par un agoniste tel que le GM-CSF ou le TNFα augmente la réponse à un deuxième stimulus. Un déséquilibre en faveur du priming de la production de FRO par les PN présents au niveau du site inflammatoire peut donc participer à la survenue de lésions tissulaires. Après avoir montré que le GM-CSF et le TNFα induisent une phosphorylation partielle d’une protéine clé dans l’activation de la NADPH oxydase, p47phox, l’équipe de Jamel El Benna et Marie-Anne Gougerot-Pocidalo a identifié par spectrométrie de masse une sérine de la p47phox sélectivement phosphorylée en réponse au GM-CSF et au TNFα, et émis l’hypothèse selon laquelle ce site de phosphorylation pouvait être responsable du priming de la NADPH oxydase. À l’aide d’un anticorps reconnaissant spécifiquement ce site de phosphorylation, les auteurs ont montré que la phosphorylation de la Ser345 est significativement augmentée dans les PN de liquides synoviaux de patients atteints de polyarthrite rhumatoïde, maladie systémique inflammatoire s’accompagnant d’une destruction articulaire invalidante dans laquelle les PN ont été incriminés. L’équipe a synthétisé un peptide constitué de la séquence qui contient la Ser345 de la p47phox liée à un peptide permettant de le délivrer dans le PN. Ce peptide inhibe la préactivation des PN en termes de production de FRO, induite par le GM-CSF et le TNFα, sans affecter les réponses des PN aux peptides bactériens. Le peptide compétiteur inhibe l’hyperactivation des PN isolés des liquides synoviaux chez des patients atteints de polyarthrite rhumatoïde [1]. Les outils développés, anticorps et peptide compétiteur, ouvrent des perspectives d’applications : utilisation de l’anticorps pour déterminer si la phosphorylation du site Ser345 est un critère d’évolutivité de la maladie ; validation, dans un modèle animal, du rôle bénéfique du peptide. L’intérêt d’un tel peptide serait un ciblage pharmacologique du site responsable de l’hyperactivation de la NADPH oxydase tout en conservant son fonctionnement normal anti-bactérien. Une telle approche thérapeutique très ciblée permettrait d’éviter les effets secondaires liés à une inhibition trop importante du système immunitaire comme ceux observés avec les inhibiteurs du TNFα.

Les singes aussi prévoient leurs besoins futurs

Prévoir le futur, réunir les instruments qui permettront de lui faire face, est une spécificité de l’homme. On s’est souvent demandé si certains animaux disposaient aussi de cette faculté. Il a été observé que certains geais (Aphelocomacoerulescens), qui cachent leur nourriture pour éviter le pillage, semblent se rappeler où ils l’ont cachée [2]. Une équipe du Max Planck Institute de Leipzig a étudié cette propriété chez des grands singes [3]. L’expérience a été faite sur des bonobos (n = 5) et des orangs-outans (n = 5), espèce respectivement la plus proche et la plus éloignée de l’espèce humaine, le résultat pouvant éventuellement fournir une datation. Les animaux ont d’abord appris à utiliser un instrument pour faire fonctionner un appareil et obtenir une récompense. Ils ont ensuite été laissés en présence d’instruments, utilisables et non utilisables, mais sans accès à ladite récompense, puis conduits dans une autre pièce. Au bout d’une heure, on les a ramenés dans la première pièce où était l’appareil qu’ils ne pouvaient faire fonctionner que s’ils avaient préalablement emporté l’instrument adéquat. Statistiquement, la fréquence avec laquelle ils s'en étaient munis était plus élevée que celle imputable au hasard (p = 0,049). Une deuxième série d’expériences, menées et répétées sur un animal de chaque espèce, a augmenté le délai d’attente jusqu’à 14 heures, incluant le temps du sommeil. Là également, dans la plupart des cas, le bonobo, mais aussi l’orang-outang, gardaient en main l’outil nécessaire (p = 0,01). Troisième épreuve : une bouteille de jus n’était accessible qu’avec un crochet. Une heure plus tard, sans même voir le jus désiré, les singes savaient choisir le crochet efficace de préférence à d’autres instruments inutilisables. L’ensemble de ces tests semblerait bien montrer chez les grands singes une potentialité de planification du futur. Celle-ci existe même chez l’orang-outang, elle remonterait donc à plus de 14 millions d’années, quand toutes les espèces existant actuellement avaient un ancêtre commun.

La crainte et le tremblement

Le tremblement essentiel (TE) est la plus fréquente pathologie du mouvement. Il se caractérise par un tremblement d’intention et d’action, qui touche le plus souvent les mains mais peut également affecter la tête ou la voix (qui devient « chevrotante »), ou d’autres parties du corps. On considère qu’il affecte environ 1 % de la population générale, mais sa prévalence pourrait atteindre 5 % chez les plus de 40 ans et 20 % chez les plus de 65 ans. Dans les cas graves, il cause un handicap social substantiel et peut même conduire à un arrêt prématuré de la vie professionnelle. Le TE est fréquemment héréditaire, avec une transmission autosomique dominante dans la plupart des familles. Deux locus de TE ont été identifiés au cours de la dernière décennie, le premier par la société Decode Genetics dans des familles islandaises, en 3q13 sur le chromosome 3 [4], et le second dans une grande famille américaine d’origine tchèque en 2p22-25 sur le chromosome 2 [5]. Une étude collaborative franco-américaine vient d’identifier le gène probablement responsable de la liaison au chromosome 3 [6]. Il s’agit du gène codant le récepteur D3 de la dopamine (DRD3). Dans un premier temps, les auteurs ont montré qu’un variant du gène du DRD3 (Ser9Gly) était co-transmis avec le TE dans 23 sur 30 familles originaires de la Région Parisienne et de Champagne-Ardennes. Dans les 7 autres familles, le variant n’est pas présent, mais il s’agit d’une affection génétiquement hétérogène. En outre, un effet de dosage génique est apparent dans les familles porteuses du variant 9Gly, le TE étant plus sévère et/ou de début plus précoce chez les homozygotes 9Gly-9Gly que chez les hétérozygotes 9Ser-9Gly. L’association du variant 9Gly au TE a ensuite été confirmée dans un large échantillon américain comprenant 276 patients atteints de TE et 184 témoins appariés pour le sexe et l’âge, recrutés par le département de neurologie du Baylor Collège of Medicine. Là encore, l’homozygotie pour le variant 9Gly était associée à un âge de début plus précoce. Le séquençage de toute la partie codante du gène DRD3, des sites d’épissage et de la région promotrice n’ayant pas identifié d’autres mutations candidates, les auteurs se sont penchés sur la fonctionnalité du variant Ser9Gly. Ce variant, localisé à l’extrémité amino-terminale (extracellulaire) du DRD3, ne modifie pas la glycosylation ou le trafic intracellulaire du récepteur. En revanche, des études de liaison montrent une affinité quatre à cinq fois supérieure de la dopamine pour le récepteur muté (porteur du variant 9Gly). Enfin, la réponse AMPc est deux fois plus importante et le signal MAP-kinase est prolongé lors de la stimulation du récepteur muté. Ces résultats suggèrent donc que le variant 9Gly du DRD3 est directement responsable du risque accru de TE et d’un début plus précoce de la maladie chez les porteurs homozygotes. Le gain de fonction observé avec le récepteur DRD3 muté pourrait déboucher sur une application thérapeutique des agonistes partiels ou des antagonistes du DRD3, pour diminuer la fonction du récepteur dans le traitement du TE.

Les chimpanzés savent recruter des collaborateurs

Demander de l’aide est spontané chez le petit d’homme, de même que se mettre à plusieurs pour effectuer un travail difficile une fois devenu adulte. Cette réaction existe-t-elle chez les animaux, en particulier chez les primates ? L’observation des chimpanzés sur le terrain semble montrer une coopération dans leurs activités de chasse. Mais ces observations sont sûrement limitées, et l’expérimentation impossible dans la nature. Une équipe allemande du Max Planck Institute de Leipzig a mené sur des chimpanzés captifs en Ouganda une expérience qui montrerait que ces animaux savent résoudre un problème de collaboration [7]. La recherche a comporté deux préalables. Les chimpanzés ont appris comment ouvrir une porte à glissière dont la clef est une grosse cheville de bois qu’il faut retirer. On leur a aussi montré en dehors de la cage un plateau de nourriture qui n’est pas à leur portée. Il faut, pour se l’approprier, tirer simultanément sur deux cordes, ce qui est facile quand ces cordes sont à 55 cm l’une de l’autre, mais impossible à faire seul quand l’écart est de 3 mètres. L’étude, menée sur huit chimpanzés, et répétée plusieurs fois, a consisté à mettre les sujets dans une cage, et à leur présenter la nourriture dans les deux conditions différentes. Dans une pièce voisine se trouvait un autre chimpanzé ; la porte séparant les deux pièces ne pouvait être ouverte que par le sujet en cours d’étude. L’observation montre que celui-ci ouvre la porte, introduisant son congénère de façon significativement plus fréquente quand il a besoin d’une aide pour tirer sur la deuxième corde que quand cette aide n’est pas nécessaire ; les résultats s’améliorent au fur et à mesure de la répétition (p < 0,001). Dans un deuxième temps, on a cherché à savoir si, entre deux collaborateurs possibles, le chimpanzé savait choisir le meilleur. Cette expérience, menée sur six animaux, comportait une installation différente : la pièce où était le sujet étudié était contiguë non plus à une pièce, mais à deux pièces dont l’ouverture était la même, une cheville de bois à retirer. On avait placé dans une de ces pièces un animal que l’on savait efficace, alors que l’autre ne l’était pas. Dans une première session, le sujet ne connaît pas ses partenaires, et le choix est aléatoire. Mais, quand l’expérience est répétée, il choisit de préférence le partenaire efficace. Le choix est donc orienté par les résultats préalables : maintien du même choix quand il y a eu succès, changement quand il y a eu échec (p < 0,006). Les auteurs en tirent une double conclusion : les chimpanzés s’adaptent vite pour connaître le besoin d’un collaborateur, et ils peuvent de mémoire choisir le meilleur. Qu’en est-il d’autres primates, et quelles conclusions en tirer sur l’évolution de ces comportements jusqu’à l’homme ?

Une mutation somatique à l’origine de fibrillation auriculaire idiopathique

La fibrillation auriculaire (FA) est la plus fréquente des arythmies cardiaques, avec une incidence croissante lors du vieillissement. Aux États-Unis, elle touche deux millions d’adultes, avec une prévalence de 5,9 % chez les plus de 65 ans. C’est aussi la première cause d’accidents vasculaires et elle représente un vrai problème de santé publique. Le plus souvent secondaire à une cardiopathie et au remodelage du myocarde auriculaire, elle est aussi fréquemment idiopathique, mais exceptionnellement familiale. Pourtant des travaux canadiens récents viennent de faire un constatation étonnante [8]. Chez 15 patients adultes souffrant d’une FA idiopathique, les auteurs ont identifié 4 nouvelles mutations faux sens dans le gène de la connexine 40 (GJA5). Cette protéine-canal assure le couplage électrique des myocytes entre eux. Les mutations sont toutes situées dans une région très conservée du gène. Les connexines mutées sont mal adressées à la membrane plasmique au niveau des jonctions gap et conduisent moins bien le courant électrique. Chez les souris invalidées pour le gène GJA5, on observe une sensibilité accrue aux arythmies auriculaires par réentrée. In situ dans le myocarde auriculaire des patients porteurs de mutations, seuls, quelques myocytes présentent des défauts d’expression de la Cx40. Ils sont organisés en mosaïque avec les myocytes sains contribuant probablement à l’hétérogénéité de la conduction du front de dépolarisation selon un schéma physiopathologique déjà bien établi au cours des formes secondaires de FA. Mais la découverte la plus surprenante de cette étude est que ces mutations ne sont pas retrouvées dans l’ADN provenant d’autres cellules que les myocytes atriaux. En d’autres termes, il s’agirait de mutations de type somatique, comme celles observées dans certains cancers. Mais, sachant que les myocytes ne se divisent quasiment plus après la naissance, ces mutations surviendraient au cours de l’embryogenèse. Ainsi, outre son apport à la compréhension de la physiopathologie de la FA, cette étude - qui nécessite confirmation sur un plus grand nombre de cas - ouvre de nouvelles perspectives de recherche sur l’implication de la génétique au cours de maladies apparemment acquises.

Les moustiques résistants, cible d’attaque au paludisme

Le paludisme, on le sait, est une des causes majeures de morbidité et de mortalité. Le vecteur de transmission aux hommes est un moustique, en Afrique Anopheles gambiae, et l’existence de moustiques réceptifs à l’invasion par le Plasmodium falciparum est un prérequis pour la transmission à l’homme. Une étude faite au Mali en 2002, et fondée sur le comptage des oocystes, avait mis en évidence l’existence de vecteurs aptes à réduire la transmission et la ségrégation de cette résistance comme un trait mendélien [9]. La localisation génomique de ce trait a été récemment réalisée par un groupe de chercheurs américains et maliens qui ont croisé en laboratoire des A. gambiae sélectionnés pour leur capacité à encapsuler les ookinètes [10]. Les souches ainsi obtenues ont permis d’individualiser des variants alléliques et de retenir les plus actifs sur le développement du parasite. Pour ce faire, les moustiques ont été nourris sur le sang d’un sujet infecté contenant des gamétocytes, en éliminant ceux d’entre eux qui n’avaient rien consommé. Après 7 à 8 jours, les moustiques ont été disséqués et les oocystes comptés, déterminant ainsi un phénotype quantitatif de résistance. L’extraction de l’ADN a permis de comparer ce phénotype à un génotype défini par 25 microsatellites avec une résolution d’environ 9 centimorgans. Sur 101 pedigrees obtenus, 27 ont pu être génotypés, dont 22 ont été trouvés chez des moustiques qui, bien qu’ayant consommé un sang infecté, ne l’étaient pas eux-mêmes, suggérant le caractère banal d’une résistance au P. falciparum. Une liaison a été recherchée entre les données quantitatives du phénotype et les marqueurs de l’ADN et constatée dans 7 pedigrees. L’effet maximal a été retrouvé dans une courte région du chromosome 21. D’autres marqueurs ont permis de raffiner cette localisation à un îlot Pfmel2, responsable de l’effet dominant de la transmission. La recherche de gènes candidats dans cette région s’est progressivement restreinte et limitée aux gènes APL1 et APL2 (Anopheles Plasmodium-responsive leucine-rich repeat), codant des protéines, APL1 et APL2 qui sont impliquées dans l’immunité innée. Ce rôle des protéines APL a été confirmé en bloquant l’expression du gène par un ARN interférent. Il est évident que ces gènes pourraient n’être pas seuls en cause. La fréquence des allèles résistants permet, cependant, d’envisager leur enrichissement par élimination des moustiques réceptifs. Un mécanisme qui permettrait d’envisager cette sélection a été suggéré par la mise en évidence récente d’un champignon entomopathogénique, le Metarhizium anisopliae qui détruit de façon disproportionnée les anophèles infectés. Démonstration en a été faite par une étude terrain en Tanzanie [11] et par des cultures en laboratoire [12]. Ce champignon peut être pulvérisé dans les zones infectées à la place d’insecticides chimiques. À coté des thérapies vaccinales, on pourrait l’utiliser comme arme naturelle contre ce fléau majeur de santé publique dans le monde [13] ?

Prendre l’âme à son cou ?

Le thymus est une glande unique, siège de l’âme pour les Grecs, formée de deux lobes, chacun issu des 3e et 4e poches pharyngiennes, qui migrent de leur position cervicale latérale initiale en position médiane thoracique où ils fusionnent. D’autres fabriques de lymphocytes T existent, peau ou intestin, mais seules, elles sont insuffisantes pour assurer une immunité efficace et le thymus reste la source privilégiée de thymocytes matures, mais aussi semble t-il des précurseurs T intestinaux, comme l’a montré récemment l’équipe de B. Rocha [14]. Et pourtant, on soupçonne depuis 1962 l’existence de thymus « secondaires » localisés dans la région cervicale (voir le texte du pionnier J.A. Miller [15]). L’équipe de H.R. Rodewald en confirme aujourd’hui l’existence sans ambiguïté [16]. Ces chercheurs détectent chez toutes les souris BALB/c au moins un, et souvent deux, thymus cervicaux (en position paratrachéale ou le long de la carotide), proportion qui n’est que de 50 % des souris C57Bl/6. Ces thymus cervicaux adultes n’ont qu’un seul lobe, comment peut-on les distinguer de vulgaires ganglions ? Deux arguments : (1) argument histologique, distinguant une zone corticale et une zone médullaire, même si le rapport cortex/médullaire est moindre que pour le thymus thoracique, avec l’expression de la cytokératine caractéristique d’un épithélium thymique, et du gène Foxn1 ; (2) argument fonctionnel : ces thymus cervicaux, même adultes, assurent une thymopoïèse active, comme en témoigne la forte proportion de thymocytes immatures CD4+CD8+ (double positifs), qui ne sont jamais détectés dans les ganglions cervicaux ; par ailleurs, les thymocytes matures subissent avec succès le processus de sélection essentiel à la reconnaissance du soi et du non-soi. Lorsqu’ils sont greffés sous la capsule rénale de receveurs BALB/c athymiques (nude, donc dépourvus de thymus thoracique et de lymphocytes T), ces thymus cervicaux adultes sont colonisés par les précurseurs lymphoïdes issus de la moelle osseuse de l’hôte, de la même façon qu’un thymus foetal greffé dans les mêmes conditions. Autre preuve de la fonctionnalité de ces thymus cervicaux, huit semaines après leur greffe à des souris nude, ils relarguent dans la circulation des lymphocytes T matures CD3+CD4+ et CD3+CD8+ issus du thymus greffé, ayant des réarrangements polyclonaux de la chaîne β du TCR, et immunologiquement compétents comme en témoigne leur fonction helper permettant une réponse humorale adaptée en réponse à l’administration d’un antigène viral. L’hypothèse des auteurs, étayée par l’analyse du développement de ces thymus cervicaux au cours du développement chez la souris, formule qu’ils se détacheraient de l’ébauche thymique primitive avant sa migration thoracique, et retarderaient leur maturation même au-delà de la naissance, expliquant la persistance inhabituelle d’une thymopoïèse active à l’âge adulte. La fréquence élevée avec laquelle ces thymus surnuméraires sont détectés chez la souris plaide contre un « accident de parcours », interprétation privilégiée lors de l’observation (rare et considérée comme pathologique) chez l’homme de thymus accessoires. Faudra-t-il donc revoir toutes les conclusions des expériences de thymectomie chez la souris ?… Sur le métier toujours remettez votre ouvrage…

Quand les mollusques précambriens broutaient les colonies de cyanobactéries

Odontogriphus omalus était l’un des fossiles les plus énigmatiques du cambrien moyen trouvés dans les schistes de Burgess en Colombie britannique. Découvertes en 1909 par le paléontologue C.D. Walcott, sur la pente occidentale du Mont Stephen (Canada), ces couches de schistes contiennent des organismes venant de l’aube de la vie animale et dont les tissus mous sont bien préservés. En 1976, S.C. Morris avait attiré l ‘attention sur un spécimen inclassable, mesurant environ 4 cm, de forme aplatie, d’apparence annelée. À l’une des extrémités, on distinguait une structure en 8 qui avait fait penser à un lophophore, cet organe buccal que l’on rencontre, entre autres, chez les brachiopodes et les bryozoaires. Odontogriphus aurait donc pu être classé parmi les lophophoriens. Mais grâce aux recherches faites par l’équipe de Desmond Collins en Colombie britannique, 189 spécimens nouveaux ont été retrouvés. Leur observation permet de classer Odontogriphus parmi les mollusques [17]. En effet, il possède une sole de reptation, et l’aspect annelé correspond aux ondulations existant à la partie inférieure du pied des mollusques. Les structures qui entourent la sole ressemblent à celles des chitons modernes que l’on trouve fixés aux rochers. Mais surtout, l’équipe a réussi à reconstituer la structure buccale : dans la cavité buccale existe une radula (sorte de ruban garni de dents) armée de deux barres de dents qui devaient fonctionner comme une râpe après s’être extériorisée pour « brouter » les surfaces des fonds marins. Il semble donc que l’énigme soit résolue et qu’Odontogriphus omalus puisse être classé entre Kimberella (de la période précambrienne tardive datant de 555 millions d’années) et Wiwaxia corrugata (du début de l’ère cambrienne). Ces mollusques représentent les lignages néoprotozoïques qui ont précédé l’explosion cambrienne, période géologique durant laquelle un grand nombre de complexes multicellulaires macroscopiques sont apparus soudainement entre 542 et 530 millions d’années.

Figure

Helix aspersa : escargot de jardin

Helix aspersa : escargot de jardin

-> Voir la liste des figures

La sensibilité aux champs électromagnétiques est-elle un effet nocebo ?

On appelle effet nocebo, par opposition à l’effet placebo, la survenue de troubles divers anticipés par le sujet lorsqu’il est placé dans une situation qu’il redoute. Le corps humain soumis à un champ électromagnétique absorbe une partie de l’énergie du champ. Le spectre électromagnétique classe les ondes électromagnétiques en fonction de leur fréquence. Les ondes à la base de la téléphonie mobile sont des radiofréquences (300 MHz à 3 GHz). Le mécanisme d’interaction le mieux connu de ces ondes avec les tissus est l’effet thermique induisant un échauffement local. Les autres effets, en relation ou indépendants de ce dernier, sont peu spécifiques et n’atteignent qu’une partie des utilisateurs. Il s’agit de céphalées, vertiges, fatigue, picotements… On peut donc se demander s’il existe dans une fraction de la population une sensibilité aux ondes de radiofréquence. Afin de résoudre ce problème, Rubin et al. ont étudié 60 sujets « sensibles » se plaignant de céphalée ou autres troubles à l’occasion de conversations téléphoniques ne dépassant pas 20 minutes et 60 témoins « indemnes » de tous symptômes. Ces sujets furent soumis soit à des ondes de 900 MHz pulsées provenant d’un téléphone mobile appliqué sur l’oreille gauche et produisant un débit d’absorption spécifique de 1,4 W/kg, soit à un signal non pulsé produisant le même effet, soit à une exposition simulée. L’étude a été conduite en double aveugle (patients et expérimentateurs) avec tirage au sort du type d’exposition à utiliser chez un patient donné. Après chaque séance, les patients ont rempli un questionnaire sur les troubles ressentis et devaient indiquer aussi s’ils croyaient avoir été soumis ou non à un champ électromagnétique. On constata dans les deux groupes que la céphalée augmentait en intensité avec la durée de l’exposition, puis disparaissait dès sa fin, quel que soit le mode d’exposition choisi. Aucune différence d’effet du type d’exposition entre sujets « sensibles » et « indemnes » ne fut retrouvée et la proportion de sujets « sensibles » croyant avoir été soumis à un champ électromagnétique durant une exposition réelle (60 %) fut la même que celle constatée après une exposition simulée (63 %). On peut donc conclure que les sujets qui se disent sensibles aux ondes de radiofréquence sont incapables de détecter s’ils y sont exposés ou non et qu’ils réagissent de façon identique à une exposition réelle et à une exposition simulée. Puisque l’exposition simulée est susceptible de causer des symptômes sévères chez de nombreux participants, il est donc vraisemblable qu’il s’agit là d’un effet nocebo d’anticipation de nature psychologique.

Les « indigènes » ont-ils des problèmes de santé spécifiques ?

Le terme « indigène », compromis par une connotation coloniale ou post-coloniale, est ambigu et doit être pris ici dans le sens que lui donnent certaines populations qui se reconnaissent elles-mêmes comme telles. Leur définition comporte une implantation géographique, ainsi qu’une organisation socio-économique et culturelle spécifiques qui les distinguent des populations environnantes. Ces groupes se retrouvent dans différentes régions du monde, et sont souvent l’objet de marginalisation et de discrimination, qui peuvent retentir sur leur état sanitaire. Trois études récentes ont porté sur les populations de la zone Pacifique [19], sur celles de l’Amérique Latine et des Caraïbes [20] et sur deux populations types d’indigènes africains, les Pygmées d’Afrique Centrale, et les San d’Afrique Australe [21]. Dans la mesure où les frontières de l’époque coloniale ont été gardées en Afrique, chacune de ces deux populations pré-citées se retrouve dans plusieurs pays à la fois. Elles représentent plus de 14 millions d’habitants, mais n’intéressent guère les divers gouvernements qui les considèrent d’abord comme des peuples primitifs. Les Pygmées, chasseurs-cueilleurs, vivent dans dix pays et représentent une quinzaine de groupes ethno-linguistiques. Vivant traditionnellement par petits groupes mobiles dans la forêt, ils souffrent particulièrement de la déforestation. La mortalité, surtout infantile, y est élevée (jusqu’à 27 %). Leur accès aux structures médicales ou à l’eau potable est limité ; ils ne sont pas inclus dans les campagnes de vaccination et bénéficient peu des services de santé normalement offerts. Les études épidémiologiques montrent que les enfants meurent de paludisme, de rougeole, et révèlent aussi la fréquence du pian. Les mariages avec les Bantous ont multiplié la fréquence des maladies vénériennes, et celle du VIH. De mauvaises conditions d’habitat et de nutrition ont provoqué une augmentation de l’alcoolisme et un climat de violence. Seules, des organisations non gouvernementales ou missionnaires se sont intéressées à eux et, même si récemment un changement se dessine dans les politiques sanitaires, les Pygmées, populations des forêts, vivent mal la sédentarisation en termes de santé. Le problème des San est à la fois comparable et différent. Leur établissement en Afrique Australe remonte à environ 27 000 ans, précédant de beaucoup la migration des Bantous. Ils sont répartis entre différents pays, mais majoritairement au Botswana et en Namibie. La discrimination qu’ils subissent est nettement antérieure à l’époque coloniale, ils sont pauvres et ont toujours été au bas de l’échelle sociale, utilisés comme main d’oeuvre domestique. Leur index de développement humain (HDI) est un des plus bas du monde. Là aussi, on observe violence et alcoolisme, une bière artisanale servant à « tuer la faim ». La cause majeure de mortalité est le VIH ; ils restent exclus des campagnes de traitement, pauvreté et discrimination sociale entraînant un cercle vicieux. Le problème soulevé est difficile : la volonté de bâtir dans les différents pays une conscience nationale a exclu la prise en considération des différences ethniques et culturelles. Les populations « indigènes » ont, de ce fait, été dépossédées de leur terre et de leur culture, elles sont d’autant plus démunies que les pays où elles sont implantées sont en général pauvres. L’Afrique du Sud, en reconnaissant les populations indigènes dans un processus politique, montrerait la voie à suivre. Des évolutions dans ce sens ont aussi été observées dans la zone pacifique et dans certains pays d’Amérique latine.

Figure

Rivière Mtubatuba (Hluluwe-Umfolozi, Afrique du Sud)

Rivière Mtubatuba (Hluluwe-Umfolozi, Afrique du Sud)

-> Voir la liste des figures

Les oméga-3 bons pour les neurones ?

L’histoire de l’article de F. Dario et B. Davletov (MRC, Cambridge, Royaume-Uni) sur les acides gras poly-insaturés et la neuritogenèse récemment publié dans Nature [22] commence en fait par une bonne expérience de biochimie publiée en 2005 par la même équipe [23]. Dans cette dernière, les auteurs observaient que les complexes SNARE synaptiques impliqués dans la neurosécrétion et constitués de syntaxine 1, SNAP25, et synaptobrévine étaient plus abondants quand l’extrait de terminaisons nerveuses était réalisé avec de l’octylglucoside versus le Triton X-100. La structure de l’octylglucoside incita les auteurs à étudier l’effet des acides gras insaturés et ils observèrent que l’acide arachidonique et l’acide gras oméga-3 stimulent la formation des complexes SNARE [23]. Les auteurs rapprochèrent leurs observations d’effets publiés de l’acide arachidonique dans la neuritogenèse et se demandèrent si ces derniers ne pourraient pas impliquer une régulation de l’exocytose via les protéines SNARE. Ils découvrent aujourd’hui que la syntaxine 3 - mais pas la syntaxine 1 - est impliquée dans la neuritogenèse. Néanmoins, comme dans l’article précédent, l’acide arachidonique stimule la formation de complexes SNARE contenant la syntaxine 3 [22]. Les acides gras poly-insaturés oméga-3 et oméga-6 ont des effets similaires laissant supposer qu’ils pourraient stimuler la régénération axonale. De manière tout à fait opportune, l’équipe d’A.T. Michael-Titus montre quasi-simultanément que l’oméga-3 améliore, grâce à un effet neuroprotecteur, alors que l’oméga-6 empire, le rétablissement à la suite d’un traumatisme de la moelle épinière réalisé par hémisection ou par compression [24]. Bref, l’oméga-3 était déjà bon pour le coeur, le voilà bon aussi pour le cerveau…

Figure

Échelle à saumons (Suède)

Échelle à saumons (Suède)

-> Voir la liste des figures

Un acteur important du vieillissement : le récepteur B2 de la bradykinine

Les humains ou les animaux porteurs d’un polymorphisme génétique associé à des concentrations élevées d’enzyme de conversion de l’angiotensine (ACE) ont un risque accru de développer un ensemble de maladies, dont les accidents cardiovasculaires et la néphropathie diabétique, sans pour autant être hypertendus ou avoir des concentrations élevées d’angiotensine II (Ang II) ou d’aldostérone. On peut donc penser que des changements de faible amplitude des taux de l’ACE affectent plus les substrats de l’enzyme comme la bradykinine (BRK) que ses produits comme l’Ang II ; d’où l’idée de rechercher un rôle de la BRK dans les processus pathologiques associés à un taux élevé d’ACE. Kakoki et al. [25] ont voulu élargir la question en se demandant si la BRK n’intervenait pas d’une manière plus générale dans le vieillissement. Ils ont étudié des souris de la souche Akita hétérozygotes pour une mutation dominante du gène 2 de l’insuline (Ins2Akita/+) et homozygotes pour une mutation invalidante du gène du récepteur B2 de la BRK (Bdkrb2-/-). Ces souris sont diabétiques et insensibles à la BRK. À 12 mois, elles développent une alopécie, une atrophie cutanée, une ostéoporose, une cyphose et une atrophie testiculaire chez les mâles. Elles accumulent des fragments protidiques et lipidiques comme la lipofuscine dans les phagolysosomes des cellules tubulaires rénales et des cellules de Leydig des testicules. Le nombre de cellules en apoptose est accru dans l’intestin et les testicules. Ces symptômes sont absents chez les souris sauvages et détectables sans être aussi manifestes chez les souris uniquement porteuses d’une des deux mutations. Les auteurs ont examiné si l’expression des gènes associés au vieillissement était modifiée dans les reins des souris mutantes. C’est le cas pour les gènes du facteur transformant de croissance (TGFβ-1) et du facteur de croissance du tissu conjonctif (CTGF) dont l’expression est augmentée chez les animaux âgés et dans les cultures cellulaires après de multiples passages ainsi que pour les gènes de la protéine p53, de la synucléine α et de la Fox01 (forkhead box 01) impliqués dans l’apoptose. La même progression dans l’expression de ces gènes que dans celle des signes de vieillissement a été observée : maximum pour les doubles mutations, intermédiaires pour les souris Ins2Akita/+ et moindre pour les souris Bdkrb2-/-. Les processus de vieillissement étant, au moins en partie, liés à une augmentation de la production des formes actives de l’oxygène (FAO), elle même associée à des perturbations dans les mitochondries, des arguments en faveur de ce type de dysfonctionnement ont été recherchés. Effectivement, deux indicateurs du stress oxydant, l’augmentation de la concentration des métabolites réagissant avec l’acide thiobarbiturique dans le plasma et la diminution du glutathion réduit dans les érythrocytes ont été observées. De même, des mutations dans l’ADN mitochondrial avec augmentation du contenu en 8-hydroxy-2’-désoxyguanosine ont été constatées dans les reins et les testicules. In vitro, les auteurs ont montré que l’addition de BRK à des cellules endothéliales soumises à un stress oxydatif en présence d’une concentration élevée de glucose (7,5 g/l) inhibait la production de FAO. On peut donc conclure que l’absence de récepteur de la BRK accélère le vieillissement des souris diabétiques non traitées en accroissant le stress oxydatif et en lésant les mitochondries. L’hydrolyse de la BRK, plus même que la formation d’Ang II devrait donc être prévenue. C’est un argument supplémentaire pour préférer les inhibiteurs de l’ACE aux antagonistes de l’Ang II ou pour préconiser un traitement associant ces deux familles de médicaments.