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Thus for most citizens, participation in very large units becomes mimimal and in very small units it becomes trivial. At the extremes, citizens may participate in a vast range of complex and crucial decisions by the single act of casting ballot ; or else they have almost unlimited opportunities to participate in decisions over matters of no importance. At the one extreme, then, the people vote but they do not rule ; at the other, they rule – but they have nothing to rule over.

Robert Dahl, The City in the Future of Democracy, 1967.

Ce constat dressé par Robert Dahl dans une discussion sur la taille optimale de nos démocraties laisse entrevoir un des paradoxes qui traversent autant les savoirs que les représentations sur la ville. La ville comme organisation politique et espace social est en effet l’objet de préjugés persistants : symbole de la démocratie idéale, elle serait aussi la scène d’une vie politique facilement compréhensible en raison de la banalité des enjeux sociaux et politiques. La ville – certains préféreront parler de façon plus neutre du « local » pour également englober le village – offrirait de nombreuses occasions à ses résidants de participer aux affaires de la communauté ; mais, en contrepartie, ce pouvoir serait bien maigre, car la chose publique urbaine est loin d’avoir la même profondeur, la même « noblesse », serait-on tenté d’ajouter, que les problèmes traités par les échelons supérieurs. Objet de valorisation démocratique, la ville n’en demeure pas moins un espace politique plat.

Cette croyance se retrouve à la fois dans la théorie des gouvernements locaux et dans la pensée populaire. À titre de premier exemple, on peut penser aux débats entourant les regroupements municipaux au Québec comme en Ontario. La démocratie locale a en effet souvent été invoquée pour refuser les fusions municipales[1] en reprenant les termes du débat évoqué par Dahl sur la taille idéale de la démocratie. Dans cette optique, les municipalités doivent rester à « grandeur humaine », car la petitesse de la communauté assure un ensemble d’avantages. Outre les arguments plus économiques (efficacité des petites organisations, rempart contre la bureaucratie, saine compétition entre les municipalités), le débat sur la taille optimale laisse entendre que la démocratie idéale est celle qui se pratique à l’échelle microlocale. Cette croyance s’appuie sur un ensemble de présupposés, plus idéologiques qu’avérés. Comme l’esquisse L. Bherer dans son article dans ce numéro, la petitesse associée à la démocratie locale entraînerait un effacement des frontières entre gouvernants et gouvernés et, plus généralement, entre les membres d’une même communauté. L’absence de contraintes physiques comparables à celles des paliers supérieurs favoriserait en effet la proximité politique. Cela permettrait de décomplexifier la scène politique : autant les élus sont responsables en raison de la possibilité de connaître rapidement et facilement les besoins des citoyens, autant ces derniers se sentent concernés par les affaires de la communauté et savent comment influencer ou s’engager dans la vie politique. Les enjeux politiques sont relativement simples et le contexte communautaire marqué par une promiscuité politique particulièrement valorisée ajoute à la lisibilité des questions publiques. Espace de socialisation politique efficace, la démocratie locale serait en somme transparente, car elle offrirait un tableau clair de ses rouages politiques.

Cette idéalisation de la démocratie locale demeure forte, dans les écrits scientifiques plus marqués, autant à gauche qu’à droite. À gauche, la ville est souvent perçue comme un lieu particulièrement propice à la démocratisation et au pouvoir populaire. C’est ainsi que des auteurs comme Benjamin Barber ou Iris Marion Young proposent de reconstruire la démocratie par le bas, en débutant là où elle semble le mieux enracinée, c’est-à-dire à l’échelle de la ville. À droite, la ville est plutôt vue comme le dernier rempart de l’autonomie locale, alors étroitement associée à la possibilité d’une « souveraineté individuelle[2] » radicale (voir notamment les approches du choix public appliquées à la ville[3]). Or, comme le rappelle Purcell, aucune échelle politique, et encore moins celle du local, n’est une entité objective, avec des caractéristiques préalablement définies. Ce sont avant tout des objets sociaux construits : « Par conséquent, toute stratégie d’échelle peut se traduire par un résultat indéterminé. La localisation peut mener à une ville plus ou moins démocratique. Tout dépend de ceux qui en vertu d’une stratégie d’échelle détiennent le pouvoir.[4] ».

Cette description de l’idéal démocratique local peut paraître exagérée, mais elle n’a d’égale que le versant plus négatif de cette représentation de la ville, c’est-à-dire l’idée selon laquelle l’espace local est un univers politique fade, dénué de débats fondamentaux. L’idéalisation de la démocratie locale amène aussi, en effet, une mise en périphérie des enjeux politiques qui la traversent. Un exemple convaincant est tiré d’un article d’un hebdomadaire montréalais, écrit au moment des élections municipales de 2001. Selon l’éditorialiste : « Après tout, il n’y a pas de manière communiste, ou libérale, ou nationaliste d’enlever les ordures. Elles doivent être enlevées. La neige chassée. Le gazon coupé[5]. » Ce constat laisse entendre deux choses. Premièrement, la vie politique municipale n’offrirait que des défis techniques et neutres. Le débat n’est pas nécessaire, car les priorités en termes de valeurs des choix politiques ne sont tout simplement pas jugées pertinentes. Il s’agit en somme pour les élus de faire preuve de bonne gestion et d’efficacité dans la prestation de services qui sont de véritables clichés de l’univers municipal : assainissement et distribution de l’eau, entretien des rues et des espaces verts, collecte des ordures ménagères, etc. Les questions de justice sociale – liées par exemple à l’accès au logement, aux luttes autour de l’occupation de l’espace, à l’utilisation de l’eau, à la prestation équitable des services –, environnementales – comme le développement du transport en commun, le raffinement des techniques de ramassage des déchets recyclables – ou encore communautaires – comme la cohabitation de plusieurs activités dans un quartier (commerciales, résidentielles, religieuses) ou les pratiques des milieux policiers – semblent détachées de l’univers municipal lorsqu’on tente d’expliquer sa véritable nature. Deuxièmement, une telle affirmation laisse également entendre que la scène politique municipale n’est pas complexe, au point d’être politiquement marginale. Non seulement les enjeux municipaux sont triviaux (pour reprendre le vocabulaire de Dahl), mais l’espace politique est également simplifié : 1) la démocratie locale, bien qu’idéalisée, est aussi une démocratie peu sophistiquée ; 2) les acteurs de la scène politique sont limités, les politiques publiques peu diversifiées. Si la suppression des frontières entre gouvernants et gouvernés est valorisée dans l’idée d’une démocratie locale romantique, dans son versant plus négatif elle indique aussi une indifférenciation des postures. La division du travail politique ne serait donc pas une caractéristique de la vie politique locale. Ici, l’élu se confond avec le « citoyen ordinaire » puisque le coût politique pour passer d’un statut à l’autre paraît beaucoup moins important qu’aux échelons supérieurs. Cette vision simplifiée du système politique urbain équivaut aussi à oublier que la résolution des problèmes soulevés plus haut dépasse généralement une conception trop localisée des enjeux urbains : les acteurs ne sont jamais entièrement locaux, ils agissent à plusieurs échelles, tout comme les défis auxquels sont confrontées les villes dépassent bien souvent leurs frontières.

Il n’est pas question ici de nier les différences de fonctionnement du palier municipal, aux prises effectivement avec des enjeux moins porteurs socialement que ceux qui sont traités à l’échelle provinciale ou fédérale (au Canada du moins), mais bien de déconstruire le mythe de la démocratie locale qui amène soit à idéaliser son fonctionnement au nom d’un communautarisme passéiste, soit à simplifier à l’extrême son fonctionnement et ses enjeux et d’y voir dès lors une démocratie périphérique. Cette tendance à survaloriser le local (pour ensuite le marginaliser) constitue un véritable piège pour les études urbaines. Purcell désigne sous le nom de « piège local » le phénomène qui consiste à croire que le palier local est intrinsèquement plus démocratique que les autres formes de gouvernement[6]. Trop souvent, la théorie des gouvernements locaux, de même que la représentation commune de la ville, adoptent ce postulat normatif qui nuit, selon nous, au développement d’un champ disciplinaire, celui de la politique urbaine, et contribuent également à cantonner toute analyse du champ local au local. La prétention à la démonstration généralisable, universelle lui est souvent interdite au nom d’une spécificité du local, largement inspirée par le mythe de la démocratie locale. Bien plus, ce cantonnement dans le champ du normatif empêche une théorisation du champ local au profit bien souvent de modèles, de « pratiques idéales », de recettes pour le développement de villes agréables à vivre (par exemple, le modèle des villes « créatives » défendues par Richard Florida). Cette position bienveillante à l’égard des villes ne semble plus possible dans un contexte urbain marqué par la croissance des métropoles et des enjeux sociaux, politiques et économiques associés à l’étalement urbain. Si les études urbaines comptent des disciplines qui ont bien circonscrit leur objet, il manque à la science politique une vision plus affirmée de la conflictualité et de la complexité de la scène locale. Il ne sera possible de construire un savoir politique spécifique de la ville que si la politique urbaine est évacuée de tout a priori démocratiquement vertueux. Bref, il est permis de faire l’hypothèse que la ville possède sa propre trame, sans pour autant l’isoler dans un cul-de-sac normatif.

Les textes présentés ici s’inscrivent modestement dans cette volonté de décloisonner les objets urbains de la recherche, non seulement pour affirmer leur diversité, mais aussi pour faire de l’espace politique local un véritable laboratoire, et ce, afin d’explorer les enjeux actuels de la démocratie en dehors de tout postulat sur la qualité intrinsèque de sa situation démocratique. L’objectif est avant tout de s’interroger sur les pratiques démocratiques et leur signification dans l’histoire des villes ou, plus généralement, dans l’évolution de la démocratie contemporaine.

Le texte d’Anja Röcke ouvre ce numéro avec une discussion sur l’utilisation d’une procédure ancienne mais oubliée de sélection des représentants : le tirage au sort. Cette technique peut paraître étonnante alors que le modèle démocratique dominant se caractérise par l’octroi d’un mandat de représentation grâce à l’élection. Si le vote apparaît comme une mesure du consentement à être gouverné, le tirage au sort indique plutôt un choix aléatoire, sans possibilité d’approuver l’« autorité ». Röcke démontre pourtant que le recours au tirage au sort dans le cas des jurys citoyens de Berlin s’inscrit dans une recherche de nouvelles légitimités démocratiques. Ces dispositifs participatifs établis à l’échelle des quartiers visent la sélection de projets structurants pour la population, grâce à l’attribution de budgets conséquents. L’objectif est de combler certaines failles du modèle plus traditionnel de représentation, mais surtout de trouver de nouvelles formes de participation des citoyens. Combattre l’apathie démocratique et favoriser la participation sont en effet au coeur des dispositifs participatifs berlinois. Parmi les six fonctions attribuées historiquement au tirage au sort, deux s’inscrivent dans cette volonté des autorités municipales de susciter de nouvelles candidatures « citoyennes ». Premièrement, elle vise à permettre potentiellement à tous et chacun d’être tour à tour « commandants et commandés » : la sélection au hasard des citoyens généralement passifs entraîne en effet une forme de « déprofessionnalisation » de la politique et de l’action associative et reconnaît de la sorte la contribution profane à la décision publique. Deuxièmement, le recours au hasard répond aux voeux d’une représentation « miroir » ou descriptive, c’est-à-dire qu’il crée une forme de personnification des représentés en fonction de certains critères sociologiques (sexe, âge, occupation, etc.). Cet objectif est particulièrement important dans le cas des jurys berlinois pour favoriser la participation de personnes habituellement peu engagées (les femmes, les chômeurs, les citoyens d’origine immigrée). Toutefois, on peut aussi se demander quelle légitimité ont les citoyens tirés au sort. Qui représentent-ils ? Cette interrogation suscite une discussion du modèle démocratique proposé par les jurys citoyens. Röcke soutient en effet que l’évaluation de l’expérience des dispositifs berlinois ne doit pas se faire en fonction des critères habituels de la démocratie participative ou représentative, mais bien en fonction des critères de la démocratie délibérative touchant la qualité de la discussion et des possibilités de briser la division traditionnelle du travail politique. En somme, les jurys citoyens berlinois posent plusieurs hypothèses à la démocratie contemporaine, car ils constituent un idéal-type démocratique particulièrement intéressant pour ausculter nos pratiques actuelles.

Dans la même veine, le texte de Laurence Bherer s’intéresse aux effets d’un dispositif participatif inusité – les conseils de quartier de la ville de Québec – sur le fonctionnement démocratique. L’auteure fait l’hypothèse que l’introduction de mesures participatives reconfigure les contextes d’action des autorités et des citoyens et amène progressivement l’instauration d’un mode démocratique mixte, alliant représentation et participation. À l’échelle locale, ce changement paradigmatique prend toutefois des couleurs particulières, car il entraîne une transformation d’un des fondements importants de la démocratie locale, celui de l’apolitisme de la scène politique locale. La participation institutionnalisée suppose la mise en place de règles claires visant à pacifier les échanges de points de vue souvent opposés. Or, ce modèle va à l’encontre de la représentation prévalente de la démocratie locale, selon laquelle la communauté locale est dépourvue de conflits. L’autorégulation politique est pratiquée dans la spontanéité des relations sociales. Selon une trame historique en trois temps (l’émergence, l’opérationnalisation et la pratique du projet de conseil de quartier), Bherer analyse le processus de formation et de mise en oeuvre des conseils de quartier et leurs conséquences progressives sur les pratiques municipales. Or, si le projet de politisation de la sphère municipale est manifeste à travers la formation des conseils de quartier, le modèle traditionnel demeure prégnant. Tout d’abord, malgré un degré appréciable d’influence, l’expérience des conseils de quartier demeure désincarnée et ne permet pas aux citoyens engagés une véritable appropriation des enjeux politiques locaux. Bien plus, la confrontation avec le modèle traditionnel de démocratie locale suscitée par les regroupements municipaux menace les conseils de quartier et risque de ruiner pour de bon leur fonction transformatrice. Bref, un projet isolé bien qu’ambitieux de démocratisation est mal armé pour affronter un environnement institutionnel et symbolique teinté d’apolitisme.

Caroline et Sylvie Patsias adoptent une démarche différente de celle empruntée par Röcke et Bherer. Au lieu d’analyser les transformations démocratiques par le haut, elles s’intéressent à la construction démocratique par le bas, en étudiant les processus de socialisation politique à l’oeuvre au sein de groupes de citoyens de Québec et de Marseille. Les auteures cherchent à se distancier, d’une part, des écrits français qui dépeignent trop souvent des comités enfermés dans leur localisme et, d’autre part, de la documentation québécoise, beaucoup plus favorable, qui leur attribue des vertus de changement social. L’expérience des comités de citoyens est plutôt analysée à l’aune du passage progressif du particulier au général. L’engagement microlocal permet en effet d’adapter discours et pratiques pour envisager les enjeux du quartier d’un point de vue collectif. L’accès à l’espace public nécessite une montée en généralité que Patsias et Patsias retracent dans une étude ethnographique, au plus près des enjeux quotidiens des membres des comités de citoyens. La lutte contre l’incivilité dans le quartier, la création d’un sentiment d’appartenance à travers l’organisation d’activités festives, l’expérience de l’interculturalisme ou encore les questions de justice sociale (accès aux logements, lutte contre la pauvreté) sont autant d’enjeux traités et discutés au sein des comités de citoyens qui permettent ce passage de l’intérêt particulier à une compréhension élargie des questions collectives. Si les auteures reconnaissent les limites des comités de citoyens, elles contestent toute vision réductrice qui accorderait à ces comités une idéologie de fermeture et conservatrice inhérente. Au contraire, c’est dans l’apprentissage de la parole, dans la nécessité de dire les maux du quartier que les membres apprennent à articuler intérêts privés et intérêt général. Les citoyens doivent de la sorte s’ouvrir à d’autres acteurs (élus, fonctionnaires ou autres associations) et comprendre également leur position « axiologique ». Les comités n’entraînent pas nécessairement le dépassement du réflexe « pas dans ma cour », mais ils contribuent tout au moins à l’éroder. Sans inverser les rapports de pouvoir, les comités autorisent un ancrage microlocal de la citoyenneté, si bien que la démocratie se transforme (potentiellement) par le bas, à travers la consolidation d’un espace politique local.

Les deux derniers textes de ce numéro abordent la question de la démocratie locale sous un angle différent. Il s’agit moins d’étudier les enjeux démocratiques posés par des expériences locales que de s’interroger sur les restructurations municipales et leurs effets sur les échelles d’appréhension de la démocratie locale. À partir du cas de Toronto, l’article de Julie-Anne Boudreau et Roger Keil utilise le discours sur la démocratie locale comme révélateur des recompositions idéologiques qui se trament au sein des processus de métropolisation. Si les mobilisations urbaines ont un caractère local, le langage emprunté par ses acteurs est significatif d’un rééchelonnement du politique et s’inscrit dans un ensemble de référents qui dépassent largement les questions strictement municipales. Pour illustrer ce point de vue, les auteurs s’intéressent aux discours de légitimation élaborés par les autorités publiques qui amènent selon eux une normalisation du néolibéralisme autant dans les politiques publiques que dans les pratiques et référents des militants des luttes urbaines. En effet, une forme de syncrétisme entre la « valeur d’usage » et la « valeur d’échange » s’exerce dans l’invocation de la compétitivité internationale des villes comme nouvel étendard du développement urbain. Selon le vocabulaire des analystes urbains des années 1970, la valeur d’échange renvoie aux bénéfices de développement économique tirés de l’exploitation de l’espace urbain alors que la valeur d’usage valorise plutôt les avantages et la qualité de vie que peuvent escompter les habitants de la ville. La politique de croissance s’oppose ici à une culture urbaine intégrative et participationniste. Alors que ces deux pôles s’opposaient dans la période réformiste des années 1970 à Toronto, les années 1990 voient une intégration progressive des deux courants dans un nouveau modèle qualifié de « néoréformiste ». Un programme politique provincial résolument axé sur la réduction de la taille de l’État et la valorisation du marché et de l’entreprise privée a signifié le glissement vers un régime urbain néolibéral. Ces principes ont servi d’éléments justificateurs des regroupements municipaux, ce qui a fait craindre une complète disparition de la culture réformiste. Or, la réalité est plus complexe. L’élection à la mairie en 2003 de David Miller, ancien militant réformiste, est perçue comme une victoire par les militants issus du mouvement participationniste. Cependant, les nouvelles valeurs mises de l’avant par l’équipe municipale démontrent plutôt une déradicalisation du discours réformiste. Si la démocratie participative, le développement durable, le cadre de vie sont toujours valorisés, ils ne s’inscrivent plus dans une perspective de changement social, mais bien de création d’un climat urbain convivial, apte à accueillir l’élite économique mondiale. Ce discours normalisé est plus facile à imposer à l’échelle métropolitaine, caractérisée par des règles floues de représentation et de transparence. Au total, le régime néoréformiste crée un nouveau cadre de légitimité, associant étroitement à la gouverne les acteurs économiques au détriment des militants altermondialistes des luttes urbaines.

Le dernier article reprend implicitement les termes de ce débat en posant la question de la viabilité de l’échelon métropolitain comme lieu d’exercice de la démocratie. Est-ce que la formation d’une nouvelle grande ville modifie les pratiques des acteurs de la société civile ? Pour répondre à cette question, Jean-Marc Fontan, Pierre Hamel, Richard Morin et Eric Shragge se penchent sur les acteurs du développement local en milieu urbain. Traditionnellement, le développement local se pratique à l’échelle du quartier. Or, depuis les regroupements municipaux, le développement économique constitue l’une des principales responsabilités du palier métropolitain. De plus, l’élargissement du bassin politique amène aussi une reconfiguration des pratiques économiques : dans leurs stratégies d’action, les acteurs du développement local doivent non seulement prendre en compte les déterminants économiques de leurs quartiers, mais également les relier avec ceux qui prévalent dans d’autres secteurs de l’agglomération. Ce changement est-il perceptible à l’échelle du quartier ? Il semble que même si le développement local ne se fait plus comme on le pense généralement à l’intérieur d’un espace restreint, l’échelle métropolitaine demeure encore abstraite pour les acteurs communautaires. Ces derniers s’organisent généralement en fonction d’un réseau complexe, empruntant des logiques sectorielles ou bien des stratégies plus spatialisées. Ainsi, si les activités des acteurs du développement local ne se limitent plus depuis un temps déjà à l’échelle du quartier, leurs pratiques ne traduisent pas encore une institutionnalisation marquée de l’échelle métropolitaine. Le capital politique de cette dernière de même que ses ressources semblent trop limitées pour amener une reconfiguration de la démocratie locale et d’un de ses acteurs fondamentaux, les groupes communautaires.

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La démocratie locale est-elle soluble dans le local ou peut-elle se dégager, théoriquement du moins, de ce carcan ? Les textes rassemblés ici tentent implicitement ou explicitement de sortir l’étude de la politique urbaine d’analyse localisée ou « localiste ». Évidemment, le problème que nous relevions au début de cet article quant à l’effet de marginalisation induit par l’idéalisation de la démocratie locale n’explique pas tout à lui seul. Une autre piste réside selon nous dans une interrogation sur la nouvelle échelle du politique qui apparaît à la suite des réformes territoriales. Est-ce que les nouvelles villes constituent un nouveau laboratoire pertinent pour une réflexion sur l’urbain ? Pour répondre à cette question, plus d’études sur la situation démocratique à l’échelle locale seraient nécessaires.