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Introduction

Au Canada, les programmes d’études pour l’enseignement du français, langue première au deuxième cycle du primaire, préconisent la maîtrise de divers types de textes dont le texte argumentatif. Malgré cet affichage officiel, les élèves éprouvent toujours des difficultés à écrire des textes argumentatifs cohérents. La question de l’intervention adéquate pour les amener à développer cette compétence fort complexe demeure donc une préoccupation majeure du corps enseignant.

Nous inspirant de travaux menés dans le courant de la psychologie cognitive sur le fonctionnement des scripteurs experts, et plus particulièrement des résultats de recherches mettant en évidence le rôle déterminant d’une planification d’ensemble dans la rédaction de textes cohérents (Bereiter et Scardamalia, 1983 ; Hayes et Flower, 1983 ; Hayes, 1998), nous avons élaboré un premier programme d’intervention pour remédier aux problèmes de cohérence observés dans les textes des élèves du deuxième cycle du primaire (Cavanagh, 1997). Rappelons que ce programme était centré sur l’exploitation polyvalente d’une schématisation de la structure d’un texte argumentatif simple et prototypique appelé « texte d’opinion ». Il devait amener les élèves à faire une utilisation stratégique de la structure textuelle, en s’en servant comme canevas pour guider et encadrer les processus de la planification, de la rédaction et de la révision. Cependant, les résultats obtenus lors de l’expérimentation de ce programme n’ont été que partiellement satisfaisants. S’ils indiquaient un progrès significatif au point de vue de la structure d’ensemble du texte, cet unique progrès ne permettait pas aux élèves de réaliser des textes cohérents à tous les points de vue.

Un retour à la théorie de l’expertise rédactionnelle et de l’intervention nécessaire pour en favoriser le développement nous a alors conduite à élaborer un modèle synthétique d’intervention qui a servi de cadre de référence pour évaluer le premier programme. Cet exercice nous a permis d’identifier des pistes concrètes pour enrichir le premier dispositif de manière à amener les élèves à rédiger des textes encore plus cohérents. La mise à l’épreuve de ce deuxième programme, qui est le sujet de cet article, a donné des résultats généralement positifs aussi bien quantitatifs que qualitatifs, mais ces derniers faisant l’objet d’une autre publication, il sera question ici des seuls résultats quantitatifs obtenus (Cavanagh, 2002).

Notons que ces résultats quantitatifs seront présentés ici selon les étapes habituelles d’un compte rendu de recherche, à l’exception près de l’inversion de la problématique et du cadre conceptuel. Cette inversion est motivée par le fait que la problématique, qui consiste en l’analyse critique du premier programme à la lumière des connaissances transmises dans le cadre conceptuel, tire une partie importante de sa signification du cadre conceptuel qui la précède.

Cadre conceptuel

Le modèle synthétique d’intervention[1] qui fonde le deuxième programme expérimenté ici, pour favoriser la cohérence textuelle, représente une synthèse des recherches en expertise rédactionnelle et en intervention pédagogique. Sa description sera donc précédée d’un bref compte rendu des conclusions de ces recherches.

Les origines du modèle synthétique qui fonde le deuxième programme

Les travaux en expertise rédactionnelle peuvent se regrouper selon deux axes principaux : celui des études sur le texte en tant que produit fini et celui des recherches sur la démarche en tant que processus dynamique qui en sous-tend la réalisation. La mise en relation de ces deux champs de recherche, le premier relevant de la linguistique textuelle et le deuxième de la psychologie cognitive, fait ressortir un lien étroit entre la qualité du texte et la nature de la démarche intellectuelle mise en oeuvre par le scripteur.

Une synthèse de plusieurs travaux nous amène à conclure que la qualité d’un texte dépend en grande partie du degré de cohérence atteint par le scripteur. Cette cohérence comporterait trois dimensions principales : deux relatives à la structure textuelle et l’autre en lien avec le contexte de communication. Selon ces recherches, un texte s’avère cohérent quand, tout en formant un ensemble uni, il est découpé en parties distinctes en relation les unes avec les autres – dans ce cas, on parle de cohérence « globale » ou « macrostructurelle » (Charolles, 1978 ; Adam, 1992) –, quand ses phrases s’enchaînent en apportant des informations nouvelles sans digresser, selon une dynamique de « progression » (Charolles, 1978), en établissant une certaine « continuité » à l’aide d’anaphores (Charolles, 1978 ; Lundquist, 1980) et en explicitant les rapports de « relation » logique entre les idées grâce à l’emploi de connecteurs (Lundquist, 1980) de manière à assurer la cohérence « locale » ou « microstructurelle », et quand l’adéquation de son contenu par rapport à la situation de communication crée une cohérence d’ordre « contextuelle » ou « situationnelle » (Lundquist, 1980 ; Apotheloz et Mieville, 1989). Autrement dit, la cohérence textuelle dépend de la réalisation conjointe de deux dimensions internes et d’une dimension externe.

Du côté de la démarche, les différents modèles du processus d’écriture (Hayes et Flower, 1980, 1983 ; Bereiter et Scardamalia, 1987 ; Hayes, 1995, 1998) révèlent que la production d’un texte cohérent résulte de la capacité du scripteur à aborder la tâche d’écriture comme une activité complexe de construction de sens qui s’apparente à la résolution de problème. Cette activité fait intervenir des processus cognitifs supérieurs de concert avec les stratégies qui les composent. En effet, la création d’un texte cohérent exige la gestion active et récursive de trois grands processus : la planification, la mise en texte et la révision, chacun englobant plusieurs sous-processus ou opérations cognitives. Au moment de la planification, le scripteur élabore une représentation du problème d’écriture (Flower, 1987) en définissant les paramètres textuels et contextuels qui le constituent, représentation à partir de laquelle il décompose le problème en sous-problèmes pour générer des idées, les sélectionner et les organiser hiérarchiquement (Hayes et Flower, 1980). Lors de la mise en texte, il passe d’une organisation schématique non séquentielle à une organisation linéaire (Fayol, 1997) en transformant les bribes d’idées répertoriées dans son plan en phrases et en paragraphes grâce à des opérations d’élaboration et de liage (Charolles, 1978 ; Lundquist, 1980). Interviennent également, à cette étape, des opérations spécifiques au type de texte en cours de rédaction telles que la justification, la négociation et la modalisation dans le cas du texte argumentatif (Golder, 1996). Enfin, quand il révise, le scripteur habile procède à des relectures critiques successives pour évaluer son texte du point de vue de la cohérence locale et globale, déterminer la cause des défauts repérés et leur importance relative et décider, en fonction du diagnostic posé, quelle stratégie employer pour y remédier (Hayes, Flower, Schriver, Stratman et Carey, 1987 ; Groupe EVA, 1996).

Ces trois processus d’écriture et les sous-processus qui les composent sont mobilisés par le scripteur expert, grâce à l’emploi de multiples stratégies générales (Flower, 1993). Avec Legendre (1993), nous pouvons dire qu’une stratégie correspond à une suite d’opérations agencées de façon à atteindre un but particulier avec efficacité, et avec Golder (1996), Fayol (1997) et Brassart (1998), qu’elle se particularise en fonction du type de texte à produire. De plus, les stratégies mobilisées n’ont pas toutes le même statut puisque, parmi elles, les schémas textuels prototypiques (Adam, 1992), appelés aussi plans d’écriture intériorisés (Hayes et Flower, 1983) ou encore configurations de connaissances, joueraient un rôle déterminant dans la mesure où ils permettraient au scripteur d’établir des priorités pour gérer les informations variées impliquées dans la résolution de son problème d’écriture. Cette importance des schémas textuels est corroborée par des recherches sur l’acquisition de l’expertise rédactionnelle indiquant que l’apparition, chez le scripteur novice, de la capacité à s’en servir pour traiter la tâche d’écriture en situant les détails dans une structure d’ensemble constitue une étape significative vers le rapprochement d’une conduite experte (Karmiloff-Smith, 1992 ; Brassart, 1998).

Il est possible, en mettant en relation les caractéristiques d’un texte cohérent avec celles de la démarche qui sous-tend sa production, d’établir une correspondance, certes approximative et non exclusive, entre les trois dimensions de la cohérence et les trois processus cognitifs. Ainsi, la réalisation de la cohérence macrostructurelle dépendrait surtout du processus de planification puisqu’à cette étape, le scripteur se concentre sur l’organisation d’ensemble de son texte ; celle de la cohérence microstructurelle relèverait surtout du processus de mise en texte puisque c’est alors que le scripteur se préoccupe de la formulation des phrases et de leur enchaînement logique. Quant à la cohérence situationnelle, elle découlerait des trois processus impliqués, car l’adéquation du texte au contexte de production des points de vue sémantique, syntaxique et lexical ne peut se réaliser sans une prise en compte systématique par le scripteur du destinataire et de l’intention de communication tout au long de la démarche rédactionnelle.

Une deuxième synthèse de travaux, ceux-ci en intervention pédagogique, permet de dégager des pistes prometteuses pour l’encadrement des élèves afin qu’ils parviennent à construire les connaissances nécessaires à la réalisation d’un texte cohérent. Ces pistes prennent la forme, d’une part, d’un ensemble d’éléments d’intervention ponctuels et, d’autre part, de plusieurs moyens pour agencer ces éléments ponctuels dans le contexte d’une seule et même séquence d’apprentissage.

Les éléments ponctuels peuvent se regrouper dans deux catégories : des éléments soutenant la réalisation d’une dimension spécifique de la cohérence, et des éléments favorisant la prise en compte de plusieurs dimensions conjointement. Ainsi, relativement à la première catégorie, pour favoriser la création de la cohérence macrostructurelle, certains expérimentateurs de programmes préconisent de sensibiliser les scripteurs novices à la structure textuelle par l’emploi d’une mnémonique (Danoff, Harris et Graham, 1993 ; De La Paz, 1997 ; Troia, Graham et Harris, 1999) rappelant les différentes parties du texte ou par l’exploitation d’une schématisation hiérarchique comme outil d’analyse pour faire découvrir aux élèves l’architecture du genre de texte à l’étude (Miller et George, 1992 ; Roussey et Gombert, 1992 ; Cavanagh, 1997 ; Yeh, 1998). Dans certains programmes efficaces, ces deux éléments sont employés de concert avec une grille de contrôle pour amener les élèves à vérifier la présence des divers éléments structuraux dans leur texte (Cavanagh, 1997 ; Wong, 1997 ; Dickson, 1999 ; Gleason, 1999). Pour favoriser l’établissement de la cohérence microstructurelle, Pepin (1989, 1998) a démontré l’importance d’enseigner explicitement les divers procédés de reprises d’information sur le plan de l’interphrase (Pepin, 1998) et l’équipe de Dolz a souligné l’importance d’enseigner des unités linguistiques spécifiques aux différents genres textuels (Dolz, Pasquier et Bronckart, 1993 ; Dolz, 1996). Quant à la cohérence situationnelle, elle peut être soutenue en inscrivant les tâches d’écriture dans un contexte de communication spécifique afin de pousser les élèves à calculer le degré d’adéquation entre leur texte et la situation qui en fonde la pertinence (Goodman, 1989 ; Dolz, 1996).

La deuxième catégorie d’éléments d’intervention expérimentés comprend ceux qui favorisent, chez le scripteur novice, la prise en compte de plus d’un aspect de la cohérence à la fois. Ainsi, la proposition de tâches complexes de type résolution de problème oblige le scripteur à coordonner plusieurs connaissances en lien avec les trois aspects (Englert, 1992). Différentes formes d’« échafaudage » ou de soutien temporairement accordé au scripteur pour alléger sa tâche l’amènent à gérer les trois aspects en même temps, tout en lui offrant l’aide nécessaire pour qu’il puisse travailler dans sa « zone proximale de développement » (Vygotsky, 1934/1985, 1978). Parmi les diverses formes d’échafaudage, l’exploitation de stratégies expertes représentées graphiquement sur des feuilles aide-mémoire (une forme d’« échafaudage matériel ») et son modelage par l’enseignant (une forme d’« échafaudage social ») initient l’élève à la réalisation conjointe de différents aspects de la cohérence en explicitant pour lui les modalités de la prise en compte simultanée et de la gestion de plusieurs composantes de la tâche (Englert, 1992 ; Burkhalter, 1995 ; Wong, 1997 ; Gleason, 1999). On recommande aussi que ce modelage soit suivi d’une pratique guidée durant laquelle les apprentis-scripteurs utilisent les stratégies modelées sous la supervision de l’enseignant qui leur fournit une rétroaction pertinente (De La Paz et Graham, 2002), ainsi qu’une période de pratique coopérative où les élèves bénéficient d’échanges avec un coéquipier en planifiant et en révisant leur texte (Wong, 1997 ; Van Gelderen, 1997). Enfin, l’association constante, lors des différentes tâches proposées aux élèves, du schéma textuel prototypique avec une situation de communication, oblige le scripteur à adapter continuellement ses connaissances structurales au contexte communicatif (Dolz, 1996 ; Golder, 1996), ce qui favorise chez lui la gestion simultanée des dimensions macrostructurelle et situationnelle.

L’analyse des programmes existants permet aussi de dégager plusieurs façons d’orchestrer ces éléments ponctuels dans une séquence pédagogique favorisant la construction graduelle des connaissances nécessaires à l’établissement de la cohérence textuelle et leur intégration en vue de leur transfert dans de nouveaux contextes. D’une part, la complexité des tâches à réaliser et celle de l’échafaudage offert conjointement devraient augmenter en parallèle avant de diminuer du côté de l’aide de manière à constituer trois progressions conduisant à l’autonomie cognitive de l’apprenti-scripteur (Englert, 1992 ; Wong, 1997 ; Dickson, 1999). Autrement dit, il faudrait prévoir dans la séquence deux progressions prenant respectivement la forme d’une augmentation des tâches et d’une augmentation de l’échafaudage, suivies d’une autre progression qui prendrait la forme d’une diminution de l’aide offerte. D’autre part, les éléments ponctuels d’intervention devraient être répartis dans différentes phases d’apprentissage : une phase de construction des connaissances, précédée d’une phase de préparation axée sur la motivation et l’émergence des connaissances antérieures (Dolz, 1996 ; Yeh, 1998 ; Dickson, 1999 ; Troia, Graham et Harris, 1999) et une phase d’intégration centrée sur l’automatisation et le transfert des connaissances (Wong, Butler, Ficzere et Kuperis, 1996, 1997 ; Yeh, 1998 ; Dickson, 1999 ; Gleason, 1999). Cette dernière phase devrait être ponctuée, selon certains théoriciens du transfert (Tardif, 1999) ou expérimentateurs de programmes (Dolz, Pasquier et Bronckart, 1993) ; Groupe EVA, 1996 ; Wong, 1997 ; Wong et al., 1996, 1997), de moments de décontextualisation pour systématiser des notions spécifiques posant problème aux élèves dans le contexte de la tâche complexe.

Le modèle synthétique d’intervention à la base du deuxième programme

Dans le contexte de la présente recherche, la cohérence visée dans les textes argumentatifs des élèves a pris une forme relativement simple, appropriée à l’âge des scripteurs. Ainsi, la cohérence macrostructurelle dont il était question consistait en une organisation d’ensemble s’articulant autour de la présentation de plus d’un argument ou d’une raison pour justifier un point de vue, mais sous une forme dite « tabulaire » (c’est-à-dire sans raisonnement en étapes ni incorporation de contre-arguments), ce dont les enfants sont capables dès l’âge de 10-12 ans (Golder 1992, 1996). Sur le plan de la cohérence microstructurelle, l’intervention formait les élèves à l’emploi d’anaphores pour assurer la reprise d’information d’une phrase à l’autre et celui de connecteurs logiques pour marquer la progression du raisonnement à l’intérieur des paragraphes, des capacités qui s’installeraient vers 10 ans (Golder, 1996). Quant à la cohérence situationnelle travaillée, elle se limitait à la pertinence du contenu par rapport au contexte de production, ce qui constitue une composante textuelle considérée à la portée des sujets, du moins quand ils abordent des sujets polémiques qui les touchent (Golder, 1996), mais avec un degré minimal de modalisation des propos, opération qui ne se maîtrise généralement que plus tard, c’est-à-dire vers l’âge de 13-14 ans (Brassart, 1990 ; Golder, 1996). Les trois dimensions de la cohérence textuelle ont donc été abordées conjointement à un niveau approprié à l’âge des sujets.

L’intervention préconisée par le modèle pour favoriser la réalisation du « texte d’opinion » cohérent s’inspire de la synthèse des recherches pour déterminer le contenu à privilégier, les moyens à mettre en oeuvre et l’agencement des deux. Le contenu à enseigner s’oriente donc autour des deux grands concepts intégrateurs interagissant que sont le schéma textuel prototypique et le processus d’écriture, étant donné que l’écriture experte s’effectue à partir des niveaux de connaissances supérieurs. Ce contenu se compose d’une stratégie centrale, en l’occurrence l’exploitation polyvalente du schéma du « texte d’opinion » à travers le processus d’écriture de concert avec d’autres stratégies scripturales dans le contexte d’une situation de communication spécifique.

Quant aux moyens choisis pour permettre l’appropriation de ce contenu par les élèves, notre modèle prône l’exploitation de la tâche complexe exigeant le réinvestissement de connaissances construites antérieurement assortie à un dosage équilibré de différentes sortes d’échafaudage « aide-défi ».

Pour ce qui est de l’agencement du contenu et des moyens, le modèle recommande l’harmonisation de deux principes d’organisation. D’un côté, en dehors des moments de décontextualisation, il présente le contenu selon un ordre séquentiel. Plus spécifiquement, à l’intérieur des phases de préparation, de construction de connaissances et d’intégration des apprentissages, les connaissances sur la nature du texte à produire sont abordées avant les connaissances sur la structure qui en découle, ces dernières précèdent celles qui portent sur les stratégies rédactionnelles orientées vers cette structure, et les stratégies de planification sont présentées avant les stratégies de rédaction et de révision, étant donné leur emploi antérieur. D’un autre côté, pour que les élèves soient en mesure de s’approprier ce contenu d’une complexité croissante en évitant la surcharge cognitive, le modèle vise son acquisition progressive. Ainsi, dans la phase de construction des connaissances, la complexification des tâches s’accompagne d’une augmentation progressive de différentes formes d’échafaudage. Dans la phase d’intégration, moment fort dans la complexité des tâches, la progression prend la forme d’une diminution graduelle d’échafaudage rendue possible par l’autonomie cognitive grandissante de l’élève.

Problématique

À la lumière du cadre conceptuel qui vient d’être exposé, une réévaluation du premier programme et des résultats obtenus lors de sa mise en oeuvre a permis d’identifier les limites du premier programme, ce qui a suggéré certaines modifications à y apporter dans le but d’amener les élèves à rédiger des textes cohérents du point de vue des trois dimensions de la cohérence textuelle.

Les 96 textes produits par les élèves de la sixième année du primaire dans le cadre de la première intervention ont donc été évalués à la lumière des recherches sur les trois dimensions de la cohérence textuelle. L’analyse a montré que les élèves avaient réussi à maîtriser une seule de ces trois dimensions de la cohérence. En effet, le découpage de leur texte en paragraphes distincts, agencés à l’aide de connecteurs marquant la structure d’ensemble, la production antérieure de plans hiérarchisés et la révision ultérieure entreprise d’un point de vue structural ont indiqué un progrès significatif au niveau de la cohérence globale ou macrostructurelle.

Cependant, l’absence dans le corpus de plusieurs caractéristiques habituellement présentes dans les paragraphes du développement d’un texte indiquait des faiblesses sur le plan des deux autres dimensions de la cohérence. Il faut noter que, de façon générale, la nature de ces faiblesses correspondait à celle observée par d’autres chercheurs dans les textes des élèves de la fin du primaire. Plus précisément, l’empilage d’affirmations à l’intérieur des paragraphes à la place du développement raisonné de l’idée principale (Burkhalter, 1995 ; Golder, 1996 ; Gleason, 1999), le manque d’explicitation des idées (Gervais et Noël-Gaudreault, 1992), une discontinuité inter-phrastique générale résultant de faiblesses dans l’emploi des anaphores et la tendance à s’écarter de l’idée de départ (De Weck, 1991 ; Schnedecker, 1995) constituaient les indices principaux du manque de maîtrise de la cohérence locale ou microstructurelle, tandis que la fréquence d’idées peu pertinentes par rapport au contexte de production (Golder, 1996) montrait que la cohérence situationnelle faisait également défaut. De toute évidence, les élèves avaient accordé une place importante à la macrostructure textuelle au détriment des deux autres dimensions de la cohérence.

La mise en rapport de ces résultats avec le modèle synthétique d’intervention décrit plus haut dans le cadre conceptuel a permis d’identifier des forces et des faiblesses du premier programme. D’un point de vue positif, la combinaison de tâches complexes, de progressions à l’intérieur de deux phases distinctes et de l’offre de différentes sortes d’échafaudage matériel, notamment le schéma, aurait amené les élèves à effectuer l’exploitation polyvalente de la schématisation qui activait le sous-processus de l’organisation lors de la planification. D’un point de vue négatif, l’insuffisance ou l’absence, dans le premier programme, de stratégies axées sur les autres processus et sous-processus d’écriture, d’échafaudage social sous forme du modelage de ces stratégies, d’enseignement d’unités linguistiques spécifiques au texte argumentatif, d’une mise en rapport constante de la structure textuelle avec le contexte de production et d’une dernière phase d’automatisation des connaissances grâce à des recontextualisations entrecoupées de moments de décontextualisation aurait été à l’origine de l’incapacité des élèves à activer le plus grand nombre de processus et de sous-processus rédactionnels supérieurs nécessaires pour la réalisation conjointe des trois dimensions de la cohérence textuelle.

À la lumière de cette analyse, nous avons remodelé le premier programme en conservant les éléments qui s’étaient avérés efficaces, mais en y ajoutant les éléments qui semblaient avoir fait défaut. Nous avons émis deux hypothèses de recherche quant à son expérimentation : l’une portant sur les changements à court terme que le programme devait amener chez les scripteurs, et l’autre axée sur le maintien de ces changements à moyen terme, plus précisément 10 semaines après l’intervention. La première comportait trois sous-hypothèses : 1) les changements s’observeraient sur le plan du texte dans la réalisation des trois dimensions de la cohérence textuelle ; 2) ils s’observeraient au niveau de la démarche, c’est-à-dire sur le recours à un plan hiérarchisé avant la rédaction ; 3) ils s’observeraient au niveau métacognitif, c’est-à-dire dans la capacité des élèves à gérer consciemment leur démarche rédactionnelle. La deuxième hypothèse comportait deux sous-hypothèses prédisant que les deux premières sortes de changements (sous-hypothèses 4 et 5) perdureraient à moyen terme. Soulignons que les résultats relatifs à la troisième sous-hypothèse sont de nature qualitative, ce qui signifie qu’ils se situent en dehors du propos de cet article.

Méthodologie

Type de recherche, plan de recherche, échantillon

Cette recherche était de type expérimental à protocole préexpérimental. Le plan de recherche mis en place comportait le prétest, le traitement, le premier post-test et le deuxième post-test. Le prétest a mesuré la qualité du texte des élèves du point de vue de la cohérence textuelle ainsi que la qualité de leur plan. Les deux post-tests ont mesuré les mêmes variables, mais à un intervalle de temps différent, c’est-à-dire 12 semaines après le prétest pour le premier et 10 semaines après le premier post-test pour le second. Notons qu’en raison du lien étroit entre le contrôle métacognitif et la révision, en autant que les deux concernent les capacités évaluatives des élèves, les progrès par rapport au processus révisionnel relèvent de la sous-hypothèse 3 et sont donc rapportés dans un autre article sous forme de données qualitatives recueillies lors d’entrevues menées auprès d’un sous-groupe d’élèves.

Les sujets n’ont pas été choisis au hasard. Il s’agissait d’un groupe-classe de 25 élèves de la sixième année du primaire faisant partie de la Commission scolaire de la Région-de-Sherbrooke.

Programme d’intervention

Le traitement dans le cadre de cette expérimentation, qui consistait en l’application du programme, constituait la variable indépendante du plan de recherche. Concrètement, il comprenait 22 leçons[2] conçues par la chercheure qui s’articulaient autour d’une série de tâches complexes réparties dans trois phases d’apprentissage. Selon la logique du modèle, ces tâches étaient systématiquement situées dans le contexte d’une situation de communication et accompagnées d’éléments d’échafaudage pertinents.

Parmi les formes d’échafaudage offertes, une schématisation hiérarchique de la structure du texte d’opinion a joué le rôle de stratégie centrale de par son exploitation polyvalente, son caractère englobant et sa position fondamentale résultant du fait que des stratégies complémentaires venaient s’y greffer. Cette schématisation prenait la forme d’une représentation graphique des différentes parties du texte d’opinion et de leur structure interne respective sous forme de cases vides imbriquées les unes dans les autres de manière à suggérer les différents niveaux textuels et leur interaction. Elle a été exploitée d’abord comme un outil d’analyse d’exemples et de contre-exemples de textes pour amener les élèves à se représenter les caractéristiques macrostructurales du texte, et ensuite comme un outil stratégique et métacognitif pour les conduire à activer et à gérer les processus impliqués dans la planification, la rédaction et la révision. De plus, des stratégies complémentaires représentées sur des feuilles aide-mémoire y étaient imbriquées ou rattachées dans le but de favoriser la mobilisation de certains sous-processus spécifiques. Ainsi, l’acronyme « RDP » situé à l’intérieur de la case des paragraphes de développement rappelait leur structure interne, soit la présentation de l’idée principale ou de la raison (R), soit le développement de cette raison (D), soit la phrase de clôture du paragraphe (P). À son tour, la lettre « D » de cet acronyme renvoyait à une feuille aide-mémoire comprenant un ensemble d’unités linguistiques argumentatives qui s’avéraient utiles au moment de la rédaction pour développer un argument ou une raison en recourant à l’exemplification, à l’explication ou à la concession (voir Annexe 1). De plus, quatre stratégies de planification (une axée sur l’analyse de la situation de communication, deux orientées vers la recherche d’idées en fonction du destinataire et une dernière dédiée à soutenir la sélection et la hiérarchisation des idées), une autre stratégie de rédaction facilitant l’explicitation des rapports logiques entre les idées à l’aide de connecteurs appropriés et une stratégie de révision pour vérifier l’absence de digressions dans les développements de paragraphes devaient s’exploiter conjointement avec une fiche de contrôle des divers aspects enseignés.

Les occasions d’avoir recours à ces moyens, constituées de tâches à exécuter à l’aide de différentes formes d’échafaudage, étaient agencées en phases et en progressions concertées. Lors de la phase de préparation des apprentissages (leçon 1), l’enseignante a activé les connaissances antérieures des élèves. En même temps, pour les motiver, elle leur a proposé un projet d’écriture pouvant faire l’objet d’une publication. Durant la phase de réalisation des apprentissages (leçons 2 à 12), les élèves ont réalisé des activités variées de type comparaison et analyse d’exemples et de contre-exemples de textes pour comprendre la nature et la structure du texte d’opinion. Ensuite, pour commencer à s’approprier les stratégies impliquées dans la production de ce type de texte, ils ont pu observer leur enseignante en train de rédiger un texte devant eux, en modelant les stratégies d’écriture à partir des feuilles aide-mémoire avant d’utiliser eux-mêmes la stratégie dans le contexte de la rédaction progressive de leur propre texte en pratique guidée. Dans la phase d’intégration (leçons 13 à 22), pour favoriser le transfert des connaissances nouvellement construites, ils ont rédigé trois autres textes d’opinion sur différents thèmes, le premier avec l’aide d’un coéquipier et les deux autres individuellement. Ce temps de production de textes complets a été ponctuellement interrompu par trois activités décontextualisées : la première portant sur la notion de progression thématique et impliquant une stratégie pour vérifier l’absence de digressions et les deux autres axées sur la notion de l’enchaînement des idées par les reprises anaphoriques.

Afin de favoriser l’intériorisation graduelle des processus explicités lors du modelage tout en gardant les tâches à la portée des élèves, trois sortes de progression ont été orchestrées. Durant la phase de la réalisation des apprentissages, d’une part, les tâches ont augmenté en complexité et, d’autre part, l’échafaudage matériel et social s’est complexifié dans le nombre croissant de stratégies présentées sur des feuilles aide-mémoire et modelées par l’enseignante. Par la suite, durant la phase d’intégration, l’échafaudage social et matériel a diminué progressivement pendant que l’élève est passé d’une pratique guidée à une pratique coopérative à deux pratiques autonomes et que l’utilisation des feuilles aide-mémoire est devenue facultative lors des deux pratiques autonomes.

Formation de l’enseignante

La formation offerte à l’enseignante avant et pendant l’intervention était inspirée du modèle de formation pour l’enseignement des stratégies conçu par Beard El-Dinary et Schuder (1993). Avant l’intervention, elle a consisté en une explication des principes de base et de la structure du programme. Pendant l’intervention, elle a été réalisée par le biais d’échanges informels avec la chercheure avant et après chaque leçon, par les documents d’appui aux leçons créés par la chercheure, notamment les scénarios de modelage détaillant les opérations sous-jacentes à l’emploi des stratégies.

Instruments de cueillette de données et déroulement

Deux instruments de cueillette de données ont été utilisés : les productions des élèves (textes et plans) et les grilles de notation. Lors du prétest et des deux post-tests, les élèves ont dû rédiger, à partir d’un choix de deux situations de communication proches de leur vécu, un texte d’opinion en s’appuyant sur le plan qu’ils devaient élaborer au préalable. Les élèves ont disposé de 90 minutes pour rédiger chaque texte. Celui du prétest servait à établir le niveau de base, celui du premier post-test administré 12 semaines plus tard, c’est-à-dire juste après l’intervention, à mesurer les progrès réalisés en cohérence et celui du deuxième post-test, administré 10 semaines après le premier, à évaluer le maintien de ces progrès à moyen terme.

La grille de notation des plans a été adaptée de celle de Whitaker, Berninger, Johnston et Swanson (1994). Elle comportait deux dimensions : la différenciation en parties distinctes et la hiérarchisation à l’intérieur des parties. La grille de notation des textes, mise au point à partir du concept de cohérence, mesurait les dimensions situationnelle, macrostructurelle et microstructurelle. La première de ces dimensions s’évaluait en fonction du critère de la pertinence par rapport au contexte de production, la deuxième selon le critère de présence/absence des parties du texte d’opinion et de leurs éléments internes, et la troisième en fonction du respect des règles de la « progression » (ajout d’informations nouvelles sans digressions), de la « continuité » (reprise d’information d’une phrase à l’autre par l’emploi approprié d’anaphores) et de la « relation » (expression des rapports logiques entre les paragraphes et à l’intérieur d’eux, par l’emploi approprié de connecteurs). Pour favoriser l’objectivité, nous avons eu recours à la méthode interjuge. Pour comparer les résultats aux trois moments de l’administration des tests, la technique de l’analyse de la variance à mesures répétées, suivie de deux contrastes a priori a été utilisée. Le seuil de signification retenu était p < 0,05.

Les résultats

Les résultats relatifs aux textes présentés ici consistent en une note globale regroupant toutes les variables par rapport aux trois dimensions de la cohérence textuelle et des notes partielles détaillant les résultats obtenus dans chaque dimension. Ils sont suivis des résultats obtenus par rapport à la démarche de planification comprenant un résultat global et des résultats partiels. Notons que pour mieux saisir la nature des progrès réalisés par les élèves dans les trois dimensions de la cohérence, le lecteur pourra trouver une présentation d’exemples tirés de textes d’élèves ailleurs (Cavanagh, 2005).

Résultats obtenus au niveau du texte

Le tableau 1 présente les moyennes et les écarts-types pour les résultats bruts relatifs à toutes les variables ensemble (EN) tandis que le tableau 2 expose l’analyse statistique de ces résultats.

Tableau 1

La note globale regroupant toutes les composantes évaluées

La note globale regroupant toutes les composantes évaluées

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Tableau 2

L’analyse statistique relative au résultat global pour chacun des moments

L’analyse statistique relative au résultat global pour chacun des moments
1.

L’abréviation est décrite dans le texte.

*

p < 0,05 ;

**

p < 0,01 ;

***

p < 0,001

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Selon le tableau 2, le test d’analyse de la variance montre que lorsqu’on considère toutes les variables ensemble (EN), il existe entre elles une différence statistique significative (p < 0,001). La comparaison du prétest au post-test (contraste « T1 vs T2 ») révèle qu’il existe une différence significative (p < 0,001) en faveur de la moyenne au post-test 1, ce qui témoigne d’une progression notable de l’apprentissage entre ces deux moments. Par contre, en comparant le post-test 1 au post-test 2 (contraste « T2 vs T3 »), nous constatons une différence significative entre ces deux temps (p < 0,05), ce qui indique que la moyenne des sujets au post-test 2 est légèrement inférieure, et de manière significative, à celle du post-test 1. Cette différence à la baisse nous amène à conclure que l’apprentissage n’est pas demeuré stable. Toutefois, une analyse statistique complémentaire a montré qu’en dépit de cette baisse, il existe toujours une différence significative entre le prétest et le post-test 2 (F = 214,70 ; p < 0,001). Ces informations semblent intéressantes, car elles suggèrent que certains des apprentissages se seraient tout de même maintenus 10 semaines plus tard.

Pour déterminer la portion des trois dimensions de la cohérence textuelle dans le résultat global et, partant de là, la confirmation ou l’infirmation des sous-hypothèses 1 et 4, il faut examiner les résultats relatifs à chacune de ces dimensions, c’est-à-dire la cohérence situationnelle, la cohérence macrostructurelle et la cohérence microstructurelle.

La dimension « cohérence situationnelle »

Concernant la dimension « cohérence situationnelle » (SI), le tableau 3 présente les moyennes et les écarts-types pour les résultats bruts relatifs à chaque composante textuelle ayant fait l’objet d’une évaluation, soit les « raisons » (SIR), les « développements de paragraphes » (SID), les « terminaisons de paragraphes » (SIT) et « l’ouverture finale » dans la conclusion (SIO). Il est suivi du tableau 4 qui comporte l’analyse statistique de ces résultats.

Tableau 3

Les notes partielles pour la dimension « cohérence situationnelle »

Les notes partielles pour la dimension « cohérence situationnelle »
1.

Les abréviations sont décrites dans le texte.

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En examinant le tableau 4, on note qu’entre le prétest et le post-test 1(contraste « T1 vs T2 ») , il existe une différence significative en faveur de la moyenne au post-test 1 à l’endroit de chacune des composantes (p < 0,001). On peut donc dire que pour cette dimension de la cohérence, il y a eu un progrès significatif des apprentissages entre le prétest et le post-test 1, ce qui confirme une partie de la première sous-hypothèse selon laquelle les changements allaient s’observer au niveau du texte, notamment sur la dimension « cohérence situationnelle ».

Tableau 4

L’analyse statistique relative aux résultats partiels pour chacun des moments : la dimension « cohérence situationnelle »

L’analyse statistique relative aux résultats partiels pour chacun des moments : la dimension « cohérence situationnelle »
1.

Les abréviations sont décrites dans le texte.

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p <0 ,05 ;

**

p < 0,01 ;

***

p < 0,001

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De plus, si la comparaison des résultats entre les post-tests 1 et 2 par rapport à la note d’ensemble (SI) révèle une légère baisse de la moyenne, cette baisse n’est pourtant pas significative (p > 0,05), ce qui indique que les apprentissages sont demeurés stables dans les quatre composantes. Une observation semblable peut être faite à l’endroit de chacune des composantes de cette dimension (p > 0,05). Pris ensemble, ces résultats confirment donc en partie la quatrième sous-hypothèse prédisant que les élèves allaient transférer leurs apprentissages sur le plan du texte au niveau de la dimension « cohérence situationnelle ».

La dimension « cohérence macrostructurelle »

Le tableau 5 présente la moyenne et l’écart-type pour le résultat brut de la dimension « cohérence macrostructurelle » (MA). Il est suivi du tableau 6 qui comporte l’analyse statistique de ce résultat.

Tableau 5

Les notes partielles pour la dimension « cohérence macrostructurelle »

Les notes partielles pour la dimension « cohérence macrostructurelle »
1.

Les abréviations sont décrites dans le texte.

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Relativement à cette dimension aussi, on voit d’après le tableau 6 qu’il existe une différence statistique significative entre les résultats obtenus lors des trois tests (F = 134,90 ; p < 0,001). Spécifiquement, entre le prétest et le post-test 1 (contraste « T1 vs T2 »), il existe une différence significative en faveur de la moyenne au post-test 1 (p < 0,001), ce qui témoigne d’une forte augmentation des apprentissages et contribue ainsi à la confirmation de la première sous-hypothèse selon laquelle les changements allaient s’observer sur le plan du texte au niveau de la dimension « cohérence macrostructurelle ».

Tableau 6

L’analyse statistique relative aux résultats partiels pour chacun des moments : la dimension « cohérence macrostructurelle »

L’analyse statistique relative aux résultats partiels pour chacun des moments : la dimension « cohérence macrostructurelle »
1.

Les abréviations sont décrites dans le texte.

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p < 0,05 ;

**

p < 0,01 ;

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p < 0,001

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Si l’on compare maintenant les résultats entre le post-test 1 et le post-test 2, le tableau 6 indique que les apprentissages sont demeurés stables puisque la baisse de la moyenne enregistrée n’est pas significative (p > 0,05). Cela confirme donc en partie la quatrième sous-hypothèse prédisant que les élèves allaient transférer leurs apprentissages sur le plan du texte au niveau de la dimension « macrostructurelle ».

La dimension « cohérence microstructurelle »

À propos de la dimension « cohérence microstructurelle » (MI), le tableau 7 présente les moyennes et les écarts-types pour les résultats bruts relatifs à chaque composante, c’est-à-dire la « progression thématique » (MIPT), la « continuité par les reprises anaphoriques » (MICRA), l’expression des « relations entre les paragraphes » (MIREP) et celle des « relations à l’intérieur des paragraphes » (MIRIP). Il est suivi du tableau 8 qui comporte l’analyse statistique de ces résultats.

Tableau 7

Les notes partielles pour la dimension « cohérence microstructurelle »

Les notes partielles pour la dimension « cohérence microstructurelle »
1.

Les abréviations sont décrites dans le texte.

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Tableau 8

L’analyse statistique relative aux résultats partiels pour chacun des moments : la dimension « cohérence microstructurelle »

L’analyse statistique relative aux résultats partiels pour chacun des moments : la dimension « cohérence microstructurelle »
1.

Les abréviations sont décrites dans le texte.

*

p < 0,05 ;

**

p < 0,01 ;

***

p < 0,001

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L’examen du tableau 8 montre qu’entre le prétest et le post-test 1, il existe au plan global (MI) une différence significative en faveur de la moyenne au post-test 1 (F = 68,87 ; p < 0,001), ce qui démontre une progression notable de l’apprentissage dans le domaine de la cohérence « microstructurelle ». Toutefois, la prise en compte des différentes composantes révèle quelques variations dans les résultats obtenus. Ainsi, on observe une différence significative entre le prétest et le post-test 1 (contraste « T1 vs T2 ») pour les trois variables suivantes : « progression thématique » (MIPT : p < 0,001), « relations entre les paragraphes » (MIREP : p < 0,0001), et « relations à l’intérieur des paragraphes » (MIRIP : p < 0,01), ce qui témoigne d’un progrès sensible au niveau de ces aspects de la cohérence microstructurelle. Par contre, concernant la variable « continuité par les reprises anaphoriques », il n’existe aucune différence statistique significative entre les trois temps d’administration des tests (MICRA : p = 1), ce qui suggère que les élèves n’auraient pas effectué d’apprentissage dans cet aspect. Malgré cela, étant donné que la majorité des composantes de la cohérence « microstructurelle » présente une différence statistique significative (p < 0,001) entre le prétest et le post-test 1, nous pouvons dire que la première sous-hypothèse, selon laquelle les changements allaient s’observer au plan du texte, notamment sur la dimension « cohérence microstructurelle », est confirmée.

Comparons maintenant les résultats entre les post-tests 1 et 2 (contraste « T2 vs T3 »). D’abord, nous notons une différence significative au plan global en faveur du post-test 1 (MI : p < 0,05), ce qui indique que les apprentissages effectués relatifs à cette dimension ne se seraient pas maintenus. Toutefois, en examinant chacune des variables, on observe que pour les variables « relations entre les paragraphes » (MIREP) et « relations à l’intérieur des paragraphes » (MIRIP), les élèves ont transféré leurs apprentissages (p > 0,05). Par contre, cela n’est pas le cas pour la variable « progression thématique » (MIPT) (p < 0,01). Pour nuancer ce résultat négatif, précisons qu’une analyse statistique complémentaire a montré que relativement à cette dernière variable, il existe tout de même une différence significative entre le prétest et le post-test 2 (F = 276,00 ; p < 0,001). À la lumière de ces résultats mitigés, on peut conclure que la quatrième sous-hypothèse prédisant que les élèves allaient transférer leurs apprentissages sur le plan du texte au niveau de la dimension « cohérence microstructurelle », est en partie infirmée. Ainsi, par rapport à la note globale sur le texte (EN) présentée plus haut, et plus particulièrement en ce qui a trait à l’absence de maintien des apprentissages entre le post-test 1 et le post-test 2, nous constatons que c’est la variable « cohérence microstructurelle » qui aurait influencé ce résultat d’ensemble.

Résultats obtenus au niveau de la démarche rédactionnelle

Concernant la dimension « plan » (PL), le tableau 9 présente les moyennes et les écarts-types pour les résultats bruts relatifs à chaque composante, c’est-à-dire le découpage du « plan en parties distinctes » (PLPD) et son degré de « hiérarchisation » (PLHI). Le tableau 10 montre l’analyse statistique de ces résultats.

Tableau 9

Les notes globales et partielles pour la dimension « plan »

Les notes globales et partielles pour la dimension « plan »
1.

Les abréviations sont décrites dans le texte.

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Tableau 10

L’analyse statistique relative aux résultats concernant la démarche rédactionnelle pour chacun des moments : la dimension « plan »

L’analyse statistique relative aux résultats concernant la démarche rédactionnelle pour chacun des moments : la dimension « plan »
1.

Les abréviations sont décrites dans le texte.

*

p < 0,05 ;

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p < 0,01 ;

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p < 0,001

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En examinant le tableau 10, on note qu’entre le prétest et le post-test 1(contraste « T1 vs T2 »), il existe une différence significative en faveur de la moyenne au post-test 1, à la fois au niveau global (F = 106,87 ; p < 0,001) et au niveau partiel pour les deux variables impliquées (p < 0,001), ce qui confirme la deuxième sous-hypothèse selon laquelle le programme induirait des changements dans la démarche, c’est-à-dire par rapport à la planification.

La comparaison des résultats obtenus entre le post-test 1 et le post-test 2 (contraste « T2 vs T3 ») permet de constater une différence non significative pour les deux variables impliquées (p > 0,05), ce qui indique que les apprentissages réalisés dans le domaine de la planification se sont maintenus. Cela confirme la cinquième sous-hypothèse selon laquelle les élèves allaient transférer les apprentissages réalisés en planification.

Discussion

L’analyse des résultats permet de constater que la cohérence microstructurelle et, plus spécifiquement, les aspects reliés à la progression et à la continuité des idées semblent avoir posé le plus grand défi aux élèves. La continuité aurait été plus difficile à assurer que la progression puisque, alors qu’on n’enregistre aucun progrès dans l’emploi des anaphores aux deux post-tests, on remarque un progrès significatif en progression thématique entre le prétest et le premier post-test, même si ces apprentissages ne semblent pas avoir été maintenus lors du deuxième post-test.

Les faiblesses constatées dans ces deux aspects de la cohérence microstructurelle nous semblent s’expliquer en partie par la complexité inhérente aux opérations sous-tendant leur réalisation (De Weck, 1991), ce qui suggère des améliorations à apporter au programme. En effet, pour réussir à développer un argument en évitant des digressions et en assurant la reprise des informations de phrase en phrase, le scripteur doit exercer un contrôle métacognitif important sur son activité. Ce contrôle, qui prend la forme d’une vérification constante en cours de rédaction de ces éléments locaux par le biais de relectures successives, exige la mise en oeuvre de capacités évaluatives élevées et un haut degré de récursivité (Groupe EVA, 1996). Il est fort probable que la durée relativement courte de l’intervention n’a pas permis chez certains élèves l’automatisation de ces habiletés et qu’il faudrait donc prolonger l’intervention. En même temps, nos observations en classe nous amènent à penser que si l’enseignante disposait d’un meilleur soutien pour le modelage des stratégies, les élèves pourraient bénéficier d’une démonstration plus efficace de l’emploi de ces opérations complexes, ce qui pourrait influer favorablement sur le développement de cette habileté chez eux. Par exemple, il serait possible de détailler davantage les scénarios de modelage mis à la disposition de l’enseignante et d’offrir des exemples de ces modelages sur vidéos d’enseignants experts démontrant des façons d’impliquer les élèves dans le processus, comme le recommandent d’ailleurs certains chercheurs (Lafortune, Jacob et Hébert, 2000).

Si la complexité des opérations constitue une cause commune aux deux faiblesses constatées, des causes plus spécifiques à chacune d’elles incitent également à effectuer des changements au programme. Du côté de la progression thématique, l’absence de maintien des apprentissages peut s’expliquer par un manque de pratique dans l’emploi de la stratégie de vérification mise en place pour assurer la réalisation de cet aspect de la cohérence. Étant donné que cette stratégie a été présentée à l’étape de la dernière pratique autonome, les élèves n’ont eu qu’une seule occasion de l’exploiter, contrairement aux autres stratégies qu’ils ont pu réinvestir à trois reprises, car elles avaient été démontrées plus tôt dans la démarche. Conformément aux conclusions tirées par d’autres concepteurs de programmes (MacArthur, Graham, Schwartz et Schafer, 1995 ; De La Paz, 1997), cela fait ressortir l’importance, pour le transfert des stratégies, de leurs recontextualisations répétées. On devrait donc présenter cette stratégie pendant la deuxième phase de la démarche, et non pas plus tard que les autres stratégies.

Du côté de la continuité des idées, il est probable que les trois activités décontextualisées mises en place pour conscientiser les élèves aux divers procédés anaphoriques n’aient pas été suffisantes. Pour remédier à ce problème, il faudrait, d’une part, assurer la qualité des exemples d’enchaînement dans les textes à analyser afin que les élèves en prennent mieux conscience et, d’autre part, prévoir dans le programme une plus grande variété d’activités de manipulation portant sur cet aspect spécifiquement. En même temps, une nuance s’impose selon laquelle l’absence d’apprentissage enregistré pourrait être plus apparente que réelle. En fait, plusieurs élèves, lors du prétest, méconnaissant la structure du texte exigé, ont choisi de rédiger un récit plutôt qu’un texte argumentatif. Or, dans ce contexte plus familier du texte narratif, on a identifié un nombre plus élevé de traces d’enchaînement que dans les textes d’opinion rédigés au premier et au deuxième post-test. On pense que cette différence quantitative dans deux contextes différents a influencé le résultat de façon à le rendre moins représentatif des apprentissages réels.

Si l’explication des quelques résultats négatifs suggère des pistes d’amélioration du programme, celle des résultats majoritairement positifs, quant à elle, souligne l’intérêt de ce genre d’intervention pour la production de textes cohérents par de jeunes scripteurs et ce, malgré certaines limites sur le plan méthodologique. Il est vrai que l’absence de groupe témoin ne permet pas d’attribuer tous les progrès observés au seul programme d’intervention. D’autres facteurs, comme la maturation des sujets, par exemple, pourraient avoir influencé les résultats. De plus, l’analyse statistique effectuée ne permet pas de connaître le mérite respectif de chacune des nombreuses composantes du programme telles que l’étude des schémas de genre, la modélisation de l’enseignante, la simple pratique de l’écriture et l’entraînement à la planification.

Néanmoins, malgré ces limites, les résultats positifs obtenus soulignent la pertinence de l’orientation générale de l’intervention. D’abord, ils suggèrent l’importance de l’enseignement, en contexte communicatif, de la structure textuelle et de plusieurs stratégies spécifiques interdépendantes pour favoriser l’activation de l’ensemble des processus rédactionnels dont dépend la réalisation des trois dimensions de la cohérence. Ensuite, ils démontrent l’importance d’amener les élèves à s’approprier progressivement ces connaissances grâce à leur implication dans des tâches complexes pour que celles-ci soient bien intégrées. Enfin, ils confirment le bien-fondé de l’orientation de ces connaissances autour du schéma polyvalent qui a vraisemblablement conduit les élèves à effectuer la mise en relation constante des trois dimensions de la cohérence propice au réseautage des connaissances et au développement de la récursivité. Un tel réseautage de connaissances organisées – et donc durables et faciles d’accès (Tardif, 1999) – leur a permis de les transférer plus tard.

Conclusion

De façon générale, étant donné les résultats majoritairement positifs obtenus dans un laps de temps relativement court, on peut dire que les ajouts faits au premier programme d’intervention, à la lumière d’un cadre conceptuel enrichi, ont été bénéfiques du point de vue du développement de la capacité des élèves à gérer conjointement les trois dimensions de la cohérence textuelle. Plus spécifiquement, et conformément à d’autres recherches américaines du même genre (Danoff et al., 1993 ; De La Paz, 1997 ; Englert, 1992 ; Yeh, 1998), ces résultats mettent en évidence le bien-fondé de l’intervention complexe axée sur l’enseignement explicite de plusieurs stratégies d’écriture dans le contexte spécifique du type de texte rédigé pour amener les élèves à produire des textes plus cohérents. En même temps, les quelques résultats négatifs sur le plan de la cohérence microstructurelle suggèrent des façons d’améliorer le programme.

Il nous semble finalement que cette étude ouvre la voie à des recherches futures. Il serait notamment fort intéressant d’adapter ce programme à un autre type de texte et d’évaluer, dans le cadre d’une étude longitudinale, les effets de l’enseignement conjoint du texte d’opinion et de cet autre type de texte. Une telle étude fournirait des données permettant notamment de tracer l’évolution de la capacité des élèves à rédiger deux différents types de texte, à la fois du point de vue du produit et du processus, de comparer le développement de leur habileté selon le type de texte à rédiger et de vérifier s’il existe une interaction ou une indépendance entre différents ordres d’habiletés, par exemple, entre l’habileté à appliquer des schémas de texte et celle à articuler les phrases entre elles de façon cohérente. De plus, toujours dans le contexte d’une étude longitudinale, le recours à des analyses statistiques plus poussées permettrait d’évaluer la contribution respective des différents éléments de l’intervention, ce qui ne serait pas non plus sans intérêt du point de vue de l’amélioration du programme.