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En présentant en langue française les recherches de plusieurs universitaires novices ou confirmés, cet ouvrage collectif se démarque de la littérature en langue anglaise foisonnante consacrée à l’objet européen, notamment à la politique étrangère et de sécurité commune (pesc). L’originalité du livre tient, aussi, à la thèse défendue par les auteurs (politologues, historiens, juristes ou économistes) : l’Union européenne (ue) – en tant qu’acteur international dans sa plus large acception – est susceptible de se muer en puissance d’un nouveau type.

Après un propos liminaire illustrant les principaux débats relatifs à l’irruption sur la scène internationale de l’ue, la première partie traite de la genèse de l’ue en tant que nouvel acteur international, c’est-à-dire de l’institutionnalisation de l’action internationale de l’ue et des difficultés qui en découlent vis-à-vis des opinions publiques européennes. Le premier chapitre décrit, en effet, comment les États membres ont édifié un système dual et asymétrique, matérialisé par la logique maastrichtienne des « piliers » que l’architecture du projet de Constitution pour l’Europe visait à démanteler. Le deuxième chapitre aborde, d’un point de vue à la fois quantitatif et qualitatif, la question de la légitimation par les opinions publiques de la capacité de l’ue à agir dans l’ordre international.

La deuxième partie se centre autour des limites de la politique étrangère européenne : défense, droits de l’Homme, action humanitaire… Ainsi, la pesc, examinée par Frédéric Charillon dans le troisième chapitre, constitue à la fois une contrainte et une opportunité pour les politiques étrangères nationales des États membres auxquelles elle se superpose. Ainsi, la pesc procure un minimum de coordination diplomatique dont la carence fut éprouvée durant la crise des Balkans, mais elle demeure extrêmement tributaire des autres arènes institutionnelles multilatérales qui, très fréquemment, conservent la faveur des capitales européennes (chap. 4). Le chapitre suivant traite des obstacles à la mise en oeuvre de la politique européenne de sécurité et de défense (pesd), en particulier la « duplication » avec l’Alliance atlantique et la faiblesse des capacités budgétaires allouées. Par-delà l’aspect purement militaire, l’ue accorde une place prépondérante à l’aide humanitaire, thème central des chapitres 6 et 7. Les enjeux commerciaux, néanmoins sont rarement mis en balance et une politique européenne des droits de l’Homme peine à s’affirmer, même si l’office d’aide humanitaire de la Commission européenne (echo) tend à devenir un acteur majeur là où l’ue n’est pas présente au plan diplomatique.

Les relations de l’ue avec les grandes puissances (États-Unis, Russie, Chine) et les pays de son environnement immédiat (bassin méditerranéen, pays en développement, Caucase) font l’objet d’une troisième partie. Ainsi, entre l’ue et « l’hyperpuissance » américaine (chap. 8), un partenariat transatlantique à géométrie variable, reposant sur une définition conjointe des responsabilités, peut être envisagé. Quant au partenariat russo-européen (chap. 9), il repose sur une stratégie globale, tardive et pragmatique, qui échappe en grande partie aux instruments spécifiques de la politique étrangère. En contribuant de manière décisive à l’adhésion de la Chine à l’Organisation mondiale du commerce (omc), l’ue a pris le pari d’une libéralisation politique (chap. 10). En ce qui concerne le partenariat euro-méditerranéen (chap. 11), force est de reconnaître les carences politiques (voir l’exemple du conflit israélo-palestinien) du processus libéral engagé à Barcelone en 1995, même si la lutte antiterroriste pourrait modifier cette donne. Vis-à-vis des 77 pays d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (acp), la politique de coopération de l’ue souffre d’un manque évident de cohérence (chap. 12). Dans le Caucase (chap. 13), enfin, l’ue incarne essentiellement le rôle du bailleur de fonds, optant pour le principe de « subsidiarité inversée » et préférant s’effacer au profit d’autres acteurs internationaux (Groupe de Minsk, Nations Unies, osce, fmi, Banque mondiale...).

Dans sa dernière partie, l’ouvrage aborde la question du rôle de l’ue dans la régulation de la globalisation. Ainsi, à travers l’exemple de l’omc, Franck Petiteville souligne le décalage patent qui existe entre le poids prépondérant de l’ue dans les échanges commerciaux et son influence dérisoire dans la régulation de la globalisation marchande (chap. 14). L’examen des négociations agricoles internationales (chap. 15) apporte une nouvelle illustration des difficultés pour l’ue à faire admettre ses positions à la communauté internationale. À l’instar de la politique agricole commune, la politique audiovisuelle, et en particulier l’exception culturelle (chap. 16), fait figure de symbole de la résistance communautaire aux principes néo-libéraux et montre que la capacité de négociation de l’ue dépend, très largement, du niveau de mobilisation de groupes sociaux et professionnels. En revanche, dans le dernier chapitre, l’étude des engagements internationaux relatifs à la lutte contre le réchauffement climatique (Protocole de Kyoto, accords de Marrakech) révèle que l’ue a été un acteur prééminent en matière de protection internationale de l’environnement en se montrant capable d’assumer un véritable leadership.

En ciblant un lectorat élargi, l’ouvrage n’a d’autre ambition que de familiariser les étudiants et chercheurs francophones aux discussions qui animent les cénacles académiques internationaux. Il n’en demeure pas moins que les notes de bas de page, nombreuses et souvent pertinentes, permettent d’aller plus loin dans la réflexion et la mise en perspective des démonstrations avancées.