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La science politique francophone ne s’est intéressée que relativement tard à l’Union européenne. Dans une certaine mesure, les ouvrages de Christian Lequesne, Sophie Meunier, Sabine Saurugger, Patrick Le Galès, Emiliano Grossman et Andy Smith, tous parus dans les dix dernières années, ont permis de redresser cette situation. Il existe maintenant un solide corpus de recherches politologiques sur l’ue en français. À cet égard, la création de la revue Politique européenne, en 2000, a donné à la communauté des chercheurs francophones un utile point d’ancrage.

Toutefois, pour celui qui souhaite enseigner l’ue dans une perspective de science politique, les manuels font cruellement défaut. On trouve un certain nombre de manuels de nature juridique ou administrative, de même que plusieurs petits ouvrages introductifs, du type Repères ou Que sais-je ? Mais en dépit de la publication récente du livre de Paul Magnette, Le régime politique de l’Union européenne, et de la réimpression du très bref Système politique de l’Union européenne, de Jean-Louis Quermonne, les étudiants francophones n’ont toujours pas accès à l’équivalent des magistraux Policy Making in the European Union, de Wallace et Wallace, ou encore The Political System of the European Union, de Simon Hix. Ces gros volumes inscrivent les politiques et le fonctionnement de l’ue, décrites en détail, dans une perspective théorique large et stimulante.

Un aspect de la discipline qui se trouve particulièrement négligé en français est celui des « théories de l’intégration européenne ». Outre le fait que la presque totalité des recherches théoriques sont publiées en anglais, le lecteur anglophone a accès à plusieurs ouvrages de synthèse, notamment Theories of European Integration, de Ben Rosamond, et European Integration Theory, d’Antje Wiener et Thomas Diez.

Le livre de René Schwok, Théories de l’intégration européenne, vient donc combler une importante lacune. Écrit par un politologue pour des politologues, cet ouvrage est d’abord remarquable pour ses qualités didactiques. Dans un langage clair et précis, Schwok passe en revue les approches théoriques qui dominent le champ international des études de l’ue : fédéralisme, fonctionnalisme, transactionnalisme, néofonctionnalisme, réalisme, intergouvernementalisme, institutionnalisme, constructivisme et gouvernance multiniveaux.

Chacun des neuf chapitres est centré sur une approche théorique et organisé de la manière suivante : Schwok expose d’abord les prémisses intellectuelles de l’approche discutée ; il en décrit ensuite les principales propositions théoriques dans une section intitulée « développements » ; puis il soumet ces approches à une critique courte et raisonnée, pour terminer par une discussion de leurs principales contributions à la discipline.

Schwok prend soin de lier chacune des approches au contexte épistémologique et historique de son élaboration, de même qu’à des phénomènes concrets de l’intégration européenne ou à des questions d’actualité. Des encadrés permettent de mieux saisir la relation entre les théories de l’intégration européenne discutées et les grands courants de la science politique.

Théories de l’intégration européenne comprend également une bibliographie fort utile d’environ 120 ouvrages. À l’exception de Neil Fligstein, Alec Stone Sweet et Wolfgang Wessels, la plupart des auteurs qui dominent le champ y sont représentés, ce qui permettra au lecteur d’approfondir sa connaissance d’une théorie ou d’une autre par la lecture des textes originaux.

Au chapitre des réserves, on regrettera qu’une section n’ait pas été consacrée aux approches sociologiques émergentes, par exemple celles d’Andy Smith et de Cris Shore sur la Commission européenne, de Didier Bigo sur la justice et les affaires intérieures, ou d’Adrian Favell sur les migrants. Le travail d’édition n’est pas exempt de tout reproche, avec un certain nombre de coquilles et de redites, ce qui est malheureusement caractéristique des ouvrages publiés par les maisons françaises, que ce soit Montchrestien ou L’Harmattan.

Pour le meilleur et pour le pire, l’Union européenne a fait depuis ses débuts l’objet d’un important foisonnement théorique. Il m’apparaît donc impossible de préparer un enseignement sur l’ue sans y inclure le livre de M. Schwok, qui introduit l’étudiant comme le chercheur à une importante littérature internationale rarement disponible en français. Que ce soit pour un cours de premier cycle ou plus avancé, Théories de l’intégration européenne complètera admirablement les ouvrages sur le fonctionnement de l’ue, comme ceux de Magnette ou Quermonne. Il ne manque plus à notre dispositif pédagogique qu’un recueil d’extraits des grands classiques de l’intégration européenne traduits en français.