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Introduction

Dans un contexte de vieillissement de la société québécoise, le nombre de personnes atteintes de cancers ou de maladies chroniques augmente (Ross et al., 2002). Ces maladies, souvent multiples et combinées entre elles, teintent les interventions auprès de la clientèle âgée. Quand les soins curatifs ne sont plus de mise, les malades sont dirigés vers les soins palliatifs[1]. De 5 % à 10 % des personnes en phase terminale bénéficient de ce type de soins (Lambert et Lecomte, 2000). Progressivement, des intervenants de toutes disciplines et de tous les milieux de pratique s’y intéressent : nous pensons aux médecins, infirmières, travailleurs sociaux, psychologues et pharmaciens (Ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec, 2004). Dans un contexte bien documenté de réforme dans le réseau de la santé ayant entraîné une désinstitutionnalisation des soins au Québec (Lavoie et al., 1998), on note un retour des soins à domicile, y compris des soins palliatifs. Conséquemment, les intervenants oeuvrant dans le milieu des soins de santé sont quotidiennement confrontés à une nouvelle clientèle, plus âgée, qui exprime son désir de demeurer à domicile le plus longtemps possible (McClement, 2001), et même jusqu’à la mort. D’aucuns y voient un retour aux traditions anciennes, d’autres observent plutôt l’émergence de nouvelles pratiques : la mort à domicile dans une approche de soins qui peut être hautement technologique et avant tout axée sur le confort des malades. Les proches aidants sont les principaux acteurs lors des soins à domicile qu’ils assurent à hauteur de 75 % (Chapell, 2001). Les soutenir demeure une priorité, car prodiguer les soins palliatifs ne doit pas entraver leur santé (Ministère de la Famille et de l’Enfance, 2001). De plus, sans leur étroite participation, les soins palliatifs à domicile ne seraient pas envisageables.

Bien qu’ils soient au coeur de la réussite d’une expérience de soins palliatifs à domicile et qu’ils soient partie prenante de l’ensemble de l’accompagnement d’une personne en fin de vie, les proches aidants sont peu présents dans les écrits scientifiques traitant des soins palliatifs à domicile. Lorsqu’ils sont pris en considération, les recherches abordent leurs rôles (Martens et Davies, 1990), leurs besoins (Hileman, Lackey et Hassanein, 1992 ; Payne, Smith et Dean, 1999 ; Proot et al., 2003) et l’impact qu’ont ces soins à domicile sur eux (Wiley, 1998 ; Mongeau et al., 2000). Dans un contexte scientifique où peu d’études se sont intéressées à l’expérience globale des proches aidants, et dans un environnement social caractérisé par un retour de l’expérience du mourir à domicile dans une société vieillissante et par le développement de soins palliatifs dans divers milieux de pratique – y compris le domicile –, nous avons décidé de faire ressortir les éléments influençant l’expérience à partir du point de vue des proches aidants ayant accompagné leur conjoint âgé en soins palliatifs à domicile. Ces derniers sont aussi des aînés ; en fait, ce sont surtout des femmes aînées. Nous nous attardons principalement à l’identification des conditions – favorables, défavorables ou les deux à la fois – qui permettent à l’aidant de dispenser des soins palliatifs à domicile à son conjoint âgé. Après avoir exposé les informations méthodologiques, nous présenterons des résultats, une réflexion intégrée et quelques problèmes posés par la pratique en soins palliatifs. En guise de conclusion, nous proposons une réflexion sur les pratiques et l’application d’une récente politique sociale, car, dans notre société qui se repositionne face au mourir à domicile, il convient de se demander comment mieux accompagner ces proches aidants âgés, et ce faisant, comment mieux accompagner les mourants.

Méthodologie

Pour comprendre l’expérience des aidants de 60 ans et plus accompagnant leur conjoint en soins palliatifs à domicile, nous avons réalisé huit entrevues. Le décès du conjoint malade devait remonter à plus de six mois et à moins de trois ans. Les entrevues individuelles semi-structurées sous la forme d’un récit expérienciel ont été menées à l’aide d’une grille d’entrevue bâtie à partir de la recension des écrits.

Le recrutement des aidants fut effectué selon deux techniques, soit le volontariat et le bouche à oreille. Nous avons obtenu la collaboration de deux organismes communautaires – l’un à Sherbrooke, l’autre à Trois-Rivières – et utilisé les affiches et les annonces dans les journaux pour constituer un échantillon de cas typiques selon l’approche du « purposeful sampling » (Patton, 2002). Cette technique d’échantillonnage fait ressortir ce qui est normal et typique dans l’expérience de soins. Notre échantillon comprend un homme et sept femmes âgés entre 65 ans et 83 ans. Ayant rencontré deux sexagénaires, quatre septuagénaires et deux octogénaires, nous pouvons affirmer que leurs propos traduisent les réalités des divers âges de la vieillesse. En raison de la diversité des maladies, la durée des soins palliatifs à domicile a varié entre une semaine et un an. Six conjoints sont décédés à la suite de cancers et les deux autres d’une maladie chronique (pulmonaire et cardiaque). Même si les soins palliatifs se sont déroulés à domicile, plus de la moitié des personnes malades sont décédées après quelques heures ou quelques jours (pour un maximum de trois jours) en milieu hospitalier ou à la maison de soins palliatifs. Pour ces derniers, l’expérience de soins palliatifs à domicile a été plus déterminante que le lieu du décès.

L’analyse des données fut faite selon l’approche thématique de type mixte de Huberman et Miles (1991), avec codification à double entrée : émergence de thèmes dans les propos des proches aidants interviewés et repérage de thèmes et de sous-thèmes relevés dans la recension des écrits. Nous avons ensuite élaboré des matrices conceptuelles pour répondre à chacun des objectifs de la recherche. La vérification et la confirmation des résultats furent effectuées selon les tactiques proposées par Huberman et Miles (repérer les patterns, les thèmes ; regrouper ; subsumer le particulier sous le général, etc.). Le tout a été saisi et analysé en recourant au logiciel QRS N’Vivo.

L’accompagnement en soins palliatifs à domicile de son conjoint âgé : un modèle, une discussion et des réflexions pour la pratique

Cette section rassemble la présentation des résultats, une réflexion intégrée sur l’articulation des divers éléments du modèle proposé en lien avec l’état des connaissances et l’exposé de quelques enjeux posés par la pratique. Notre modèle sur les représentations de l’expérience de soins palliatifs à un conjoint âgé selon le proche aidant (figure 1) permet de cerner la complexité et la variabilité des conditions influençant l’accompagnement en soins palliatifs à domicile. Cinq éléments entrent en jeu pour façonner la représentation : les caractéristiques du conjoint malade, les caractéristiques de l’aidant, l’histoire familiale, l’aide formelle et l’aide informelle.

Figure 1

Modèle de représentation de l’accompagnement en soins palliatifs à domicile du point de vue de l’aidant

Modèle de représentation de l’accompagnement en soins palliatifs à domicile du point de vue de l’aidant

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Caractéristiques du conjoint malade

Le malade âgé en fin de vie se situe au coeur de l’expérience de soins palliatifs à domicile. Trois caractéristiques lui étant propres influencent la représentation que se fait l’aidant de son expérience : le type de maladie, le degré d’autonomie physique et l’attitude envers le proche aidant.

Ce n’est pas tant le type de maladie dont souffre le conjoint malade que ses différents symptômes de douleur physique ou d’autres souffrances qui affectent l’aidant. Dans notre étude, la majorité des douleurs physiques du malade étaient adéquatement contrôlées par la médication. « Il n’était pas souffrant, alors ça a facilité les choses » (entrevue no 3). Les symptômes de la maladie colorent l’expérience de soins, car, en l’absence du soulagement des douleurs, les aidants gardent des souvenirs négatifs de leur expérience de soins (Mongeau et al., 2000). Les soins sont plus importants lors d’une maladie comme le cancer (Levine, 2003). Puisque cette maladie est l’une des plus importantes causes de décès dans notre société, que son incidence est plus élevée avec l’avance en âge (Statistique Canada, 2001) et que les soins palliatifs sont plus souvent offerts aux personnes qui en sont atteintes, notre échantillon représente bien la réalité des aidants en soins palliatifs.

La progression de la maladie entraîne souvent une diminution de l’autonomie physique du malade. Tant que celui-ci la préserve partiellement, il est plus facile pour l’aidant d’en prendre soin. Par contre, lorsque le malade est alité, qu’il se déplace difficilement ou qu’il ne semble pas conscient, le fardeau des proches aidants augmente, et les soins palliatifs à domicile deviennent plus exigeants. « En dernier, je changeais son lit, je le changeais de couche, je lui donnais son bain, le souper, c’était plus difficile un peu de le tourner. ?…] Ça faisait un bout de temps qu’il ne se levait pas du lit. Je lui donnais son bain au lit, tout était au lit » (entrevue no 4). En fait, les besoins en soins augmentent avec la dépendance du malade (Wiley, 1998). C’est alors que l’aide formelle entre en jeu, plus particulièrement sous la forme de services spécialisés. Mais qu’en est-il quand ils sont absents ? Le fardeau de l’aidant peut-il être allégé autrement ?

L’attitude du conjoint envers son proche aidant a aussi une influence directe sur la représentation des soins. Devant un conjoint transformé, l’expérience de soins s’avère plus confrontante. Pour certains aidants, les soins palliatifs s’inscrivent dans la continuité de leur dynamique de couple, alors que pour d’autres, les changements dans le caractère du malade favorisent ou nuisent à l’accompagnement en soins palliatifs à domicile. Ainsi, un conjoint doux peut devenir agressif ou un conjoint contrôlant peut s’abandonner complètement à son épouse. « Parce que ses facultés, à un moment donné, il les a perdues. Il n’était plus le même du tout. Un homme qui était plutôt gai, bien là, il ne l’était plus » (entrevue no 5). Pour contribuer au bon déroulement des soins, Martens et Davies (1990) affirment que le malade doit, entre autres, exercer un certain autocontrôle, maintenir un soutien autour de lui et, surtout, ne pas perdre espoir malgré l’évolution de la maladie. Nos résultats, bien que formulés différemment et imputant moins de responsabilités au malade, vont dans le même sens. Au moins deux questions demeurent : les intervenants formels sont-ils outillés pour influencer le malade ? Quelles sont leurs actions auprès du malade qui, à sa façon, malmène son aidant ?

Caractéristiques du proche aidant

Afin de mieux saisir l’expérience des proches aidants dans sa dynamique intrinsèque, voyons comment elle est influencée par leur âge, leur état de santé, leur attitude, leur spiritualité et leur formation dans le domaine de la santé. De prime abord, mentionnons, à notre grande surprise, que le genre de l’aidant n’influence pas sa représentation de l’expérience de soins palliatifs.

L’âge des aidants façonne l’accompagnement en soins palliatifs. Pour certains, il rime avec sagesse et expérience. Les conjoints d’aînés, étant aussi des personnes âgées, ont un statut social de retraité qui leur confère peu ou pas d’obligations professionnelles et une gestion de leur temps qui facilite l’ajustement aux exigences des soins à domicile. « Encore une fois, il faut que je le dise, j’étais à la retraite. Puis, je n’avais pas 83 ans. Tu sais, il y a tout ça qui a fait que j’avais 62 ans puis que j’étais en pleine forme » (entrevue no 8). Prendre soin de son conjoint âgé signifie habituellement que le proche aidant est également âgé. À notre connaissance, aucune étude ne s’est intéressée à l’impact de l’âge de l’aidant sur son expérience en soins palliatifs.

Tous les proches aidants rencontrés ont affirmé qu’ils ont consenti à donner des soins palliatifs alors qu’ils étaient en bonne santé et que leur état s’est détérioré avec la prolongation de l’accompagnement. La fatigue et l’épuisement font prendre conscience aux aidants de leurs propres limites et les amènent à reconsidérer leur décision en cours de processus (Lamontagne, 2004). « J’ai pensé que d’abord j’ai une assez bonne santé, mais à un moment donné, quand elle dépérit… » (entrevue no 5). Nos résultats concordent avec ceux de Wiley (1998) qui indiquent que plus l’état de santé du malade se fragilise, plus celui de l’aidant se détériore. Quels sont les gains à laisser les aidants prodiguer des soins palliatifs à domicile, sachant que les effets peuvent en être néfastes ?

L’attitude des aidants à l’égard de la maladie et des soins palliatifs influe sur leur représentation de leur expérience ; leur grande force psychologique devient un élément clé leur permettant de combattre. Selon eux, leur attitude généralement positive et optimiste leur permet de voir et d’apprécier des moments favorables dans des situations plutôt difficiles. « Moi, j’ai pu le vivre parce que j’étais peut-être plus forte mentalement. Je suis une personne mentalement assez forte… » (entrevue no 1). Le maintien du sentiment d’espoir tout au long des soins devrait toujours guider les interventions. Dans notre étude, le combat contre la maladie est vécu comme une façon de garder espoir. Selon Mongeau et al. (2000) et Proot et al. (2003), les intervenants ont la responsabilité de maintenir ce sentiment durant l’évolution de la maladie, et ce, même si les jours du malade sont comptés.

Parmi nos participants, la spiritualité est abordée surtout sous l’angle d’une religion qui réconforte et aide à passer à travers cette expérience d’accompagnement vers la mort. « Moi, je sortais de mon heure de messe où ça m’apportait une paix intérieure. Puis ça me permettait de continuer. Puis, je ne me sentais pas toute seule » (entrevue no 3). Les derniers jours d’un être cher suscitent souvent la recherche d’un sens à la vie, une quête spirituelle. Hileman et al. (1992) soulignent la stabilité des pratiques religieuses pendant le processus de soins. Certains aidants se tournent vers une forme de spiritualité, mais d’autres, selon leurs habitudes antérieures, n’en voient pas l’utilité. Les communautés religieuses offrent la majorité des services dans ce domaine, le plus souvent par la visite d’un représentant religieux à domicile (Steel et Vitale, 2003). L’intervenant professionnel est invité à respecter le choix de l’aidant dans son besoin de soutien spirituel, et ce, peu importe ses croyances personnelles.

Les aidants ayant préalablement reçu une formation en soins infirmiers ou de préposé aux bénéficiaires savent plus à quoi s’en tenir, ce qui les amène à vivre moins d’insécurité face aux soins. En cours de processus, les conseils et enseignements relatifs aux besoins du malade et aux soins à apporter sont appréciés et favorisent le sentiment de compétence. « Au CHUS, je suis allée avant, deux jours pour prendre des cours. Ils m’ont montré, comme il le faut, à faire le gavage. Je l’ai fait comme il le faut ! » (Entrevue no 1.) Mais le contexte actuel de soins est-il propice à ce type d’enseignement ? Qu’en est-il dans un contexte de restriction du temps à consacrer aux interventions ? Plusieurs écrits révèlent aussi une lacune flagrante dans la formation en soins palliatifs des intervenants de la santé ; elle devrait entrer dans les priorités d’actions nationales (Carstairs, 2005). Comment peuvent-ils prodiguer des soins palliatifs de manière à répondre aux besoins de l’aidant et du malade ?

Enfin, mentionnons que les notions de pouvoir sur l’action et de liberté d’action demeurent primordiales (Proot et al., 2003). Durant le processus, les proches aidants expriment leur besoin de réfléchir sur leur engagement envers leur conjoint. C’est à ce moment qu’ils peuvent renoncer à poursuivre les soins à domicile pour diriger la malade vers des soins dans un autre milieu ou persister dans un choix qui se veut éclairé. Dans le contexte actuel, on peut se demander si les aidants bénéficient de toute la souplesse souhaitée quand ils composent avec des services publics organisés selon une autre logique que la leur, qui consiste à vivre au rythme du malade.

Histoire familiale

Lors de l’expérience de soins, l’histoire familiale (valeurs partagées à la lumière des expériences passées et climat familial) teinte la dynamique actuelle du couple et module l’accompagnement. Les valeurs et les expériences passées réfèrent souvent à la continuité des traditions. Ainsi, les aidants ayant une expérience familiale en soins de fin de vie se sentent aptes à donner le même genre de soins à leur conjoint. « Il a dit : “ C’est drôle ma mère, elle l’a gardé. ” Sa mère puis son père sont morts à la maison aussi. Je ne sais pas pourquoi moi, je ne pourrais pas » (entrevue no 4). Le climat familial est facilitant dans la mesure où la bonne entente familiale se concrétise par une aide mutuelle. En revanche, l’existence de tensions au sein de la famille peut entraîner un stress supplémentaire chez les aidants.

I : Au niveau de ce qui est arrivé avec ses enfants, c’est ça qui a été le plus difficile ?
R : Les dernières semaines, c’était difficile. Ça, c’était beaucoup plus… ça me dérangeait beaucoup plus que la maladie de mon mari. Je les voyais arriver, puis des fois ça me « shakait » en dedans. Alors, c’était très difficile. Si ça avait été juste de la maladie de mon mari, ça se serait passé comme du beurre dans la poêle. Mais eux, ils ont bousculé les affaires beaucoup, beaucoup. (Entrevue no 4)

Les traditions familiales, empreintes de toute l’histoire familiale, se traduisent en dynamiques singulières. Peu ou pas d’études se sont intéressées à ce sujet. Selon Strang, Koop et Penen (2002), la maladie prend toute la place dans la famille. C’est souvent l’occasion de régler les conflits et les intervenants sont amenés à agir comme médiateurs de ces différends.

Aide formelle

C’est de l’aide formelle que vient le plus de soutien aux soins du malade. Les soins et services prodigués par divers intervenants varient d’une région à l’autre, tout en étant concentrés autour de dispensateurs clés : centres locaux de services communautaires (CLSC), organismes communautaires, médecins, hôpitaux et communautés religieuses.

Les CLSC, principalement les services infirmiers, sont de très grands dispensateurs de services touchant les soins à domicile, particulièrement pour les soins en fin de vie. Leurs visites régulières apportent un soutien fort apprécié des aidants. Dans les soins d’hygiène, le bain donné par un préposé soulève des commentaires divergents tout en se révélant facilitant pour plusieurs aidants. Finalement, l’apport économique des CLSC, à travers une aide matérielle, est très prisé par les aidants.

Il y avait le CLSC aussi qui donnait un bon service. L’infirmière venait… en dernier, elle venait tous les jours ; au début, elle venait deux fois par semaine. Puis ils n’étaient pas regardants. Tu sais, si j’avais besoin de quelque chose, ils me l’amenaient. Puis ils répondaient bien à ce dont j’avais besoin. (Entrevue no 4)

En parallèle aux services du réseau public, les aidants apprécient le soutien offert par les organismes communautaires de leur région : transport, visites de bénévole ou répit. Par contre, les aidants sont affectés par la restriction de l’offre d’aide.

[…] la représentante de l’organisme pour donner de l’aide. Supposons que j’avais eu besoin de sortir quelque chose, elle aurait pu venir garder un petit peu. Alors, elle était venue me rencontrer. Puis bien justement, dans le temps, c’étaient les vacances et puis il y avait plus ou moins de personnel. (Entrevue no 4)

Les médecins qui vont à domicile ont aussi un rôle important à jouer pour rassurer et soutenir les aidants. Leur disponibilité jour et nuit sécurise les aidants. « Le docteur a été mon sauveur parce qu’il était encourageant. Il trouvait que j’en avais trop. Il n’avait jamais vu une femme aussi déterminée. Puis c’était ça. C’était ça, il fallait que ça aille par là » (entrevue no 2).

L’hôpital fait également partie de la réalité des soins à domicile. À diverses reprises, les malades requièrent des soins spécialisés en milieu hospitalier en séjour de courte durée. Ces moments à l’hôpital donnent du répit à l’aidant.

Enfin, les représentants de communautés religieuses proposent un soutien moral et spirituel. Pour ceux qui acceptent ce type d’aide, ces visites apportent réconfort à l’aidant comme au malade.

L’importance du réseau d’aide formel dans le don de soins à domicile est maintenant fermement établie. Les intervenants formels ont la lourde tâche de soutenir les aidants et de combler la plupart de leurs besoins sans pour autant prendre toute la place dans leur accompagnement (Hileman et al., 1992 ; Payne, Smith et Dean, 1999). Les intervenants ne peuvent imposer leur façon de faire sans consulter les principaux intéressés : l’aidant et la personne en fin de vie. En présence d’aidants, les intervenants du réseau de la santé se retirent en raison d’un manque de ressources (Lambert et Lecomte, 2000). Un aidant âgé retraité, en théorie plus disponible qu’un autre, se voit offrir moins de services. Socialement, cela nous préoccupe, car on sait que le fait de laisser l’aidant à lui-même aura des impacts sur sa santé physique et mentale. Sans soutien adéquat, on risque de se retrouver sous peu avec un autre aîné à soigner. Proot et al. (2003) soutiennent qu’un réseau de soutien suffisamment étoffé peut prévenir l’épuisement chez les aidants, ce que nous avons aussi constaté. Notre réseau de la santé est-il capable d’offrir une gamme de services nécessaires à un soutien adéquat à domicile ? Sommes-nous prêts ? Qu’en est-il de l’équité selon l’âge ?

Aide informelle

L’aide informelle comprend d’abord tout le soutien technique apporté par les enfants, la famille et les proches du couple. Elle peut se traduire par des travaux domestiques, du répit, de l’aide pour les soins au malade, du transport pour le malade ou l’aidant, etc. « Elle a été avec son père presque tous les jours. Moi, des fois, ça ne me le disait pas de le frictionner ou tout ça. Ma fille le faisait… » (entrevue no 1). Par ailleurs, la famille et les proches apportent plus souvent qu’autrement à l’aidant une aide morale et psychologique qui se traduit par des visites et des contacts téléphoniques. Sans ce soutien affectif, les soins à domicile seraient plus ardus. « Mon fils venait avec ses enfants. Il venait se baigner. Puis il y avait l’aide matérielle et il y avait aussi l’aide psychologique. Il me faisait du bien quand il était ici » (entrevue no 8). Martens et Davies (1990) affirment que les aidants préfèrent utiliser leurs propres ressources et celles de leur conjoint malade avant de se tourner vers leur famille ou leurs proches ; ils éprouvent beaucoup de difficultés à demander de l’aide aux membres de leur famille (Payne et al., 1999) et montrent une certaine réticence à recourir à de l’aide formelle (Paquet, 1997). Enfin, un réseau d’aide informel étoffé n’est pas garant d’une participation soutenue de la part de ses membres. Idéalement, l’aidant et le malade comptent sur le réseau d’aide formel pour combler les besoins demandant une certaine expertise professionnelle. Ensemble, les réseaux de soutien formel et informel peuvent répondre aux besoins ressentis par les conjoints.

La représentation de l’accompagnement

En somme, l’accompagnement en soins palliatifs à domicile est d’abord et avant tout un engagement de couple influencé par toute une histoire familiale. La représentation que l’aidant se fait de son expérience varie en fonction de plusieurs éléments. L’aidant est en interaction constante d’abord avec son conjoint, puis avec les proches et les personnes des réseaux formel et informel. Le conjoint et la conjointe interagissent différemment avec ce réseau. Surtout, la richesse de l’expérience dépasse la simple collection ou le simple calcul d’aspects positifs et négatifs. La relation de complémentarité entre les éléments formant notre modèle permet de tenir compte de l’unicité de chacune des expériences de soins. C’est pourquoi les difficultés qui se posent ne compromettent pas nécessairement la représentation positive de l’expérience globale, car d’autres aspects facilitants peuvent avoir un poids symbolique beaucoup plus important.

Forces et limites

Notre étude comporte des forces et des faiblesses. Son principal point fort demeure son originalité. À notre connaissance, aucune étude n’a abordé le point de vue de l’aidant âgé pour comprendre les diverses facettes de l’expérience en soins palliatifs à domicile. Notre étude étant qualitative et exploratoire, d’aucuns pourront critiquer la taille ou la constitution de l’échantillon. Nous avons limité les impacts de cette situation en nous assurant que le matériau recueilli permettait d’atteindre les objectifs de notre étude, en particulier celui présenté dans cet article, soit la connaissance des représentations des facteurs influençant l’expérience de soins palliatifs à domicile. Les conjoints aînés ayant eu une expérience très difficile de soins palliatifs ne sont pas représentés dans notre étude. Deux hypothèses peuvent expliquer cette situation : 1) les aidants ayant vécu une expérience négative ne sont peut-être pas prêts à en parler ouvertement ; 2) les aidants ayant éprouvé des difficultés ont peut-être cessé rapidement l’accompagnement à domicile, de sorte qu’ils ne se considéraient pas comme une personne ayant prodigué de tels soins.

Conclusion

Notre étude s’est penchée sur les soins palliatifs à domicile entre conjoints âgés. Nous supposions qu’elle comportait un intérêt spécifique, car l’accompagnement en fin de vie est une expérience éprouvante, plus encore peut-être avec l’avance en âge. Nous avons rencontré des gens sereins et heureux de leur expérience, capables d’en parler en évoquant ses beaux et ses moins beaux côtés. Nous avons élaboré un modèle permettant d’articuler plusieurs éléments concourant de façon intrinsèque et extrinsèque à la représentation de l’accompagnement de l’aidant âgé. Nous avons discuté des résultats en abordant chacun des éléments et en exposant diverses façons par lesquelles les intervenants formels pouvaient agir sur chacun d’entre eux pour faciliter l’expérience des aidants. La réflexion sur les façons de mieux soutenir l’expérience de soins, en particulier celle du conjoint aidant âgé, est lancée. La Politique en soins palliatifs de fin de vie (Ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec, 2004), souligne, entre autres, l’importance des intervenants formels lors des soins palliatifs à domicile. Une des priorités de cette politique est de concevoir et d’implanter des protocoles et des normes de pratiques permettant une meilleure intervention de la part des acteurs du milieu. Les résultats de notre étude nous permettent de proposer quelques pistes d’action et ainsi de contribuer à guider les pratiques. Plusieurs pistes d’intervention en soins palliatifs peuvent aussi être proposées dans un contexte de mise en place de réseaux intégrés de soins et de services à la population âgée.

Premièrement, un intervenant devrait être chargé d’informer les aidants âgés des services d’aide existants dans leur région dès le début des soins à domicile, soit les services offerts par les CLSC, les organismes communautaires et toutes les autres instances oeuvrant auprès d’individus en fin de vie. Cela permettrait de maximiser la connaissance et les choix possibles tout en diminuant le nombre de démarches. Deuxièmement, la continuité des soins et des services s’impose. Les aidants n’ont ni le temps ni l’énergie pour s’enquérir des divers paniers de services offerts par les organismes pouvant les soutenir. Cela demande donc une concertation entre les organismes et le suivi d’une logique d’action. Troisièmement, même si l’aide offerte est d’abord refusée, elle devrait toujours rester disponible, car les besoins se transforment avec l’évolution de la maladie ; ce qui peut nécessiter une présence plus ou moins soutenue de la part des intervenants des organisations formelles publiques, communautaires ou d’économie sociale.

Depuis peu, le gouvernement du Québec met l’accent sur les soins palliatifs à domicile ; tout citoyen devrait pouvoir finir ses jours dans son milieu de vie (Ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec, 2004). Nous avons tout avantage à continuer la recherche sur l’accompagnement en soins palliatifs à domicile afin que les services offerts soient efficaces et surtout appréciés par les utilisateurs.