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Introduction

Depuis « Sensibiliser, décider, agir » (1994), premier colloque sur les agressions sexuelles en Ontario français, le développement des services en français (SEF) en matière de violence contre les femmes a suivi un chemin tortueux, parsemé d’embûches, mais aussi de certains gains. En 2004, Action ontarienne contre la violence faite aux femmes (AOcVF)[1] souhaitait en dresser un bilan grâce à la réflexion menée autour d’une recherche[2].

Cette réflexion n’est pas récente. Fruit de la concertation et d’un travail collectif, tout particulièrement dans les centres d’aide et de lutte contre l’agression à caractère sexuel (Calacs) et dans les maisons d’hébergement pour femmes victimes de violence conjugale, elle a été enrichie plus récemment par les organismes partenaires d’AOcVF : la Fédération de la jeunesse franco-ontarienne (FESFO), le Mouvement ontarien des femmes immigrantes francophones (MOFIF), le Centre ontarien de prévention des agressions (COPA) et OPALE (regroupement de femmes francophones handicapées de Prescott-Russell). Tous ces organismes souhaitent la mise en place et l’épanouissement d’un réseau complet de SEF en matière de violence contre les femmes, géré par et pour les femmes francophones de l’Ontario. D’ailleurs, c’est un des grands principes confirmés lors des États généraux de novembre 2004 pendant lesquels cent cinquante personnes provenant des mêmes organismes ont entériné les résultats et les conclusions du bilan. Bref, tous ont validé la réflexion.

La présente réflexion s’ouvre sur la définition de la violence et, comme le développement des SEF en matière de violence contre les femmes s’est fait sous le sceau de l’approche féministe, nous en verrons quelques principes. Par la suite, nous présenterons un bref historique des SEF, leurs services et leurs clientèles. Le financement étant le moteur des SEF, nous en ferons une courte analyse, puis, nous terminerons en présentant les recommandations des organismes en vue d’obtenir un réseau complet de SEF à la grandeur de l’Ontario.

Approche féministe et philosophie du mouvement contre la violence

Les SEF ont adopté la définition suivante de la violence :

[L]es termes « violence à l’égard des femmes » désignent tous les actes de violence dirigés contre le sexe féminin, et causant ou pouvant causer aux femmes un préjudice ou des souffrances physiques, sexuelles ou psychologiques, y compris la menace de tels actes, la contrainte ou la privation arbitraire de liberté, que ce soit dans la vie publique ou dans la vie privée.

Assemblée générale de l’Organisation des Nations Unies 1993

Cette définition englobe, « sans y être limitée », toutes les formes de violence physique, sexuelle et psychologique exercées au sein de la famille, les enfants inclus (par ex. : la violence liée à la dot, le viol conjugal, les mutilations génitales et autres pratiques traditionnelles préjudiciables, la violence non conjugale et la violence liée à l’exploitation). Elle englobe aussi toutes les formes de violence exercées au sein de la collectivité, y compris le viol, les sévices sexuels, le harcèlement sexuel et l’intimidation au travail, dans les établissements d’enseignement et ailleurs, le proxénétisme et la prostitution forcée. Finalement, elle touche aussi les violences perpétrées ou tolérées par l’État dans lequel elles s’exercent.

En plus d’adopter cette définition, les Centres d’aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel (Calacs) et les maisons d’hébergement ont toujours utilisé l’approche et l’analyse féministes comme moyen privilégié d’intervention. Nous pouvons les résumer de la façon suivante :

L’analyse féministe, ou l’approche féministe, perçoit le phénomène de la violence contre les femmes non pas comme un incident isolé, mais comme un problème social. Son objectif est de transformer simultanément la personne et la société. Il rejoint celui du mouvement féministe de l’Ontario français[3], lequel réussit à englober les besoins individuels des femmes et les besoins de transformation des institutions sociales. Cet objectif s’inscrit dans l’action politique de l’analyse féministe, à savoir, réorganiser le pouvoir entre les femmes et les hommes et entre les femmes et l’État. Cette quête de prise de pouvoir, par et pour les femmes, permet de leur redonner le pouvoir de gérer leur vie sociale. Pour les organismes francophones ayant adopté une analyse féministe, l’action politique consiste à faire une analyse à partir de ce que vivent les femmes, à développer un discours ancré dans la réalité, à trouver les arguments nécessaires afin de préconiser des changements sociaux et à travailler collectivement à la transformation des inégalités sociales vécues par les femmes.

Penwill, Pharand, Sirois et Toone 1997

Adopter une telle approche pose la question de la philosophie et des valeurs communes aux maisons d’hébergement et aux Calacs de l’Ontario français. En fait, historiquement, la plupart des services ont été mis en place en réaction à l’incapacité ou en l’absence des services institutionnels aptes à servir les femmes violentées. Ce sont des services communautaires ayant une mission particulière qui, pour les raisons suivantes, les distingue des organismes institutionnels :

  • ils sont autonomes (conseils d’administration menés par des femmes ancrées dans leur communauté);

  • ils sont issus de la base et ont adopté une philosophie féministe d’analyse et d’intervention et une approche communautaire;

  • ils interviennent auprès des femmes en leur offrant l’aide concrète pour qu’elles augmentent le pouvoir dans leur vie et que diminue ou cesse la violence subie;

  • ils interviennent au niveau de la sensibilisation, de la prévention et de l’éducation afin d’informer les groupes sociaux sur la réalité des problèmes de violence, de susciter des changements dans les rapports sociaux entre les femmes et les hommes, de changer la socialisation traditionnelle des femmes, de favoriser les échanges entre les femmes et de trouver des alternatives afin de contrer les situations de violence;

  • ils font du développement communautaire afin d’encourager la communauté à se mobiliser pour prévenir la violence et l’éliminer;

  • ils ont choisi de se regrouper afin de se concerter et d’agir collectivement auprès des instances politiques pour défendre les droits des femmes et des enfants de l’Ontario français et leur permettre de vivre dans une société sans violence;

  • ils luttent, dénoncent et revendiquent, ils font des pressions politiques dans les dossiers sociaux et juridiques et ils agissent au nom du respect des femmes;

  • ils luttent pour que l’on reconnaisse leur expertise et leur autonomie par le biais d’un soutien financier adéquat.

Au-delà de fournir des services de première ligne aux femmes victimes de violence, les Calacs et les maisons d’hébergement font figure de phare dans leur communauté. Leur rôle demeure vital, à la lumière de la souffrance et de l’exploitation que les femmes et les enfants ont à vivre tous les jours.

Ce rôle est d’autant plus important que les femmes francophones de l’Ontario sont plus vulnérables lorsqu’il s’agit de sortir d’une situation de violence, d’intégrer le marché du travail et de gagner un revenu convenable. En effet, elles sont plus âgées, moins scolarisées et moins présentes sur le marché du travail. Elles viennent surtout du milieu rural, ce qui signifie qu’elles vivent un isolement géographique important, notamment en l’absence de transport en commun. Elles vivent aussi un isolement culturel et social faute d’occasions de vivre leur culture en français et d’échanger avec d’autres femmes francophones. Les indicateurs socioéconomiques montrent aussi que la population francophone de l’Ontario change de visage et se renouvelle grâce à l’immigration. À ce portrait, il faut ajouter, pour les femmes francophones de l’Ontario, la dimension de vivre en milieu minoritaire et l’oppression qui en découle : « Grandir dans des conditions d’oppression a nécessairement un impact sur [leur] participation dans le monde » (AOcVF 1999 : 13). En situation minoritaire, cette oppression s’exerce aussi à travers la langue. Or, les femmes francophones ne sont pas toutes bilingues, en particulier les femmes immigrantes qui veulent s’intégrer et travailler en Ontario. Elles ne sont pas les seules dans cette situation. Entre autres, les aînées, les femmes vivant avec un handicap, celles vivant dans des milieux isolés et les Québécoises établies en Ontario ont toutes beaucoup de difficultés à communiquer leur détresse dans une situation de violence. On sait que le chemin de la guérison est facilité lorsqu’une femme peut effectuer des démarches dans sa propre langue.

À l’oppression intériorisée et à la discrimination vécue, s’ajoutent d’autres éléments qui, lorsque les femmes vivent ou tentent de sortir d’une situation de violence, jouent un rôle important et s’ajoutent à leurs difficultés. Les coupures dans les prestations d’aide sociale (gouvernement conservateur 1995) en ont contraint plusieurs à demeurer dans des situations à risque. L’absence de logements subventionnés et sécuritaires, le manque de soutien pour les familles en crise, les effets des amendements à la Loi sur les services à l’enfance et à la famille, les dispositions de la Loi sur le divorce constituent d’autres embûches pour celles qui souhaitent quitter un conjoint abusif.

Parallèlement, on observe un ressac important contre les femmes, et contre le mouvement des femmes. Combiné à la banalisation de la violence, ce phénomène accentue l’importance du rôle joué par les Calacs et les maisons d’hébergement. Ces organismes communautaires autonomes sont souvent les seules voix qui s’élèvent pour dénoncer la violence contre les femmes, défendre leurs droits fondamentaux et réclamer des réformes législatives et sociales.

Courte histoire du développement des SEF en violence

L’histoire des SEF en matière de violence est relativement récente. Ces derniers ont connu une croissance rapide, surtout au cours des dix dernières années. Depuis les années 1990, ils se sont développés en fonction des vagues d’investissements par les gouvernements provinciaux successifs. Or, ces investissements ne sont pas comparables à ceux accordés aux services anglophones en matière de violence. En effet, sur les 96 maisons d’hébergement en Ontario, seules cinq sont en mesure d’offrir des SEF en tout temps. Une poignée d’autres maisons d’hébergement offrent des services minimes en français. Seuls quatre Calacs sur les trente-trois offrent en tout temps des SEF, en plus des services d’un Centre de santé communautaire. Il existe quelques autres Calacs qui offrent des SEF. Ce sont, pour la plupart, des services partiels dont la disponibilité et la qualité laissent grandement à désirer.

Un des principaux constats de la recherche est que la politique du gouvernement de l’Ontario de confier à des organismes dits « bilingues » le mandat d’offrir des services à la communauté francophone a eu des résultats décevants, voire désastreux, sur les plans de la qualité, de l’accessibilité et de l’imputabilité. De fait, la plupart de ces services n’ont même pas survécu. De plus, depuis dix ans, les dispositions de la Loi sur les services en français de 1986 ont été appliquées de façon sporadique, avec laxisme, malgré les efforts consentis pour redresser les iniquités : les gouvernements successifs ne semblent pas s’être acquittés de leurs obligations législatives et constitutionnelles à l’égard de la minorité francophone dans toute sa diversité.

Les dix années qui viennent de s’écouler montrent que c’est d’abord et avant tout dans les organismes autonomes, gérés par et pour les femmes francophones, que les SEF sont de qualité, qu’ils sont accessibles et qu’il y a imputabilité.

Services offerts

Dans tous les Calacs et maisons d’hébergement, les SEF ne sont pas offerts de façon uniforme. Par contre, on y offre généralement les services suivants, souvent en collaboration avec d’autres organismes locaux ou régionaux :

  • des services de lignes d’écoute et de crise (trois lignes régionales en Ontario) et, dans plusieurs cas, des lignes locales d’information et de soutien pour répondre aux besoins des femmes;

  • des services d’intervention d’urgence, c’est-à-dire des services offrant une aide aux femmes en situation de crise (court terme visant à régler un problème immédiat);

  • des services directs, généralement de personne à personne et à court ou à moyen terme, comme le counselling et l’accompagnement;

  • des services d’hébergement (accueil, hébergement, intervention, aide et soutien temporaires aux femmes et aux enfants);

  • des services aux victimes ou aux témoins de violence, âgés de moins de 16 ans (de personne à personne, en maisons d’hébergement ou services en agression à caractère sexuel; habituellement, à court ou à moyen terme ou par téléphone);

  • des services de prévention, de sensibilisation et d’éducation (programmes, ateliers, projets, afin de prévenir la violence ou l’agression à caractère sexuel; sensibilisation permettant de mieux faire connaître les problématiques de la violence; éducation au sujet de la violence faite aux femmes et aux enfants);

  • des services de ressources et d’assistance pratique (aide financière, transport, gardiennage, matériel et ressources documentaires et audio-visuelles).

Clientèles et défis à relever

Les clientèles servies par les SEF en violence sont diversifiées, comme on le remarque dans l’encadré suivant, et certaines sont davantage présentes dans les organismes. Or, tous ces groupes ont besoin de services adaptés à leurs particularités. Par conséquent, la formation des intervenantes est cruciale.

De plus, la consultation menée auprès de la jeunesse franco-ontarienne, des communautés ethnoculturelles et des femmes handicapées montre les lacunes importantes quant à l’offre de services pour ces groupes. Ainsi, la jeunesse franco-ontarienne reconnaît que les intervenantes des SEF, avec très peu de moyens et de créativité, ont fait un travail fabuleux de prévention, de sensibilisation et d’éducation. Toutefois, cette facette demeure le « parent pauvre » des organismes. Le peu de ressources financières et humaines qui lui sont accordées en est la cause. Le manque d’investissements dans ce domaine a des effets désastreux : il empêche le dévoilement et la dénonciation des abus, réduit les services qui pourraient être offerts, freine le changement des mentalités et des stéréotypes sociaux. En fait, si on pense à l’importance à accorder à la prévention, la sensibilisation et l’éducation sur les abus, les agressions à caractère sexuel, la violence, l’intimidation et toutes les autres formes d’abus commis pendant l’enfance ou l’adolescence, le constat des organismes est très clair : les besoins ne sont pas comblés.

Lors de la consultation effectuée auprès du MOFIF, on souligne quelques-uns des nombreux défis auxquels font face les femmes immigrantes. Celles-ci rencontrent beaucoup de barrières systémiques et institutionnelles dans leur pays d’accueil. Elles méconnaissent leurs droits ainsi que les lois canadiennes et ontariennes. Elles ont des problèmes d’intégration et font face aux barrières linguistiques, au racisme et à la discrimination. Celles qui ont vécu des conflits armés dans leur pays d’origine ont été profondément affectées par la violence subie, dont le viol collectif, ou par les atrocités dont elles ont été témoins. Les survivantes de guerre ont vécu des deuils et des pertes multiples. Les intervenantes se sentent parfois démunies devant l’ampleur de la violence subie. Par conséquent, les modes d’intervention doivent être adaptés pour aider les femmes immigrantes.

Note : les pourcentages présentés sont ceux des organismes consultés dans la recherche.

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Règle générale, les SEF aideront les femmes qui vivent avec des incapacités, dans la mesure de leurs minces moyens. Au besoin, et quand cela est possible, les intervenantes les dirigeront vers d’autres services. Mais, dans la grande majorité des cas, les femmes n’auront accès qu’à des services en anglais. Comme certaines utilisatrices ne maîtrisent pas bien ou pas du tout la langue anglaise, les intervenantes des SEF vont essayer de compenser avec les moyens qui sont à leur portée. Pourtant, d’ici 20 ans, on prévoit qu’une personne sur cinq aura un handicap. Mais, pour l’heure, les lacunes sont très grandes tant au niveau de l’offre des services qu’au niveau de la sensibilisation. Un des défis est de trouver des moyens créatifs pour rejoindre les femmes handicapées là où elles sont et de les informer sur leurs droits et leurs recours, tout en reconnaissant les situations précaires dans lesquelles elles se trouvent. Finalement, selon OPALE, que les services soient accessibles ne suffit pas. Il faut aussi travailler à l’élimination des autres barrières auxquelles font face ces femmes, particulièrement celles reliées à l’emploi, au faible revenu, au logement accessible limité, aux préjugés des propriétaires et au système de justice.

Financement des organismes

Le titre de la recherche « Faire autant avec si peu… » est révélateur de la situation des SEF en matière de violence. Avec les subventions octroyées, les intervenantes font tout simplement des merveilles… Mais, à quel prix?

En dépit des obligations relevant de la Loi des services en français, le peu d’accès qu’ont les femmes aux SEF à travers la province pose la question de l’équité en matière de financement. D’une part, le nombre de SEF est peu élevé et les besoins des femmes de plusieurs régions de la province ne sont pas rencontrés, faute de services. D’autre part, il existe un décalage entre le financement accordé aux services anglophones par rapport à celui que l’on offre au SEF. De plus, on demande aux organismes francophones d’offrir la même gamme de services à leur population que ceux qu’offrent les organismes anglophones à la leur, mais avec un financement de loin inférieur. Comme l’ont déjà indiqué plusieurs intervenantes anglophones, il s’agit d’une injustice à l’égard des femmes francophones et un refus de reconnaître leurs besoins (Garceau et Charron 2001).

La faiblesse du financement entraîne d’autres problèmes dans son sillon. Premièrement, dans l’ensemble de la province, le nombre d’organismes et le personnel en place ne suffisent pas à couvrir tous les besoins des femmes. Deuxièmement, alors que les intervenantes sont dédiées à leur travail, elles sont sous-payées. Les conditions de travail sont telles qu’il est difficile de trouver de la relève. Troisièmement, les intervenantes sont exposées quotidiennement à des problèmes complexes dont la charge émotive est très lourde. Confrontés au traumatisme secondaire, plusieurs demandent des congés à plus ou moins long terme et il devient difficile de les remplacer. Quatrièmement, il est difficile de trouver du personnel expérimenté, possédant des connaissances et des compétences diverses en intervention féministe et en développement communautaire.

Pour les organismes francophones qui établissent des ententes partenariales avec les organismes anglophones ou bilingues, cela exige de travailler majoritairement en anglais et oblige à continuellement revendiquer, au nom des droits des francophones, un accès à des services dans leur langue. Entre ces réseaux, l’égalité des partenaires est loin d’être évidente et les francophones ne sont pas toujours intégrés à part entière. La course aux subventions, la protection de la clientèle, les différentes philosophies et les mandats sont autant d’embûches qui rendent l’exercice partenarial difficile pour les organismes francophones. Par ailleurs, les partenariats régionaux et la concertation régionale sont essentiels, si on veut bâtir un réseau fort de SEF en violence. Ce qui ralentit la concertation régionale, voire provinciale, c’est l’absence de financement continu pour soutenir des structures régionales et provinciales de coordination et le travail des organismes francophones.

Les lacunes dans l’offre des services, les clientèles en place et en émergence ainsi que le financement des organismes sont autant de défis ayant mené à certaines recommandations aptes à favoriser, à la grandeur de la province, le développement des services en matière de violence contre les femmes.

Recommandations pour le développement des SEF

Au terme de cet article, il importe d’identifier clairement les demandes des SEF en matière de violence en vue de leur développement.

  1. Au fil des dix dernières années, la difficulté majeure demeure le sous-financement chronique des Calacs, des maisons d’hébergement et de certains organismes institutionnels offrant des SEF en matière de violence. Un écart de nature discriminatoire persiste entre le financement accordé par les différents gouvernements successifs de l’Ontario aux services en violence pour les femmes francophones et celui accordé aux services anglophones. Il est clair que le développement des SEF s’est heurté à des gouvernements provinciaux successifs qui n’ont pas rencontré leurs obligations législatives et constitutionnelles à l’égard de la communauté francophone.

    Un engagement politique de la part du gouvernement de l’Ontario est primordial pour concevoir et mettre en oeuvre un plan de développement des SEF à moyen et à long terme. Celui-ci permettrait de redresser l’aspect discriminatoire du financement des organismes locaux, des organismes provinciaux comme AOcVF et le COPA et la mise en place et le développement de nouveaux SEF là où ils sont inexistants à la grandeur de la province. Dans ce domaine, pour montrer qu’il y a du mouvement au niveau des revendications, il importe de souligner les efforts du ministère du Procureur général visant à redresser les iniquités.

  2. Partout où cela est possible, il importe de favoriser la mise en place de SEF autonomes, gérés par et pour les femmes francophones. Toutefois, il ne faudrait pas réduire les services complémentaires en violence conjugale et en agression à caractère sexuel qui sont offerts en français par des organismes institutionnels.

  3. L’intégrité des services par et pour les femmes francophones serait compromise, advenant l’intégration des SEF en violence conjugale ou en agression à caractère sexuel dans des organismes institutionnels qui n’adopteraient pas d’emblée les approches féministe et communautaire comme philosophie, principes et stratégies d’action.

    L’expérience des intervenantes montre les difficultés et les défis que poserait la fusion des SEF en violence à des organismes offrant des services d’aide à l’enfance. Sans nier l’importance capitale à accorder à la protection des enfants, il ne reste pas moins que les visions des deux types d’organismes sont fort différentes, et souvent incompatibles. Par contre, ils doivent demeurer des partenaires incontournables dans la lutte contre la violence.

  4. Dans les dix dernières années, la prévention, la sensibilisation, l’éducation et le développement communautaire ont été les « parents pauvres » dans les SEF. À l’heure actuelle, on ne peut plus ignorer l’importance qu’on doit accorder à ces services, sinon on ne fait qu’apporter des solutions immédiates et temporaires aux problèmes de violence au lieu de changements sociaux durables. La prévention, la sensibilisation et l’éducation doivent être traitées comme une priorité communautaire faisant partie du plan de développement des SEF à la grandeur de la province.

  5. Dans les Calacs, les maisons d’hébergement et certains organismes institutionnels offrant des SEF en violence, l’approche féministe a montré son efficacité. Elle est au coeur des interventions auprès des femmes victimes de violence. Elle a toujours sa raison d’être. Le défi qui se posera dans l’avenir sera de s’assurer que les structures offrant les SEF demeurent fidèles aux racines féministes. Il s’agira également de s’assurer que les services existants et futurs conservent le modèle de la gestion participative et qu’ils continuent à reconnaître l’expérience et le vécu des femmes survivantes afin qu’elles soient entendues dans l’orientation et le fonctionnement des organismes. Sur le plan de la prestation des services en violence, l’approche féministe, quand elle est jumelée à l’approche communautaire, est une stratégie gagnante. Utilisées conjointement, elles ont montré leurs mérites. Elles sont d’ailleurs fort différentes d’une approche institutionnelle qui est souvent médicalisante, psychologisante, voire infantilisante.

  6. La force et la qualité des SEF en violence reposent sur les personnes qui y travaillent. Or, nous constatons deux phénomènes dans les organismes en violence : un roulement élevé de personnel et un certain épuisement professionnel. D’une part, les salaires sont faibles, ce qui rend difficile la rétention du personnel. D’autre part, les intervenantes travaillent avec des problématiques très lourdes qui entraînent chez elles des traumatismes secondaires et, à la longue, un épuisement professionnel.

    Certes, la relève est nécessaire, mais les SEF doivent offrir les mêmes salaires et les mêmes avantages sociaux que ceux offerts aux intervenantes d’organismes ou d’institutions similaires. Il appartient au gouvernement de l’Ontario, dans un plan à long terme, d’établir une échelle salariale équitable pour les intervenantes des SEF qui travaillent dans les centres d’aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel et les maisons d’hébergement.

  7. Dans les dix dernières années, la recherche féministe a accompagné et nourri le mouvement contre la violence faite aux femmes de l’Ontario français, et vice-versa. Adoptant le point de vue des femmes, les chercheures ont favorisé l’éclosion de discours multiples et variés qui ont permis de rendre visibles les multiples formes de l’oppression vécue par les femmes francophones, comme celle vécue par les femmes des communautés ethnoculturelles. Les chercheures ont aussi discuté des inégalités sociales qui affectent les femmes, parlé de violence, revendiqué pour l’autonomie des services en violence et développé du matériel favorisant l’intervention. Pourtant, la recherche sur les femmes d’ici en est encore à ses débuts. Par conséquent, il importe qu’elle se poursuive et qu’elle soit subventionnée adéquatement.

  8. Pour former un nombre suffisant d’intervenantes polyvalentes et compétentes, il est aussi indispensable de mettre en place des programmes collégiaux et universitaires accessibles et flexibles à la grandeur de la province. Des programmes flexibles permettraient aussi aux intervenantes de se mettre à jour dans leur formation professionnelle.

  9. En Ontario, une multitude d’organismes ou de services connexes répondent aux besoins des femmes francophones aux prises avec de la violence, tels les services sociaux et de santé, les hôpitaux, le système de justice, la police et l’aide sociale. En principe, tous ces organismes doivent offrir des services dans les deux langues. La réalité est tout autre. Dans ces services, ce sont les intervenantes des SEF qui transigent avec les femmes et qui doivent faire de la traduction ou de l’interprétation. Cela représente pour elles une surcharge de travail. Le gouvernement de l’Ontario, ses ministères et les organismes devraient se doter des ressources nécessaires à répondre aux besoins des femmes francophones et ainsi respecter les exigences de la Loi sur les services en français.

  10. Depuis dix ans déjà, les Calacs, les maisons d’hébergement, certains organismes institutionnels offrant des SEF en violence et plusieurs autres organismes dont le MOFIF, la FESFO, OPALE, le COPA et AOcVF, ont fait connaître les problématiques de l’agression à caractère sexuel et de la violence conjugale. Tous ces organismes oeuvrent à les enrayer et tous connaissent des succès.

    Toutefois, malgré la diversité d’organismes luttant contre la violence, nous avons observé un besoin d’augmenter la concertation entre tous ces organismes francophones, tout en respectant l’autonomie de chacun. L’élaboration du futur plan de développement des SEF en violence pourrait être une occasion unique de les rallier. Il importe que s’établisse une réelle concertation entre le gouvernement de l’Ontario et le gouvernement fédéral afin d’augmenter les ressources disponibles pour le développement des SEF en Ontario.

À la lecture de cette liste de recommandations, on aura compris l’engagement profond des organismes consultés à offrir à toutes les femmes victimes de violence conjugale, d’agression à caractère sexuel ou de toutes autres formes de violence, des services accessibles, de qualité et surtout, culturellement appropriés à leurs besoins. C’est d’ailleurs l’objectif du nouveau plan de développement des services en français que le mouvement francophone contre la violence faite aux femmes est en train d’établir.