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Dans la culture occidentale moderne, le terme d’« auteur » non seulement désigne la personne étant à l’origine d’une production esthétique, mais il incarne aussi un principe unificateur dans l’interprétation, la production et la réception des oeuvres artistiques. L’auteur a été défini selon des approches épistémologiques très différentes, tantôt comme simple élément unifiant d’un corpus, tantôt comme médiateur d’un discours idéologique, comme révélateur des tensions sociales profondes propres à un contexte culturel donné, ou encore comme porteur d’une philosophie, d’une vision du monde, d’un style.

Toute réflexion portant sur l’« auteur » au cinéma soulève d’emblée la question de sa pertinence. En effet, d’une part, la notion d’auteur s’applique difficilement à un art lié à des pratiques collectives et, d’autre part, elle paraît forcément contestable au sein d’une discipline qui critique depuis longtemps l’utilisation de catégories exprimant des conceptions hiérarchisantes de l’art. Au sein des études cinématographiques, la conceptualisation de l’auteur est d’autant plus problématique que le médium étudié possède un double statut, le cinéma étant à la fois un moyen d’expression artistique et culturelle, et une pratique sociale et commerciale. Ce conflit a conduit les théoriciens à proposer une vision abstraite de l’auteur, vision indéfendable sur les plans historique et théorique, et ces théoriciens ont d’ailleurs souvent été critiqués pour le caractère réducteur de leurs analyses des pratiques cinématographiques. L’un des aspects les plus controversés du discours filmique portant sur l’auteur concerne l’identification arbitraire de ce dernier au réalisateur (y compris sa vision du monde, son style et ses goûts esthétiques), consolidée par l’auteurisme français et l’auteur theory nord-américaine des années 1950 et 1960.

Dans le champ des études féministes, la notion d’auteur a également été sujette à débat. D’une part, parce que l’auteur reste un concept patriarcal, associé à un contexte social où l’homme domine largement (dans les milieux de production cinématographique où l’on retrouve parfois des femmes réalisatrices — tels ceux du cinéma d’art européen et du cinéma indépendant et expérimental nord-américain —, la question de l’identité féminine est éclipsée par celles qui relèvent du discours et des formes artistiques). D’autre part, parce que la vision de la femme auteure comme incarnation d’une subjectivité ou d’une tradition culturelle spécifiquement « féminine » (vision défendue notamment dans la théorie littéraire et l’histoire de l’art) trahit une perspective essentialiste, par rapport à laquelle les théoriciennes féministes du cinéma ont toujours gardé leurs distances [1].

Dans le champ des études cinématographiques, une « reconceptualisation » de la notion d’auteur a été entamée il y a une quinzaine d’années et a nécessité que soient nuancées certaines théories polémiques forgées par les tenants de l’auteurisme français et ceux de l’auteur theory nord-américaine des années 1950 et 1960, de même qu’ont dû être remises en question certaines approches auctoriales développées au cours de la décennie suivante dans des analyses textuelles d’inspiration structuraliste, post-structuraliste, marxiste et psychanalytique.

En ce qui concerne le cinéma des premiers temps, il s’agit tout d’abord de vérifier si la notion d’auteur est applicable à cette période, où il n’existe encore ni rôles professionnels ni textes ou discours auxquels l’associer. Il faut ensuite déterminer dans quelle mesure un concept lié à des approches esthétiques et philosophiques peut être utile dans un secteur des études cinématographiques fondé sur la recherche empirique.

Nous examinerons ici la contribution théorique et méthodologique originale que la recherche féministe a apportée à la définition de l’auteur cinématographique, et nous indiquerons l’utilité du concept d’auteur lorsqu’on entreprend d’étudier les rôles qu’ont joués les femmes pendant les premières décennies de l’histoire du cinéma.

Le concept d’auteur dans les études cinématographiques

Dans la préface à la première anthologie d’écrits portant sur la notion d’auteur dans les études littéraires et cinématographiques, John Caughie (1981, p. 1) signale que les théoriciens des années 1970 ont remis en question la conception romantique de l’auteur, ou celui-ci était défini comme source et centre d’un texte. Selon Caughie (1981, p. 1-2), ce premier travail de sape critique avait été décisif pour établir une nouvelle théorie de l’auteur :

A theory of authorship, now, involves a consideration of the position of authors within specific histories (of cinema, particularly, this involves industrial and institutional histories as well as social and political histories) and it involves a conceptualization of how the author functions as a figure within the rhetoric of the text, and how we use this figure (fictional, constructed, actual) in our reading, and for our pleasure.

Caughie (1981, p. 2-3) attire également l’attention sur les faiblesses des méthodes proposées jusque-là, par exemple sur le fait que les théoriciens se soient presque exclusivement penchés sur l’analyse textuelle et l’étude du cinéma hollywoodien classique, au détriment de recherches historiques qui auraient permis de mieux comprendre les liens unissant auteurs et institutions [2].

La redéfinition de l’auteur cinématographique a largement comblé les lacunes que Caughie percevait dans les écrits parus au cours des années 1970. Depuis 25 ans, la conceptualisation de l’auteur s’est développée en fonction du paradigme que Francesco Casetti (1993, p. 334-336) a défini comme celui des « théories de champ ». Parmi les contributions les plus significatives dans cette littérature figurent celles déjà mentionnées de Corrigan (1991) et Crofts (1998), les articles d’Andrew (1993) et Naremore (1990), ainsi que les numéros spéciaux de revues et les anthologies dirigés par Boschi et Manzoli (1996), Esquenazi (2002), Franceschetti et Quaresima (1997), Gerstner et Staiger (2003), Lagny, Ropars et Sorlin (1990), Prédal (1999), Stam et Miller (2000) et Wright Wexman (2003). Plutôt que de proposer un compte rendu exhaustif de ces écrits, nous allons analyser les problèmes théoriques qui ont eu le plus d’impact dans l’entreprise de redéfinition de l’auteur du cinéma des premiers temps.

L’un des premiers devoirs qui incombait aux théoriciens attachés à la redéfinition de l’auteur cinématographique fut de contrecarrer l’influence exercée par l’auteurisme. Un grand nombre de ces théoriciens se sont penchés sur les raisons expliquant la longévité, dans les études cinématographiques, d’une catégorie conceptuelle aussi subjective et sans fondement théorique que l’auteur. Jean-Pierre Esquenazi (2002, p. 7) remarque que la politique des auteurs est à l’origine d’« une véritable culture cinématographique », dont nous sommes encore les héritiers, mais dont il faut aussi « comprendre les bornes » tout en se donnant « les capacités de les dépasser ».

De façon plus polémique, Dana Polan (2001) met l’accent sur l’aspect le plus contestable de cette approche : le fait qu’elle décrive comme prépondérant le rôle de l’individu dans la production cinématographique. Selon cette perspective, il définit l’auteurisme comme un irrépressible désir d’individualiser les pratiques filmiques, désir toujours aussi fort aujourd’hui, en dépit du fait que la théorie auctoriale du cinéma se soit concentrée de plus en plus sur l’analyse des facteurs de production et de réception des films, selon une optique socio-psychanalytique, historique ou institutionnelle :

But even with all these new ways in which auteur study has been reinvigorated, it is still necessary to interrogate the very need to look at film production in terms of individuals. No matter how sophisticated auteurism becomes under the influence of new approaches from theory and history, it is still about persons and their fates and destinies. Perhaps we can get at this issue by asking why auteurism attracts critical desire. Why, even in so many modified forms, is there this desire, why has it endured in the face of ostensibly theoretically trenchant critiques of individuality ?

De son côté, Robert Stam (Stam et Miller 2000, p. 6) note que, si l’intention initiale des tenants de l’auteurisme était de réaliser une aspiration traditionnelle du cinéma (prouver sa légitimité artistique), leur influence sur les théoriciens a également permis que voient le jour des analyses de films et de genres autrefois sous-estimés, et que la mise en scène soit reconnue comme une composante essentielle du style d’un réalisateur. Pour Stam (2000, p. 6), les nouvelles études auctoriales considèrent la filmographie d’un réalisateur « not as the expression of individual genius but rather as the site of encounter of a biography, an intertext, an institutional context, and a historical moment », selon une perspective qu’il définit, en empruntant l’expression à Mikhaïl Bakhtine, comme « translinguistique ». Il en conclut que :

Most contemporary auteur studies have jettisoned the romantic individualist baggage of auteurism to emphasize the ways a director’s work can be both personal and mediated by extrapersonal elements such as genre, technology, studios, and the linguistic procedures of the medium.

Pour Stephen Crofts (1998), le discours concernant l’auteur aurait suivi les changements épistémologiques au sein de la discipline. Il désigne ces phases comme suit :

[…] the aesthetically focused textual analysis characterizing most work until the 1970s ;

the theoretical turn of the mid-1970s associated with Screen’s challenge to the impressionism and empiricism of most writing on film ;

and the move dating from the mid-1980s towards film histories encompassing institutions of production and circulation, and sometimes the cultures and societies in which film texts are produced.

p. 311

Par ailleurs, l’auteur remplit désormais une nouvelle fonction au sein de l’institution cinématographique elle-même. Dans cette optique, Crofts (1998, p. 322) suggère que des motifs promotionnels et commerciaux peuvent expliquer la reprise de la notion d’auteur dans les modes de production et les systèmes de circulation des films contemporains. De plus, selon Crofts, le concept d’auteur peut à nouveau trouver grâce chez les spectateurs pour des raisons d’ordre idéologique comme, par exemple, les progrès du discours individualiste dans les sociétés capitalistes et post-industrielles de consommation. En ce sens, il rappelle l’importance de faire « une lecture historiquement et culturellement informée » (Crofts 1998, p. 322 — c’est nous qui traduisons) du concept d’auteur.

De même, Timothy Corrigan (1991) soutient qu’un nouveau modèle d’auteur est apparu dans les années 1980 et 1990, sous la forme d’une figure commerciale et promotionnelle permettant l’étude des rapports intersubjectifs entre la production et la réception filmiques, rapports qui évoluent en fonction du contexte historique et culturel au sein duquel ils s’établissent :

In the cinema, auteurism as agency thus becomes a place for encountering not so much a transcendental meaning (of first-order desires) but the different conditions through which expressive meaning is made by an auteur and reconstructed by an audience, conditions that involve historical and cultural motivations and rationalizations.

p. 104

Deux ouvrages collectifs récemment publiés (parus la même année et portant des titres très similaires), Authorship and Film, codirigé par David Gerstner et Janet Staiger (2003), et Film and Authorship, dirigé par Virginia Wright Wexman (2003), vont essentiellement dans la même direction. Les articles réunis dans l’anthologie de Wright Wexman (2003, p. 13) se concentrent ainsi sur des aspects que Caughie considérait comme sous-estimés dans les écrits théoriques des années 1970 portant sur l’auteur cinématographique : le rapport entre auteurs et institutions, le contexte historique ayant favorisé l’émergence de l’auteurisme et les modes de fonctionnement de l’auteurisme dans les cinémas d’avant-garde et documentaire. De son côté, Gerstner (2003, p. 3-6) spécifie que le but premier du recueil qu’il codirige avec Staiger est d’illustrer le rôle des approches auctoriales issues des études cinématographiques ou d’autres disciplines, selon une optique critique de l’auteurisme traditionnel soulignant entre autres le statut politique et idéologique de l’auteur dans des pratiques filmiques spécifiques.

Comme nous allons le démontrer plus loin, ces nouvelles tendances dans le discours filmique sur l’auteur orientent particulièrement les études féministes du cinéma des premiers temps.

L’auteur cinématographique du cinéma des débuts : entre art et artisanat

L’auteur est entré dans le vocabulaire de l’historiographie du cinéma des premiers temps avec quelques années de retard par rapport à son apparition dans le discours filmique, et y a par ailleurs rencontré l’indifférence ou la résistance de plusieurs chercheurs.

Un exemple manifeste de ce manque d’intérêt se trouve dans les nombreuses études portant sur les pionniers du cinéma parues au cours des deux dernières décennies — entre autres, celles de Paolo Cherchi Usai (1985) sur Giovanni Pastrone, de Charles Musser (1991) sur Edwin S. Porter, de Cherchi Usai (1991) et d’Elizabeth Ezra (2000) sur Georges Méliès, de Paul C. Spehr (2000) sur W. K. L. Dickson, et, dans une perspective féministe, d’Alison McMahan (2002) sur Alice Guy-Blaché et de Kay Armatage (2003) sur Nell Shipman. La plupart de ces écrits ne s’intéressent pas, ou pas directement, à la problématique conceptuelle de l’auteur ; ou encore (comme chez Ezra et Armatage), ils y font référence, sans cependant la considérer comme un véritable enjeu.

Comme nous l’avons précédemment remarqué, l’absence de réflexion sur l’auctorialité dans les ouvrages sur les pionniers du cinéma trouve d’abord sa justification dans la méthodologie empirique privilégiée par les chercheurs attachés au cinéma des premiers temps. Ceux-ci résistent à toute approche téléologique du cinéma préclassique et, pour cette raison, s’opposent à l’idée que les pionniers soient des « proto-auteurs » (pour faire référence à l’une des catégories que Robert C. Allen et Douglas Gomery [1985, p. 65-128] décrivirent comme typiques de l’historiographie traditionnelle). Habituellement, dans les ouvrages qui traitent du cinéma des premiers temps, les objets d’analyse ne sont pas tant les réalisateurs et les producteurs — figures qui, dans le cinéma classique, sont le plus fréquemment associées à l’auteur — que leurs rôles dans les institutions et les pratiques cinématographiques auxquelles ils sont attachés. Ainsi, Charles Musser (1991, p. 11) étudie la méthode qu’utilisait Edwin S. Porter pour réaliser ses films par rapport au modèle de la collaboration, alors en vigueur dans la maison de production Edison (et généralement reconnu comme typique de la première phase du cinéma des premiers temps). Il prétend que cette méthode est l’expression d’une éthique professionnelle propre à la mentalité bourgeoise fin de siècle, mentalité qui entre en conflit avec les systèmes de production et de représentation de masse de l’ère moderne.

Les études portant sur le cinéma des premiers temps se sont penchées sur l’auteur dans la foulée de la « reconceptualisation » de ce terme. L’un des premiers ouvrages sur un pionnier du cinéma exposant une démarche proprement auctoriale est celui de Tom Gunning (1991). L’étude de Gunning porte sur le rôle joué par David Wark Griffith pendant les premières années de sa collaboration avec la Biograph. Pour Gunning, il est important d’envisager l’auteur à la fois comme un personnage historique et comme un être biologique, et non simplement comme une personnalité unidimensionnelle s’exprimant uniquement à travers des textes. S’appuyant sur la notion foucaldienne d’« auteur-fonction [3] », Gunning (1991, p. 50) souligne également que l’auteur est plutôt une force qui permet la production de textes :

Griffith, the actual person outside the text, is important to this work not as a personality who expresses himself through these films, but as a force in their production, through whom other forces enter. Vital to a historical understanding of his films is the Griffith who expressed his admiration for Zola’s naturalism in 1907, who styled himself on the muckraking journalism of his time, who worked within the romantic performance idiom of Nance O’Neil, and who tried to imitate David Belasco in the orchestration of details in his playwriting. Griffith as director stands as an important relay for these and other forms of discourse as they enter the Biograph films during 1908 and 1909.

Comme Gunning le remarque si justement, le but premier que poursuivait Griffith en livrant bataille à la Biograph était de s’opposer à l’anonymat que la compagnie imposait. Cette interprétation conduit Gunning à réfléchir sur le fait que Griffith réclame la reconnaissance de sa signature en tant que réalisateur. Bien que Gunning reconnaisse qu’il soit difficile de bien cerner la spécificité des différentes fonctions liées à la production des films de l’époque, il suggère que l’avènement de l’auteur dans le cinéma des premiers temps s’officialise au moment du passage à un système de production où le caméraman est séparé du réalisateur et où ce dernier devient coordinateur d’une mise en scène actualisant un système narratif [4].

Dans le cas de Griffith, ce qui est significatif, ce n’est pas tant qu’il soit arrivé à faire reconnaître son travail de réalisateur, mais qu’il ait réussi à faire en sorte que le nom de Griffith soit associé à des pratiques culturelles et à des techniques artistiques faisant partie de traditions ou de discours auctoriaux.

Le mérite de Gunning est d’avoir démontré l’utilité du concept d’auteur dans l’historiographie sur le cinéma des premiers temps, selon une approche qui souligne la dimension discursive et idéologique de cette figure. Comme nous le verrons dans la prochaine section de cet article, cette démarche est au centre du discours féministe sur l’auteur des débuts.

La première tentative systématique de reconceptualisation de la notion d’auteur menée par des chercheurs affiliés à l’historiographie du cinéma des premières décennies eut lieu en 1996, à l’occasion du troisième Colloque international de cinéma d’Udine. Un volet de ce colloque portait justement sur la figure de l’auteur dans le cinéma des premiers temps, et proposait les interventions, entre autres, de Richard Abel, Philippe Azoury, Aldo Bernardini, Gian Piero Brunetta, François de la Bretèque, André Gaudreault, Michael Hammond, François Jost, Thierry Lefebvre, Jean-Jacques Meusy et Riccardo Redi [5].

Bien que le but du colloque ait été d’aller au delà de la notion traditionnelle d’auteur, la plupart des articles qui en sont issus analysent en fait l’auteur cinématographique selon des modèles auctoriaux dérivés d’arts majeurs, contemporains de l’avènement du cinéma ou le précédant (notamment l’écrivain littéraire ou théâtral et le peintre). Parmi les thèses défendues dans ces textes, celle de François Jost — qui, pleinement développée, devint par la suite un chapitre de l’ouvrage Le temps d’un regard. Du spectateur aux images (Jost 1998) — me semble la plus novatrice. Jost élargit la définition de l’auteur cinématographique des débuts, en situant cette catégorie en dehors, tant des horizons discursifs et historiques de son époque, que des traditions culturelles et artistiques « majeures ». En fait, selon Jost, le travail de l’auteur du cinéma des débuts relève de deux types de pratiques artistiques : l’une est allographique et appartient aux arts mineurs, tandis que l’autre est autographique et est associée à l’oeuvre « individuelle [6] ».

Selon cette perspective, Jost (1998, p. 148-149) observe que la hiérarchie auctoriale du cinéma des premiers temps est similaire à celle que l’on respectait dans les ateliers d’art de la Renaissance. Le patron, au centre, est le producteur d’idées, tandis que les aides, situés en bas de l’échelle, sont souvent réduits au rôle subalterne d’exécutants :

Les « vues composées » obéissent bien à ces trois fonctions : tout en haut celui qui a l’idée, l’auteur dramatique ou le scénariste, au milieu, ceux qui font, en l’occurrence soit les interprètes, les comédiens, et ceux qui impriment ce qu’ils voient, les tourneurs de manivelle, au bas de l’échelle. Tous les efforts de ceux qui, par ailleurs, luttaient pour la reconnaissance de leur travail, les « auteurs et metteurs en scène cinématographiques », visaient à ramener celui qui invente au studio (invenit), mais non à changer véritablement cette hiérarchisation qui accordait, pour le film comme pour la gravure, le privilège auctorial à l’inventeur de l’idée et déniait toute auctorialité, en revanche, au responsable de l’impression de l’image (sur le papier ou sur la pellicule).

Quelques années plus tard, dans l’introduction à un numéro spécial de Cinéma & Cie portant sur l’historiographie du cinéma des premiers temps, Jost (2001, p. 13-15) revient sur ce point, en observant que le discours filmique a traditionnellement situé le cinéma des premiers temps « en deçà de la pensée ». Il remarque que cette exclusion révèle une position implicitement auteuriste dans la théorie du cinéma, non seulement dans les approches esthétiques qui ont précédé l’apparition du paradigme sémiotique, mais aussi dans le « courant critique d’inspiration philosophique » inauguré par Gilles Deleuze. Dans ce cadre discursif, le cinéma des premiers temps serait « en deçà de la pensée » parce que « la pensée est d’abord le fait des grands auteurs » (Jost 2001, p. 14). Selon Jost, les tentatives de classification des auteurs dans le cinéma des premières décennies par le rapprochement avec des figures auctoriales de l’époque, tels que le peintre impressionniste (association suggérée par Jacques Aumont à propos des frères Lumières dans L’oeil interminable), sont aussi problématiques. En fait, pour lui, la condition de l’auteur cinématographique des débuts est plus proche de celle du peintre de la Renaissance. Quant à ses pratiques, elles devraient plutôt être rapportées à des manifestations artistiques et culturelles liées à la tradition populaire.

Les réflexions de Jost nous invitent à voir l’auteur des débuts comme le produit de pratiques et de séries culturelles différentes. Dans la prochaine section, nous démontrerons à quel point cette perspective est capitale pour la nouvelle historiographie féministe et la façon dont elle envisage le concept d’auteur.

L’auteur dans le discours féministe

Comme Patrice Petro (1994, p. 14-15) l’a souligné dans un article sur l’historiographie féministe originellement paru dans Camera Obscura en 1990, le progrès des idées poststructuralistes parmi les théoricien(ne)s féministes au cours des années 1970 eut l’effet paradoxal de raviver l’intérêt des féministes pour le concept d’auteur. Lorsque le concept d’auteur apparut dans le lexique cinématographique féministe dans les années 1970, il fut d’abord utilisé avec une volonté d’opposer une résistance à l’idéologie dominante. Les théoriciennes féministes anglaises Claire Johnston (1988) et Pam Cook (1988), entre autres, ont ainsi analysé le rôle de Dorothy Arzner dans le cinéma hollywoodien classique selon cette perspective.

Pour Petro (1994, p. 73-74), les débats féministes concernant la figure de la femme auteure dans des contextes idéologiques et de production cinématographiques dominants se transformèrent en polémiques sur la notion de texte subversif, et certain(e)s théoricien(ne)s accaparèrent l’attention en refusant d’identifier l’auteur d’un texte au sujet énonciatif. Cette situation amena beaucoup de chercheurs à se concentrer sur l’étude de la réception filmique, ce qui marqua un tournant au sein de la recherche féministe.

C’est dans le cadre de la reconceptualisation de l’auteur dans la discipline des études cinématographiques que l’auteur revient dans le discours féministe à travers, notamment, les livres de Judith Mayne (1990 et 1994) sur Dorothy Arzner et celui de Flitterman-Lewis (1996) sur trois réalisatrices du cinéma d’art et d’avant-garde français d’époques différentes, Germaine Dulac, Jeanne Epstein et Agnès Varda. L’analyse de l’auteur en tant que source d’énonciation féminine touche une problématique importante dans le discours féministe : la difficulté de théoriser le sujet féminin désirant. Pour cette raison, selon Flitterman-Lewis (2000, p. 18), l’auctorialité au féminin nécessite d’être appréhendée en fonction de trois catégories :

1) [A]uthorship as a historical phenomenon, suggesting the cultural context ; 2) authorship as a desiring position, involving determinants of sexuality and gender ; 3) authorship as a textual moment, incorporating the specific stylistics and preoccupations of the filmmaker.

Dans le cadre du cinéma des premiers temps, Giuliana Bruno (1993) est la première chercheuse à appliquer les nouvelles démarches féministes sur l’auteur dans son étude sur la pionnière du cinéma italien Elvira Notari (réalisatrice, scénariste et coproductrice de films populaires à Naples pendant les années 1920). Bruno retrace la carrière et l’oeuvre de Notari selon le concept foucaldien d’auteur-fonction, mettant ainsi en place un contexte discursif qui prend en compte tant les femmes auteures de la littérature napolitaine contemporaine de Notari, que le contexte culturel et social de la femme et sa représentation iconographique au début du xxe siècle.

Bruno traite de la question de l’auteur dans la dernière partie de son ouvrage, où elle déclare vouloir faire reconnaître le statut d’auteure que mérite Notari, mérite qui a été nié par les historiens du cinéma, et qu’on lui a également refusé de son vivant, ses films ayant été attribués à son mari. Paradoxalement, comme Bruno le note si justement, le fait qu’à cette époque le statut d’auteur n’était pas encore synonyme d’autorité est, en fin de compte, ce qui a permis à Notari de s’imposer comme auteure : c’est grâce à l’absence de hiérarchisation au sein de l’industrie cinématographique qu’elle a pu se voir confier d’aussi grandes responsabilités.

Pour Bruno, écrire sur l’auteur implique une expérience intersubjective entre le théoricien et son objet d’étude. Cet échange suppose une double nécrophilie de la part du chercheur : vis-à-vis de l’auteur, considéré comme mort à l’époque post-structuraliste, et vis-à-vis du corpus filmique, largement perdu, de Notari. En reconstituant la carrière et l’oeuvre de Notari, Bruno tente de retracer et d’interpréter les circonstances qui ont contribué à effacer presque entièrement la présence et l’oeuvre de cette pionnière dans l’histoire du cinéma italien.

L’approche auctoriale de Bruno resta longtemps isolée dans la recherche féministe sur le cinéma des premiers temps, notamment (comme nous l’avons précédemment remarqué), dans les études sur les pionnières du cinéma. Les historien(ne)s féministes ne sont revenu(e)s sur la question de l’auteur que très récemment. Ces études abordent la notion d’auteur dans le cadre du discours sur les changements épistémologiques et sociaux de la modernité et sur l’importance de ces changements pour la construction d’une nouvelle subjectivité féminine. Comme Leo Charney et Vanessa R. Schwartz (1995, p. 1-2) le mentionnent, le cinéma des premiers temps est « the fullest expression and combination of modernity’s attributes » ou, encore, l’un des éléments constitutifs de la modernité :

The culture of modernity rendered inevitable something like cinema, since cinema’s characteristics evolved from the traits that defined modern life in general. At the same time, cinema formed a crucible for ideas, techniques, and representational strategies already present in other places.

L’intégration du cinéma dans la sphère médiatique et institutionnelle du xxe siècle marque aussi l’émergence de nouveaux sujets sociaux et l’apparition de nouvelles pratiques discursives et compétences techniques. Il apparaît donc que l’auctorialité, lorsqu’on cherche à comprendre comment elle s’exprime chez les pionnières du cinéma, doit être pensée comme une façon de revendiquer un statut professionnel et social.

Jennifer Bean et Diane Negra (2002) ont proposé une sélection de textes illustrant le nouveau discours féministe sur l’auteur des débuts dans le premier chapitre d’une anthologie de l’historiographie féministe portant sur le cinéma des premiers temps. La femme auteure y est présentée comme une figure que les théoriciens reconstituent dans un contexte discursif interdisciplinaire et trans-médiatique. Le but de ces études, comme le note Bean (2002, p. 14), est le suivant : « […] highlights the key roles played by women directors and producers in the international field of early cinema […] as a way of questioning prevailing theories of authorship. »

L’analyse que propose Patricia White (2002, p. 60-87) du statut auctorial lesbien de la réalisatrice et protagoniste du film Salomé, Alla Azimova, se situe dans cet axe interprétatif. White analyse l’auctorialité chez Azimova en la comparant à l’auctorialité chez Oscar Wilde, l’auteur de la pièce de théâtre que Salomé adapte. En s’appuyant sur cette comparaison, elle affirme que :

Nazimova’s use of stardom as a vehicle for authorship becomes a complex performance, involving appropriation of traditional male authority via Wilde as well as intertexts and collaborations through which a lesbian signature can be decoded.

White 2002, p. 82

Amelie Hastie (2002, p. 29-59) interroge quant à elle les mémoires d’Alice Guy-Blaché, qu’elle envisage tantôt comme un prolongement de son oeuvre cinématographique (en grande partie disparue), tantôt comme une forme de discours filmique (« particular theories of film form »). À propos de sa lecture des mémoires de Guy-Blaché, Hastie (2002, p. 33) précise :

In producing this sort of reading I do not mean to argue that the two forms (written and cinematic) are interchangeable ; rather, I would like to suggest that seeing a provocative convergence of these forms can not only reveal insightful insights into the history of the figures but can also suggest a renewed interest in the relation between writing and filmmaking.

Radha Vatsal (2002) traite de problèmes plus proprement méthodologiques dans « Reevaluating Footnotes, Women Directors of the Silent Era ». Son article soulève une question importante : comment récupérer non seulement les documents disparus qui auraient pu nous renseigner sur les pratiques cinématographiques des auteures dans le cinéma des premiers temps, mais aussi les écrits et les histoires marginalisées (ce qu’elle appelle, dans le titre de son article, les « notes de bas de page » de l’histoire). Partant de là, Vatsal conclut :

And so, creating filmographies for Marie’s mother, or Mrs. Blaché, or Anonymous becomes a process of analysis and close reading and, also, an opportunity to rethink early film history and the modes through which historiographic and filmographic knowledge are transmitted.

Vatsal 2002, p. 136

La section sur l’auteur de l’anthologie de Bean et Negra contient aussi (et assez opportunément) un article qui critique les approches auteuristes. Il s’agit de « Of Cabbage and Authors », de Jane Gaines (2002, p. 88-118). Anti-auteuriste convaincue depuis toujours, Gaines y aborde la question de l’auteur par rapport aux recherches portant sur les pionnières du cinéma (parmi lesquelles elle compte le Women Film Pioneers, un groupe de recherche international qu’elle a fondé en 1994 et dont elle est la directrice). Selon Gaines (2002, p. 90), ces études proposent moins une vision auctoriale des pionnières du cinéma qu’une analyse d’une « political economy of gender », celle des femmes qui participent au cinéma des premiers temps en tant que « makers », avant l’établissement du rôle du réalisateur dans le cinéma classique. Par la suite, Gaines illustre les raisons qui la poussent à refuser la figure de l’auteur.

D’abord, Gaines (2002, p. 91-94) rejette la notion d’auteur au nom d’une conception de l’histoire du cinéma selon laquelle l’auteur est une construction idéologique qui élude non seulement les questions liées aux conditions matérielles de la production et de la réception cinématographiques, mais aussi celles qui ont trait aux développements du travail industriel et de la culture de masse à l’époque moderne. De plus, elle souligne les problèmes méthodologiques et conceptuels des approches auctoriales qui, selon elle, sont fondées sur l’argumentation tautologique suivante : « […] il y a quelque chose à analyser dans le texte parce que le texte a été produit par un sujet analysable » (Gaines 2002, p. 97). Gaines dénonce également l’impasse conceptuelle sous-jacente dans laquelle se trouve le concept d’auteur tel qu’on l’applique aux femmes : l’apparente impossibilité d’associer auctorialité et sujet féminin sans tomber dans l’essentialisme. Enfin, elle critique ceux qui attribuent un caractère transcendant à l’auteur, leur reprochant de réduire aux proportions de l’individu des oeuvres qui sont en fait le résultat de processus collectifs, et de rendre abstrait ce qui est concrètement le produit de déterminations matérielles, techniques et industrielles (Gaines 2002, p. 107-110). En conclusion, elle soutient qu’une historiographie véritablement matérialiste et anti-essentialiste des pionnières du cinéma devrait reconnaître le travail de toutes les femmes qui ont pris part aux pratiques cinématographiques des débuts :

For agency in this context means credit for the women who imagined, scripted, arranged, shot, cut, and conformed the first moving pictures. Credit means recovery of the lost and languishing and reconstitution of the historical record. Giving credit to women missing and eclipsed means rewriting the cultural history of the century of the industrially produced fantasy.

Gaines 2002, p. 110

Quelqu’un à/de qui parler

Comme la nouvelle historiographie féministe du cinéma des premiers temps dont il a été quetion dans la section précédente le démontre, la reconceptualisation de l’auteur en tant que sujet féminin implique une reconstitution de l’histoire des pratiques cinématographiques des femmes, non comme tradition subalterne ou alternative, mais comme pratique discursive prenant place dans la modernité. La femme auteure doit par ailleurs y être considérée comme une interlocutrice avec qui le chercheur ou la chercheuse féministe peut entamer un nouveau dialogue.

Dans un article intitulé « Quelqu’un à qui parler », paru dans Politique des auteurs et théories du cinéma, ouvrage dirigé par Jean-Pierre Esquenazi (2002), Pierre Sorlin (2002, p. 137-163) revient sur le problème théorique soulevé par Gaines, qui est souvent au centre de débats esthétiques sur l’auteur, et ce, dans des disciplines et à des époques différentes : l’affirmation voulant que l’analyse auctoriale révèle l’intention de l’artiste vis-à-vis de l’oeuvre d’art. À cet égard, Sorlin (2002, p. 162) affirme que l’auteur est porteur d’« un héritage très particulier, progressivement construit, dans le monde atlantique, à travers la naissance de la critique, l’invention du sujet et la mythification des génies ». Il invite ainsi le critique (et, par extension, le spectateur) à « engager le dialogue » avec l’auteur et à dévoiler sa position personnelle à l’égard de celui-ci.

Comme Jost (1998, p. 159-161) l’a remarqué, l’auteur cinématographique répond d’abord à une « condition transcendantale » coïncidant avec le stade d’auteurisation, avant de devenir « une instance variable », selon les périodes historiques et les contextes de production et de réception filmiques auxquels il est associé, oscillant ainsi constamment entre autographie et allographie.

Les propos de Sorlin et de Jost nous aident à comprendre les enjeux épistémologiques au coeur de la relation entre sujet analysant et objet analysé, relation que, chez les tenants de l’approche auctoriale, on a souvent défini en termes de désir et de projection du critique ou du spectateur. Cependant, leur discussion à propos de l’auteur, ainsi que la tradition culturelle dont ils s’inspirent, relèvent d’une vision universaliste du Sujet, qu’il s’agisse du sujet créateur, du sujet critique ou du spectateur. Que se passe-t-il donc quand ce Sujet est un sujet féminin ? Pour éviter de tomber dans le piège essentialiste qui nous attend au détour de cette question, il faut souligner que notre but ici n’est pas de définir la subjectivité auctoriale des femmes comme appartenant à une tradition culturelle autonome et spécifique.

Pour les chercheurs et chercheuses féministes, analyser la femme auteure ne revient pas simplement à supposer un sujet fictif à la base de textes ou de pratiques filmiques. Dans l’historiographie féministe, l’auteure n’est pas seulement le produit du désir narcissique de l’analyste ou d’une herméneutique hypostasiant un sujet immanent. La nature politique du rapport entre sujet analysant et sujet analysé dans le discours féministe ne doit pas être sous-estimée ; comme Bruno (1993, p. 234) le note, en s’inspirant de Kaja Silverman, la mort de l’auteur en tant qu’autorité paternelle « n’empêche pas la possibilité de l’auteurisme féminin », et les questions « qui parle ? » ou encore « qui est le sujet responsable du discours ? » sont d’une grande importance lorsqu’on se propose de faire l’analyse de l’histoire du cinéma, les femmes ayant été exclues de ce pan de l’Histoire comme de beaucoup d’autres. C’est en fonction de cette perspective que Staiger (Gerstner et Staiger 2003, p. 29-30) affirme ce qui suit :

Yet authorship does matter. It matters especially to those in non-dominant positions in which asserting even a partial agency may seem to be important for day-to-day survival or where locating moments of alternative practice takes away the naturalized privileges of normativity.

Une historiographie matérialiste et anti-essentialiste constituerait sans doute un encouragement à sortir des sentiers battus, et permettrait de diversifier les approches utilisées dans la recherche sur les pionnières du cinéma : il faudrait en effet s’intéresser davantage aux aspects légaux, industriels, sociaux, économiques, commerciaux et institutionnels de la question. Néanmoins, tout en examinant les conditions de travail des femmes dans les pratiques cinématographiques des débuts, on devrait aussi tenir compte des formations discursives (auctoriales, notamment) que suscitent ces pratiques.

Selon Gaines (2002, p. 110-111), reconnaître que les pionnières du cinéma ont joué un rôle de « productrices » (makers), au sens pratique du mot — en tant qu’ouvrières, actrices, scénaristes, productrices ou réalisatrices —, est une priorité pour l’historiographie féministe de cette période. Or, pour aborder ainsi l’histoire, il n’est ni nécessaire ni opportun de s’appuyer sur la notion d’auteur. Ainsi, une véritable histoire des pionnières du cinéma, nous en convenons avec Gaines, devrait être non seulement celle d’Alice Guy-Blaché, mais aussi celle des travailleuses de Gaumont, aussi bien que des couturières, des figurantes et des assistantes de plateaux, ou encore des secrétaires et des assistantes de cadres, producteurs, réalisateurs et inventeurs du cinéma des premiers temps.

Cependant, s’intéresser à Alice Guy-Blaché et la situer parmi les pionnières françaises (ou états-uniennes) du cinéma en tant qu’auteure, n’implique pas nécessairement le rejet de toute approche historique, qu’elle soit liée à l’histoire intellectuelle, à l’histoire des mentalités ou à l’histoire matérialiste. En ce sens, comme Lauren Rabinovitz le note ici même, dans son article, l’historiographie féministe propose une réévaluation de la dimension extra-textuelle de l’auteur, qui doit dorénavant être pensée au sein d’un ensemble incluant toutes les professions ainsi que tous les rôles sociaux endossés par les femmes dans le cinéma des premiers temps :

Authorship in this regard then is not merely a unity across the text but is established in relationship to human agency within industrial or artisanal networks and practices. Authorship as a practice is therefore contingent on securing a position and power within institutional frameworks and reception.

Considérer Guy-Blaché comme une auteure fait partie d’une pratique historiographique qui rétablit une juste perspective sur les statuts sociaux et culturels des femmes dans le cinéma des débuts. De plus, utiliser le concept d’auteur peut se révéler utile pour éviter de réduire l’historiographie des pionnières à une simple liste de noms et pour comprendre les relations discursives des pratiques sociales et productives liées au cinéma.

Une histoire véritablement matérialiste est une histoire qui analyse les rapports intersubjectifs tels qu’ils s’établissent dans des contextes productifs spécifiques, rapports au sein desquels l’auteur occupe une place qui, sans être la seule, n’en est pas moins importante.

Évacuer l’auteur de l’histoire du cinéma, et particulièrement de l’histoire de ses débuts, cela veut dire s’empêcher d’analyser les aspects les plus problématiques des rapports de pouvoir et des politiques identitaires tels qu’ils ont évolué au sein des institutions cinématographiques.