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La rhétorique antique se conçoit d’abord comme un art de la persuasion, mais son champ d’application s’étend bien au-delà des genres judiciaire, délibératif et démonstratif. Parce qu’elle enseigne à plaire, émouvoir et convaincre afin d’infléchir les volontés et les actes, elle informe la totalité de la vie civile. À la Renaissance, l’éloquence redevient un idéal formatif et recherche l’unité parfaite entre ratio et oratio, res et verba. C’est à travers elle que l’homme se rapproche de son essence d’être parlant et sociable, qu’il reprend contact avec son humanité, dont on prétend qu’elle a été dénaturée par la scolastique. Et si la valorisation du naturel l’emporte sur celle de l’artifice vers le milieu du xvie siècle, ce n’est pas le fait d’un mépris pour la rhétorique mais le signe le plus sûr de son intériorisation. Délivrée du formalisme de la contention civique, elle oeuvre désormais dans tous les milieux et détermine profondément les rapports interpersonnels. Si ceux-ci se retrouvent assujettis aux mêmes règles de convenance sociale, morale et technique qui régissent l’art du discours, c’est pourtant dans un nouveau registre que ces règles vont être exploitées, ce qui implique certains aménagements à l’oral comme à l’écrit. Ainsi, à l’âge de l’éloquence formelle succède l’âge de la conversation [1], dont le dialogue et la lettre, et bientôt l’essai, seront les aires d’exercice privilégiés.

L’influence des ouvrages de civilité sur le développement de la rhétorique se fait de plus en plus sensible vers la fin du xvie siècle. Baldassar Castiglione a montré dès 1528, dans Le livre du Courtisan, ce que la société de cour représente : la conquête de l’humanitas à travers une culture extériorisée par les manières, la rencontre de la rhétorique et de l’éthique stoïco-cicéronienne dans une vie composée comme un discours et un discours qui cherche à se conformer à la nature. Dans sa Galatée ou des Manières, publiée en 1558, Giovanni della Casa pousse plus loin encore l’idéal de civilitas, qui devient l’expression la plus achevée de l’humanisme rhétorique, le fondement régulateur de la vie sociale et du discours [2]. La civil conversazione de Stefano Guazzo, publiée à Brescia en 1574 et traduite en français dès 1579 par Chappuys et par Belleforest [3], « met l’accent sur le bonheur du dialogue entre interlocuteurs “civils” et lettrés, respectant les règles de l’urbanité [4] ». Une contamination sémantique s’opère alors entre conversatio, qui signifie au sens premier « fréquentation habituelle », et sermo, parole improvisée et détendue. La présente étude voudrait examiner les circonstances de cette assimilation et en explorer les échos dans certains passages clés de l’oeuvre de Guazzo. Il ne s’agit pas de présenter ici une typologie du style conversationnel, mais plutôt, dans une perspective topologique, d’arpenter et de baliser sommairement ce vaste domaine.

Promotion du sermo et triomphe du genre familier

La rhétorique humaniste se distingue de la rhétorique antique notamment par l’importance qu’elle accorde au style conversationnel. Les Anciens, et Cicéron parmi les premiers, se désolaient de l’absence de codification de la parole ordinaire, mais personne avant la Renaissance n’avait pris l’initiative de l’intégrer véritablement au canon rhétorique. Traitant brièvement du style et des qualités de la conversation dans le premier livre du De officiis, Cicéron établissait une distinction entre le sermo, entendu au sens de style conversationnel, et la contentio orationis, c’est-à-dire le grand style de la parole publique :

L’importance de la parole est grande ; elle sert tantôt à la polémique [contentio], tantôt à la conversation [sermo] : la polémique est réservée aux débats des tribunaux, de l’assemblée du peuple ou du sénat ; la conversation se trouve dans les réunions, les discussions, les rencontres d’amis ; elle suit également les banquets. Les rhéteurs ont des règles pour la polémique ; il n’y en a pas pour la conversation ; pourtant je ne sais s’il ne pourrait pas y en avoir aussi en ce cas ; quand on a le goût d’apprendre, on trouve des maîtres, mais personne ne désire apprendre à causer, tandis qu’il y a foule chez les rhéteurs. Et cependant les règles qui concernent la parole et les idées s’appliqueront aussi bien à la conversation [5].

La parole est capable de modulations diverses, chacune ayant une fonction spécifique. Le sermo, c’est l’éloquence nue, dépouillée de son manteau d’apparat, de sa dimension trop nettement polémique. Ce n’est pas pour autant la spontanéité totale, ou l’expression tout à fait libre et naturelle, puisque Cicéron conçoit que la conversation puisse être assujettie à des règles, voire enseignée. C’est un mode mieux approprié à l’échange informel dont les circonstances d’élocution ne sont pas celles du forum ou du tribunal et ne commandent pas un traitement systématique. Ici, à l’oral comme à l’écrit, l’accent porte davantage sur l’ethos que sur le pathos ou le logos : c’est, en même temps, le refus d’un conventionnalisme excessif et la promotion d’une parole investie d’individualité. Le sermo est « éthique », au sens aristotélicien du terme [6], parce qu’il met en évidence différents traits de caractère, qu’il y ait adéquation ou non entre ceux-ci et le tempérament réel du locuteur. Le sermo est également « éthique » au sens hermogénien du terme, dans la mesure où il exploite de manière privilégiée des composantes stylistiquement marquées comme relevant de l’ethos : la naïveté, la saveur, le piquant, le gracieux, le plaisant, le joli et la sincérité [7]. Il convient naturellement aux dialogues comme aux lettres familières où l’expression individuelle, la candeur et la convivialité sont valorisées.

Le « triomphe » du sermo au xvie siècle, son accession au statut de registre à part entière, ne s’impose pas spontanément : il est le résultat d’une évolution lente et plus ou moins cohérente de la rhétorique, dont il ne représente pas la négation, mais l’adaptation à un contexte nouveau. Les marques de cette évolution sont perceptibles tout au long de la Renaissance dans le changement de polarisation du discours, qui néglige de plus en plus le logos et le pathos pour privilégier l’ethos et se préoccupe davantage de l’elocutio que de l’inventio ou de la dispositio. Dans cette perspective, l’essor d’une théorie du style conversationnel est en grande partie imputable aux travaux d’Érasme sur le genre épistolaire. En ajoutant, dans son Opus de conscribendis epistolis de 1521, le registre familier aux trois genres traditionnels (judiciaire, délibératif et démonstratif), il pose en idéal stylistique la naturalisation de l’art et ouvre un espace pour la conceptualisation du sermo. Certes, il s’agit d’abord d’un manuel d’épistolographie, mais le vieux truisme de la lettre, cette « conversation par écrit », va lier de manière inextricable les autres formes conversationnelles à sa théorie : ce qui vaut pour l’une vaut aussi pour les autres. La mutation de l’espèce en genre, qui s’opère avec Érasme, s’accompagne d’un élargissement du paradigme « familier » qui, au lieu de qualifier simplement le type de destinataires ou une topique particulière, renvoie désormais à une manière de s’exprimer. Il est des sujets « familiers » que l’on peut traiter ou non de façon conséquente, comme il y a des amis auxquels on s’adresse avec plus ou moins d’élégance. Dans les affaires privées comme dans les questions d’intérêt public, l’avantage du mode familier sur les autres registres est considérable. L’auteur n’a pas à se soucier autant des questions de méthode, de l’ordre du discours, de l’équilibre entre l’exorde et la péroraison. Il peut présenter, moyennant quelques artifices semés çà et là dans ses lettres ou dialogues, des ébauches de ses oeuvres à venir, des fragments autrement relégués aux tiroirs, quelques coups d’essai. Car, après tout, il n’est guère de sujet qui soit hors de portée de la conversation [8].

Le genre familier représente, pour Érasme, l’aire d’exercice privilégiée d’un ethos qui rêve de transparence, d’un style qui serait l’expression de l’ingenium propre au sujet écrivant, c’est-à-dire qu’il y voit l’occasion de se montrer pleinement soi-même en accommodant son style à sa manière d’être. Il ne renonce pas pour autant à la rhétorique traditionnelle, mais souhaite plus de souplesse dans l’adaptation du discours à la situation d’élocution et aux réalités contemporaines. La lettre familière n’est pas, bien sûr, le seul laboratoire où s’opèrent ces transformations, cependant elle s’y prête mieux que les autres formes en raison du decorum spécifique à ce type d’échange. La notion de convenance, on le sait, est au coeur de la rhétorique humaniste. Or, l’adaptation de l’expression aux circonstances d’un commerce à prétention égalitaire implique un ethos convivial et sincère, un style sans affectation apparente. Cet ethos rejaillit sur l’ensemble du discours et transmet ses qualités au style. Ainsi le mot « familier », puisque l’on parlera au xvie siècle de lettres « familierement escrittes [9] », en vient à désigner l’expression d’un ethos familier. L’apte dicere érasmien est cette espèce de continuum éthique et stylistique qui, du désir de bien faire au souci de bien dire, encourage la dissimulatio artis dans les échanges interpersonnels.

Du sermo à la conversation civile

La civil conversazione (1574) de Stefano Guazzo [10] fait écho à cette conception du sermo, dans la mesure où elle prend acte du changement de paradigme amorcé par Érasme et en tire les conséquences pour la pratique de la conversation. Traité de savoir-vivre plutôt que manuel de rhétorique, l’oeuvre s’inscrit dans la tradition des dialogues « pédagogiques » qui, depuis l’Antiquité classique, constituent un des modes privilégiés pour exposer une doctrine avec souplesse [11]. Guazzo y met en scène deux personnages, le Chevalier Guillaume et le Seigneur Annibal, qui discutent des mérites et des enjeux de la conversation. Le Chevalier, en homme de son temps, se méfie de la parole et particulièrement de ceux qui font profession de l’enseigner : « Il m’est advis que l’on peut dire que ces professeurs d’éloquence, souz l’espece d’orateur, font l’office du poëte, et par la fiction des paroles, demonstrent le peu de sincerité qui est en eux » (CC, f. 139). Le Seigneur Annibal entreprend de lui montrer qu’il existe une forme d’éloquence, « non seulement profitable, mais aussy necessaire à la perfection de l’homme » (CC, f. 31), puisque « la langue nous sert à enseigner, demander, conferer, negocier, conseiller, corriger, disputer, juger, et à exprimer l’affection de nostre coeur, moyens par lesquels les hommes viennent à s’aymer et conjoindre ensemble » (CC, f. 31). Car l’enjeu du dialogue dépasse de loin les simples considérations stylistiques : il s’agit, à travers l’examen des ressources expressives du langage, d’apprendre à vivre en société.

En quoi consiste cette rhétorique à part que le Seigneur Annibal s’emploie à illustrer ? Prêchant par l’exemple, il en parle de manière informelle, évitant sciemment d’employer des termes techniques, sous prétexte qu’ils ne sont pas à la portée de tous les esprits et qu’il ne saurait mieux en parler que les grands rhéteurs, tout en abordant tour à tour des questions relatives à l’actio, l’elocutio ou l’inventio, et en dissertant sur l’importance d’adapter son discours aux circonstances. Il conçoit d’abord cette rhétorique comme étant distincte de l’eloquentia civique, du fait qu’elle ne cherche pas l’adhésion à tout prix, mais privilégie au contraire le compromis : « Quand vous voyez que vous ne gagnez rien de debatre avec l’amy, et qu’il y a danger de quelque desordre, vous devez plustost plier que rompre » (CC, f. 100). Elle prend appui sur la sagesse populaire, préférant le proverbe à la citation savante, le propos familier et plaisant plutôt que le style « affectez et grave » (CC, f. 16). Comme les tuyaux d’un orgue, lesquels rendent chacun un son distinct « et neantmoins sont tous proportionnez ensemble, et font un seul corps » (CC, f. 126), il existe plusieurs manières de converser, voire plusieurs modalités stylistiques, mais toutes peuvent être rapportées à un même principe : le propos se doit d’être transparent, c’est-à-dire que l’on doit pouvoir reconnaître les qualités de l’individu dans son discours : « Qui veut donques se porter heureusement en la civile conversation, doit considerer que la langue est le miroir et le pourtrait de son esprit, et que tout ainsi que nous congnoissons la bonté et faulseté de l’argent par le son d’iceluy, aussy par le son des parolles nous comprenons, au-dedans, la qualité et moeurs de l’homme » (CC, f. 137). Seule la parole « image de l’âme » (« eikon psyches [12] ») permet d’atteindre l’une des fins premières de la conversation : apprendre à se connaître soi-même dans l’échange avec autrui :

Retournant donques à mon discours, je soustien et certifie que l’homme non seulement se despouille de pusilanimité et de presomption, ou de gloire, mais aussy s’empare de la congnoissance de soymesme, par le moyen de la civile conversation : car, si vous y pensez bien, le jugement que nous avons de congnoistre nous mesmes, n’est pas nostre, mais nous l’empruntons des autres : attendu que quand nous sommes advertiz par plusieurs personnes, ou blasmez, ou reprins, et renduz, par signe plus advisez, pour quelque faute que nous commettons ou de parole ou de fait, en fin, nous sommes contens, de nous soumettre aux communes opinions, et venons à recongnoistre en nous, quelque imperfection, que nous mettons peine de corriger, selon le jugement d’autruy.

CC, f. 127

Or comment peut-on prétendre se connaître véritablement si l’image que l’on offre de soi et sur laquelle s’appuient les autres pour nous conseiller ne correspond pas à la réalité ? En trompant les autres, on se trompe soi-même, puisque leur jugement entre pour une bonne part dans l’idée que l’on se fait de sa personne. Comment, du reste, vivre en société si l’on ne peut se fier à la parole d’autrui ? Ces considérations éthiques peuvent sembler éloignées des questions stylistiques soulevées plus haut ; elles en sont pourtant le corollaire incontournable en regard de l’humanisme pour qui l’homme s’édifie dans et par le langage. Et pour preuve que la rhétorique épistolaire n’est pas étrangère à cet art de la conversation : l’échange entre le Chevalier et le Seigneur Annibal se termine sur la promesse de poursuivre la discussion par lettres.

Émergence d’une figure de la subjectivité moderne

Même si la rhétorique humaniste n’a jamais établi clairement l’adéquation entre style conversationnel, ou sermo, et genre familier, force est d’admettre que ce glissement est perceptible dans nombre d’ouvrages sur la civilité ou la conversation, à commencer par ceux de Castiglione et de Guazzo, qui n’hésitent pas à adapter les principes et les divisions de la rhétorique à l’échange oral, lui reconnaissant de facto le statut de registre à part entière, capable des mêmes variations dans l’expression, du style bas au plus soutenu, que le mode polémique, mais caractérisé par une argumentation plus souple et mieux appropriée à l’échange interpersonnel. Si nous insistons ici sur cette assimilation, tout en reconnaissant d’un même souffle qu’elle ne fut jamais actualisée pleinement, c’est pour mieux expliciter, dans la perspective d’une théorie des genres, les filiations entre différentes espèces comme la lettre, l’essai (dans la tradition française [13]), l’autobiographie, les mémoires, le journal intime, que l’on pourrait à bon droit considérer comme relevant toutes du genre familier. Ces espèces participent, en effet, d’un nouvel ordre sociodiscursif qui, à partir de la Renaissance, autorise une expression de plus en plus individualisée. Ainsi, Étienne Pasquier, entreprenant dans ses Lettres (1586) le tableau de ses pensées et de ses moeurs, entend rester fidèle à son tempérament avant que de chercher à plaire au lectorat, ce qui le conduit à s’exprimer d’une manière dont on ne peut en aucun cas présumer de la sincérité réelle, mais qui de toute évidence cherche à rompre avec le decorum technique et le discours exemplaire. Pour marginale ou relative qu’elle soit, en regard d’un Montaigne par exemple, une telle indépendance d’esprit témoigne de l’émergence de l’individualisme dans la prose française.

La lettre familière, l’essai, l’autobiographie, les mémoires, le journal intime ont en commun l’exploitation d’un ethos [14] nouveau, celui de l’homme qui prétend parler sans masque, échangeant librement avec les autres, toujours soucieux du decorum et, à cet égard, en accord avec la tradition rhétorique, mais, et c’est l’élément inédit, préoccupé aussi par la coïncidence de l’image qu’il donne de lui-même et d’une réalité extérieure au discours : le caractère qu’il se découvre et qui le rend reconnaissable aux yeux d’autrui. Car si le genre délibératif a pour objet le bonheur, le démonstratif la vertu et le judiciaire le plaisir, le lieu essentiel des espèces que nous venons d’énumérer n’est-il pas celui de la sincérité ? Il s’agit en effet de l’enjeu fondamental du mode conversationnel où tout s’effondre au moment où l’artifice intervient de manière trop sensible et compromet la communication. On ne s’étonnera guère de voir l’avocat ou le politique défendre l’indéfendable, puisqu’ils s’expriment dans le contexte d’un parti pris manifeste, mais celui qui parle en son propre nom risque d’être stigmatisé durablement s’il déroge à l’impératif moral de se montrer sincère dans ses rapports avec autrui.

Le sermo, tel que conçu par Érasme et exploité par Guazzo, constitue en quelque sorte une porte d’entrée de l’individualisme en littérature parce qu’il autorise, voire encourage, l’expression de soi, alors que le mode polémique ne la cautionne que si elle peut servir l’argumentation. Certes, il n’est pas évident de faire le départ entre ce qui relève d’une stratégie argumentative et ce qui correspond à une réalité extratextuelle (la chose est-elle même possible ?), mais la prédilection dont jouit le mode conversationnel à l’époque classique témoigne à tout le moins d’un désir de se démarquer du conformisme sociodiscursif qui déterminait jusqu’alors non seulement les discours, mais les identités mêmes. Ce que le genre familier ouvre enfin, c’est un espace pour la dissidence et pour l’affirmation de soi, là où il est permis de ne pas souscrire à l’opinion reçue, dans ce domaine identitaire privé en voie de constitution. Et dans cette pratique éminemment réflexive de l’écriture qu’incarnent la lettre, les mémoires, l’autobiographie ou l’essai, l’individu se définit à travers son discours et dans ses rapports aux autres, se représentant tel qu’il se voit ou voudrait être, plutôt qu’en fonction d’un modèle social rigide de vertus et de convenances, dans un mouvement dialectique sans fin où le « je » du discours ne pourra jamais coïncider tout à fait avec le locuteur, mais sera à tout le moins endossé par lui. Sincère ou non ? Impossible à déterminer, car personne ne parviendra jamais à faire tomber le dernier masque, mais la parole, lorsque assumée de façon pleine et entière, participe d’une construction éthique cohérente, de l’affirmation d’un caractère dont la prégnance trahit à elle seule quelque chose de l’individu [15]. La parole révèle l’être à lui-même avant de le dévoiler aux autres sans que personne, pas même le locuteur, ne puisse mesurer vraiment l’adéquation entre les deux, tant le hiatus entre l’être et le langage est plus grand encore que le fossé d’incommunicabilité qui nous sépare des autres. Et c’est tendu entre les pôles du public et du privé que l’individu cherche à se définir, distinguant mal, parfois, où s’arrête la représentation. Notre modernité marque le refuge possible dans cet espace privé, jadis hors de portée, où l’individu découvre un autre soi et des possibilités d’expression nouvelles.