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Tous les organismes vivants présentent des activités rythmiques qui s’expriment depuis les bases moléculaires jusqu’aux fonctions physiologiques les plus intégrées. D’origine endogène, les rythmes biologiques sont synchronisés sur 24 heures par les variations cycliques de la lumière (alternance nuit/jour-durée du jour). Chez les mammifères, dont les primates et l’homme, les supports neuro-anatomiques et la chaîne fonctionnelle qui sous-tendent l’intégration du signal lumineux mettent au coeur du système les noyaux suprachiasmatiques (NSC), générateurs des rythmes endogènes et considérés comme le siège de l’horloge biologique. L’information lumineuse est transmise aux NSC dont l’activité est modulée par différents noyaux cérébraux et par la mélatonine. Produite uniquement la nuit par la glande pinéale, la sécrétion de mélatonine, par sa durée et son amplitude, détermine un calendrier interne qui régule les rythmes journaliers et saisonniers des grandes fonctions physiologiques assurant l’homéostasie, la reproduction et la survie (Figure 1).

Figure 1

Schéma des structures impliquées dans l’expression des rythmes biologiques.

Schéma des structures impliquées dans l’expression des rythmes biologiques.

Les oscillations endogènes des noyaux suprachiasmatiques et la sécrétion de mélatonine sont entraînées sur 24 h par l’alternance jour/nuit permettant la mise en place, au travers des structures centrales et périphériques, des rythmes journaliers et saisonniers.

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Les effets d’une désynchronisation des rythmes biologiques par rapport aux facteurs environnementaux restent peu connus mais, chez l’homme, les perturbations rythmiques pourraient être à l’origine des altérations physiques, métaboliques et pathologiques observées en situation de dérégulation temporelle artificielle (travail posté, voyages transméridiens), mais aussi lors du vieillissement. En effet, les études conduites chez les mammifères, y compris l’homme, ont démontré, qu’avec l’âge, apparaissaient des perturbations rythmiques caractérisées par des modifications d’amplitude, de phase ou de période selon les paramètres testés, modifications révélatrices d’une possible désynchronisation interne pouvant altérer la survie [1-5]. Ces effets du vieillissement ont surtout été démontrés sur les rythmes journaliers et peu de travaux concernent les rythmes saisonniers présents chez les primates et l’homme. Même si les facteurs socioculturels jouent un effet de masque, l’existence des rythmes saisonniers chez l’homme est attestée par divers paramètres parmi lesquels les rythmes de reproduction, les données épidémiologiques, les variations métaboliques et le statut hormonal sont les plus pertinents [6]. Ainsi, parmi toutes les théories actuelles sur le vieillissement [7], il a été suggéré que le déclin des performances physiologiques et comportementales observé lors du vieillissement, ainsi que l’apparition de pathologies, seraient en partie le résultat d’une désynchronisation des rythmes biologiques.

Chez les primates non humains, la connaissance des perturbations rythmiques au cours du vieillissement reste encore très fragmentaire et concerne essentiellement le macaque Rhésus et le microcèbe dont les longévités en captivité sont respectivement de 35-40 ans et 10-12 ans. Le microcèbe, un primate malgache (Figure 2), représente un support original pour les études sur le vieillissement du fait de ses rythmes adaptatifs de grande amplitude contrôlés par la photopériode [8, 9] et de ses pathologies liées au vieillissement très similaires à celles observées chez l’homme. Cette synthèse présente, de façon non exhaustive, les modifications des rythmes biologiques associées au vieillissement chez les primates, en référence à l’homme.

Figure 2

Évolution de la morphologie faciale en fonction de l’âge chez le Microcèbe.

Évolution de la morphologie faciale en fonction de l’âge chez le Microcèbe.

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Vieillissement et rythme d’activité générale

Avec l’âge, l’activité générale et le rythme veille/sommeil s’altèrent chez l’homme. La fragmentation de ces rythmes s’explique en partie par une augmentation des épisodes de sommeil pendant la journée et de fréquents réveils pendant la nuit [1, 10]. À ces phénomènes, s’ajoutent des modifications dans les modalités de resynchronisation lors d’avances ou de retards de phase [11]. Chez les primates, peu d’études traitent du rythme veille/sommeil. Les rares indications existantes mentionnent une baisse de l’activité journalière chez le macaque [12]. Chez le microcèbe âgé (âge > 5 ans), l’activité locomotrice, strictement nocturne chez l’adulte, survient en avance de phase, se fragmente et des séquences d’activité sont présentes pendant le repos diurne (Figure 3). La resynchronisation des rythmes journaliers lors d’avance ou de retard de phase est également modifiée [13]. En outre, les résultats révèlent un dysfonctionnement des réponses à l’entraînement photopériodique, phénomène rarement mentionné dans les études sur le vieillissement des rythmes d’activité.

Figure 3

Profils journaliers de la température interne (courbe bleue) et de l’activité locomotrice (traits verticaux rouges) enregistrés chez le même microcèbe.

Profils journaliers de la température interne (courbe bleue) et de l’activité locomotrice (traits verticaux rouges) enregistrés chez le même microcèbe.

A. Adulte, à l’âge de 3 ans. B. Adulte âgé, à l’âge de 7,5 ans. Le vieillissement s’accompagne d’une fragmentation et d’une baisse d’amplitude des rythmes. Les périodes nocturnes sont indiquées en jaune.

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Vieillissement, température interne et métabolisme

Avec l’âge, les profils de température interne chez l’homme, par nature en relation avec le rythme veille/sommeil, présentent une diminution de l’amplitude et s’accompagnent souvent d’une avance de phase du minimum matinal [10]. Chez le microcèbe, les perturbations du rythme et la baisse d’amplitude sont particulièrement marquées en raison de la modification de la phase de torpeur diurne présente chez cette espèce (Figure 3). En outre, les différences saisonnières dans l’expression de la torpeur diurne, normalement observées chez les animaux adultes, disparaissent chez les animaux âgés.

L’affaiblissement des rythmes de température interne est à mettre en parallèle avec les déficiences observées à différents niveaux du système de thermorégulation, associant baisse de thermogenèse et augmentation des pertes énergétiques au cours du vieillissement [10, 14]. Si chez les primates, les apports caloriques, la composition corporelle et les mécanismes qui les régulent évoluent avec l’âge, peu d’approches rythmiques y ont été consacrées. Chez le microcèbe, le métabolisme basal et la masse corporelle fluctuent en fonction des saisons de façon inverse avec de grandes amplitudes (Figure 4). Au cours du vieillissement, l’amplitude de ces variations diminue, reflétant un échappement au contrôle photopériodique des fonctions énergétiques. Les pertes énergétiques accrues au cours de la sénescence seraient, comme chez d’autres primates, liées à des modifications de la composition corporelle, des systèmes de thermorégulation et des processus d’acquisition de l’énergie. De nombreuses études chez l’homme âgé ont par ailleurs décrit tout un ensemble de modifications journalières dans les rythmes biochimiques, hématologiques ou immunologiques avec, le plus souvent, une baisse d’amplitude et des décalages de phase [2].

Figure 4

Évolution au cours de l’âge des variations saisonnières de la masse corporelle et du métabolisme de repos chez des microcèbes en captivité (µ ± sem, n = 16).

Évolution au cours de l’âge des variations saisonnières de la masse corporelle et du métabolisme de repos chez des microcèbes en captivité (µ ± sem, n = 16).

En période hivernale (jaune), les animaux présentent une phase d’engraissement et une réduction métabolique. L’amplitude de ces variations saisonnières décroît après l’âge de la demi-vie (5 ans) suggérant une altération des réponses à la photopériode.

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Parmi les hormones impliquées dans le déclin somatique au cours du vieillissement (synthèse des protéines, masse maigre, masse osseuse et fonction immunitaire), l’hormone de croissance (GH) présente, au cours du vieillissement et dans les deux sexes, une réduction des pulses nocturnes [2, 15]. Les relations avec les modifications du rythme veille/sommeil restent à préciser. De façon identique, le vieillissement affecte la sécrétion de l’IGF-1 (insulin-like growth factor-1), un marqueur supposé de longévité lié au statut nutritionnel et métabolique [16]. Néanmoins, la composante rythmique de ces perturbations est encore à l’étude.

Vieillissement et paramètres endocriniens

Axe hypothalamo-hypophyso-gonadique

La diminution des fonctions de reproduction avec l’âge est un phénomène très étudié chez les primates. D’une façon générale, et dans les deux sexes, les rythmes journaliers des hormones sexuelles présents chez l’adulte s’affaiblissent ou disparaissent au cours du grand âge [2, 15, 17-20]. Pour le microcèbe, primate à reproduction saisonnière, les variations saisonnières de testostérone plasmatique persistent avec une grande amplitude jusqu’à un âge très avancé (6-7 ans) puis disparaissent. De même, la sécrétion d’oestrogènes diminue également avec l’âge chez la femelle microcèbe, mais sans effet direct sur la fécondité, cette espèce ne présentant pas de ménopause. À un niveau plus central, la baisse de l’activité gonadique s’accompagne d’une augmentation des hormones gonadotropes dont les rythmes journaliers disparaissent dans les deux sexes, mais avec persistance de rythmes saisonniers pour certaines d’entre elles [2, 21].

Axe hypothalamo-hypophyso-thyroïdien

Les variations journalières de la thyroxine, avec un pic en fin de journée, ne semblent pas affectées par le vieillissement [2]. Néanmoins, l’effet du vieillissement sur les variations saisonnières observées chez les primates n’est pas connu.

Axe hypothalamo-hypo-surrénalien

Parmi les hormones surrénaliennes, les variations journalières du cortisol ne semblent pas affectées par l’âge et la tendance à une avance de phase du pic matinal, pas toujours observée, serait dépendante des saisons [2, 20, 22, 23]. En revanche, la synthèse et production de déhydro-épiandrostérone (DHEA) et du sulfate de DHEA, phénomène apparemment spécifique aux primates, diminue au cours de l’âge chez l’homme dans les deux sexes et chez certains primates dont le microcèbe [19, 20, 24]. Considérés comme un marqueur du vieillissement biologique, les taux de DHEA seraient même indicateurs de la longévité intra- et interspécifique. Cette hormone présente un rythme journalier très accusé caractérisé par un pic en fin de matinée chez l’adulte, pic qui disparaît avec l’âge [22, 23].

Effet du vieillissement sur les mécanismes centraux

L’ensemble des données actuelles chez l’homme et les primates suggèrent que les perturbations rythmiques procèderaient d’une altération de l’entraînement par la lumière, ce qui sous entend une altération du fonctionnement des NSC dont l’origine peut être recherchée à différentes étapes d’intégration du signal lumineux. Le premier niveau concerne la réception de la lumière et s’il existe une opacification progressive du cristallin chez les primates âgés, son effet sur l’entraînement des rythmes reste à définir. En revanche, la sécrétion de mélatonine, qui reflète la transduction de la lumière, diminue avec souvent un décalage du pic nocturne chez les primates testés et l’homme [5, 20, 25]. Chez le microcèbe, les profils de mélatonine s’altèrent également avec le vieillissement et les différences saisonnières, normalement observées chez l’adulte jeune, s’estompent [26] (Figure 5A).

Figure 5

A. Profils journaliers de l’excrétion urinaire du principal métabolite de la mélatonine (aMT6s) chez des microcèbes jeunes et âgés (µ ± SEM, n= 12). Quelle que soit la photopériode (période nocturne en jaune), le rythme journalier disparaît chez les animaux âgés. B. Diminution de la réponse c-fos après un flash lumineux dans les noyaux suprachiasmatiques (NSC) de l’hypothalamus chez un microcèbe jeune et âgé. Ces deux paramètres indiquent un dysfonctionnement des réponses centrales à la lumière au cours du vieillissement. CO : chiasma optique ; V : 3e ventricule [26].

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Les modifications du fonctionnement des NSC lors du vieillissement sont difficilement accessibles chez les primates. Par des études post-mortem, une diminution du volume des NSC a été montrée chez l’homme âgé, accompagnée d’un déficit significatif de l’arginine-vasopressine (AVP) et/ou du polypeptide vaso-intestinal (VIP), neurotransmetteurs impliqués dans le fonctionnement rythmique des NSC [27]. Les rythmes journaliers et saisonniers de ces neurotransmetteurs sont également altérés avec l’âge, ce qui suggère une modification de l’activité fonctionnelle des NSC et de leur capacité à répondre à des signaux d’entraînement [28].

En absence de signaux d’entraînement journaliers (libre cours, désynchronisation forcée), la période endogène des NSC s’exprime. Cette période endogène, différente de 24 heures, semble se raccourcir chez l’homme, mais les données sont encore controversées tout comme chez les rongeurs. Chez le microcèbe, seul primate testé en longitudinal, la période endogène se raccourcit significativement avec l’âge. En outre, chez le microcèbe, par une approche fonctionnelle des NSC, il a pu être montré que la réponse à un signal lumineux était abaissée chez les animaux âgés (Figure 5B) [26] et que les rythmes journaliers d’AVP et VIP, bien que présents, étaient en décalage de phase en comparaison avec des données chez l’adulte. Ces travaux rejoignent ceux effectués chez les rongeurs, démontrant à l’évidence que l’intégrité fonctionnelle des NSC est nécessaire au bon fonctionnement rythmique de l’organisme. En effet, l’implantation de NSC foetaux sur des souris âgées permet une restauration des rythmes et un allongement de la survie [4]. Le vieillissement se reflète aussi dans l’expression des gènes de l’horloge [28, 29] avec des modifications de phase par rapport à l’entraînement lumineux, modifications susceptibles d’expliquer les désynchronisations rythmiques.

Conclusions et perspectives

Il est maintenant admis qu’il existe un avantage adaptatif de la rythmicité. Le maintien de rythmes biologiques synchronisés sur les facteurs d’entraînement est considéré comme un pronostic de longévité et un gage d’une meilleure qualité de vie. Compte tenu des recherches effectuées sur l’homme et les mammifères, des solutions ont été explorées pour améliorer les rythmes biologiques ou prévenir leur dégradation chez l’homme vieillissant.

Diverses procédures ont été suggérées pour rétablir l’amplitude du rythme de température interne et supprimer l’avance de phase, avec des effets bénéfiques sur le sommeil. Parmi elles, l’exercice physique ou un bain chaud le soir permettent une augmentation de la dissipation de chaleur et favorisent ainsi la chute de température interne nécessaire à l’endormissement chez l’homme [10]. De même, l’exposition à une lumière forte ou une prise de mélatonine le soir permet de restaurer des profils de température interne. D’ailleurs, chez les rongeurs, l’apport de mélatonine aux animaux âgés restaure en partie les profils d’activité veille/sommeil et permet de meilleurs réponses à des décalages de phases.

Une grande voie en cours d’exploration est la supplémentation en hormones sexuelles ou en DHEA. Néanmoins, même si ces traitements apportent une meilleure qualité de vie, leurs effets sur l’expression des rythmes biologiques restent à étudier précisément. Enfin, une restriction calorique modérée au cours de la vie ralentirait les processus du vieillissement. Cette hypothèse, encore en cours de validation chez certains rongeurs et le macaque, pourrait s’accompagner du maintien de l’amplitude des rythmes biologiques [25, 30].