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Les dysplasies ectodermiques forment un groupe de plus de 170 syndromes rares caractérisés par une atteinte des dérivés ectodermiques embryonnaires : follicules pileux, glandes sudorales, dents et ongles. La dysplasie ectodermique anhidrotique (DEA) est la forme la plus fréquente des dysplasies ectodermiques. Elle est caractérisée par une raréfaction des cheveux, des anomalies dentaires et surtout par une absence de sudation (anhidrose), conduisant souvent dans des pays chauds à des hyperthermies, responsables de morts infantiles précoces. Trois modes de transmission ont été décrits pour les DEA. Des mutations dans le gène de l’ectodysplasine, un ligand de type TNF (tumor necrosis factor) sont responsables de la forme la plus fréquente de DEA, la DEA liée au chromosome X. Des mutations dans le gène codant le récepteur de l’ectodysplasine EDAR sont associées à des DEA autosomiques dominante et récessive. Des mutations dans le gène codant EDARADD, une protéine adaptatrice se liant à EDAR, sont également responsables de DEA autosomiques récessives et dominantes. Cependant, malgré cette hétérogénéité génétique, il existe une grande homogénéité clinique.

Dysplasie ectodermique anhidrotique et voie de signalisation EDAR

L’activation du récepteur EDAR par son ligand, l’isoforme EDA-A1 de l’ectodysplasine est essentielle à la morphogenèse des dérivés ectodermiques comme les follicules pileux, les dents, les ongles et les glandes sudorales [1]. Plusieurs études ont montré qu’une altération de la voie de signalisation du récepteur EDAR est responsable de DEA chez l’homme et chez la souris. EDAR appartient à la famille des récepteurs des ligands TNF (tumor necrosis factor). Il possède un domaine DD (death domain) qui lui permet d’interagir avec la protéine adaptatrice EDARADD (EDAR associated death domain) [2, 3]. Il a été démontré que l’activation du récepteur EDAR conduit à une activation du facteur de transcription NF-κB qui joue un rôle majeur dans l’inflammation, la réponse immunitaire, la prolifération cellulaire, l’apoptose et la morphogenèse [4]. Dans la plupart des types cellulaires, NF-κB est séquestré dans le cytoplasme par les protéines IκB. La stimulation des cellules par des cytokines proinflammatoires ou d’autre agents active le complexe de kinase IKK (IκB kinase) composé de deux sous-unités ayant une activité kinase (IKK1/α et IKK2/β) et d’une sous-unité régulatrice (NEMO/IKKγ). L’activation du complexe IKK conduit à la phosphorylation des protéines inhibitrices IκB, leur ubiquitinylation et leur dégradation par le protéasome et donc à la libération de NF-κB qui est alors capable de transloquer dans le noyau pour activer ces gènes cibles (Figure 1). Il a été démontré que l’activation du récepteur EDAR conduit à une activation de NF-κB. En 2001, Doffinger et al. ont démontré que l’activation du récepteur EDAR conduit a une activation de NF-κB dépendante de IKK. Cependant, les mécanismes moléculaires de cette activation restaient à élucider [5].

Figure 1

Modèle d’activation de NF-κB par la voie de signalisation du récepteur EDAR.

Modèle d’activation de NF-κB par la voie de signalisation du récepteur EDAR.

Le récepteur EDAR, activé par l’isoforme EDA-A1 de l’ectodysplasine, utilise pour sa signalisation une protéine adaptatrice unique, EDARADD. Il a été montré que des mutations sur les gènes codant l’ectodysplasine, EDAR et EDARADD, sont responsables de dysplasie ectodermique anhidrotique (EDA) - liée à l’X (XL-EDA) dans le cas de l’ectodysplasine, - autosomique récessive (AR-EDA) ou dominante (AD-EDA) - dans le cas d’EDAR et EDARADD. Nos études ont montré que EDARADD interagit avec le complexe TAB2/TRAF6/TAK1 et que ce complexe est indispensable à l’activation de NF-κB par EDAR/EDARADD. Cette activation nécessite l’activation du complexe IKK, la phosphorylation, l’ubiquitination et la dégradation par le protéasome des protéines inhibitrices IκB.∈Des mutations dans les gènes codant la sous-unité NEMO du complexe IKK et IκBα sont impliquées dans des dysplasies ectodermiques anhidrotiques associées à des déficits immunitaires (ID), à des ostéopétroses (O) et des lymphoedèmes (L).

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TAB2, TRAF6 et TAK1 sont impliqués dans la voie de signalisation EDAR

Afin de comprendre les mécanismes moléculaires permettant au récepteur EDAR et à sa protéine adaptatrice EDARADD d’activer le complexe IKK, nous avons effectué une expérience de double hybride chez la levure [6]. Nous avons criblé une banque d’ADNc de kératinocytes humains avec comme appât la protéine EDARADD. Cette expérience nous a permis d’isoler la protéine TAB2 (TAK1 binding protein 2) comme partenaire d’EDARADD. Dans la voie de signalisation de l’interleukine-1, TAB2 est une protéine adaptatrice qui lie la protéine adaptatrice TRAF6 à la protéine kinase TAK1 (TGFβ associated kinase), ce qui permet l’activation de TAK1 et la phosphorylation du complexe IKK [7, 8]. Nous avons démontré grâce à des tests de co-immunoprécipitation que les protéines TAB2, TRAF6 et TAK1 interagissent avec EDARADD. Enfin, l’implication du complexe TAB2/TRAF6/TAK1 dans la signalisation du récepteur EDAR a été mise en évidence par des expériences de transactivation. En effet, des formes dominantes négatives de TAK1, TRAF6 et TAK1 sont capables de bloquer de manière dose-dépendante l’activation par EDARADD d’un gène raporteur sous le contrôle de site de fixation à NF-κB.

Nos résultats démontrent l’implication du complexe TAB2/TRAF6/TAK1 dans l’activation de NF-kB par le récepteur EDAR. Le rôle essentiel de ce complexe a déjà été démontré dans de nombreuses voies de signalisation activant NF-κB, comme les voies de IL-1R/TLR ou RANK [7- 9]. Notre étude participe à la mise en évidence du rôle prépondérant du complexe TAB2/TRAF6/TAK1 dans les voies de signalisation activant NF-κB. En effet, il semble être le point de convergence de la majorité des voies de signalisation NF-κB.

TAB2, TRAF6 et TAK1 sont des gènes candidats pour les dysplasies ectodermiques anhidrotiques

Notre étude a donc permis de mettre en évidence trois nouveaux gènes candidats pour les dysplasies ectodermiques anhidrotiques. Le rôle essentiel des protéines TAB2, TRAF6 et TAK1 dans les voies de l’IL-1/TLR et de RANKL nous donne à penser que des mutations de ces gènes peuvent également conduire à des déficits immunitaires et des ostéopétroses [7-9]. En effet, la voie de l’IL-1 est impliquée dans la réponse immunitaire et inflammatoire alors que la voie RANK est essentielle pour la physiologie des ostéoclastes. Les gènes TAB2, TRAF6 et TAK1 sont donc candidats pour des DEA pures ou pour des DEA associées à un déficit immunitaire (DI) et/ou à une ostéopétrose (O), et peut être à d’autres symptômes variés selon l’implication éventuelle de ce complexe dans d’autres voies de signalisation. Il est important de noter que des mutations dans les gènes codant IkBα et IKKγ sont responsables des syndromes DEA-DI ou DEA-DI-OL [5, 10]. Par ailleurs, l’invalidation du gène TRAF6 chez la souris provoque une dysplasie ectodermique anhidrotique associée à un déficit immunitaire et à une ostéopétrose [11, 12]. La mise en évidence de nouveaux gènes candidats pour des maladies génétiques rares grâce à la technique du double hybride, couramment employée pour mettre en évidence de nouveaux partenaires protéiques, constitue une méthode alternative à la méthode génétique classique. Elle est particulièrement utile lorsque le généticien est en présence de cas sporadiques ou de familles très réduites.