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J’ai peut-être connu plus de trente gars en moins d’un an, mais je suis toujours en santé. […] J’ai peut-être parfois fait des choses que je regrette maintenant, j’ai aussi exagéré, mais tout ce que ça m’a rapporté du point de vue de ma maturité, je n’aurais pas pu l’acquérir autrement. Je ne suis pas une fille facile, même si c’est ce que tout le monde croit. […]. Mais ça ne fait pas de moi une garce, car je les ai tous aimés. (p. 115-116)

Cet extrait d’un des scénarios du concours québécois « Passe ton message [mais sage] d’amour » mené en 1997-1998, pourrait résumer à lui seul l’ambivalence des adolescents et jeunes adultes Québécois (14-25 ans) face à l’amour, à la sexualité, mais aussi aux infections sexuellement transmissibles (IST) et au VIH-sida.

Les auteurs de l’ouvrage, largement illustré de passages de scénarios, ont réalisé une analyse lexicale et thématique sur une sélection de 327 textes participant au concours. Le double objectif de leur recherche, en marge du concours, est, d’une part, de mieux comprendre l’imaginaire et les représentations sociales des adolescents et jeunes adultes quant aux IST et au VIH-sida et, d’autre part, de concevoir des stratégies de prévention plus appropriées.

Dire que le modèle biomédical est largement prégnant ou que les représentations de l’amour se trouvent largement influencées par les mythes véhiculés en Occident relève presque du lieu commun, en tout cas cela confirme ce que l’on savait par ailleurs et que les auteurs affinent ici en montrant les écarts de genre, d’âge ou d’origine géographique des jeunes.

Les tensions entre l’amour, la sexualité et la maladie transparaissent. L’amour reste un élément fondateur de la trajectoire individuelle ; la sexualité est conçue comme un rite de passage, de plus en plus autonomisée. Quant à la maladie, IST mais bien davantage VIH-sida, elle est posée comme une sanction, une rupture, porteuse de remords et chargée d’incertitudes face à son développement et à l’affrontement de la mort. Les scénarios semblent plus faibles en ce qui concerne l’expérience de la séropositivité. La distinction entre séropositivité et symptômes du sida reste floue et refléterait une méconnaissance des différents stades de la maladie, cependant considérée par tous comme mortelle. L’annonce de la séropositivité reste problématique, tant pour les personnages qui doivent l’annoncer – ou la cacher – que pour les scénaristes qui peinent dans ce registre.

Car si la connaissance du VIH-sida qu’ont les jeunes Québécois provient des cours dispensés, des médias ou des livres, il reste que bien souvent ils la jugent limitée et pas de nature, soulignent les auteurs, « à assurer des conduites de protection efficaces et généralisées ». Du côté de la transmission, les relations sexuelles sont largement pointées du doigt – les relations homosexuelles occupent ici une place mineure – montrant que tout un chacun peut être touché. La prostitution et la consommation de drogues, comportements jugés déviants, sont les autres modes de transmission dominant.

Les stratégies de prévention, qui concluent l’ouvrage, couvrent deux aspects. D’un côté, les jeunes décrivent les actes de prévention lors d’un rapport sexuel. L’utilisation du condom et des tests de dépistage sont les moyens les plus fréquents, plutôt que la connaissance du passé sexuel des partenaires ou la stabilité du couple. Les auteurs relèvent des obstacles d’ordre psychologique, social, contextuel, affectif, ou relatif au préservatif lui-même qui freinent l’utilisation des condoms.

Par ailleurs, les auteurs proposent des stratégies à mettre en place pour la santé publique. La répétition d’un concours de scénarios comme celui qui a sous-tendu leurs analyses leur apparaît primordiale. D’une part, afin de parfaire et d’actualiser la « dynamique des transformations socioculturelles […] donc de mieux orienter les stratégies de prévention » et d’avoir du matériel pour les campagnes ; d’autre part, l’écriture, à tout le moins la diffusion des scénarios, devrait faciliter les discussions durant les programmes d’éducation sexuelle, voire engagerait une démarche de création artistique, plus à même de faire passer des messages ; ils suggéraient aussi d’accentuer une dimension philosophique sur la responsabilité, l’altérité, l’érotisme, la passion, etc.

On peut regretter que les auteurs n’aillent pas plus loin et, surtout, qu’ils ne mettent pas plus à profit l’entourage familial ou social dans lequel évoluent les jeunes. D’autant qu’ils montraient comment la mère est le pivot dans « la négociation de la vie des jeunes qui […] se voient confrontés aux pressions familiales » et comment la sexualité et la maladie ressortissent du réseau d’amis et de pairs.