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« This introduction is not another death notice for anthropology ». C’est en ces termes que Jonathan Benthall, fondateur du journal Anthropology Today (auparavant : RAINews), entame sa présentation de quelque 40 articles couvrant 25 ans de recherches et de débats qui ont marqué l’histoire de ce périodique anglais. En effectuant la genèse de l’évolution de la discipline, durant les turbulentes années 1974 à 2000, Benthall pose un regard critique sur les tares qui ont frappé la discipline et sur les impasses dans lesquelles la discipline elle-même s’est engagée. Au sortir de ce panorama, le lecteur aura l’impression d’avoir parcouru une collection d’articles destinés en leur temps à marquer un avancement conceptuel majeur, articles commentés de manière presque provocante par un passionné déterminé à secouer la discipline. « Anthropology ought perhaps to be queen of the social sciences. In practice, given the peculiar marginality of its tradition subject-matter, it will probably continue to fascinate a few thousand people all over the world and leave the vast majority indifferent », lance Benthall (p. 10). Ce franc-parler étonnerait un néophyte issu d’une tierce discipline, mais Benthall, dans un même souffle, rappelle que l’anthropologie « is the only social science which continuously subjects all its own preconceptions to radical interrogation (p. 11). Le ton – sans complaisance – est donné.

L’anthologie a été divisée en neuf segments, soit « Feminine Power », « Indigenes’ Rights, Anthropologists’ Roots », « Fieldwork as Intervention », « Market of Desire » « Anthropology in the Mass Media », « New Social Movements », « Human Sciences in Authoritarian States », « The Technology of Enchantment » et « War and Civil Strife », par souci de commodité. Quelques éditoriaux inclassables de Benthall, sont disséminés çà et là, tout au long de l’ouvrage, variant ainsi le rythme de la lecture. Au fil des années, la revue anglaise a su capter les moments forts, refléter les innovations et les changements qui ont ponctué la discipline, à commencer par l’apparition du terme « gender » et le développement de l’anthropologie féministe ; les relations entre les ethnologues et leurs hôtes de terrain, sinon les employeurs qui les embauchent, font l’objet d’une attention toute particulière. La section portant sur les médias entreprend une autopsie des dérives de la discipline et critique l’image tronquée de l’anthropologie véhiculée par les médias de masse.

Certains articles présentés ont pris de la densité avec le recul, parmi lesquels cet échange publié au milieu des années 1970 entre A. F. Robertson, expert du développement en Afrique, et un jeune étudiant diplômé sur le terrain en Éthiopie. L’étudiant en question s’avère être Glynn Flood, assassiné par des soldats éthiopiens peu de temps après la publication. À Robertson qui plaide pour une meilleure connaissance des opérations et structures des agences de développement chez les anthropologues, Flood répond que la légitimité de la discipline anthropologique repose plutôt sur une distanciation des pratiques des agences intergouvernementales. Ces dernières, prévient Flood, « can be more inaccessible than the densest jungle or most forbidding wilderness. One almost suspects that they have something to hide » (p. 97). Du coup, il cite en exemple les conditions liées au financement accordé par la Banque mondiale aux autorités de la Vallée Awash, en vue de son « développement », là où, dit-il, « the people of the Valley – Afar, Karrayyu Galla and Ittu Galla – have lost land, cattle and lives because of development […] » (p. 98). Artisan de la diversité culturelle, Floor se demande ouvertement si les représentants de la Banque mondiale vont sur le terrain pour rendre compte des effets de leurs projets sur la viabilité et l’intégrité des cultures. Pour Floor, il est clair que les Development Studies et l’anthropologie, au lieu de rivaliser, devraient emprunter la même voie, en effectuant de concert un examen des conséquences du développement sur les peuples auxquels il est destiné. Ce plaidoyer sera le chant du cygne de l’anthropologue.

Il faut consulter la recension pour ce qu’elle est : essentiellement un reflet de l’école anglaise d’anthropologie, sur un quart de siècle, même si le périodique s’est permis de modestes incursions dans l’anthropologie française et américaine. The Best of Anthropology Today, à ne surtout pas interpréter de manière littérale : car il est à souhaiter que le pessimisme ambiant ne constitue pas le meilleur de la discipline aujourd’hui.