Corps de l’article

What does it matter if all these trees are cut? There is always more forest… We need the wood. We need to feed our animals, get firewood to cook. It is more important to survive than to protect forests.

Hukam Singh, 1985, village de Kotuli, Kumaon, Inde.

We protect our forests better than government can. We have to. Government employees don’t really have any interest in forests. It is a job for them. For us, it is life… Just think of all the things we get from forests – fodder, wood, furniture, food, manure, soil, water, clean air. If we don’t safeguard the forest, who else will? Some of the people in the village are ignorant and so they don’t look after the forest. But sooner or later, they will all realize that this is very important work. It is important even for the country, not just for our village.

Hukam Singh, 1993, village de Kotuli, Kumaon, Inde.

Lors de mes cinq séjours au Kumaon, dans l’État indien d’Uttar Pradesh, entre 1985 et 1993, j’ai eu l’occasion de m’entretenir avec des villageois sur leur façon de percevoir la forêt, sur le rôle que les produits forestiers jouent dans la vie économique des villages et sur l’ampleur des mesures nécessaires pour protéger les ressources. J’ai été intrigué par la profondeur des changements, tant à l’échelle locale que sur le plan individuel, que ces conversations dénotaient. Durant mes premières visites, j’ai d’abord cherché à déterminer comment les institutions modèlent les motivations et les actions humaines. La modification des attitudes, des croyances et du sentiment identitaire m’intéressait peu. Ma formation en sciences politiques et mon intérêt marqué pour le néo-institutionnalisme ne me portaient guère à me préoccuper de questions touchant les mentalités.

Pour autant, des affirmations comme celles d’Hukam Singh, placées en exergue du présent article, ne manquaient pas de m’intriguer. D’un côté, elles évoquaient un peu trop la rhétorique habituelle sur les nécessités de la subsistance ou la conservation environnementale pour sembler originales. Mais les écarter sous le simple prétexte qu’elles répétaient ce que beaucoup d’autres disaient déjà ou parce qu’elles ne s’inséraient dans aucun courant disciplinaire ou théorique aurait été faire preuve d’une incompréhension totale des relations complexes – et cependant peu étudiées – qui lient les changements de gouvernement aux modifications concomitantes que subissent pratiques et croyances relatives à l’environnement[1].

Le présent article étudie les relations profondes et durables qui lient gouvernement et subjectivités et montre comment les stratégies régulatrices qui sont associées à la prise de décision collective et en découlent contribuent également à transformer ceux et celles qui prennent part au gouvernement. À partir de données extraites de documents d’archives et d’enquêtes de terrain effectuées en 1989-90 et 1993, il analyse dans quelle mesure différents degrés de participation à des institutions de réglementation relative à l’environnement conduisent à de nouvelles façons de comprendre le monde. Du même souffle, il contribue à éclairer l’un des aspects les plus négligés de l’étude des changements environnementaux, soit la façon dont les individus envisagent leur relation avec l’environnement et l’évolution de ces conceptions dans le temps[2].

J’ai recours à l’expression « sujets de l’environnement » pour désigner les personnes pour lesquelles l’environnement constitue une catégorie conceptuelle de la pensée et auquel elles associent consciemment certaines de leurs actions. Les observations recueillies sur la forêt me servent ici à illustrer un propos plus vaste sur les ressources environnementales. En posant l’existence de tels sujets, je ne suggère pas d’emblée une vision puriste de l’environnement qui serait nécessairement distincte et parfaitement indépendante des intérêts matériels et des contingences de la subsistance quotidienne. La subjectivité environnementale d’une personne peut s’accompagner de la reconnaissance du fait que protéger des arbres ou des forêts publiques ou gérées collectivement est susceptible de profiter matériellement à cette personne. Dans de tels cas, l’intérêt personnel en vient à être compris et saisi en termes d’environnement. Par ailleurs, l’utilisation que je fais du mot « sujet » se démarque de la signification juridique que lui confère l’oeuvre de Mamdani (1996). Il prend plutôt appui sur deux autres acceptions de ce terme : celle d’agent et celle de personne assujettie. Cette ambiguïté est hautement productive dans le cadre d’une réflexion sur la façon dont le pouvoir façonne, tant positivement que négativement, les processus de formation du sujet.

Comprendre les mécanismes qui régissent la formation de sujets de l’environnement s’impose pour des raisons à la fois pratiques et théoriques. D’abord, l’importance que chaque individu accorde à l’environnement détermine le degré de facilité avec lequel cet individu sera susceptible d’accepter de contribuer à la protection de son milieu, et cela peut même avoir pour effet de réduire les coûts inhérents à l’application de nouvelles réglementations. Il ne faut pas pour autant négliger les aspects théoriques de cette question complexe. Quels mécanismes sont à l’oeuvre dans la formation de différents types de sujets et comment aborder la relation entre actions et subjectivités? Je postule que la formation du sujet est étroitement liée aux processus de gouvernement. En particulier, les formes de gouvernement que favorise la conservation communautaire jouent un rôle primordial dans la recombinaison de nouvelles formes de subjectivités. J’appelle « gouvernement intime » de telles formes de gouvernement et je décris leur fonctionnement d’abord implicitement dans le corps de cet article et plus explicitement en conclusion.

Parallèlement, un gouvernement intime suppose également la diffusion de la règle et une participation plus active du sujet à l’application de cette règle. Ainsi, la décentralisation des politiques environnementales, dont procèdent les événements qui se sont produits au Kumaon et que je décris plus loin, joue un rôle clé dans cette diffusion. L’intégration des acteurs locaux au processus de gouvernement est au coeur de la conservation communautaire. Ces processus jumeaux de décentralisation et de conservation participative constituent les points saillants de la politique internationale en matière d’environnement de la fin du XXe siècle et du début du XXIe siècle (McDaniel 2003 ; Steifel et Wolfe 1994). Soixante-dix ans de conseils forestiers au Kumaon mettent en lumière la façon dont ces processus de prise en charge de la gouvernementalisation des localités et de création de communautés régulatrices peuvent réussir dans d’autres contextes, à moyen ou long terme. En analysant l’évolution de ces conseils dans le temps, mon analyse montre comment il serait possible et pourquoi il serait nécessaire de politiser à la fois les communautés et l’imaginaire dans le but de trouver de nouvelles manières de penser les politiques environnementales.

La formation des sujets

Pour analyser la formation de sujets de l’environnement, il convient de s’attarder un instant sur deux notions fondamentales, celles d’« imaginaire » et de « résistance ». Dans son étude novatrice sur les origines du nationalisme, Benedict Anderson avance que la nation est une communauté imaginée (2002 [1983]). À partir de descriptions historiques sur l’essor des nationalismes en Russie, en Angleterre et au Japon au XIXe siècle (2002 : 93-107), il montre comment ces États ont pu servir de modèles à d’autres États « dans lesquels les classes dominantes ou les éléments dirigeants se sentaient menacés par l’expansion mondiale de communautés nationalement imaginées » (ibid. : 107). Selon ce chercheur, ce modèle de « nationalismes officiels » a été largement adopté par des groupes dominants :

[…] menacés d’être exclus, ou marginalisés dans les communautés imaginées populaires. […] Ces nationalismes officiels furent des politiques conservatrices, pour ne pas dire réactionnaires, calquées sur les nationalismes populaires largement spontanés qui les avaient précédés. […] Des groupes de même nature menèrent des politiques très semblables dans les immenses territoires asiatiques et africains assujettis au cours du XIXe siècle […], les groupes dirigeants indigènes les imitèrent dans les rares zones (dont le Japon et le Siam) qui échappèrent à la sujétion directe.

Anderson 2002 : 117 (en italique dans l’original)

Il est intéressant que, pour Anderson, l’adoption, la superposition et la diffusion de ces nationalismes officiels qui sont parvenus à se substituer aux nationalismes populaires aient dépendu de la capacité des groupes dirigeants à accomplir, en dépit de la nature imaginée du nationalisme. Plusieurs chercheurs ont utilisé le terme « imaginaire » en rapport avec la nation avec, au demeurant, beaucoup d’imagination (Appadurai 1996 : 114-115 ; Chakrabarti 2000 : chapitre 6). Mais dans l’ouvrage L’imaginaire national lui-même, l’analyse subséquente ne laisse guère de place à ce concept. L’avènement d’une version officielle du nationalisme dans le monde ajouté à l’ancrage dans l’imaginaire de l’émergence nationale (ancrage qui constitue le coeur de l’étude d’Anderson) supposent que les groupes au pouvoir ont su coloniser l’imaginaire même des masses auxquelles ils se sont efforcés d’imposer leur loi. Il faudrait davantage se pencher sur les politiques à l’échelle du sujet susceptibles d’être impliquées dans la lutte entre les versions officielles et populaires d’une idéologie. Une histoire du nationalisme doit s’appuyer sur une politique du sujet.

Des jugements similaires à ceux d’Anderson sur la transformation de l’identité des plus faibles de la société se trouvent également dans les travaux d’autres chercheurs, dont ceux de Barrington Moore : « People are evidently inclined to grant legitimacy to anything that is or seems inevitable no matter how painful it may be. Otherwise the pain might be intolerable […] » (1978 : 459). De plus, il est possible de compléter la remarquable étude de Gaventa sur le pouvoir et l’acceptation dans la région des Appalaches (1982) par l’examen des mécanismes susceptibles d’expliquer quand et comment certaines personnes en viennent à accepter comme leurs les intérêts des classes dominantes alors que d’autres n’en font rien.

Contrairement à Anderson pour qui l’imaginaire du sujet le plus faible se laisse facilement influencer par les politiques officielles, nombre de spécialistes de la résistance soutiennent le contraire. Pour eux, le sujet qui résiste est en mesure de préserver sa subjectivité des effets colonisateurs des politiques d’une élite, des cultures dominantes et des idéologies hégémoniques. Cette réalité concrète constitue à la fois leur hypothèse de base et leur objet de démonstration. Par ailleurs, l’étude révolutionnaire de Scott sur la résistance paysanne (1985), ses réflexions plus générales sur la relation entre domination et résistance (1989) et le travail sur la résistance qui a émergé comme un sous-domaine interdisplinaire dans le sillage de ses interventions ont contribué à rendre familière l’idée que les gens peuvent résister à des politiques étatiques, au pouvoir d’une élite et aux idéologies dominantes.

Scott soutient que le faible résiste au puissant, sinon toujours, du moins dans le domaine des idées et des croyances. Mais d’autres chercheurs s’intéressant aux gens subalternes avaient déjà fait un constat semblable à propos des agriculteurs, de leurs intérêts et de leur conscience, dans leur volonté de circonscrire une conscience autonome chez les agents exclus de l’histoire. Ainsi, le puissant manifeste de Ranajit Guha (1982a) contre l’histoire élitiste appelle à prendre plus sérieusement en considération la « politique du peuple » en décrivant le subalterne comme « autonome » et ses politiques comme structurellement et qualitativement différentes de celles des élites. Certains travaux soulignent que l’opposition entre domination et résistance est trop mécanique pour rendre compte de la façon dont se modifie l’identité de ceux et celles qui subissent le pouvoir quand ils font l’expérience de ce pouvoir ; même ces travaux admettent que ce processus est loin d’être limpide (Comaroff et Comaroff 1989 : 269, 290).

Ces recherches représentent deux facettes de la relation complexe entre gouvernement et subjectivité. Leurs arguments sont valables en eux-mêmes. Néanmoins, considérés globalement, ils mènent à des conclusions contradictoires. Plutôt que de choisir un camp, j’avance l’hypothèse qu’un examen plus direct des pratiques hétérogènes que les politiques produisent et de leurs relations avec divers lieux sociaux pourrait permettre d’orienter l’analyse vers les mécanismes qui déterminent la façon dont les sujets s’imaginent eux-mêmes.

Dans les théories explicatives sur la formation du sujet qui cherchent une relation pertinente entre politiques et perceptions, gouvernement et subjectivité ou institutions et identités, les pratiques environnementales constituent le lien essentiel. De fait, il est nécessaire, dans ce contexte, de distinguer, d’une part, les politiques que génère la participation à différents types de pratiques et, d’autre part, les politiques qui dépendent d’intérêts stables que l’on présume provenir de l’appartenance à une catégorie identitaire particulière. Une bonne partie de la recherche sur les phénomènes sociaux considère les intérêts comme naturellement liés à des groupements sociaux particuliers : formation d’ethnies, division selon le sexe, stratification basée sur les classes sociales, catégories de castes, etc. Imputer ainsi des intérêts à des membres d’un groupe particulier est commun à des courants d’études qui sont souvent considérés comme appartenant à des camps opposés (Bates 1981 ; Ferguson 1994). Mais une telle manière de faire devient particulièrement problématique lorsqu’il s’agit de s’interroger sur la manière dont les gens en viennent à se percevoir eux-mêmes de façon particulière. La catégorisation des individus en fonction de différences observables de l’extérieur oblitère le processus de formation du sujet et passe sous silence les effets que peuvent avoir leurs pratiques sur la perception qu’ils ont d’eux-mêmes. En effet, les pratiques sont toujours adoptées dans le cadre de systèmes institutionnalisés d’attentes et d’obligations, de relations politiques asymétriques et de perceptions que les gens entretiennent d’eux-mêmes. De plus, viser la situation des pratiques et des croyances ne permet pas d’accorder au contexte social une influence déterminante sur les pratiques et les subjectivités. Il faut plutôt fonder la relation entre le contexte, les pratiques et les subjectivités sur des faits et des possibilités de recherche.

Variation des subjectivités environnementales au Kumaon

Mes observations sur la façon dont les Kumaonis, qui, à l’origine, s’opposaient aux tentatives de protection du milieu forestier, se sont donné ensuite pour tâche de le préserver, s’appuient sur deux séries de données. Une première série provient de documents d’archives traitant des actions posées par les Kumaonis durant les trois premières décennies du XXe siècle, puis d’un sondage réalisé auprès des chefs de conseils forestiers au début des années 1990 – soixante ans après que la réglementation locale fut devenue le fondement des pratiques locales liées à la forêt.

Le second type de données provient de deux séries d’entretiens effectués auprès de 35 résidants répartis dans sept villages. Les premiers entretiens ont eu lieu en 1989. J’ai dirigé la seconde série en 1993[3]. Quatre des sept villages venaient de former un conseil forestier en 1989 ou un peu avant, ou l’ont fait entre 1989 et 1993. Durant les deux séries d’entretiens, j’ai recueilli des renseignements sur le contexte social et économique dans lequel vivaient les villageois, sur leurs pratiques liées aux forêts qu’ils exploitent et sur leurs points de vue sur la forêt et l’environnement. Je présente ces renseignements à la fois sous forme de longues citations et sous forme de tableaux.

Évolution des subjectivités environnementales

Plusieurs études ont décrit les actions contestataires entreprises par les habitants des collines du Kumaon au début du XXe siècle en réaction aux efforts déployés par l’État colonial britannique pour freiner et empêcher l’accès à la forêt (Shrivastava 1996 ; Gururani 1996). Entre 1904 et 1917, le ministère des Forêts s’est arrogé le contrôle de plus de 7700 kilomètres carrés de forêts (KFGC 1922) dans la grande région du Kumaon, dont près du tiers était situé dans les districts actuels de Nainital, Almora et Pithoragarh. Même avant, l’État colonial était souvent intervenu pour réduire la superficie des forêts que les communautés locales pouvaient exploiter. Ses dernières incursions ont particulièrement irrité les villageois, du fait que les nouvelles règles imposaient des restrictions particulièrement sévères sur les droits de coupe et de pâture et sur l’utilisation des produits dérivés de la forêt, qu’elles interdisaient l’expansion agricole, exigeaient davantage de travail des villageois et accroissaient le nombre de gardes forestiers.

Beaucoup de résidants du Kumaon ont alors fait fi des nouvelles règles forestières qui limitaient leurs activités dans les forêts dont l’État revendiquait la propriété. Ils ont aussi protesté de façon plus active. Ils ont fait paître leur bétail, coupé des arbres et sont allés parfois jusqu’à mettre le feu aux forêts dont l’État leur interdisait l’utilisation. Il était presque impossible aux fonctionnaires du ministère des Forêts de faire respecter les règlements dans les secteurs qu’ils avaient tenté de reboiser. Ces fonctionnaires étaient peu nombreux, le secteur à surveiller était immense, et la tâche de surveillance très lourde. Critiquant l’élagage que pratiquaient les villageois pour le fourrage et évoquant la difficulté de mettre la main sur les responsables, E. C. Allen, sous-commissaire de Garhwal, écrivait au commissaire du Kumaon :

Such loppings are seldom detected at once and the offenders are still more seldom caught red-handed, the patrol with his present enormous beat being probably 10 miles away at the time […] it is very difficult to bring an offence, perhaps discovered a week or more after its occurrence, home to any particular village much less individual.

Allen 1904 : 9

Outre ces protestations locales, la démarcation des limites forestières, la prévention des incendies et la mise en oeuvre de plans de travail imposaient une charge de travail extrêmement lourde pour les gardes et les employés du ministère des Forêts. Lorsque le nombre de récriminations était élevé et les incendies provoqués nombreux, la tâche de ces derniers pouvait même s’avérer impossible à accomplir. C’est ainsi qu’un fonctionnaire du ministère des Forêts s’est fait dire par le sous-commissaire du Kumaon : « the present intensive management of the forest department cannot continue without importation into Kumaon of regular police […] » (Turner 1924). Après les contrôles plus serrés de 1893, le haut-fonctionnaire à la colonisation J. E. Goudge a exprimé dans une lettre combien il était difficile d’élucider l’origine des incendies et de déterminer les éventuels responsables :

In the vast area of forests under protection by the district authorities the difficulty of preventing fires and of punishing offenders who willfully fire for grazing is due to the expense of any system of fire protection […] it is next to impossible to find out who the offenders are and to determine whether the fire is caused by negligence, accident, or intention.

Goudge 1901 : 10

Le ministère des Forêts déplorait particulièrement le fait que même les chefs de villages, les padhans, n’étaient pas plus fiables que les villageois ordinaires. Ainsi, le sous-commissaire d’Almora, C. A. Sherring, remarquait dès 1904 (p. 2) : « very little assistance can be expected from the padhans, who are in my experience only too often the leaders of the village in the commission of offences and in the shielding of offenders ». De même se plaignait le sous-commissaire aux forêts :

It is far too common an occurrence for wholesale damage to be done by some particular village […] often nothing approaching the proof required for conviction can be obtained […] there is too much of this popular form of wanton destruction, the whole village subsequently combining to screen the offenders.

Burke 1911 : 44, cité dans Shrivastava, 1996 : 185

Ces constats et ces plaintes provenant de fonctionnaires coloniaux montrent l’ampleur des obstacles qui empêchaient alors le ministère des Forêts d’exercer le contrôle qu’il aurait souhaité sur l’utilisation de la forêt par les résidants. Les actions collectivement entreprises par ces derniers, qui consistaient à mettre le feu ou à émonder les arbres, et leurs mauvaises dispositions pour la délation indiquent clairement les réseaux de solidarité qui unissaient les communautés dans leur travail contre l’État colonial. Compte tenu du peu de fiabilité des villageois, des maigres ressources disponibles et du manque de personnel bien formé, il n’est guère surprenant que le ministère des Forêts ait trouvé difficile de compter sur les processus de reforestation qu’il avait développés et mis en oeuvre dans d’autres parties de l’Inde – processus qui reposaient principalement sur l’exclusion de certaines personnes, sur la délimitation des terres, la création de nouvelles restrictions, l’imposition d’amendes et l’emprisonnement[4].

En réponse aux plaintes que les habitants du Kumaon formulaient à l’endroit du ministère des Forêts, l’État a mandaté un comité des griefs sur la forêt (Kumaon Forest Grievances Committee) pour examiner ces plaintes et, sur la base des recommandations formulées par ce comité, il a adopté de nouvelles règles visant à faciliter la création officielle de conseils forestiers à l’échelle des villages, conseils qui pourraient administrer les forêts locales (KFGC 1922). Aujourd’hui, le nombre de ces conseils formés par les villageois depuis les 70 dernières années afin de gérer l’utilisation et l’exploitation des forêts locales dépasse 3000. Les mesures prises par l’État pour décentraliser son contrôle et les gestes posés par les villageois dans le cadre de la mise en place des ces conseils forestiers sont comparables aux changements survenus dans les politiques forestières de plus de 60 pays (FAO 1999). Partout dans le monde, les gouvernements affirment qu’ils décentralisent le contrôle direct des ressources forestières afin d’encourager les communautés locales à gérer leurs ressources (Ayers s.d.). Des donateurs internationaux fournissent d’importantes sommes d’argent dans le but de faciliter ces changements. De fait, beaucoup d’observateurs ont souligné à quel point la conservation à l’échelle des communautés incite les résidants à prendre l’initiative de répartir équitablement les ressources entre eux (Agrawal et Gibson 1999 ; Western et Wright 1994).

Au Kumaon, l’apparition de cette nouvelle forme de règle à l’échelle des communautés s’est accompagnée d’une évolution dans la façon dont les villageois de cet État considèrent aujourd’hui la forêt, les arbres et l’environnement. Les résultats d’un sondage que j’ai réalisé auprès des chefs de conseils forestiers au début des années 1990 illustrent bien l’ampleur du changement qui caractérise non seulement les actions, mais aussi les convictions des Kumaonis d’aujourd’hui sur le contrôle forestier. Le tableau 1 résume ces résultats.

La plus grande proportion des réponses concerne le soutien inadéquat que les chefs reçoivent des fonctionnaires du ministère des Forêts et du Revenu quand il s’agit de faire respecter la loi. Le gouvernement des forêts à l’échelle de la communauté est entravé par la réticence ou l’incapacité des fonctionnaires à soutenir les tentatives que font les villageois pour prévenir les infractions. De fait, un calcul rapide montre que près des deux tiers des réponses sont directement liées à l’importance des règlements et aux difficultés que leur application soulève (lignes 1, 2, 5, 6, 7 et une partie de 9). Par ailleurs, de l’avis général, les chefs de conseil sont, parmi tous les résidants du Kumaon, les personnes les plus susceptibles de se soucier de la forêt et de l’environnement. Il faut aussi souligner que même quand on leur offre l’occasion de parler d’un problème auquel ils se heurtent et des façons possibles de le surmonter, les chefs ne se plaignent que dans une très petite proportion (moins de 10 %) du faible taux de rémunération qu’ils reçoivent (ligne 8). De toute évidence, ils mettent leurs propres intérêts de côté quand ils cherchent à identifier les problèmes qui caractérisent la gouvernementalité communautaire.

Tableau 1

Paintes provenant des chefs de conseil forestier au Kumaon, 1993

Paintes provenant des chefs de conseil forestier au Kumaon, 1993

n = 324. Les chiffres entre parenthèses indiquent la proportion des chefs ayant formulé cette plainte. Chaque chef pouvait indiquer jusqu’à trois plaintes.

Source : Sondage auprès des chefs de conseil effectué par l’auteur, 1993.

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La parole exprime les sentiments sous-jacents aux chiffres de ce tableau : « I have tried to give up being the head of our committee so many times. But even those who don’t agree with me don’t want me to leave », observait un des chefs. Un autre affirmait : « I have given years of my life patrolling the forest. Yes. There were days when my own fields had a ripening crop [and needed a watchman] ». La conception que se fait Sukh Mohan de l’aménagement et de l’entretien des forêts de son village tourne autour de sa propre contribution, mais son dévouement à la cause de la protection de la forêt coïncide également avec les objectifs que le ministère des Forêts a établis, il y a de cela plus de 150 ans. Pour sa part, Puran Ram explique ainsi ses pratiques de conservation :

We suffered a lot from not having too many trees in our forest. Our women didn’t have even enough wood to cook. But after we banned cattle and goats from the forest, it [the forest] has come back. Now we don’t even have to keep a full time guard. Villagers are becoming more aware.

Puran Ram, chef de conseil, mai 1990 (traduction : Ranjit Singh)

Les différents points de vue relevés dans les archives ou constatés dans les affirmations plus récentes que j’ai recueillies permettent d’affirmer que, chez de nombreux résidants du Kumaon, les pratiques forestières et les conceptions de la forêt ont beaucoup changé. Ces changements se sont produits après l’adoption des Forest Council Rules de 1931. Cette évolution est, pour une bonne part, redevable au fait que les habitants de cet État peuvent à nouveau considérer les forêts de la région comme les leurs.

On peut objecter que la mainmise de l’État colonial sur l’environnement forestier au début du XXe siècle a creusé un fossé entre la forêt et les villageois. Néanmoins, les nouvelles règles qui ont conduit à la propriété et à la gestion communautaires des forêts ont par la suite réaffirmé que les villageois en étaient propriétaires et étaient en droit de l’être. Elles ont reconnu que les villageois étaient concernés par ce qu’il advenait aux forêts et exprimaient une certaine confiance dans leur capacité à prendre des mesures raisonnables pour leur protection, en particulier s’ils étaient guidés dans leur démarche. Ces changements institutionnels vont de pair avec la modification des pratiques et des conceptions relatives à la forêt. Ils peuvent s’expliquer par le fait qu’ils ne constituent ni plus ni moins qu’une réponse aux modifications des intérêts induites par les nouvelles politiques. En effet, le transfert aux villageois de vastes étendues de forêts communautaires aurait suscité chez ces derniers un souci accru pour la protection de ces forêts et pour la végétation qu’ils ont à gérer.

Il s’agit là d’un aspect important de cette explication, qui suppose, avec justesse, que la façon dont les groupes sociaux perçoivent leurs intérêts n’est pas constante ni immuable, mais dépend pour une grande part des politiques et du type de gouvernement. Néanmoins, cette explication est inadéquate sous deux aspects. Tout d’abord, elle fait abstraction de la distinction entre les intérêts d’un groupe tels que les perçoit un observateur-analyste et les actions et conceptions des membres de ce groupe. Cette affirmation quant à l’équivalence de divers aspects de la subjectivité –  intérêts, conceptions et pratiques – et à la simultanéité des transformations qui les modèlent est, au mieux, une proposition difficile à accepter. Beaucoup des chefs que j’ai interrogés au Kumaon ou qui ont pris part à mon sondage essayaient de faire respecter des règles qu’ils savaient n’être pas dans l’intérêt de leur propre maisonnée. Ainsi, beaucoup de gardes forestiers craignaient les épouses et les enfants des chefs de conseil. Néanmoins, les chefs de village défendaient leurs actions en invoquant la nécessité collective de protéger les forêts et exprimaient l’espoir qu’avec le temps, les villageois ordinaires se rallieraient à leurs vues et changeraient leurs pratiques forestières.

Le second problème que suscite l’explication voulant que les chefs de village prennent soin de la forêt parce qu’ils ont le droit de la gérer est le suivant : elle confond les actions et les intérêts privés des chefs avec ceux de leur fonction publique. Les forêts transférées aux communautés villageoises sont gérées par des institutions collectives formées de 20 à 200 personnes qui sont elles-mêmes représentées par un conseil forestier et son chef (Agrawal 2001 ; Sarin 2002). Attribuer des intérêts collectifs à ces institutions et expliquer la position de leurs chefs en termes d’intérêts, c’est faire abstraction de toutes les distinctions entre les acteurs individuels et l’organisme qu’ils dirigent. Il est indispensable d’examiner plus minutieusement le rôle que jouent d’autres utilisateurs de la forêt ou d’autres acteurs de sa protection à l’échelle locale avant d’entreprendre d’expliquer les changements résumés au tableau 1 et les observations qui suivent concernant la conception que se font les habitants du Kumaon de leur environnement forestier.

Changements récents chez les sujets de l’environnement

Lors de mon séjour au Kumaon en 1989, mon principal intérêt était de montrer que les institutions environnementales – les conseils forestiers – exerçaient un effet de médiation important sur l’état des forêts locales (Agrawal et Yadama 1997). Sur les treize villages que j’ai alors visités, seulement six s’étaient dotés de conseil forestier. Mes entretiens avec les habitants visaient essentiellement à comprendre comment ils concevaient la forêt et les avantages qu’ils en retiraient. Les villageois qui disposaient d’un conseil forestier tentaient de défendre leurs forêts contre l’exploitation illégale provenant tant des résidants eux-mêmes que de personnes de l’extérieur. Dans l’un des villages situés près de la frontière entre les districts d’Almora et de Nainital, un villageois expliquait la situation en la comparant à une forte mousson :

Do you see this rain? Do you see the crops in the fields? The rain can destroy the standing crop. But even if the weather were good, thieves can destroy the crop if there are no guards. It is the same with the forest. You plant a shrub, you give it water, you take care of it. But if you don’t protect it, cattle can eat it. The forest is for us, but we have to take care of it, if we want it to be there for us.

Shankar Ram, novembre 1989 (traduction : Kiran Asher)

Lors d’une réunion à laquelle j’assistais, un autre villageois évoquait dans ces mots les difficultés d’application de la loi :

Until we get maps, legal recognition, and marked boundaries [of the local forest], council cannot work properly. People from Dhar [a neighboring village] tell us that the forest is theirs. We cannot enter it. So we can guard part of the forest, and we don’t know which part [to guard]. Since 1984 when the panchayat was formed, we have been requesting the papers that show the proper limits so we can manage properly, protect our forest. But what can one do if the government does not even provide us the necessary papers.

Bachi Singh, novembre 1989 (traduction : Kiran Asher)

Lors de la même réunion, un second villageois ajoutait : « Mister, this is Kaljug[5]. No-one listens to authority. So we must get support from the forest officers and revenue officers to make sure that no-one just chops down whatever he wants ».

Par ailleurs, les habitants des sept villages qui ne disposaient pas de conseils forestiers ne tentaient de mettre en oeuvre pratiquement aucune réglementation –  sûrement parce que les forêts entourant leur village appartenaient au ministère des Forêts ou du Revenu ou étaient gérées par l’un de ces ministères. Les villageois estimaient que la réglementation relevait de l’État et entravait l’utilisation qu’ils faisaient de la forêt – ramasser du bois de chauffage, faire paître le bétail, couper des arbres, récolter du bois ou des produits autres que la matière ligneuse et ramasser du fourrage.

Durant ma deuxième série de visites en 1993, j’ai découvert que quatre des sept villages (Pokhri, Tangnua, Toli et Nanauli) qui n’avaient pas de conseil forestier en 1989 en avaient formé un depuis. Ils avaient rédigé une constitution sur le modèle de celles qui existaient déjà dans la région et adopté des résolutions prescrivant la façon dont il fallait tenir des réunions (et leur fréquence), élire de nouveaux responsables, répartir les bénéfices retirés du fourrage et du pâturage, établir les échelles tarifaires correspondant au degré d’utilisation de la forêt par les villageois, assurer la surveillance des conditions prévalant dans la forêt et de l’utilisation qui en était faite et sanctionner les contrevenants. L’exposition à ces nouvelles contraintes institutionnelles inciterait les villageois à adopter des pratiques et des valeurs plus respectueuses de l’environnement, du moins les membres du conseil l’espéraient-ils.

Ces espérances ont porté fruit, si l’on en juge par nos observations de 1993. Je m’étais entretenu avec vingt résidants de ces quatre villages au cours de ma précédente visite. Leurs conversations ne m’avaient pas laissé entrevoir qu’ils estimaient urgent de protéger l’environnement. Peu d’entre eux distinguaient leurs actions et leur conception de la forêt de celles des quinze autres résidants avec lesquels j’avais conversé dans les trois autres villages (Darman, Gogta et Barora). J’avais posé à mes 35 répondants trois questions qui portaient sur leur conception de l’environnement. Le tableau 2 ci-dessous fait état des réponses de ces villageois aux trois questions, présentées ici sous une forme abrégée.

  1. Do you agree with the statement, « Forests should be protected. » Please indicate the extent of your agreement by using any number between 1 and 5 where 1 indicates a low degree of agreement, and 5 indicates strong agreement.

  2. If forests are to be protected, should they be protected for 1) economic reasons or for 2) other non-economic benefits they provide including cleaner air, soil conservation, and water retention.

  3. Do you agree with the statement, « To protect forests, my family and I are willing to reduce our consumption of resources from the local forests. » Please indicate the extent of your agreement by using any number between 1 and 5 where 1 indicates a low degree of agreement, and 5 indicates strong agreement.

La première question tente d’éclairer les réactions des villageois à l’égard d’une affirmation très générale sur la protection des forêts. La deuxième tente de mesurer à quel point les villageois considèrent la forêt comme une ressource environnementale plutôt qu’économique. Enfin, la troisième portait sur la tolérance dont les villageois faisaient preuve à l’égard de certains règlements afin de conserver la forêt. Il faut mentionner que la forme sous laquelle j’avais posé ces trois questions peut avoir augmenté la probabilité d’obtenir des réponses indiquant la volonté de protéger les forêts. Toutefois, j’entends moins présenter un tableau représentatif du degré de conscience environnementale au Kumaon que de montrer comment l’attitude à l’égard de la conservation de la forêt a changé (ou non) au fil du temps pour chaque individu. Autrement dit, il est peu probable que le même individu ait eu des motifs différents de déformer sa position à l’égard de la protection des forêts entre 1989 et 1993.

Les chiffres du tableau 2 indiquent que les différences entre les résidants des sept villages étaient relativement peu importantes en 1989. Tous les villageois exprimaient alors un certain désaccord avec l’idée que les forêts devaient être protégées. Leurs raisons étaient principalement économiques. De plus, ils étaient plutôt réfractaires à l’imposition de restrictions sur la consommation de leurs familles à des fins de protection du milieu forestier.

Tableau 2

Attitudes à l’égard de l’environnement chez les villageois du Kumaon en 1989

Attitudes à l’égard de l’environnement chez les villageois du Kumaon en 1989

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Les changements sont néanmoins devenus manifestes en 1993, lorsque je me suis entretenu avec ces mêmes villageois. Dans le cas des quatre villages qui avaient créé des conseils forestiers, les différences étaient notables tant dans les gestes posés que dans le discours sur la forêt et l’environnement. Certains des villageois en étaient venus à participer activement à leur conseil forestier nouvellement mis sur pied. Ils assistaient aux réunions de ce conseil. Quelques-uns d’entre eux avaient limité l’usage qu’ils faisaient des forêts du village. D’autres agissaient comme gardes forestiers. Ils dénonçaient même des voisins qui avaient enfreint les règlements adoptés par le conseil. Les similarités de leurs nouveaux comportements de même que le changement de comportement des chefs des conseils forestiers que j’ai déjà brièvement décrits sont assez frappants. Ceux qui s’étaient dotés d’un conseil forestier dans leur village avaient commencé à envisager différemment l’utilisation de la forêt.

Bien entendu, il se trouvait d’autres personnes, dans ces quatre villages, dont le comportement et les points de vue n’avaient guère changé. Les personnes avec lesquelles je m’étais entretenu étaient particulièrement susceptibles de continuer à parler et à agir de la même façon qu’en 1989 si elles n’avaient participé d’aucune façon à la formation des conseils forestiers ni, à la suite des mesures adoptées par ces conseils, n’avaient tenté de protéger les forêts. Si elles avaient pris part au travail de création d’un conseil ou de protection de la forêt dont la gestion incombait désormais au conseil, elles étaient beaucoup plus susceptibles d’avancer que la forêt devait être protégée et de dire qu’elles étaient prêtes à s’investir personnellement dans sa protection. Cela ne signifie en aucun cas que la participation aux activités du conseil aurait des effets magiques qui aboutiraient nécessairement à la transformation des convictions du sujet. Mais combinée avec la responsabilité et la connaissance de l’état de la forêt, cette participation semble provoquer des modifications tangibles de l’attitude des villageois à l’égard de la forêt. Le témoignage de ces vingt résidants, qui ne constitue pas un échantillon représentatif d’un point de vue statistique, offre néanmoins un éclairage valable sur l’évolution des convictions des personnes ayant participé d’une manière ou d’une autre à la réglementation environnementale (tableau 3).

Tableau 3

Modification de l’attitude à l’égard de l’environnement des villageois du Kumaon : 1989-1993

Modification de l’attitude à l’égard de l’environnement des villageois du Kumaon : 1989-1993

n = 35

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Les deux premières lignes du tableau 3 révèlent qu’en moyenne les résidants des quatre villages ont exprimé un plus grand accord avec l’idée de protéger la forêt et de réduire leur propre consommation des produits issus des forêt environnantes, comparativement à ce qu’ils avaient exprimé en 1989. Sur les 20 personnes, 13 avaient participé à la surveillance ou à la mise en application des règlements du conseil sous une forme ou sous une autre, et les changements qu’affichaient leurs convictions relatives à l’environnement s’avéraient plus prononcés que chez ceux ou celles qui n’avaient pris part à aucune action décidée par le conseil forestier.

L’exemple du village de Nanauli permet de mieux comprendre certaines des constatations que le tableau 3 exprime en condensé. Une femme de caste inférieure (Sukhi Devi), un homme de caste inférieure (Ramji) et deux hommes de caste élevée (Hari Singh et Govind Joshi) constituaient mes quatre répondants à Nanauli. En 1989, ils n’étaient que modérément en accord avec l’idée de protéger la forêt – ils estimaient que cette protection n’était pas plus importante que les besoins de leur famille et qu’ils s’y soumettaient pour obéir aux exigences du conseil forestier. Sukhi Devi avait déclaré qu’elle doutait que ses actions auraient un quelconque effet. Ramji refusait d’admettre que l’état des forêts du village relevait de la responsabilité des villageois. Hari Singh était formel : en guise d’introduction à ses commentaires, il était parti dans une diatribe contre les ingérences commises par les gens de l’extérieur dans les affaires du village (diatribe dont je n’étais pas certain qu’elle ne m’était pas destinée) avant de compter sur ses doigts les raisons pour lesquelles il valait mieux ne pas intervenir dans ce qui se passait en forêt :

Fires in the forest are natural ; if the forest is closed to grazing, what will village animals eat ; even if villagers in Nanauli stop cutting trees, those living in other villages will not stop ; the near vertical slopes in many parts of the forest mean that it is naturally protected ; the forest department already has a guard in place ; villagers do not have time to waste […].

Hari Singh, novembre 1989 (traduction : Ranjit Singh)

Il aurait continué ainsi longtemps s’il n’avait pas été interrompu par Govind Joshi qui assistait à la discussion : « Leave it alone, Hari. Agrawalji gets the idea ».

Quand je suis revenu en 1993, j’ai constaté une situation sensiblement différente. À Nanauli, une importante minorité de villageois s’étaient unis pour former un conseil forestier dans leur village et tentaient de convaincre les autres habitants de l’importance de prévoir l’avenir. Tous les villageois avaient commencé à verser un petit montant au conseil forestier pour l’herbe et le bois de chauffage qu’ils prélevaient dans la forêt. Le conseil avait engagé un garde forestier à plein temps, rémunéré à même ces contributions. Les membres de ce conseil se réunissaient de 10 à 15 fois par année, généralement durant les mois de la mousson. Ramji, qui avait occupé durant six mois le poste de garde forestier, semblait adhérer profondément au conseil forestier et à ses objectifs. Lorsque je lui ai rappelé ma première visite et notre précédent entretien, il a balayé les réticences qu’il affichait auparavant pour écarter l’opinion qu’avait émise Hari Singh quatre ans auparavant :

You know, some people watch and others do. When there was talk of making a council, I was one of the first to realize how much it will benefit our village. Hariji has much education, a lot of land, many trees on that land. He does not need the council forest. No wonder he doesn’t see any reason to help with the forest.

Ramji, juin 1993 (traduction : Ranjit Singh)

Bien que Hari Singh n’eût pris part à aucune surveillance ou ni aucune activité de mise en application directe des règlements, il comptait bel et bien parmi les sept membres du conseil forestier et contribuait ponctuellement au salaire du garde forestier. Quand je lui ai demandé s’il était prêt à réduire l’utilisation qu’il faisait des produits de la forêt pour protéger les arbres, il m’a répondu sèchement : « Am I not already paying for the guard, and [thereby] reducing my family’s income? Do you want to skin me alive to save the trees? ». Son agressivité pouvait très bien être le résultat d’une lutte qu’il livrait contre lui-même – d’un côté il contribuait à surveiller la forêt, de l’autre il se demandait si c’était bien nécessaire.

Des quatre personnes avec lesquelles je m’étais entretenu en 1989, Sukhi Devi était la moins encline à la protection de la forêt. Elle était pauvre et avait pris du retard dans les versements que chaque foyer devait faire pour contribuer au salaire du garde forestier. Pour elle, le conseil et son discours sur la protection de la forêt n’étaient qu’un fardeau financier de plus parmi tous ceux qui rendaient sa vie difficile. Alors que j’étais assis avec elle et l’un de mes assistants de recherche devant sa masure délabrée au toit de chaume, elle a dit lentement : « I have grown old ; seen many changes. I don’t know if we need all these meetings and guards and fines. We were doing fine, all this new talk of saving trees makes my head spin ».

Ces différentes réponses contiennent d’importants indices pouvant éclairer la relation entre les pratiques environnementales, la redéfinition des intérêts d’un sujet et la formation de nouvelles subjectivités. À mesure que des personnes spécifiques entreprennent de nouvelles actions, souvent à la suite de résolutions adoptées par le conseil forestier de leur village, elles doivent déterminer leur propre position à l’égard de ces résolutions et les changements de pratiques que de telles résolutions nécessitent. Ces efforts pour parvenir à mieux comprendre ce qui constitue leur meilleur intérêt dans le contexte de nouvelles dispositions institutionnelles et d’une meilleure connaissance des limites des ressources disponibles doivent provoquer d’importants débats intérieurs. Si Ramji a consacré plusieurs mois à tenter d’arrêter ceux et celles qui contrevenaient aux règlements forestiers, à arpenter la forêt, à être tenu responsable du pâturage et de la coupe et a été payé pour ce travail, il est compréhensible qu’il ait commencé à considérer ses propres intérêts et sa subjectivité en relation à ces pratiques plutôt qu’en termes de caste ou d’appartenance à un sexe. De même, si Govind Joshi et Hari Singh contribuent à la protection de la forêt, ils doivent reconsidérer quelques schémas mentaux pour tenir compte des gestes qu’ils posent pour protéger cette forêt. Si Sukhi Devi ne s’engage pas dans des activités qui l’amènent à réfléchir sur l’utilisation qu’elle fait de la forêt autrement qu’en termes d’avantages matériels, il n’est pas surprenant que son sexe ou sa caste ne fasse pas d’elle une partisane de la protection des boisés. Les catégories identitaires socialement définies constituent de piètres indices des intérêts individuels, précisément du fait qu’elles objectivent et homogénéisent leurs membres, laissant de côté ce qui constitue réellement la trame de leur vie dans l’ombre de leur identité. Imputer un ensemble commun d’intérêts à quiconque appartient à une catégorie identitaire particulière ne constitue au mieux qu’un outil analytique commode. Dans cette même veine, une théorisation plus complexe – consistant à relier la caste et le sexe ou la caste, le sexe et la classe sociale simultanément aux intérêts, par exemple – prête le flanc aux mêmes critiques.

Les renseignements glanés grâce aux entretiens effectués dans ces quatre villages sont particulièrement utiles pour comparer les 15 entretiens effectués dans les trois villages où aucun conseil forestier n’a été créé entre les deux séries de visites. Dans ces trois villages, où j’ai également effectué une seconde série d’entrevues en 1993, peu de changements sont survenus dans les pratiques liées à l’environnement des résidants. Ceux-ci continuaient à considérer, et souvent à juste titre, la présence de gardes gouvernementaux comme une véritable malédiction. Beaucoup d’entre eux, généralement après avoir vérifié autour d’eux si aucun fonctionnaire n’était dans les parages, admettaient qu’ils contrevenaient aux règlements du ministère des Forêts. En réalité, il s’agit d’une pratique courante à laquelle s’adonnent avec un malin plaisir les villageois d’autres parties de l’Inde rurale. Mais même lorsque les personnes interrogées convenaient de la nécessité de protéger les arbres en raison des nombreux avantages que leur procurait la forêt, elles n’étaient pas disposées à faire elles-mêmes quoi que ce soit pour atteindre cet objectif. Pour la plupart, les opinions qu’elles entretenaient sur la forêt et l’environnement ne s’étaient guère modifiées (voir le tableau 3 plus haut). Les deux dernières lignes du tableau 3 indiquent qu’il ne s’est produit que des changements secondaires dans la façon dont ces villageois perçoivent la nécessité de protéger la forêt et dans leur volonté de travailler à l’atteinte de cet objectif quel qu’en soit le prix.

Gouvernement intime

Pour analyser les mécanismes qui sous-tendent la formation de différentes subjectivités au Kumaon, la métaphore d’« action à distance » utilisée par Latour (1987) et, après lui, de « gouvernement à distance » utilisée par Miller et Rose (1990), est d’une utilité certaine. À partir de l’étude de travaux scientifiques, Callon et Latour (1981) décrivent les filiations et les réseaux qui permettent d’établir des liens entre les calculs qui se font à un endroit et les actions qui existent ailleurs. Le point nodal de leur argumentation réside dans le fait que des intérêts similaires se construiraient par la persuasion, le complot, le calcul ou la rhétorique (Miller et Rose 1990 : 10). Plutôt que d’évoquer des intérêts immuables, certains acteurs déploiraient une combinaison de ressources pour en convaincre d’autres que leurs objectifs et leurs difficultés à tous sont liés et nécessitent le recours à des stratégies communes[6].

Au Kumaon, les ministères des Forêts et du Revenu ont combiné et déployé deux types de ces ressources, dans les années 1920-1930, dans le but de convaincre les communautés villageoises que les problèmes suscités par la rareté des produits forestiers pouvaient être surmontés par une action commune. L’information sur les effets néfastes qu’avait eus le gouvernement centralisé des forêts durant les années 1910 et sur les institutions communautaires déjà existantes dans la région avait préparé le terrain à l’idée qu’une décentralisation du contrôle des usages forestiers pouvait avoir des effets positifs. L’expérience de gouvernement décentralisé des forêts à Burma et à Madras et l’analyse de ces expériences sur place par des fonctionnaires du Ministère dans les années 1920 ont contribué à l’établissement des Forest Councils Rules de 1931. La restitution progressive des territoires boisés que les villageois utilisaient avant les années 1890 (et que le ministère des Forêts du Kumaon s’était appropriés entre 1893 et 1916) a fourni l’assise sur laquelle s’est forgée l’idée d’un intérêt commun pour la protection des forêts aux collectivités villageoises du Kumaon et au ministère des Forêts. Les conseils forestiers sont devenus le moyen institutionnel de poursuivre et de partager cet objectif commun malgré la distance.

Les expressions « action à distance » et « gouvernement à distance » se rapportent à une distance géographique que permettent de surmonter l’action et le gouvernement. Dans un sens très important, elles renvoient à la dissociation entre la distance spatiale et la distance sociale et politique à laquelle les formes de gouvernement moderne aboutissent. En clarifiant et en précisant la relation qui existe entre les pratiques individuelles et les sanctions qui résulteraient de ces pratiques, le gouvernement encourage de nouveaux types d’actions chez ceux et celles qu’il gouverne. Ainsi, l’action à distance abolit les effets de la séparation physique en créant des règles qui sont connues des personnes vivant en milieu éloigné. Les fonctionnaires qui supervisent le transfert de ces règles vers un territoire social donné parviennent à le faire parce que ce transfert correspond au désir des sujets d’adopter de nouvelles pratiques.

Contrairement au gouvernement à distance qui présuppose l’existence de centres de calculs, une supervision constante, une collecte d’information continue, une analyse incessante de chiffres et l’imposition de la dominance intellectuelle qu’assure l’expertise (Miller et Rose 1990 : 9-10), le gouvernement intime travaille à diffuser la règle et à assurer une participation plus large à cette règle au Kumaon. En conséquence, il existe de nombreux sites de prise de décision dans lesquels ces acteurs travaillent de différentes façons et à différents degrés pour la protection des forêts. Dans chacun de ces sites, ce sont les pratiques et la socialité plutôt que l’expertise qui forment la base de la régulation des actions locales. L’élaboration conjointe d’intérêts se fonde sur des interactions multiples et quotidiennes au sein de la communauté. En bout de ligne, ces interactions sont modelées par les conseils forestiers ; elles sont poussées politiquement vers une meilleure conservation.

À mesure que la communauté devient le lieu de référence des actions environnementales, elle se pose également comme l’arène où le gouvernement intime se déploie. Ce dernier modèle les pratiques et contribue à lier les villageois, les fonctionnaires dans les centres administratifs ruraux et les politiciens intéressés à classer les pratiques écologiques existantes. Un gouvernement intime permet de créer et de déployer des réseaux d’influence politique entre des groupes de décideurs au sein d’un village et chez les habitants dont les pratiques sont visées par leurs décisions. Lorsqu’il y parvient, il est étroitement associé aux processus de régulation des pratiques environnementales, comme nos résultats de recherche le montrent.

Le gouvernement intime régit également la façon dont les villageois tentent de modeler leurs propres agissements en forêt. Au Kumaon, le gouvernement à distance travaille exclusivement en partenariat avec les gouvernements rapprochés – parce que les villageois prennent part aux pratiques de régulation qu’ils trouvent importantes pour leurs propres intérêts à long terme. L’exposition à la rareté et à la règle entraîne une redéfinition des intérêts ; de fait, les familles comparent les coûts et bénéfices de l’exploitation illégale des forêts qui appartiennent aux communautés et les coûts et bénéfices de celle qu’ils pratiquent dans les forêts de l’État ou d’autres communautés et cela finit par influencer leurs pratiques environnementales.

Les nouvelles formes de gouvernement communautaire n’induisent pas que des contraintes[7]. Si la régulation des pratiques exige qu’on estime minutieusement la disponibilité et la rareté des ressources, elle permet également d’opter pour d’autres types d’actions correctives contre l’avis des décideurs. Si les villageois n’apprécient pas la façon dont les conseils forestiers administrent leurs forêts, ils peuvent tenter de changer les règlements adoptés par les membres de ce conseil, voire en changer les membres eux-mêmes. Les canaux qui agissent sur ce qui se passe en forêt permettent aux idées de circuler dans diverses directions plutôt que dans une seule. Et la régulation des pratiques forestières quotidiennes est davantage influencée par les liens que les villageois entretiennent avec les responsables de leur conseil forestier qu’avec ceux qu’ils pourraient établir avec des fonctionnaires des ministères des Forêts ou du Revenu.

Bien que les gouvernements intimes dans les collectivités du Kumaon aient contribué au travail de gouvernement à distance de l’État, ils l’ont fait selon des modes que les résidants pensent avoir définis localement. Les villageois protègent les forêts et contrôlent les pratiques illégales de récolte et d’extraction du fait qu’ils ont eux-mêmes expérimenté la rareté des produits forestiers. Ils peuvent avoir recours au langage de la règle et de la protection des ressources que déploient également les fonctionnaires de l’État. Mais ils le font selon des objectifs qu’ils imaginent être les leurs et parce qu’ils peuvent constater les liens directs entre leur propre participation à l’établissement de règles et l’état des forêts. L’autonomie qu’ils se figurent avoir acquise provient des pratiques de conservation encouragées par les fonctionnaires de l’État. Néanmoins, il s’agit d’une donnée sociale cruciale pour la réussite de la conservation décentralisée à l’échelle des communautés.

Dans mon questionnement sur la relation entre la variation des modes de participation et la transformation des subjectivités, je me suis efforcé de m’éloigner des classifications sociales abstraites et statiques fondées sur l’appartenance à une caste, à un sexe ou à un territoire. La grande disparité dans la nature des pratiques de régulation d’un village à l’autre, selon les hommes et les femmes ou selon la caste rend de telles classifications inopérantes, ou à tout le moins peu utiles. Des expressions comme « formes culturelles » et « systèmes symboliques », centrales dans la clairvoyante étude de Paul Willis sur la reproduction de la différence entre capitalistes et travailleurs, semblent tout aussi éloignées du processus d’élaboration du sujet. Willis se penche tout comme moi sur les questions entourant la construction des subjectivités et la confirmation de l’identité (1981 : 173). Mais c’est dans son examen des pratiques actuelles de scolarisation parmi les enfants de la classe des travailleurs plutôt que dans sa structure théorique abstraite culturelle-marxiste que son étude puise ses avancées les plus remarquables. De même, c’est dans son analyse de la texture des pratiques sociales qu’il devient possible d’entrevoir comment les politiques environnementales sont vécues par ceux et celles qui y sont soumis. L’étude que je propose des formes de participation, de surveillance et de régulation se veut un écho des préoccupations que suscitent tant les technologies du soi que celles du pouvoir, que l’oeuvre de Foucault considère comme centrales dans le processus de la formation du sujet.

Cultiver les sujets de l’environnement

L’idée voulant qu’il existe une relation entre le gouvernement et la formation du sujet, entre les politiques et la subjectivité (Foucault 1982 : 212) a été bien étayée depuis les premiers travaux de Foucault (Cruikshank 1994 ; Hannah 2000 ; Tully 1988). Cette relation est particulièrement manifeste lorsque l’on compare les technologies du pouvoir, qui président à la formation des sujets et infléchissent la manière dont ceux-ci se définissent eux-mêmes, et les technologies du soi, que les individus appliquent à eux-mêmes pour transformer leurs propres conditions de vie (Miller 1993 : xiii-xiv). Ces deux types de technologies correspondent à un gouvernement basé sur le savoir et peuvent être observés dans le processus de formation de sujets de l’environnement au Kumaon.

On reproche souvent à Foucault de faire usage d’innovations conceptuelles provocantes qui ne peuvent s’appliquer à la réalité des faits sociaux[8]. De même, une grande partie des débats politico-philosophiques sur la formation du sujet procède comme si les sujets émergeaient et existaient indépendamment de tout substrat historique, politique et social. Un tel présupposé risque constamment d’oblitérer les véritables processus de la formation du sujet. J’ai entrepris ici de confronter les idées de Foucault sur la formation du sujet au contexte politique et social et de réfléchir à la formation du sujet sur un plan concret plutôt qu’abstrait. Bien que, au cours de ce processus, j’aie simplifié la structure conceptuelle des débats philosophiques sur ce thème, je l’ai fait dans le but d’approfondir une question qui divise la plupart des théoriciens de la formation du sujet. Plus concrètement, j’ai tenté de montrer ce qui différencie différents types de sujets en considérant les pratiques comme un lien fondamental entre le pouvoir et l’imaginaire. C’est l’étroite observation des pratiques qui permet l’analyse conjointe de constructions abstraites en apparence différentes, comme les politiques, les institutions et les subjectivités. Au Kumaon, pourrait-on souligner, la production de sujets de l’environnement au ministère des Forêts au début du XXe siècle a provoqué une série de changements institutionnels, politiques et sociaux en cascade liés à l’idée de communauté. C’est dans ce domaine de la communauté que de nouveaux sujets de l’environnement sont apparus.

J’ai tenté de montrer ici que le processus de formation du sujet, implicite dans la plupart des études sur la gouvernance environnementale, est profondément lié à la participation et aux pratiques. Ces pratiques de régulation et de surveillance mises en place par le conseil forestier des communautés locales, l’exposition à la rareté et le fait pour les villageois de se voir confier des responsabilités qui les incitent à participer au gouvernement, tout cela se rattache aux idées foucaldiennes sur l’importance des rôles conjoints des technologies du pouvoir et du soi dans la formation des sujets. Le travail de l’État pour gouverner à distance a permis aux villageois de mettre en place la nouvelle forme de gouvernement que constituent les conseils forestiers. La reconnaissance d’intérêts communs en ce qui a trait à la forêt qu’ont suscitée les concessions étatiques et l’expérience de la rareté a conduit certaines communautés à se doter de conseils forestiers officiels. Parallèlement, la volonté de ces conseils forestiers de mettre sur pied divers processus de gouvernement intime dans leur propre collectivité s’est répercutée sur la disposition des villageois à participer à ces processus. C’est la relation entre ces procédés jumeaux qui a conditionné l’émergence de sujets de l’environnement au Kumaon.

Article inédit en anglais, traduit par Catherine Broué.