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Introduction

Le phénomène de la classe à niveaux multiples s’étend à l’échelle mondiale. Et même si la réalité de ce type de classe diffère grandement de celle de la classe à niveau unique, on constate que, pendant longtemps, elle a suscité peu d’intérêt. Ce n’est qu’au cours des deux dernières décennies que le débat s’est engagé. Pourtant, sa seule composition[1] en fait une occasion unique d’étudier l’impact d’un tel mode de groupement sur l’apprentissage et le rendement et de se questionner sur la validité du mode de groupement dominant, la classe à niveau unique. Cet article[2] se propose de contribuer à cette remise en question.

Le nouvel intérêt à l’égard des classes à niveaux multiples s’est manifesté également en Ontario. En effet, la multiplication de ce type de classes, ici comme ailleurs, principalement dans les régions urbaines à cause de facteurs démographiques comme la baisse de natalité et l’étalement des banlieues, a conduit les différents décideurs du monde scolaire de la province à se concerter et à classer le phénomène au haut de la liste de priorités.

Étude ontarienne sur les classes à niveaux multiples

Une vaste étude sur la question a été commandée par le ministère de l’Éducation en 2000, en collaboration avec ses partenaires[3], en vue de soutenir une part grandissante du personnel enseignant oeuvrant dans des classes à niveaux multiples (doubles, parfois triples, voire quadruples) qui se voyait confronté à l’adoption de nouveaux programmes prescriptifs et déterminés à l’échelle provinciale. Depuis 1998, en effet, le personnel enseignant ontarien est tenu d’enseigner toutes les matières prescrites, selon des attentes et des contenus établis pour chaque niveau d’études. Ainsi, une personne qui enseigne dans une classe où l’on retrouve trois niveaux, par exemple, une classe de 4e/5e/6e, se voit dans l’obligation de jongler avec plus d’une vingtaine de programmes cadres.

Dans le contexte spécifique de l’Ontario que nous avons évoqué plus haut, il devenait impossible d’ignorer les problèmes générés par l’enseignement dans les classes à niveaux multiples. Un premier geste consistait donc à mettre sur pied un comité directeur dont le mandat a débuté par la constitution des équipes de recherche. Tout au long du processus, le but ultime du «projet provincial sur les classes à niveaux multiples» est demeuré inchangé, soit d’élaborer des mesures de soutien tant attendues par le personnel enseignant.

Nous pourrions longuement discuter, à ce point-ci, des façons dont les décideurs politiques appréhendent, interprètent et disposent de la recherche qu’ils ont eux-mêmes sollicitée. Wilson (1999) a bien montré comment, en Ontario, les politiques éducationnelles sont peu informées par la recherche en éducation. Nous n’entrerons donc pas dans ce débat pour plutôt nous limiter, dans ce texte, à analyser la façon dont les classes à niveaux multiples sont traitées en tant qu’objet de recherche.

L’étude initiale se divisait en trois volets, le premier étant une revue de la documentation scientifique, le deuxième une enquête sur les pratiques réussies et le troisième un recueil des ressources disponibles en Ontario français. Les résultats des trois volets ont été présentés à des représentants du monde scolaire lors de la tenue d’un colloque provincial sur les classes à niveaux multiples en mars 2001 à Toronto. Les résultats des trois volets ont également fait l’objet d’une publication du ministère de l’Éducation intitulée Les classes à niveaux multiples... Où en sommes-nous? (Gouvernement de l’Ontario, 2001). Soulignons au passage, puisqu’il s’agit d’une première en Ontario, que l’étude a été menée en français et que le premier volet concernant la revue de la documentation scientifique a été traduit en anglais.

Ce texte vise à communiquer les faits et les données recueillis à l’occasion de cette revue de littérature, ainsi que les lacunes observées, dans l’espoir d’alimenter le débat sur la question. Il débutera par une brève description des paramètres de la revue de documentation, suivie d’une définition de l’objet d’étude, pour ensuite décrire l’étendue des classes à niveaux multiples dans le monde et tracer leur historique. Par la suite, les études recensées seront décrites sommairement, étant donné que la revue de documentation existe déjà(Lataille-Démoré et Fradette, 2001), pour céder la place à l’analyse critique que nous en avons dégagée.

Les classes à niveaux multiples, une réalité occultée

Nombre et types d’articles recensés

La revue de la documentation a porté sur environ quatre-vingts articles et documents provenant de divers coins du monde, écrits dans les vingt dernières années, mais surtout dans la récente décennie. Environ la moitié des études recensées étaient des études comparatives entre les classes à niveaux multiples et les classes à niveau unique. Les autres études étaient plutôt descriptives, relatant l’historique des classes à niveaux multiples, leur présence, leurs caractéristiques en contraste avec celles des classes multiâges, la situation telle que vécue par les enseignants ou les besoins en classe à niveaux multiples. Très peu d’entre elles visaient à comprendre le vécu quotidien de ces classes. Enfin, signalons que les comptes rendus d’expérience personnelle, quoique nombreux, ont été écartés en faveur des études plus objectives. Avant de se lancer dans le coeur du sujet, il importe de bien définir ce dernier.

Les classes à niveaux multiples, une définition

Les classes à niveaux multiples se définissent en Ontario comme des classes qui regroupent des élèves provenant de deux niveaux ou plus dans un même lieu avec un même membre du personnel enseignant. À l’intérieur de ce type de regroupement, chaque niveau maintient son programme et ses tâches spécifiques. C’est la définition à laquelle nous ferons référence dans ce texte.

La notion de classes à niveaux multiples qui a été retenue en Ontario français a maints équivalents ailleurs (classes multiprogrammes, jumelées, multiniveaux, combinées, à degrés multiples, etc., et, en France, classes uniques ou simples). Que ces termes soient utilisés indifféremment par plusieurs auteurs, c’est-à-dire qu’ils soient traités comme de purs synonymes, ne pose pas de réel problème. Il n’en est pas de même pour la notion de classe multiâge, qui est parfois traitée elle aussi comme un énième synonyme de la notion de classe à niveaux multiples mais qui répond, nous le verrons, à un tout autre univers paradigmatique. Il n’empêche que certains auteurs utilisent indifféremment les deux notions, ce qui complique la tâche d’isoler les écrits qui concernent exclusivement les classes à niveaux multiples.

Historique des classes à niveaux multiples

Le mode de regroupement des élèves par niveau d’étude unique est apparu au cours du XIXe siècle en Allemagne, puis aux États-Unis et ailleurs pour constituer, après la révolution industrielle et l’urbanisation concomitante, une norme largement acceptée (Gayfer, 1991; Goodlad et Anderson, 1987; Kasten et Clark, 1993). Ce mode de regroupement des élèves serait issu du modèle industriel à l’intérieur duquel, à l’image de la chaîne de production, plus d’enfants seraient scolarisés à moindres coûts. Certes, devant l’augmentation importante du nombre d’enfants fréquentant l’école, un tel mode de regroupement facilitait la tâche des administrateurs scolaires.

Des pédagogues comme Froebel, Locke, Pestalozzi, Rousseau, Montessori, Spock, Freud et Dewey ont tour à tour remis en cause le mode de regroupement des élèves par degré unique depuis sa mise en place, arguant qu’aucune donnée empirique ne supportait un tel virage (Hallion, 1994). Mais le poids des arguments administratifs semble avoir relégué les arguments scientifiques et pédagogiques au second rang, car ce mode de regroupement s’est répandu et est entré dans la culture scolaire au point de constituer aujourd’hui une norme de référence tout à la fois implicite et incontournable.

Il existe encore aujourd’hui un vaste consensus sur les raisons qui favorisent la mise en place des classes à niveaux multiples. En ce qui concerne les régions urbaines en particulier, où l’on trouve la plus grande concentration de classes à niveaux multiples au Canada, les raisons de leur formation sont économiques, administratives ou démographiques (Campbell, 1993; Gayfer, 1991; Goodlad et Anderson, 1987; Kasten et Clark, 1993; Veenman,1995).

Ainsi, les classes à niveaux multiples sont formées lorsque les ressources humaines sont trop restreintes pour permettre la formation de classes dites régulières regroupant des élèves du même âge. Cette situation implique que les classes à niveaux multiples soient formées le plus souvent, en l’occurrence dans les régions urbaines, par les directions d’école au moment de la rentrée, alors qu’elles font face à des ratios maîtres/élèves ne permettant pas la formation de classes à niveau unique. Ainsi, le regroupement des élèves en classes à niveaux multiples demeure, dans bien des cas, une conséquence des conditions démographiques et/ou économiques adverses plutôt qu’un choix pédagogique délibéré, encore moins une décision politique.

Présence des classes à niveaux multiples à l’échelle internationale

La revue de la documentation scientifique a permis de constater la présence des classes à niveaux multiples un peu partout sur la planète. Ainsi, Veenman (1995) propose une catégorisation triple des contextes dans lesquels l’on retrouve des classes à niveaux multiples. Le premier est constitué des régions urbaines à forte densité de population qui connaissent un déclin des taux d’inscriptions. L’on retrouve ici des pays comme les États-Unis, le Canada et la Grande-Bretagne. Dans ces pays, les classes à niveaux multiples sont en rapide augmentation à cause de l’exode des jeunes familles vers les banlieues et la baisse des taux de natalité. Notons au passage que dans le cas des États-Unis et du Canada, les classes à niveaux multiples sont en diminution dans les régions rurales à cause de la fermeture massive des très petites écoles. Du côté des administrations scolaires, la croyance selon laquelle les très petites écoles coûteraient cher et ne formeraient pas efficacement les élèves paraît largement répandue. Quoi qu’il en soit, en Grande-Bretagne, environ la moitié des nouveaux venus dans la profession enseignante débuteraient leur carrière dans une classe à niveaux multiples. Au Canada, selon l’étude menée en 1991 et relatée par Gayfer, un élève sur cinq était inscrit dans une classe à niveaux multiples. Il y a lieu de penser que cette proportion a augmenté au cours de la dernière décennie.

En Ontario, au primaire, environ 25% des élèves fréquentent une classe à niveaux multiples. Pour ce qui est des classes, les chiffres touchant les écoles de langue française seraient légèrement plus élevés que ceux de la province en général, soit 25% des classes contre 23,8% (Gouvernement de l’Ontario, 2001).

Le deuxième type de contexte où se trouvent des classes à niveaux multiples comprend des régions rurales à très faible densité de population. On retrouve ici des pays comme la Nouvelle-Zélande, l’Australie, le Portugal, l’Autriche, la Finlande et l’Écosse. Contrairement à la croyance répandue au Canada et aux États-Unis, on semble croire dans ces pays que les petites écoles qui ont recours à un mode ou à un autre de regroupement hétérogène n’ont pas d’impact négatif sur la qualité des services éducatifs et sur les chances de réussite des élèves. Par conséquent, les petites écoles sont maintenues et les classes à niveaux multiples, nombreuses. En Australie occidentale, par exemple, plus de 85% des écoles primaires ont recours à ce type de classes.

La troisième et dernière catégorie à l’intérieur de laquelle les classes à niveaux multiples sont plus que présentes est constituée par les pays en voie de développement (Asie, Afrique et Amérique du Sud). Dans ces pays, les classes à niveaux multiples jouent un rôle primordial pour améliorer l’accès à l’enseignement primaire. En Inde, par exemple, 61% des écoles primaires ne disposent que d’un ou deux membres du corps enseignant (Unesco,1989, dans Veenman,1995). Au Mexique, 22% des écoles primaires regroupent les six degrés d’études pour un seul membre du corps enseignant. La Banque mondiale a appuyé bon nombre de ces écoles en Afrique et en Amérique du Sud (Thomas et Shaw, 1992).

En réalité, les études qui s’intéressent directement aux classes à niveaux multiples sont fort peu nombreuses. En revanche, celles qui les comparent, soit avec les classes régulières ou avec les classes multiâges, sont étonnamment abondantes. Pour tenter de comprendre les raisons de ce désintérêt de la recherche en éducation pour les classes à niveaux multiples en tant qu’objets de recherche à part entière, nous présenterons les deux types d’étude qui dominent dans la littérature sur le sujet.

Les recherches quantitatives centrées sur le rendement des élèves

Étant donné le grand nombre d’études qui font partie de cette première catégorie, quelques auteurs en ont réalisé soit des synthèses, soit des méta-analyses (Mason et Burns, 1995; Miller, 1989; Naylor, 2000; Pratt, 1986; Russell, Rowe et Hill, 1998; Thomas et Shaw, 1992; Veenman, 1995, 1996).

Les méthodes utilisées pour réaliser ces nombreuses études sont les mêmes et leurs résultats s’avèrent peu équivoques. Plutôt que de chercher à cerner la spécificité de la classe à niveaux multiples, ces études ont utilisé, dans la plupart des cas, des tests standardisés en langue et en mathématiques pour démontrer que le rendement des élèves dans les classes à niveaux multiples est comparable à celui des élèves des classes à niveau unique.

Une étude en particulier a suscité un débat scientifique à l’échelle internationale, la synthèse des recherches exemplaires portant sur les classes à niveaux multiples (best evidence synthesis) de Veenman (1995), un chercheur hollandais. Il y examine 56 recherches effectuées dans 12 pays, entre 1938 et 1995, sur les effets cognitifs et socioaffectifs des classes à niveaux multiples et des classes multiâges, toujours en comparaison avec des classes simples. D’emblée, cette méta-analyse semble valable en raison de la rigueur apparente dans la définition des variables à l’étude, dans le choix de recherches selon des critères d’ordre fondamental et méthodologique ainsi que dans l’examen des résultats. L’auteur a établi la distinction entre les recherches qui touchaient les classes à niveaux multiples (45) et celles qui touchaient les classes multiâges (11).

Sur le plan méthodologique, pour être retenues, les recherches devaient comporter, entre autres, les éléments suivants: groupe expérimental et groupe témoin, mesures standards, échantillonnage au hasard et échantillons comparables. En ce qui concerne cette dernière caractéristique, Veenman (1995) a réparti les recherches en trois catégories de fiabilité des résultats: d’abord les plus fiables, avec groupes appariés avec égalité initiale, puis celles comportant des groupes appariés sans évidence d’égalité initiale mais avec ajustement du prétest et enfin, les moins fiables, avec groupes appariés sans évidence d’égalité initiale et sans ajustement du prétest.

Considérons brièvement les résultats de cette vaste étude comparative. Tout d’abord, en ce qui concerne l’impact sur le plan cognitif, des 38 recherches menées à ce sujet de 1938 à 1995 qui répondaient aux critères d’inclusion de l’auteur, les conclusions qui se dégagent sont claires et univoques. Les élèves apprendraient aussi bien dans une classe à niveaux multiples que dans une classe à niveau unique, et cela, indépendamment du nombre d’années passées en classe à niveaux multiples.

Dans un second temps, l’auteur s’est intéressé à des aspects psychosociaux, notamment le concept de soi des élèves, la qualité des relations sociales qu’ils établissent, leur attitude envers l’école et envers leurs pairs, leur capacité d’adaptation, etc. Les 17 recherches révisées relativement à ce point indiquent que sur le plan psychosocial, les élèves des classes à niveaux multiples réussissent aussi bien que les élèves de classes simples. Cinq recherches rapportent même des effets positifs significatifs pour les élèves des classes à niveaux multiples (Chace, 1961; Harvey, 1974; Knözer, 1985; Purl et Curtis, 1970; Rehwold et Hamilton, 1957; toutes mentionnées dans Veenman, 1995).

Les résultats de la méta-analyse de Veenman indiquent donc que les classes à niveaux multiples n’ont pas d’effet négatif ni sur la réussite scolaire ni sur le bien-être psychosocial des élèves. Veenman (1996) exprime ce résultat comme suit: «Ces classes ne sont ni pires ni meilleures que les classes à degré unique.» (p.367). Cependant, des critiques ont été émises à propos de l’étude de Veenman (Mason et Burns, 1995), ce qui l’a obligé à réviser certains critères et à en publier une version modifiée (Veenman, 1996). Russell et al. (1998) rendent bien compte du débat.

Devant de tels résultats, il devient facile de conclure que les classes à niveaux multiples ne posent pas de réels problèmes et ne nécessitent pas, par conséquent, de mesures de soutien particulières (et ce, quelle que soit la région du monde où on les retrouve). On peut se demander ici si ces recherches ne servent pas à maintenir une forme de statu quo dans l’idéologie qui sous-tend le mode de regroupement des élèves. Si le rendement des élèves n’est ni pire ni meilleur dans les classes à niveaux multiples, pourquoi y changer quelque chose? Or, un examen plus poussé de ces recherches suscite de sérieuses questions, tant sur le plan méthodologique que sur le plan théorique.

Mason et Burns (1996) ont montré en effet que l’omission de deux facteurs clés rendent les résultats de ces recherches problématiques. Le premier concerne le biais de la sélection des élèves qui composent les classes à niveaux multiples. Les rares études non comparatives qui sont centrées sur les classes à niveaux multiples révèlent que, lorsque c’est possible, il s’y fait des aménagements spéciaux dans le but de faciliter la gestion du groupe et de réduire le fardeau du personnel enseignant (Adair, 1978 dans Veenman, 1995; Bennett, O’Hare et Lee, 1983 dans Miller, 1991; Brown et Martin, 1989; Gayfer, 1991; Mason et Burns, 1995; Miller, 1989; Pratt, 1986). En effet, dans la mesure du possible, on place en cours à niveaux multiples les élèves qui possèdent certaines caractéristiques, dont la maturité, l’autonomie et les habiletés de coopération (Brown et Martin, 1989) ou encore la maturité, la stabilité émotive et, par rapport au groupe, des habiletés cognitives homogènes de niveau moyen ou supérieur (Mason et Burns, 1995; Pratt et Tracy, 1986 dans Miller,1989). De telles caractéristiques dénotent une certaine disposition positive envers l’école, les membres du personnel enseignant et le travail scolaire, ce qui amène Hohl (dans Gayfer, 1991) à proposer qu’il existe chez ces élèves une «homogénéité des habitus scolaires». Là où il s’opère une sélection selon de telles caractéristiques, les classes à niveaux multiples ne devraient-elles pas avoir un rendement supérieur aux classes à niveau unique plutôt que des résultats semblables? Un deuxième facteur pourrait expliquer qu’il n’en soit pas ainsi.

Le second facteur soulevé par Mason et Burns (1995) concerne les éléments affectant la qualité de l’enseignement dans les classes à niveaux multiples. Les auteurs exposent la complexité de la tâche d’enseignement dans une classe à niveaux multiples: plus de préparation, plus d’enseignement par petits groupes, plus de temps d’enseignement, etc. Selon eux, l’exigence d’une telle tâche nuit à la qualité de l’enseignement, qui, à son tour, affecte négativement le rendement des enseignants de classes à niveaux multiples.

En tenant compte de ces deux facteurs, Mason et Burns (Ibid.) concluent que les classes à niveaux multiples ont pour le moins un léger effet négatif sur le rendement des élèves et des effets potentiellement négatifs sur la motivation du personnel enseignant. Selon ces auteurs, dans des conditions optimales, le rendement des élèves et la motivation des enseignants y seraient plus élevés.

Pour notre part, nous nous sommes demandé s’il ne fallait pas aussi prendre en compte, dans l’analyse des résultats des études comparatives sur le rendement des élèves, le choix des matières à évaluer. En effet, les tests standardisés qui ont été administrés aux élèves pour la réalisation des études comparatives concernaient les matières dites de base, soit la langue (première) et les mathématiques. Or, on sait que ces matières occupent également l’avant-scène dans les classes à niveaux multiples, pour des raisons évidentes de gestion du temps (Brazee et Capelluti, 1995, dans Mason et Burns, 1996; Mason et Stimson, 1996). Autrement dit, puisqu’il y a tant à faire dans une classe à niveaux multiples, le personnel enseignant ciblerait en priorité l’enseignement de la langue et des mathématiques, au détriment des autres matières, jugées moins essentielles. De plus, l’enseignement de ces deux matières se ferait de façon alternative, tantôt à un niveau, tantôt à l’autre. Par conséquent, l’effet combiné d’une attention plus poussée à ces matières et d’un enseignement équivalent à celui qu’on retrouve en classe à niveau unique ne pourrait-il pas placer les classes à niveaux multiples en position avantageuse par rapport aux classes à niveau unique?

L’omission de variables comme la sélection des élèves et l’impact de la lourdeur de la tâche d’enseignement sur la qualité de l’enseignement dans une classe à niveaux multiples, sans mentionner une possible influence du choix des matières évaluées par les test standardisés, ne sont pas à négliger et nous portent à suggérer plus de prudence dans l’interprétation des résultats des recherches comparatives centrées sur le rendement des élèves. Certes, de nouvelles études viendraient jeter un meilleur éclairage sur cette question.

Recherches descriptives

Si le premier groupe d’études descriptives nous a permis de constater que les classes à niveaux multiples existent en grand nombre au Canada comme à l’échelle mondiale (Veenman, 1995; Thomas et Shaw, 1992), il n’a jeté aucune lumière sur la réalité de ces classes, que ce soit sur le plan administratif et politique ou sur le plan du vécu quotidien de la salle de classe. Une deuxième catégorie d’écrits nous fournit cet autre type de données, en raison de leurs visées différentes.

Sur le plan administratif et politique

Les écrits révèlent qu’au Canada comme ailleurs dans le monde, tout se passe comme si la réalité des classes à niveaux multiples était invisible aux yeux des instances décisionnelles, tout étant conçu, planifié et énoncé en fonction des classes à niveau unique. En d’autres termes, selon Mulcahy (1993), «officiellement, les classes à niveaux multiples n’existent pas» (p.25).

Ce dont la documentation sur le sujet ne traite pas explicitement, c’est que la classe à niveaux multiples se voit forcée de s’insérer, notamment en Ontario, dans le modèle de la classe à degré unique, modèle qui correspond encore à la norme quasi universelle. Or, le moins que l’on puisse dire, c’est que la classe à niveaux multiples est fort différente de la classe dite régulière. Pourtant, officiellement, elle n’existe pas puisqu’elle n’est la plupart du temps qu’un compromis de dernier recours. Loin de composer avec la réalité des classes à niveaux multiples, nos systèmes scolaires semblent au contraire tout faire pour la reléguer aux oubliettes. En clair, la recherche de l’homogénéité des élèves semble largement occulter la spécificité des classes à niveaux multiples.

Il n’est donc pas surprenant de constater qu’il n’existe pas ou peu de directives pédagogiques pour orienter les enseignants qui se trouvent dans une classe à niveaux multiples et que ces derniers ne reçoivent pas ou peu de formation au regard des classes à niveaux multiples (Campbell, 1993; Craig, 1991; Craig et McLellan, 1987; Freedman, 1982; Gayfer, 1991; Mulcahy, 1993; Thomas et Shaw, 1992; Veenman, 1995). De plus, il n’existe pas ou peu de mesures pour faciliter la tâche des enseignants, que ce soit en termes de charge de travail, de matériel pédagogique (Gayfer, 1991; Veenman, 1995) ou de programmes d’études adaptés (Gayfer, 1991). Dans ces conditions et étant donné le modèle dominant de la classe à niveau unique, les enseignants ont souvent recours aux mêmes méthodes d’enseignement que celles qui sont employées dans les classes à niveau unique.

Sur le plan du vécu quotidien

La tâche d’enseignement – En lien avec cette situation, les auteurs s’accordent sur la difficulté de la tâche d’enseignement dans une classe à niveaux multiples et ils déplorent le peu de recherches qui y sont consacrées (Naylor, 2000). Tous s’entendent pour dire que la qualité de l’enseignement dans ces classes est un élément central (Brown et Martin, 1989; Galluzo, 1990, dans Mason et Burns, 1996; Mason et Burns, 1995; Veenman, 1995; Thomas et Shaw, 1992; Gayfer, 1991). Ils s’entendent aussi sur le fait que cet enseignement est plus exigeant, tant sur le plan de la préparation que de la prestation, qu’il nécessite un plus grand investissement de la part des membres du personnel enseignant, entraînant souvent de l’insatisfaction et une augmentation du stress chez le personnel enseignant (Francoeur, 1997; Gayfer, 1991; Pratt, 1986; Embry, 1981 dans Miller, 1991; Dodendorf, 1983 dans Miller, 1991; Maheux, 2000; Mason et Burns, 1995, 1996; Miller, 1989; Veenman, 1995, 1996). Cela explique que ce type d’enseignement soit vu comme une situation temporaire, hors de l’ordinaire et, à la limite, non souhaitable (Mason et Burns, 1995; Miller, 1989; Veenman, 1995; Russell et al., 1998; Thomas et Shaw, 1992).

Il est permis d’émettre l’hypothèse que la difficulté de la tâche d’enseignement dans une classe à niveaux multiples est directement liée à l’étroitesse des politiques éducationnelles, en particulier au regard des programmes d’études, qui forcent le personnel enseignant à inscrire ses actes professionnels dans le modèle de la classe à niveau unique.

Les pratiques pédagogiques – S’il existe un consensus sur l’idée que la qualité de l’enseignement constitue le facteur jouant le plus grand rôle dans le succès des classes à niveaux multiples, peu d’études ont réellement analysé ce qui constitue un enseignement de qualité dans une classe à niveaux multiples. Seulement quatre des 38 auteurs d’études empiriques ont fait allusion au régime pédagogique en place dans les classes sur lesquelles portait leur étude; il s’agit de Veenman (1986), de Lincoln (1981), de Rojas et Castillo (1988) et de Higgins (1980), tous rapportés dans Veenman (1995). Ces recherches ne permettent toutefois pas de dégager des effets différents selon la pédagogie pratiquée, ce qui amène Veenman à poser l’hypothèse que, dans la majorité des classes à niveaux multiples qui ont fait l’objet de recherches, l’enseignement serait alternatif et il y aurait peu de collaboration entre les élèves des différents niveaux d’études. D’autres chercheurs s’accordent sur le point que l’alternance de l’enseignement d’un niveau à l’autre constituerait une pratique encore largement répandue dans les classes à niveaux multiples (Galluzo et al., 1990, dans Mason et Burns, 1996, Mason et Stimson, 1996; Veenman, 1996; Mason et Burns, 1995; Gajadharsingh dans Gayfer, 1991).

Les recherches descriptives (Thomas et Shaw, 1992; Miller, 1991) font l’unanimité sur l’importance de la planification et de l’organisation, des routines et des attentes précises envers les élèves ainsi que de l’établissement d’une atmosphère où règnent l’autonomie et la collaboration. Cette constatation a mené certains auteurs à proposer une formation spécifique à l’enseignement dans ce type de classe (Thomas et Shaw, 1992; Veenman et Raemakers, 1995).

La nécessité d’une formation spécifique à l’enseignement en classe à niveaux multiples s’impose. Encore faudra-t-il déterminer sur quoi porterait une telle formation. Cela nous ramène au noeud du problème des classes à niveaux multiples. Jusqu’ici, il a été démontré que ces dernières, telles qu’elles existent dans nos systèmes scolaires, constituent un «point mort», de sorte qu’on y fait rarement les aménagements nécessaires. Il y a lieu de se demander quels aménagements conviendraient à ce type de classe. Voyons si un regard vers des pratiques qui s’inscrivent dans un paradigme différent permettrait de dégager des pistes.

Deux paradigmes qui coexistent

Le paradigme de l’homogénéité

Les écrits consultés sur les classes à niveaux multiples indiquent clairement que ces classes restent captives d’un système de croyances éducationnelles découlant du paradigme de l’homogénéité: à chaque âge correspondrait un certain contenu prescrit étroitement, spécifique, contrôlé à l’échelle provinciale, étatique ou nationale. Or, n’est-ce pas paradoxal de constater que la classe à niveaux multiples s’inscrit du côté du paradigme de l’homogénéité, alors qu’elle est constituée, par définition, par des élèves regroupés de façon hétérogène sur le plan de l’âge?

En effet, le fossé paradigmatique qui existe dans nos systèmes scolaires entre la constante recherche d’un idéal d’homogénéité et une réalité sur le terrain de plus en plus hétérogène pourrait bien être à la source des difficultés qu’éprouve le personnel enseignant qui oeuvre dans les classes à niveaux multiples, difficultés qui sont abondamment relatées dans la documentation scientifique.

Le paradigme de l’hétérogénéité

Le deuxième mode de regroupement des élèves qui se dégage de l’analyse des écrits est le mode de regroupement fondé sur l’hétérogénéité. Ces deux modes de regroupement, soit celui fondé sur l’homogénéité et celui fondé sur l’hétérogénéité, constituent les pôles du continuum sur lequel s’échelonnent la plupart des systèmes scolaires. Du côté du premier, il est aisé de situer la plupart des systèmes scolaires, dont ceux des provinces canadiennes, tels que nous les connaissons depuis plusieurs décennies déjà[4].

À l’autre pôle du continuum, c’est tout le mouvement multiâge, dont une abondante documentation fait état, qui est représenté. Ce mouvement fait appel à des pratiques issues des résultats des recherches récentes sur l’apprentissage. Contrairement aux classes à niveaux multiples, qui se voient contraintes de gérer l’hétérogénéité bon gré mal gré, les classes multiâges et les écoles sans échelons répondent quant à elles à une orientation pédagogique délibérément choisie qui se fonde sur l’hétérogénéité. De manière générale, cette orientation prend appui sur un certain nombre de vues sur l’éducation et sur le développement de l’enfant, entre autres, que chaque enfant est unique, que l’âge chronologique et l’âge mental ne correspondent pas toujours et donc, que chacun est capable de réussir et même, de gérer son apprentissage (à condition que les stratégies de gestion, d’enseignement et d’évaluation soient adaptées), que la diversité des enfants constitue une richesse sur laquelle on doit miser, et que l’apprentissage est facilité par la quantité et la qualité d’interactions entre enfants de niveaux différents (apprentissage coopératif, tutorat, etc.) autant que par la quantité et la qualité d’interactions avec les adultes. L’État américain du Kentucky prône une telle approche (Mason et Stimson, 1996).

Les programmes d’éducation qui s’inscrivent dans ce paradigme ne sont pas tous identiques et ne répondent pas tous de la même façon aux vues qui viennent d’être exprimées. Des variations peuvent intervenir, certains programmes s’inspirant, par exemple, plus fortement de l’orientation socioconstructiviste, d’autres se basant plutôt sur les préceptes du sociocognitivisme ou encore sur ceux du culturalisme en éducation (école vygostkienne). D’autres, encore, se réclament de courants béhavioristes évolués, tels que la pédagogie de la maîtrise (Bloom) et l’éducation centrée sur la maîtrise des apprentissages prévus de Spady (Grégoire, 1999b). Concrètement, la classe multiâge comprend un regroupement d’élèves d’âges et de niveaux différents choisis aléatoirement; souvent, le même enseignant assume la responsabilité du groupe pendant plus d’un an ou une équipe se partage cette responsabilité. Le programme d’études est général et à long terme; il est axé sur des concepts majeurs et des habiletés de base plutôt que sur des contenus spécifiques. Quoi qu’il en soit, retenons que les systèmes scolaires canadiens, en particulier le système scolaire ontarien, se trouvent fort éloignés de ce paradigme de l’hétérogénéité. Pourtant, malgré des différences d’ordre théorique profondes, la classe multiâge ne partage-t-elle pas certaines caractéristiques avec la classe à niveaux multiples, ne serait-ce que celle de la structure hétérogène? (Mulcahy, 2000).

S’il y a des liens étroits entre les classes à niveaux multiples et les classes multiâges sur le plan de la diversité des élèves, une grande distance paradigmatique les sépare dans les faits. Le schéma suivant illustre cette distance. Le cercle de gauche représente les classes à niveaux multiples, fondées sur le paradigme de l’homogénéité, tel qu’il est indiqué dans la bulle au bas du schéma. Leur raison d’être figure au haut, ainsi que leur orientation: les programmes. Le cercle de droite représente les classes multiâges, fondées sur le paradigme de l’hétérogénéité et mises en place pour des raisons pédagogiques et donc, axées sur l’enfant.

Figure 1

Modes de regroupements des élèves

Modes de regroupements des élèves

-> Voir la liste des figures

D’ailleurs, deux métaphores évocatrices ont été relevées, la première par un auteur terre-neuvien, la seconde par des auteurs australiens. De son côté, Mulcahy (1991) pose l’insertion des classes à niveaux multiples dans le paradigme de l’homogénéité comme le fait de vouloir faire entrer un sou rond dans un trou carré alors que Forlin et Birtch (1995) utilisent la métaphore du vin nouveau qui serait versé dans de vieilles bouteilles.

Un compromis acceptable

Dans les dernières décennies ont émergé des aménagements faisant une meilleure place aux différences entre les élèves, mieux que les groupements fondés sur le paradigme de l’homogénéité. Tel que l’illustre la figure 1, ces aménagements se situent dans un espace d’intersection entre les deux paradigmes. Dans cet espace d’intersection, que nous avons nommé, faute d’un meilleur terme, «classes à cheminements différenciés», il est possible de situer des réformes récentes des systèmes d’éducation comme celles de l’État américain de l’Oregon (Grégoire, 1999a), celles du canton de Genève en Suisse et de la Belgique francophone (Lessard, 1999) ainsi que celle du Québec depuis septembre 2001 (Conseil supérieur de l’éducation, 2002). Dans ces différents endroits, le modèle de regroupement par degrés y a été globalement remis en question pour être remplacé par un modèle par cycles d’apprentissage. L’affirmation de Spady, selon laquelle «ce que les élèves apprennent, et qu’ils apprennent vraiment, est plus important que le moment où ils l’apprennent et la manière dont cet apprentissage se fait» (Grégoire, 1999b), constitue la base de ce mouvement. Celui-ci accueille l’hétérogénéité en regroupant les élèves par cycles de deux, trois ou quatre niveaux, selon la juridiction, plutôt que de rechercher une plus grande hétérogénéité en regroupant les élèves de façon aléatoire, comme le font les écoles sans échelons. L’identification d’objectifs de fin de cycle donne une plus grande flexibilité que le regroupement par degrés dans la gestion du temps d’apprentissage selon les différents rythmes des élèves.

S’agit-il d’une tendance de fond, sur le plan international, qui verrait le début de la fin du modèle traditionnel des classes à niveau unique et l’avènement – ou le retour, selon la perspective adoptée – des classes à cheminements différenciés et des classes multiâges? Voilà une question qui dépasse largement le cadre du présent texte mais qui mériterait sans aucun doute de retenir l’attention des chercheuses et des chercheurs en éducation.

Par ailleurs, certaines pratiques utilisées dans les classes à cheminements différenciés et les classes multiâges, dont la pédagogie de la coopération et le tutorat par les pairs, assureraient le type d’atmosphère souhaité. L’intégration verticale et horizontale des matières ainsi que la pédagogie par projet, pratiques aussi largement répandues, seraient certes plus adaptées à la spécificité des classes à niveaux multiples que l’enseignement alternatif d’un groupe à l’autre. Il existe, d’ailleurs, dans certaines classes à niveaux multiples, des mises à l’essai isolées et non documentées de ces pratiques (Mulcahy, 1991; St-Germain, 2001). Il importe de noter au passage que les classes à niveau unique, qui sont en réalité plus hétérogènes qu’il n’y paraît, pourraient elles aussi tirer profit de ce genre de pratiques pédagogiques.

Mais il ne suffit pas de changer les pratiques, même s’il s’agit là d’une tâche de formation initiale et continue importante. Il importe également de questionner l’idéologie qui se cache derrière le mode de regroupement homogène des élèves, questionnement qui a été mené avec des résultats préliminaires prometteurs dans quelques contrées que nous avons déjà énumérées dans ce texte.

Conclusion

Cette analyse des écrits fait ressortir que la classe à niveaux multiples a été peu étudiée pour elle-même et que, par conséquent, de larges pans de son fonctionnement ne sont pas documentés, en l’occurrence les variables qui pourraient constituer des avantages pour les élèves. Nous avons noté en effet que les difficultés que ce type de classes présente pour le personnel enseignant ont été abondamment documentées dans les écrits centrés sur les modes de regroupement des élèves.

L’initiative de l’Unesco d’établir une base de données internationale sur les pratiques actuelles en regard des classes à niveaux multiples serait motivée par le présupposé sous-jacent, dans plusieurs pays, selon lequel les classes à niveaux multiples sont désavantagées ou constituent des solutions éducatives peu valables (Unesco, 1993 dans Forlin et Birtch, 1995).

Pour notre part, nous n’éliminons pas la possibilité que le regard porté sur les classes à niveaux multiples puisse constituer une bonne partie du problème. D’un côté, les recherches centrées sur le rendement des élèves concluent que les élèves réussissent aussi bien dans une classe à niveaux multiples que dans une classe régulière sans qu’aucune caractéristique propre à la classe à niveaux multiples ne soit prise en compte. Ces résultats pourraient constituer une invitation à laisser les classes à niveaux multiples dans l’ombre, pour ne pas dire l’opprobre, où elles se trouvent déjà.

D’un autre côté, les études centrées sur les modes de regroupement alternatifs des élèves remettent en cause avec raison la recherche effrénée d’homogénéité dans nos systèmes scolaires, mais elles le font en occultant les pratiques réussies qui ont cours depuis des décennies dans les classes à niveaux multiples, en l’occurrence dans les petites écoles rurales. Si ces dernières avaient retenu davantage l’attention des chercheurs en éducation, il est permis de se demander si les avantages liés à l’hétérogénéité des élèves pourraient faire contrepoids aux difficultés liées à la tâche du personnel enseignant.

Par ailleurs, la classe multiâge est considérée comme une panacée pour l’apprentissage des élèves. S’il faut condamner la fuite en avant vers l’homogénéité, ne faut-il pas également se montrer prudent envers le même phénomène concernant l’hétérogénéité? En remettant en question le paradigme de l’homogénéité, qui sous-tend la classe régulière comme la classe à niveaux multiples, ne risque-t-on pas de réduire la perspective? À la lumière des résultats de recherche qui ont été présentés dans ce texte, nous posons plutôt les classes à niveaux multiples comme un espace de recherche privilégié pour tenter de comprendre les effets de l’hétérogénéité des élèves sur l’enseignement et sur l’apprentissage.

La classe à niveaux multiples se situe clairement au carrefour des idéologies. Pourtant, son statut de point mort reste tenace sans que la recherche en éducation ne se soit penchée sur elle comme objet légitime de recherche. L’effort de compréhension de ses besoins réels et spécifiques, ses forces autant que ses faiblesses, ne pourrait-il pas révéler un potentiel d’innovation pédagogique? Il est regrettable qu’il soit impossible de déterminer, à partir des écrits sur la question, dans quelle mesure le personnel enseignant oeuvrant dans les classes à niveaux multiples réussit à miser sur l’hétérogénéité des élèves pour accomplir sa tâche. Ou encore, dans quelle mesure il se voit forcé, peut-être à son corps défendant, de reprendre les pratiques pédagogiques qui ont cours dans les classes simples. Ce questionnement nous semble crucial pour l’ensemble des systèmes scolaires.

Enfin, dans une perspective plus pragmatique, les mesures de soutien qui sont élaborées en ce moment en Ontario pour le personnel enseignant dans les classes à niveaux multiples ne peuvent être que ponctuelles plutôt que durables, dans le contexte où la réalité de ces dernières n’est pas, contrairement à ce que dicte le sens commun, pleinement connue.