Corps de l’article

Le corps, dans la littérature initiatique en général et dans la littérature africaine en particulier, occupe une place prépondérante que l’on ne peut ignorer sous prétexte qu’il y a forcément plus à dire sur le rite lui-même. Le corps est le théâtre de l’initiation, l’acteur principal et le spectateur, il est sur tous les fronts ; il en constitue le point de départ mais également la finalité.

L’initiation est un voyage fantastique à travers le temps. C’est avant tout un rite, qui recouvre les domaines social et religieux. Elle est considérée comme une survivance, une perpétuation de la tradition à travers les changements temporels. Étant l’expression d’une culture, elle touche autant à l’individu qu’à la collectivité. Ses visées pédagogiques — car elle est un apprentissage de la vie en communauté — s’insèrent dans une perspective de rectification, de récupération et de recentrement de l’individu dans la société. Associée au champ littéraire africain, elle est la fois le gardien du savoir ancestral et une donnée incontournable de la quête identitaire

Dans ce contexte, Camara Laye (1929-1980) offre un regard sur le rite initiatique masculin et la circoncision, dans son roman presque autobiographique L’enfant noir[1]. Il y décrit l’itinéraire d’une enfance guinéenne heureuse auprès de sa mère ; l’école des Blancs ; l’initiation ; ses études à Conakry puis en France ; le choc des cultures ; le retour au pays et le mariage, les changements et les difficultés politiques au moment de l’Indépendance[2].

Les soleils des indépendances[3] d’Ahmadou Kourouma (1927-2003) offre une perspective différente, parfois antagoniste, en ce qu’il constitue une illustration du rite féminin de l’excision. Kourouma met en scène l’expérience individuelle et le parcours solitaire d’une femme stérile qui désire désespérément des enfants dans le cadre d’une lutte collective pour la survie au moment des indépendances. Obligée de travailler pour subvenir aux besoins d’un ménage que son mari, Fama, véritable prince malinké déchu, n’est plus en mesure d’assurer, Salimata tente de s’élever contre le fatalisme de sa situation et se heurte à l’impuissance et la paresse d’un mari oisif et à l’entêtement du destin. C’est une femme qui vit sur le mode de l’introversion, et qui à la fois rejette la société et est rejetée par elle.

Ces deux romans permettent une étude assez précise mais non exhaustive du corps dans le rite initiatique. L’enfant noir est à ce titre largement plus documenté que Les soleils des indépendances. Ce qui donnera parfois l’impression qu’une plus grande part de notre réflexion est allouée à la circoncision. Cependant les parcours des deux héros nous intéressent en ce qu’ils sont convergents sur certains aspects du traitement rituel du corps et divergents sur d’autres.

L’initiation donne lieu à une métamorphose du corps, une mutation autant physique que spirituelle, qui s’inscrit à la fois dans le temps et dans l’espace. Elle définit le passage de l’enfance à l’âge adulte et prend pour témoin le corps de l’initié. La place du corps dans le déroulement du rite initiatique est donc prédominante. Il est le creuset dans lequel s’opère la transformation, la forge — symbole de prédilection de l’initiation, comme on le verra plus tard — dans laquelle on brûlera les derniers résidus de l’enfance. Le corps devient alors le lieu de l’héroïsme et de l’expiation, le lieu de toutes les contradictions et de toutes les fusions, de la souffrance et de la réconciliation. L’initiation est, à plus d’un titre, un baptême en tant qu’elle consacre une naissance, une entrée dans le monde. Elle s’effectue dans des directions diverses mais qui sont d’une égale importance : l’initiation vise à la purification du corps et de l’esprit, à la confirmation de l’identité sexuelle et à l’attribution d’un pouvoir procréateur. Elle consacre désormais le passage du profane au sacré, de la confusion à l’unicité, et de la stérilité à la fertilité. Partant, la condition première de toute métamorphose est la mort (dans son acception symbolique) dans la mesure où elle est considérée comme une sortie, comme le franchissement d’une porte ouvrant sur un autre monde. Initier revient ainsi à introduire.

L’initiation a une portée autant sociologique que psychologique. De ce point de vue, le choix d’un outil méthodologique permettant de recourir à une approche et d’effectuer une étude des plus précises de la thématique du corps pose un véritable dilemme. Entre l’anthropologie et la psychanalyse, quelle est l’approche la plus pertinente ? Opérer un choix entre ces perspectives nous contraindrait à occulter l’une ou l’autre des dimensions psychologique ou sociale. Nous avons donc décidé de faire appel aux deux méthodes au moment où le besoin s’en faisait sentir, dans la mesure où cela permettait de mettre au jour des significations qui, en dehors de l’une ou de l’autre, seraient demeurées inaperçues.

Aussi, afin de mieux appréhender la place du corps dans le rite initiatique, nous envisagerons d’abord le déroulement et les étapes de l’initiation à la lumière des deux oeuvres choisies. Puis nous nous attacherons à examiner de plus près le rite de purification du corps à travers la danse et les chants. Enfin, nous analyserons l’épreuve de la mutilation elle-même et les retentissements qu’elle peut avoir sur l’intégrité du corps.

Le déroulement initiatique : rite de séparation ou de réparation ?

Le déroulement de l’initiation en tant que rite de passage pubertaire comprend plusieurs étapes que l’on retrouve dans L’enfant noir et Les soleils des indépendances. Laye et Salimata, au seuil de la puberté, sont retirés à leur milieu coutumier puis isolés avec leurs condisciples dans ce qu’Eliade appelle « la cabane initiatique[4] », cadre généralement naturel situé en dehors des frontières immédiates du village. Laye et ses condisciples s’engagent, le moment venu, « dans la brousse qui mène au lieu sacré où chaque année l’initiation s’accomplit » (E, 108). Salimata et les autres jeunes filles sont, quant à elles, acheminées en file indienne dans la forêt vers « un champ désherbé et labouré au pied d’un mont » (S, 33). Dans ces lieux, les deux enfants doivent expérimenter la symbiose avec la nature, loin du monde culturel. Cette retraite dans la nature prépare un autre motif initiatique qui n’est pas une constante rituelle dans toutes les sociétés africaines : la rencontre avec le monstre. Il s’agit de susciter chez l’enfant des forces émotionnelles, telle la peur, en le confrontant au surnaturel et au divin. Ainsi, Laye sent son coeur se glacer quand il entend le rugissement (simulé pour la circonstance par les aînés) de Kondén Diara, et se remémore désespérément les instructions : « Tu ne dois pas avoir peur ! […] Tu dois mater ta peur. Ton père t’a dit de surmonter ta peur ! » (E, 111) Salimata de son côté voit ce monstre en la personne de l’exciseuse, « la femme du forgeron, la grande sorcière » (S, 34) aux « yeux débordants de rouge, et les mains et les bras répugnants de sang » (S, 35). Et de se souvenir elle aussi que « le courage dans le champs de l’excision sera la fierté de la maman et de la tribu » (S, 33).

La terreur psychologique éprouvée, le corps prend le relais. Intervient à ce moment-là l’épreuve physique de l’initiation qui consiste en la mutilation réelle exercée sur une partie du corps : extraction des dents, scarifications, tonsure, perforation des oreilles, circoncision, excision[5]… Ces mutilations et les souffrances qu’elles entraînent sont une configuration de la mort : le corps de l’enfant meurt. Un long isolement succède ensuite à l’épreuve, permettant à l’initié de se rétablir. En même temps, il se plie à un enseignement rigoureux destiné à l’instruire sur sa nouvelle vie et sur les lois, les coutumes et les tabous de la société. Au terme de cette seconde retraite, des festivités ont lieu, célébrant ainsi la renaissance d’un être nouveau et son agrégation définitive au sein de la société des adultes : le jeune garçon rejoint l’univers du père, la jeune fille celui du mari.

Laye et Salimata semblent vivre cette expérience de façon traumatisante, dans la mesure où celle-ci les arrache à l’insouciance enfantine : elle est une coupure, une déchirure, aux sens propre et au figuré. La mère de Salimata tente, faisant taire ses craintes pour la vie de sa fille, de présenter l’excision comme une promotion :

Tu verras, ma fille : pendant un mois tu vivras en recluse avec d’autres excisées et, au milieu des chants, on vous enseignera tous les tabous de la tribu. L’excision est la rupture, elle démarque, elle met fin aux années d’équivoque, d’impureté de jeune fille, et après elle vient la vie de femme.

S, 32-33

Laye tente lui-même de se raisonner ; la circoncision est inévitable et charrie avec elle les regrets d’une enfance déjà lointaine :

Quoiqu’il en soit, j’avais l’âge, à présent, et il me fallait à mon tour renaître, à mon tour abandonner l’enfance et l’innocence, devenir un homme.

E, 124

Je savais parfaitement que je souffrirais, mais je voulais être un homme, et il ne semblait pas que rien fut trop pénible pour accéder au rang d’homme.

E, 125

Les initiations pubertaires sont donc des rites à la fois de séparation et de réparation. L’être est conçu au départ comme un androgyne, il possède les deux particularités sexuelles, féminine et masculine. Le prépuce incarne la partie féminine de l’homme, et le clitoris, la partie masculine de la femme. La circoncision et l’excision interviennent dans le but de confirmer l’individu dans l’un ou l’autre sexe. Le prépuce et le clitoris sont considérés comme une imperfection et surtout comme une impureté. L’initiation devient alors une contrainte sociale dont les préoccupations sont l’ordre et la perfection : le corps se déleste de son équivocité et se répare.

Le rite de purification

La purification est une étape nécessaire avant la mutilation. Les chants, les danses et les costumes participent à l’extériorisation des péchés et des souillures. Plus qu’un rite public, cette étape est une manifestation de la cohésion sociale. Tout l’accent est mis sur l’expression du corps, expression de la vie. Pour Laye comme pour Salimata, le rituel de purification s’annonce alors comme la célébration d’une naissance prochaine. En théorie.

Danses et chants : la mise en scène du corps

Cette année-là, je dansai une semaine au long, sept jours au long, sur la grande place de Kouroussa, la danse du « soli » qui est la danse des futurs circoncis.

E, 126

La danse est une évocation du passé et un retour aux origines mythiques où l’être et le monde ne faisaient qu’un. Grâce à la danse, le corps effectue un déplacement temporel. Elle remet en scène la genèse du monde. Les futurs circoncis dansent pendant sept jours, sept jours qui correspondent à la durée de la création du monde, le septième étant le jour de la célébration de la création. La danse contribue donc à restituer le passé originel et à le faire revivre. Elle constitue le lien entre le passé et le présent et indique le passage du connu à l’inconnu. La symbolique du chiffre sept vient confirmer, de ce fait, qu’un cycle s’est accompli et qu’une enfance est révolue. Chevalier affirme à ce propos que la danse est « l’instinct de la vie, qui n’aspire qu’à rejeter la dualité du temporel pour retrouver d’un bond l’unité première où corps et âmes, créateur et création, visible et invisible, se retrouvent et se soudent, hors du temps en une unique extase[6] ». La danse est le lieu de l’unification de la vie et de la mort, du passé et du présent. Elle est la recréation d’un passé édénique, et elle s’annonce comme une identification à l’impérissable. Elle projette le corps du futur initié dans une sorte d’atemporalité qui sauve l’homme de sa condition de mortel. Laye en est bien conscient, la danse est l’oubli du présent, c’est-à-dire d’un corps mortel et faible :

Entre le rite public et le rite secret [la circoncision] il y a une antinomie complète. Le rite public est dédié à la joie. Il est l’occasion d’une fête […] Et c’est un peu comme si à renfort de bruit et de mouvement, de réjouissances et de danses, l’on cherchait à nous faire oublier ce qu’il y a d’angoissant dans l’attente et de réellement pénible dans l’épreuve.

E, 124

La danse est un procédé cathartique dans la mesure où elle efface l’angoisse du temporel et surtout du devenir. Elle contribue à libérer l’âme de sa matérialité et à la fortifier puisqu’elle ouvre une porte sur le divin. Et c’est dans la libération que la danse est un principe d’ouverture. La danse du « coba » réservée aux seuls initiés, comme à des élus, symbolise cette élévation du corps vers le sacré :

Non, cette fois, nous allions danser seuls ; nous allions danser, et les autres nous regarderaient : nous ne devions plus nous mêler aux autres à présent ; nos mères à présent ne pourraient même plus nous parler, moins encore nous toucher […]

Nous avancions en file indienne entre deux haies d’hommes. Le père de Kouyaté, vénérable vieillard, à la barbe blanche, et à cheveux blancs, a fendu la haie, et s’est placé à notre tête ; c’est à lui qu’il appartient de nous montrer comment se danse le « coba » […] Le père de Kouyaté, par privilège d’ancienneté et par l’effet de sa bonne renommée, a seul le droit d’entonner le chant qui accompagne le « coba ».

E, 134-135

Le vieillard incarne ici la tradition ancestrale. Son grand âge et sa sagesse en font le représentant de l’histoire mythique. Comme une sorte de guide, il conduit les enfants vers le sacré et crée le lien avec les origines. La danse en forme de cercle vient confirmer ce retour aux origines.

Pour Salimata, l’étape de la danse est pratiquement occultée. Sa mémoire ne retient que des bribes de cérémonie que le souvenir des excisées mortes sur le champ d’honneur vient hanter. La danse et les chants, supposés induire la transe et la transcendance du corps, ne lui permettent pas la distanciation dont bénéficie de son côté Laye. La sublimation lui est refusée et les chants se muent en hurlement, et les danses en marche vers la mort :

Chauffait alors le vacarme des matrones, des opérées déchaînées, des charognards et des échos renvoyés par les monts et les forêts […] Les charognards surgissaient des touffes et des brouillards appelés par le fumet du sang. Leurs vols tournaient au-dessus des têtes en poussant des cris et des croassements sauvages.

S, 35

En tant qu’expression du corps, la danse se doit donc d’être aussi l’expression de la vie. Si pour Laye, elle est une célébration dans la joie et les festivités, elle contraste cependant avec la gravité et le mystère de l’épreuve. Ce qui est dans les faits une véritable promesse de renaissance pour Laye, car « l’événement que la fête signale est le plus important de la vie, est très exactement le début d’une nouvelle vie » (S, 125) est pour Salimata une mise à mort organisée de sa féminité, et plus tard de sa maternité.

Le costume : entre infantilisation et travestissement du corps

Le costume, au même titre que la danse, est un procédé de dévoilement et d’extériorisation du corps. Il rend compte de la dualité sexuelle du futur circoncis. Laye et les enfants sont

coiffés d’un bonnet et vêtus d’un boubou qui [descend] jusqu’aux chevilles, un boubou plus long que ceux qu’on porte généralement et fendu sur les flancs ; le bonnet, un calot plus exactement, [est] orné d’un pompon qui [leur tombe] sur le dos, et c’[est leur] premier bonnet d’homme ! »

E, 126

Le boubou est ouvert, ce qui facilite le mouvement et la danse. Il est au départ blanc et donc neutre, comme asexué, et est ensuite coloré dans les tons brun-rouge. La teinture fait appel aux symbolismes masculin de l’arbre et féminin de l’eau boueuse, comme pour souligner l’ambivalence sexuelle du futur circoncis :

Mon boubou […] était d’un brun qui tirait sur le rouge, un ton où le sang ne risque pas de laisser des traces trop distinctes. Il avait été tissé pour la circonstance, puis confié aux ordonnateurs de la cérémonie qui s’étaient occupés à le teindre avec des écorces d’arbre, et qui l’avaient ensuite plongé dans l’eau boueuse d’une mare de la brousse […] Le bonnet, hormis le pompon qui était resté blanc, avait été teint de la même manière, traité de la même manière.

E, 126-127

La teinture apparaît alors comme une opération alchimique qui rend compte d’une transmutation, mais une transmutation qui se révèle négative. Le blanc, si pur, se dégrade en un brun excrémentiel et un rouge sanguin. L’eau, dont le principe est de laver et de purifier, est souillante. Le costume est à l’image du corps du futur circoncis : impur. Pour Gilbert Durand, le symbolisme des couleurs est « le thème d’une régression vers les aspirations les plus primitives de la psyché[7] […] ». Les dimensions temporelles, les thèmes de la recréation du monde et de la régression, véhiculés par la danse, trouvent leur prolongement dans la symbolique du costume.

De la même façon, le bonnet et le foulard que se noue Laye autour des reins s’inscrivent également dans la dualité masculin-féminin. Le bonnet incarne visiblement le prépuce qui recouvre le gland. Le foulard est une étoffe féminine qui est offerte au futur circoncis par son amie en titre et qu’elle retire de sa tête. Ici, le prépuce est ouvertement féminisé :

Tandis que je dansais, mon boubou fendu sur les flancs, fendu du haut en bas, découvrait largement le foulard aux couleurs vives que je m’étais enroulé autour des reins. Je le savais et je ne faisais rien pour l’éviter : je faisais tout plutôt pour y contribuer. C’est que nous portions chacun un foulard […] que nous tenions de notre amie en titre. Celle-ci nous en avait fait cadeau pour la cérémonie et l’avait le plus souvent retiré de sa tête pour nous le donner […] il y a là une sorte de manifestation publique d’une amitié…

E, 127-128

Par la suite, les ouvertures du boubou sont cousues, et on réduit le costume progressivement autour du corps. Le costume devient « fourreau » et revêt une forte connotation phallique. L’enveloppement succède au dévoilement, l’immobilisation au mouvement :

Au cours de la nuit, les boubous avaient été cousus sur les côtés sauf un bref espace pour donner passage aux bras, mais de façon à cacher absolument nos flancs. Quant aux calots, ils s’étaient transformés en bonnets démesurément hauts […] Nous nous sommes glissés dans nos boubous, et nous avons eu un peu l’air d’être enfermé dans des fourreaux ; nous paraissions maintenant plus minces encore que nous l’étions […] nous ressemblions à des bambous, nous en avions la hauteur et la maigreur.

E, 132-133

Les bonnets hauts, les boubous qui gainent les corps, comparés à des bambous, simulent l’érection. Par cet enfermement, il y a un appel à la libération dans la mesure où le corps est comparé à un couteau dans son fourreau, et que l’on doit dégainer. Il faut se rappeler ici que le bambou et le couteau sont des instruments sacrificiels utilisés dans les rites de la circoncision. La fermeture des boubous simule un emmaillotement, un procédé d’infantilisation qui invite à la transmutation. Le passage ne peut se faire que par un retour préalable, simulé, à la condition de nouveau-né.

La préparation rituelle : un acte de purification

La purification commence par l’isolement du corps. Déjà, lors de la danse rituelle, les futurs circoncis délaissent le « soli », danse collective, pour une danse plus personnelle, le « coba » que nous décrivions plus haut. L’isolement commence à ce stade et s’inscrit dans la continuation du passage de l’ouvert au fermé et du collectif au personnel. L’isolement des enfants est surtout spatial et est imposé le dernier jour avant la circoncision :

Les hommes qui conduisent cette initiation, après nous avoir rasé la tête, nous avaient rassemblés dans une case à l’écart des concessions. Cette case, spacieuse, allait être désormais notre dernière demeure ; la cour où elle se dressait, spacieuse elle aussi, était clôturée d’osier si strictement entrelacé qu’aucun regard n’aurait pu y pénétrer.

E, 132

Comme le costume, l’espace se réduit progressivement autour de l’enfant et l’enserre, à l’image des clôtures qui enserrent la case. L’espace devient à son tour un fourreau. Le caractère public et ouvert de l’événement, sa dimension exhibitionniste, spectaculaire (au sens oculaire du terme) disparaissent et font place à l’intimité, au secret et à l’invisible. La suppression du féminin est opérée de façon plus nette :

Nous ne devions plus nous mêler aux autres à présent, nos mères à présent ne pourraient plus nous parler, moins encore nous toucher.

E, 135

La tonsure pratiquée sur Laye et ses camarades constitue également une étape vers la purification. C’est un des éléments rituels les plus fréquents. La tonsure signifie le renoncement à la chair. Elle symbolise non seulement le retour à la condition de nouveau-né, déjà annoncé par l’emmaillotement, mais encore la purification par la coupure : les cheveux constituent aussi un attribut féminin, les couper revient à rompre les liens avec la féminité. En tant que rite de coupure, la tonsure incarne le renoncement aux plaisirs profanes et l’obéissance à une divinité. Car, faite par les hommes — ou les pères — elle prend les allures d’une castration, une ablation qui simule et annonce encore une fois la mutilation.

Après la danse, à l’aube du huitième jour, Laye et Salimata se rendent dans la brousse, dans un endroit retiré où doit avoir lieu la chirurgie rituelle. Les garçons sont debout, alignés chacun devant une pierre. Les filles dénouent leur pagne et s’asseyent sur une poterie retournée. Tous sont nus, déshabillés, tondus, « désherbés » comme le champ de l’épreuve. La pierre et la poterie retournée sont l’autel sacrificiel qui reçoit le sang de l’initié.

L’instrument sacrificiel n’est ni mentionné, ni décrit dans L’enfant noir. En revanche, Les soleils des indépendances fait état d’« un couteau à la lame recourbée » (S, 34). Le couteau est reconnu comme une arme initiatique, comme un instrument de déliage et de séparation. Il a une fonction purificatrice dans la mesure où il est destiné à trancher le prépuce ou le clitoris. Les Bambaras appellent le couteau rituel : « tête-mère de la circoncision ».

De ce fait, la préparation rituelle concourt à confirmer l’identité sexuelle sans cesse réitérée tout au long des cérémonies de purification. L’enfant est soumis à une série de rites intermédiaires entre les rites préinitiatiques et la mutilation, et au cours desquels le futur circoncis ou la future excisée assume sa condition d’androgyne. Toutefois, il faut noter que si les rites préinitiatiques sont largement décrits dans L’enfant noir, ils sont totalement passés sous silence dans Les soleils des indépendances. L’épreuve dans toute son horreur domine le processus narratif et descriptif au détriment du rituel. Le jeu de la confusion sexuelle auquel se prête Laye ne trouve pas d’écho chez Salimata. Le problème de la dualité ne se pose pas à elle sous la forme de l’androgynie, mais sous celle de la fertilité : elle sera femme et féconde.

La mutilation du corps

L’enfant, qui est une totalité au départ, s’achemine donc inévitablement vers sa différenciation qui révèle une quête d’identité. L’enfant subit une réelle métamorphose : il y a mort d’un état et renaissance dans un autre. Dans cette perspective, l’épreuve de la mutilation est une représentation de la mort : Laye et Salimata doivent payer de leur sang leur renaissance.

La dimension sociale : le lourd tribut du corps

La circoncision et l’excision sont une nécessité sociale. Elles sont la preuve d’une soumission à la société, à ses lois et à sa morale et donc au surmoi. En effet, elles constituent une survivance du passé et sont déléguées comme héritage culturel :

Ce prix, nos aînés l’avaient payé avant nous ; ceux qui naîtraient après nous, le paieraient à leur tour ; pourquoi l’eussions-nous esquivé ?

E, 125

En même temps, elles sont une fatalité. Elles apparaissent ancrées dans l’imaginaire africain comme un principe de reproduction. Il faut ici rappeler que la circoncision et l’excision sont des rites dédiés à la fertilité et à la fécondité. Elles sont donc pressenties comme une solution à la perpétuation de la race en général et de la lignée en particulier et se trouvent de fait liées à la notion d’honneur :

Ma fille, sois courageuse ! Le courage dans le champ d’excision sera la fierté de la maman et de la tribu.

S, 33

Maintenant que vous allez devenir des hommes, conduisez-vous en hommes : chassez la crainte loin de vous ! Un homme n’a peur de rien.

E, 134

Refuser cette nécessité sociale est considéré comme une lâcheté. C’est aussi refuser aux parents leurs statuts de père et de mère, et par-delà, nier leur capacité à procréer. La mutilation témoigne d’une soumission à un système verticaliste, fortement hiérarchisé et légitime. Elle aboutit à une légère euphémisation[8] du statut de l’initié. Laye est extrait de la relation de « profondeur » avec sa mère, puisqu’il en partage l’espace, pour entrer dans un système horizontal qui l’institue en égal du père. En effet, à son retour du champ, Laye dispose maintenant de sa propre case, ce qui marque définitivement sa reconnaissance sociale :

Mon père nous considéra un moment, puis il me dit comme à regret :

— Voici désormais ta case mon petit.

La case faisait face à celle de ma mère […]

J’ouvris la porte de la case : sur le lit, mes vêtements étaient étalés […] ;

c’était des vêtements d’homme ! […] J’étais un homme !

E, 153

Salimata, quant à elle, est à peine promue. Elle est tout de suite soumise à un rapport hiérarchique en ceci que, après son initiation, elle est destinée au mariage. Maigre consolation dans toute cette épreuve, son retour triomphal du champ est malgré tout manqué en raison de son évanouissement : « le cortège [des excisées] était parti ! Bien parti ! C’est-à-dire que le retour des excisées avait été fêté, dansé, chanté sans Salimata » (S, 36). Rêvé comme une fierté, son corps devient l’objet de toutes les hontes et « c’est à califourchon au dos d’une matrone par une piste abandonnée, une entrée cachée, qu’elle fut introduite dans le village et portée dans la case du féticheur Tiécoura » (S, 36). Ironie du sort qui la promettait au mariage, elle est violée par le féticheur dans l’instant qui suit. Sa déchéance est consommée.

L’épreuve : une castration

Le gardien de la loi, de la circoncision et de son application est l’opérateur pour Laye, et la matrone/la grande sorcière pour Salimata. Il est le représentant de l’univers social. Parce qu’il procède à la chirurgie rituelle, il est le Grand Initiateur. C’est l’Accoucheur, dans la mesure où il fait passer les enfants d’un état à un autre. De façon hypothétique, il semblerait que l’opérateur et l’exciseuse soient des substituts de la figure maternelle. L’opérateur, dans L’enfant noir, est de la famille des Daman à laquelle appartient la mère de Laye. Les Daman sont connus en tant que circonciseurs et forgerons. L’exciseuse est décrite par Salimata comme étant la femme du forgeron. Et tous deux se réfèrent à une image porteuse de mort : celle de la forge qui, nous le disions plus tôt, est le lieu de toutes les transformations.

C’est sous le signe de la castration que s’annoncent les épreuves de la circoncision et de l’excision. La mutilation du corps provoque chez Laye et Salimata une frustration profonde, un manque : elle oblige à abandonner l’androgynie première mais surtout le monde de l’enfance sous la protection de la mère. La peur qui les anime, tout au long de l’initiation, est une peur de la castration sinon réelle, du moins symbolique. Dans la perspective de Bettelheim[9], il semble que la circoncision soit une exigence instituée à l’origine par une entité féminine et non pas un rite résidant dans la soumission au pouvoir d’un père jaloux, comme l’affirment les thèses freudiennes. Pour notre part, il nous apparaît que l’exigence de la circoncision, en tant que symbole de castration, a pour origine les deux figures parentales, sauf que celles-ci agissent sur des plans différents. La mère peut être à l’origine de ce complexe de castration dans la mesure où, dans l’inconscient, elle aspire à la possession du phallus et plus exactement du pouvoir que celui-ci octroie. D’un autre côté, le père peut exiger la castration pour un fils qui devient un rival auprès de la mère. Ce qui justifie la séparation de Laye et de sa mère pendant et après la circoncision.

Laye raconte rapidement et sans détails le déroulement de l’opération :

Je n’ai pas eu le temps d’avoir peur : j’ai senti comme une brûlure, et j’ai fermé les yeux une fraction de seconde. Je ne crois pas que j’ai crié […] ! Quand j’ai rouvert les yeux, l’opérateur était penché sur mon voisin. En quelques secondes, les douzaines d’enfants que nous étions cette année-là, sont devenus des hommes ; l’opérateur m’a fait passer d’un état à l’autre à une rapidité que je ne puis exprimer.

E, 139

La peur de voir le couteau trancher la chair, les yeux qui se ferment pour ne pas assister au « meurtre », la rapidité de l’opération révèlent une sorte de refus d’accepter « la mort » de l’enfant, un refoulement sur lequel le récit passe sans s’arrêter : à peine une brûlure, sans cris et sans gémissements. Le passage est plus une surprise qu’une révélation. Il n’est pas vécu par Laye. L’opération est alors de l’ordre de l’inexprimable et de l’indicible.

Dans Les soleils des indépendances, l’expérience est autrement plus traumatisante pour Salimata, mais le même refus la caractérise, le souvenir portant davantage sur l’horreur de la scène que sur le déroulement rituel lui-même qui aurait largement contribué à en adoucir les séquelles :

Elle revoyait chaque fille à tour de rôle dénouer et jeter le pagne, s’asseoir sur une poterie retournée, et l’exciseuse, la femme du forgeron, la grande sorcière, avancer, sortir le couteau à la lame recourbée, le présenter aux montagnes et trancher le clitoris considéré comme l’impureté, la confusion, l’imperfection et l’opérée se lever, remercier la praticienne et entonner le chant de la gloire et de la bravoure répété en choeur par toute l’assistance […]

La praticienne s’approcha de Salimata et s’assit, les yeux débordants de rouge et les mains et les bras répugnants de sang, le souffle d’une cascade. Salimata se livre les yeux fermés, et le flux de la douleur grimpe de l’entrejambe au dos, au cou et à la tête, redescendit dans les genoux ; elle voulut se redresser pour chanter mais ne le put pas, le souffle manqua, la chaleur tendit les membres, la terre parût finir sous ses pieds, et les assistantes, les autres excisées, la montagne et la forêt se renverser et voler dans le brouillard et le jour naissant, la torpeur pesa sur les paupières et les genoux ; elle se cassa et s’effondra vidée d’animation.

S, 34-35

Salimata vit l’excision comme une véritable mort. Ce qui était une simple brûlure pour Laye est une torture sans fin pour Salimata. L’ambiance infernale et sanguinaire, la présence des charognards comme attirés par un cadavre transforment la cérémonie en meurtre, en exécution, en égorgement sacrificiel. Salimata est « livrée » à la mort. Elle

se [rappelle] qu’à ce moment, de ses entrailles [gronde] et [monte] toute la frayeur de toutes les histoires de jeunes filles qui [ont] péri dans le champ […] Des tombes des non-retournées et non-pleurées parce que considérées comme des sacrifices pour le bonheur du village.

S, 34-35

Elle ne renaît pas, mais une part d’elle-même meurt dans la souffrance et le sang sur l’autel des exigences sociales : son corps de femme éclate.

La souffrance physique a une valeur rituelle. Elle est la condition d’une transmutation spirituelle. Elle a une portée pédagogique également, car elle marque la mémoire comme elle marque le corps : seules les leçons apprises dans la souffrance sont retenues. L’enfance est conçue comme une maladie, et la souffrance du corps est le premier pas vers la guérison. Contrairement à Laye qui pense que pour être un homme, il faut souffrir (E, 125), la souffrance, pour Salimata, n’est pas envisagée comme une valeur, mais plutôt comme une atteinte à la vie, à la sienne propre. Elle ne revêt pas, pour elle, une dimension sociale, mais reste une expérience individuelle, solitaire, une mort sociale programmée. Par ailleurs, dans un contexte plus large, la souffrance est un renouvellement, car la vie se renouvelle au prix du sang. Elle évoque aussi la douleur de l’accouchement et représente donc un procédé d’ouverture : on ouvre le corps, on y fait une plaie, et de cette façon, l’image de la naissance dans le sang se réactualise. Le sang doit couler, et avec lui toutes les impuretés et les souillures accumulées pendant les années de l’enfance.

Cependant, il semble que le sang versé par le garçon autant que par la fille soit, dans l’interprétation psychanalytique, le symbole des menstrues. Bruno Bettelheim avance la thèse selon laquelle l’homme manifeste le désir de saigner, comme le fait la femme pendant les menstrues[10]. Une équivoque subsiste, à ce propos, sur les paroles que prononce le guérisseur qui s’occupe de Laye :

[…] l’hémorragie qui suit l’opération est abondante, est longue, elle est inquiétante : tout ce sang perdu ! […] Et je levais un regard implorant sur notre guérisseur, le « Séma ».

— Le sang doit couler, dit le « Séma ». S’il ne coulait pas… Il n’acheva pas sa phrase : il observait la plaie.

E, 140

Ouvrir une plaie et laisser le sang en couler est probablement une dernière façon de reconnaître la féminité de Laye et, en même temps, de l’en guérir.

Le corps de Salimata paye doublement le tribut du sang : l’excision d’abord, et le viol ensuite. Alors qu’elle était dans la case du féticheur Tiécoura pour se remettre de l’excision, elle est violée par ce dernier pendant la nuit :

C’était là au moment où le soleil commençait à alourdir les paupières, que la natte s’écarta, quelque chose piétina ses hanches, quelque chose heurta la plaie, et elle entendit et connut la douleur s’enfoncer et la brûler et ses yeux se voilèrent de couleurs qui voltigèrent et tournèrent en vert, en jaune, et elle poussa un cri de douleur et elle perdit connaissance dans le rouge du sang.

S, 37

Doubles ouvertures, doubles morts, l’excision et la défloration se font de la même manière : le déchirement, la douleur, le sang et l’évanouissement. Salimata est « assassinée » à deux reprises, bafouée dans sa féminité et dans sa maternité. Car longtemps, elle s’imputera les causes de sa stérilité lors de son deuxième mariage avec Fama, alors que Baffi, son premier époux, mourra sans avoir jamais pu l’approcher. Elle « vivra dans la cour de son mari, comme une femme pour la cuisine, les lougans, mais pas comme une épouse avec une part des nuits du mari, donc sans aucun espoir d’enfant » (S, 37). En même temps, l’obsession de la maternité s’installe au point qu’elle passera pour une folle, une « endiablée » qu’aucun homme ne pourra approcher.

Ce qui, à l’origine, est un rite célébrant la fertilité se solde par un échec pour Salimata. Elle est marquée à jamais, dans son esprit et dans son corps, par cette double saignée. Sa vengeance sera désormais de faire saigner l’homme à son tour. Ce sera un autre féticheur, Abdoulaye, qu’elle punira. Elle le visitait fréquemment pour remédier à sa stérilité. Lors d’une visite qu’elle lui fait, il tente d’abuser d’elle, tenaillé par le désir qu’elle lui inspire. Le présent bascule dans le passé, et Salimata voit apparaître sur le visage d’Abdoulaye le souvenir de Tiécoura. En proie à une folie meurtrière, Salimata se « dé-chaîne » :

Le couteau à la tête recourbée traînait ; elle s’en arma, le poursuivit et l’accula, entre le lit et les valises. Dans les yeux de Salimata éclatèrent le viol, le sang et Tiécoura, et sa poitrine se gonfla de la colère de la vengeance. Et la lame recourbée frappa dans l’épaule gauche.

S, 79

Elle se venge de l’homme, de sa tyrannie et de son pouvoir en réactualisant l’horreur de l’excision et du viol. Elle exorcise son traumatisme en blessant et en faisant couler le sang de l’homme à l’aide de ce même couteau à tête recourbée qu’on utilise lors de l’excision. Horrifiée par son geste, Salimata s’enfuit de la case, prenant au passage le poulet sacrifié par Abdoulaye pour conjurer sa stérilité. Passant près d’un torrent, elle jette le poulet dans l’eau :

Elle suivit le poulet sacrifié longtemps et loin. Elle pensa que son giron venait de couler de tous les enfants rêvés, recherchés, et que le coq en sang les emportait définitivement. Elle avait le destin de mourir stérile.

S, 80

Salimata dit adieu à son passé de douleur et de sang, symbolisé par le coq. Comme lui, elle n’a été qu’un sacrifice. Le torrent incarne ce sang qui coule de son « giron » pour la dernière fois, emportant au loin le passé. Salimata est condamnée à la solitude et l’exclusion : le corps a manqué son enjeu social.

En définitive, le corps devient une allégorie de la souffrance et l’agrégation sociale se fait au prix du sang. Mais l’initiation (vécue différemment par Laye et Salimata) ouvre des plaies bien plus profondes : la séparation avec l’univers féminin et maternel, l’isolement, l’épreuve et la souffrance brisent l’unité du corps en confirmant paradoxalement son unicité sexuelle. Corps de l’enfance, corps androgynes, corps sublimés ou corps stériles, le manque est là, brûlant. Comment se dépasse-t-il ? Le corps masculin de Laye réussit sa transmutation, malgré la nostalgie de l’enfance et gagne sa virilité. Le corps féminin de Salimata manque la sienne et est puni par la stérilité. Il faut que le sang coule à nouveau — celui du bourreau — pour que Salimata laisse couler son passé meurtri.

Le corps initiatique est également une représentation du temps. La succession des cérémonies et des rites consacre les mutations successives du corps et accomplit sa maturation en l’espace de quelques jours ; chaque rite semble baliser une étape du vieillissement du corps de sorte qu’aucune étape ne soit négligée. Cependant, cette précaution ne prémunit pas l’enfant contre le traumatisme et la frustration dus à la mutilation. Salimata manque son retour triomphal au village et aux yeux de tous, elle fait peut-être maintenant partie des « non-retournées », ce qui la fige d’emblée dans son statut de mort-vivante sociale.

Par ailleurs, dans cette expérience, le corps, comme symbole sexuel, est entièrement défini par sa faculté de procréation, gage futur de prospérité, de reconnaissance et d’honneur. Le rôle qu’il joue dans la quête identitaire est majeur. L’identité sexuelle doit d’abord se définir à l’issue de l’épreuve, elle est essentielle pour acquérir ensuite cette identité sociale, voire ethnique, indispensable à la survie du néophyte.

Il semble aussi que le corps, comme entité morale, oublie mal ses blessures, mais au contraire en entretient le souvenir de génération en génération, comme dans une espèce de clonage culturel dont l’initiation se ferait l’écho. En somme, le corps individuel devient le corps social. Ce conformisme protège la société contre la subversion, cela n’est pas nouveau. Le corps est-il asservi pour autant ? Pas vraiment, car le rite initiatique est vécu comme une nécessité, un moyen de survie, plutôt que comme un poids.

Enfin, la grande désillusion du corps vient de plus loin : c’est la rupture du cordon ombilical qui, en fait de mutilation, se reproduit lors du rite car elle ne laisse d’autre choix au corps que de grandir. Malgré lui.