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On connaît l’intérêt marqué depuis quelques décennies pour la petite enfance. Médecin de formation, l’auteure Bernadette Tillard emprunte une démarche ethnologique pour étudier le lien entre l’éducation et la petite enfance, dès les premiers moments de la vie. Dans son ouvrage, elle présente les résultats d’une recherche effectuée auprès d’une population défavorisée du quartier populaire de Lille-Moulins en France, qui tente d’identifier les conditions d’accueil et d’intégration des enfants à leur famille. L’auteure cherche aussi à comprendre les obstacles qui tiennent les familles défavorisées à distance des services sanitaires. Le choix de s’attarder sur ces deux univers, celui de la famille et celui du système médical, relève du fait que « la médicalisation participe maintenant aux différentes étapes critiques de la vie humaine » (p. 10) et que les naissances n’y échappent pas.

L’auteure présente d’abord un bref historique de la présence de l’État français dans le domaine de la petite enfance en rappelant l’évolution des programmes de santé publique et l’émergence du Service de protection maternelle et infantile. Tillard s’intéresse ensuite à l’évolution des perceptions populaires sur les maternités, qui, il y a moins d’un siècle, étaient un lieu où l’on « accouche dans le déshonneur » (p. 102) et sont devenues le lieu où naît toute la population. Elle soutient qu’une telle intrusion de l’État dans le domaine de la famille provoque inévitablement des changements dans la façon dont la famille approche la grossesse et prépare la naissance.

Les résultats de la recherche sont présentés selon deux grands axes, l’un traitant de la préparation à la naissance et l’autre explorant l’attribution des noms de l’enfant dans les familles. Dans la première partie, Tillard se penche sur la façon dont la naissance est perçue par les femmes. On y retrouve les principales perceptions de la fécondation et les expressions populaires entourant la découverte de la grossesse. L’auteure met ensuite en relief l’annonce personnelle de la grossesse à l’entourage et elle s’interroge sur une nouvelle recommandation de droit social qui impose la déclaration de la grossesse avec suivi médical et social. Or, elle remarque que cette déclaration est parfois perçue comme une menace (la possibilité de se faire retirer son enfant par les services sociaux). Résultat de cette perception, certaines femmes préfèrent ne pas déclarer la grossesse et refuser le suivi médical par crainte des services sociaux. Tillard aborde aussi les perceptions que les mères ont de leur grossesse, de l’enfant qu’elles portent ainsi que du rôle joué par l’échographie dans cette construction de l’enfant à naître. La première partie se termine sur le statut de la famille, qui change avec la venue d’un enfant, et sur ce que l’on attend de la mère lors de son séjour à la maternité.

La seconde partie intitulée « Décrire la parenté », explore les contraintes de l’état civil français quant à l’attribution des noms et la reconnaissance de l’enfant. On y découvre différentes stratégies qui tentent d’intégrer le nouvel enfant dans la famille et le rôle que jouent les traditions familiales, culturelles, religieuses des familles dans l’attribution du nom, la reconnaissance paternelle et celle de la fratrie. Des schémas de parenté sont présentés au fil des chapitres afin d’illustrer quelques exemples d’attribution des noms et d’inscription dans l’un ou l’autre des lignages. L’auteure explore ces éléments par le biais de la filiation, l’alliance et la germanité. Tillard s’attarde aussi aux alliances et aux relations de pouvoir qui influencent ces choix. Elle traite brièvement de la question des couples exogames et de l’adoption de traditions nominales en fonction de l’origine culturelle des parents, de même que des emprunts culturels qui s’observent parfois dans le choix du nom. Elle se penche aussi sur le lignage et l’héritage patrimonial chez les populations défavorisées où la transmission terrienne et matérielle est quasi inexistante.

Résultat d’un terrain de recherche fertile, l’ouvrage de Tillard se distingue par la qualité des informations recueillies et l’originalité du regard ethnologique sur la périnatalité. Elle réussit en effet à dresser un tableau éclairant de la préparation et de l’arrivée d’un nouvel enfant. La qualité de la première partie nuit, d’une certaine façon, à la seconde, qui ne parvient à dégager qu’une grande diversité de situations et ne se prête guère à la généralisation.

Cependant, Des familles face à la naissance expose clairement le rôle tenu par le système médical dans la préparation à la naissance et l’arrivée d’un nouvel enfant. Or, Tillard souligne à quel point la grossesse et la naissance, telles que les perçoivent les mères, peuvent différer du discours et des pratiques exemplaires dont les services médicaux et sociaux font la promotion. Aussi, bien que ce ne soit pas là son objectif principal, l’auteure démontre-t-elle qu’en s’imposant rapidement auprès des familles, l’État n’a pas su composer avec les pratiques et le discours des femmes entourant la périnatalité. Cet ouvrage apporte visiblement un nouvel éclairage sur le domaine de la petite enfance et suggère la prudence quand il s’agit d’interpréter les « obstacles » que connaissent certains programmes et recours sanitaires publics.