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Toutes ces analyses, ces ponctions, ces extraits de moelle, tout ce branle-bas de cornues pour en arriver là : on ne peut rien faire. Cela résume assez bien l’état de la science médicale, je trouve. Elle sait plus qu’elle ne peut.

Pierre Foglia, La Presse, 9 octobre 2003

Sans être accompagnée dans la communauté par la clinique, la science médicale reste sans vie. La psychiatrie est en train d’acquérir de nouveaux savoirs. Comment les faire vivre utilement auprès des personnes qui en ont le plus besoin ?

Le 388 a montré qu’il était possible de s’intéresser aux personnes souffrant de psychose, à leur vie intérieure, à leurs fantasmes. Ses concepteurs ont défendu avec succès pendant plusieurs années le fait d’engager des moyens considérables pour aider individuellement des personnes souffrant de psychose à retrouver le cours de leur vie. Ils ont mené une expérience où chaque personne suivie compte plus que la population dans son ensemble. Portés par une idéologie qui croit en la nature humaine, et à sa capacité de guérison par l’esprit, ils ont réussi à amener sur le chemin de la guérison bon nombre de patients. Dans une période où les effets iatrogènes des neuroleptiques étaient sous-estimés, ils se sont battus pour diminuer les dosages prescrits avec un certain succès. Ils ont déplacé l’institution de soins de l’hôpital vers la ville, en lui donnant une dimension humaine, une chaleur de l’accueil et une insertion dans la communauté que l’hôpital psychiatrique ne peut pas offrir.

Nombre de ces idées, auparavant révolutionnaires, sont aujourd’hui acquises et portées à travers le monde par des équipes d’idéologies différentes, mais qui veulent donner le même espoir pour les personnes souffrant de psychose, en particulier pour les jeunes qui présentent un premier épisode psychotique. Par certains côtés, ces équipes vont plus loin que le 388 : dans l’insertion dans la communauté, dans des suivis individualisés respectant l’environnement naturel de la personne, dans la collaboration avec les proches, dans la confiance vis-à-vis du réseau primaire, dans le partage de l’information avec les patients et les proches comme partenaires. Ces équipes sont aussi plus sensibles à la dimension épidémiologique de la psychose, et à la nécessité d’atteindre le plus grand nombre de personnes touchées par la psychose au début de leurs troubles, en essayant de réduire la durée de psychose non traitée et les complications qui en résultent. Moins idéologiques et plus pragmatiques, ces équipes n’adoptent pas non plus une position antiscientifique et sont ainsi plus aptes à utiliser la science comme un outil clinique, sans en faire pour autant une idéologie scientiste.

Au-delà de la polarisation du débat et de la question de sa survie, le 388 pose plusieurs questions intéressantes. Premièrement, comment une unité qui a innové grâce à une idéologie forte, peut-elle continuer à évoluer lorsque cette idéologie l’enferme dans des certitudes plutôt que de l’amener à explorer en éclaireur de nouveaux chemins ? Deuxièmement, comment une unité pilote peut-elle inspirer l’ensemble des services psychiatriques, plutôt que par contraste, les rendre peu attractifs et désuets ? Troisièmement, comment contribuer à inspirer la science et la clinique, au travers de questions dérangeantes et polémiques, sans tomber dans la caricature et la polarisation ? Les personnes souffrant de psychose et leurs proches doivent-ils choisir leur camp ? En d’autres termes, comment des idéologies opposées, ou des contrastes entre des services peuvent-ils se stimuler mutuellement de manière créative ? Enfin, une psychiatrie neuroscientifique, appauvrie du rapport individuel avec l’être humain, technocratique et soumises aux pressions économiques et à l’industrie pharmaceutique, a-t-elle encore un sens ?

Pour les deux premières questions, le 388 apparaît comme un échec. Dans leur argument, les auteurs s’enferment dans une position antiscientifique et spiritualiste athée. Ils opposent de manière idéologique une version caricaturale de la psychiatrie scientifique à une vision romantique de la maladie mentale comme conséquence de l’oppression sociale. Où la souffrance n’a pas sa place, ni le cerveau et ses troubles. La science serait réductrice, nuisible, asservirait l’humain et l’éloignerait de sa « vraie » raison de vivre. L’humain pourrait se réaliser lorsque sa quête personnelle, unique, transcende l’individu et peut se relier socialement dans une dimension « sacrée ». À l’encontre de ce projet individuel, la science aurait une vision mécaniciste du sujet dans son universalité, technocratique, alors que la clinique serait garante d’une approche humaniste de l’homme et de son comportement, avec une vision relationnelle du sujet dans son individualité. Or, ce que l’on ne peut pas cerner, ce qui échappe à la raison, constituerait l’essentiel dans l’approche des troubles mentaux. Cette part, inaccessible, imprévisible, serait « le lieu dans la structure où se décide l’essentiel de la manifestation des troubles ». En résumé, les auteurs défendent une position de laquelle on ne peut rien apprendre, rien transférer : chaque expérience reste unique, comme un chemin spirituel sans Dieu.

Le 388 a sans doute inspiré d’autres équipes de soins, mais les auteurs ne le revendiquent pas. Au contraire, ils s’enferment dans un superbe isolement qui ignore complètement les débats de la réhabilitation psychosociale, et qui rejette les autres approches dans une « approche courante, traditionnelle » caricaturale qui s’oppose à « la psychanalyse appliquée par le GIFRIC au 388 », seule à ce jour à permettre ce travail « en profondeur ». Autrement dit, si vous n’avez pas la chance d’être traité au 388, vous serez la victime d’une psychiatrie déshumanisante, normalisante et oppressive. Ce n’est heureusement pas le cas, et d’autres auteurs défendent une réhabilitation psychosociale plus sensible au mode de vie et aux attentes subjective des sujets (Corin et Lauzon, 1992).

Une psychiatrie ouverte sur la communauté

Sortis de cette caricature, peut-on aborder les questions de fond posées par le 388 ? Les enjeux de la psychiatrie actuelle résident-ils vraiment dans une opposition entre la science et la clinique ? Comme les auteurs, je regrette la mainmise actuelle de la science sur la clinique, qui s’illustre par le fait qu’un journal tel que l’American Journal of Psychiatry, qui devrait représenter les psychiatres américains, a complètement appauvri son contenu de toute réflexion clinique depuis les années 90. Pourtant, je ne pense pas que cette opposition soit un enjeu essentiel. Premièrement, la clinique est un art de la synthèse où la science a sa place : une part de science, une part d’art ou d’artisanat et une part de technocratie. Cette part de science, ce n’est pas seulement le scientisme d’une minorité, mais c’est surtout l’envie de construire la psychiatrie sur des bases plus solides qu’elle n’en dispose actuellement. Une psychiatrie inspirée par la science, c’est d’abord une psychiatrie réfutable, qui sait peu de chose, plus modeste sur ce qu’elle sait et ne sait pas, mais plus sûre de ce qu’elle sait, capable de limiter les traitements nuisibles ou inefficaces. La science peut donc servir un autre enjeu qui me paraît plus essentiel pour la psychiatrie du futur : sa capacité d’être dans la communauté avec les personnes qui souffrent de troubles psychiatriques.

Avant la clinique, avant la science : l’accès aux soins

Une vignette clinique permet d’illustrer cette question :

Georges est un jeune homme de 29 ans. Depuis 5 ans, il vit principalement dans la rue. Il passe de temps en temps chez sa mère, qui s’inquiète de l’étrangeté de ses comportements. Georges parle seul, il devient parfois brusque et irritable. L’autre jour, en visite chez sa mère, il a jeté une tasse de café contre le mur, mais refuse d’expliquer pourquoi. Pourtant, il est très doux la plupart du temps. Bien que sa mère le perçoive clairement comme malade, lui-même est totalement opposé à cette idée. Il fuit la psychiatrie, qu’il perçoit comme oppressive, et qu’il ne croit pas pouvoir l’aider. Ce sont des forces mystiques qui sont en jeu, ainsi qu’un lent empoisonnement par des métaux lourds qui se trouvent dans les plombages de ses dents. Ce qui le protège, c’est l’isolement, une vie d’errance, et des rituels incantatoires qu’il a mis en place, et qui expliquent les phénomènes étranges qui l’entourent. Durant ses cinq années, ses papiers ont été perdus, son permis d’établissement n’est plus valide. Il reconnaît que la vie dans la rue est difficile : il faut toujours rester sur le qui-vive. Il a acquis un savoir-faire pour se débrouiller dans ces conditions, et il craint de perdre ses compétences s’il s’appuie trop sur l’aide d’autrui.

Comment aider Georges à accéder à des soins sans détruire sa vie ? Une psychiatrie oppressive et normalisante pourrait le contraindre à un traitement, mais seulement dans une situation de crise, et avec des conséquences potentielles très néfastes sur la suite du traitement. C’est le paradoxe que la psychiatrie actuelle et future doit résoudre : le respect des libertés individuelles, un accès proactif aux soins et le maintien dans la communauté.

La marge éthique est étroite en psychiatrie

Par analogie à la marge thérapeutique en médecine, la marge éthique est étroite en psychiatrie : il faut trouver une voie entre les principes de bienfaisance et de non malfaisance et entre le principe d’autonomie et le risque d’abandon. L’autonomie, le respect des libertés individuelles, peuvent rapidement basculer vers l’abandon, surtout dans une période où les pressions économiques sont importantes. La bienfaisance, quant à elle, peut se transformer en abus de pouvoir, lorsque le privilège thérapeutique dépasse l’exception, ou lorsque les effets indésirables des traitements prennent le dessus sur les effets attendus. L’enjeu véritable pour la psychose, c’est l’accès aux soins et la capacité à établir des liens sans détruire l’environnement naturel de la personne. Dans une discussion sur les enjeux éthiques du suivi assertif dans la communauté, Williamson (2002) souligne que proposer des services à des personnes qui les refusent et qui ne sont pas légalement tenus de les accepter peut devenir non éthique, à moins que ces services ne se focalisent sur les valeurs et les attentes des clients, ainsi que sur les domaines dans lesquelles ils souhaitent une assistance. Georges représente ces personnes qu’il ne suffit pas d’attendre pour les aider, mais qu’il faut rencontrer dans leur projet de vie, là où elles se trouvent, en étant à la fois proactif dans le désir de rencontre, et très respectueux des ressources et du rythme de la personne. Ce nécessaire respect des personnes et de leur environnement a également été développé avec le concept de « retrait positif » (Corin et Lauzon, 1992), qui montre qu’un relatif isolement dans un environnement naturel peut être préférable à une socialisation artificielle dans un environnement psychiatrique. Cela suppose des changements importants dans les valeurs traditionnelles de la psychiatrie, notamment dans la position des services de psychiatrie par rapport aux autres acteurs impliqués (tableau 1).

Le champ de la santé connaît actuellement des pressions socio-économiques et politiques qui modifient profondément les rapports de pouvoir. Les médecins ne sont plus seuls dans leurs décisions, mais sont confrontés aux exigences d’information et de liberté de choix du patient, aux pressions économiques, et à la concurrence d’autres professionnels. Ces changements constituent une chance pour la psychiatrie : plus les patients et les proches seront impliqués dans les choix thérapeutiques, mieux les garde-fous éthiques seront solides. Le mouvement de désinstitutionnalisation observé depuis les années 60 s’est considérablement accéléré sous la pression de plusieurs facteurs. Premièrement, la relation médecin-patient a évolué vers un partage du pouvoir impliquant un devoir d’information au patient, sa participation aux choix thérapeutiques, et la liberté pour lui de refuser les soins hors circonstances extrêmes. Cette évolution a atteint la psychiatrie plus tardivement que la médecine somatique, mais elle a été encouragée par le développement et le travail des associations de défense des droits des patients. Un second facteur à prendre en compte est le développement de traitements psychiatriques qui permettent un retour effectif dans la communauté. Les pressions économiques visant à diminuer le recours à l’hospitalisation et à trouver des alternatives moins coûteuses constituent un troisième facteur. Enfin, un mouvement de spécialisation et de professionnalisation des soins psychiatriques privilégie l’hospitalisation comme lieu de soins transitoires au détriment des hébergements de longue durée, dont la mission s’oriente plus vers la réhabilitation et la resocialisation.

Tableau 1

Valeurs favorisant le respect du patient dans son environnement naturel

Valeurs favorisant le respect du patient dans son environnement naturel

Adapté d’après Bonsack et al. (2003)

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Si ces changements apparaissent comme positifs pour la plupart des personnes, un certain désarroi apparaît dans les relations aux patients. Une enquête auprès d’acteurs de la santé pour le maintien à domicile des personnes souffrant de troubles psychiatriques a montré une préoccupation commune pour les problèmes des personnes qui nécessitent des soins psychiatriques mais qui sont « en rupture » ou en déni (Bonsack et al., 2003). Les valeurs de « contrainte » sont en crise, que ce soit auprès des médecins ou des juges de paix. Certains intervenants comme les proches, les assistants sociaux ou la police, s’ils adhèrent à l’évolution vers un partenariat avec le patient, s’inquiètent des conséquences sur leur pratique et des risques encourus lors de situations de crises répétées. Les interventions où une décision doit être prise contre le gré du patient ont une charge émotionnelle élevée et suscitent facilement des conflits et des accusations réciproques : médecins généralistes « incompétents », psychiatres « indisponibles », juge de paix « trop lent », police « difficile à déplacer ». Les questions principales semblent être : comment favoriser l’appropriation (empowerment) par les usagers sans les abandonner à eux-mêmes lorsqu’ils ont besoin de soins ? Et comment les amener aux soins sans abus de pouvoir ?

L’information comme force d’appropriation contre le repli du secret

Pour amener les personnes à prendre des décisions éclairées, la question de l’information devient essentielle, ce qui nous amène au second dilemme éthique auquel nous sommes confrontés : la limite entre partage de l’information et confidentialité. Lorsque l’approche psychiatrique n’est qu’intime, individuelle, secrète, rien ne peut être dit sans briser la confidentialité. C’est le cas de l’approche psychanalytique : ce que dit la personne a un sens personnel, et doit rester caché. De plus, dans le passé, nous avons cru pouvoir protéger les personnes souffrant de schizophrénie en refusant simplement de nommer la maladie. Dans les contacts avec les proches, notamment dans le cadre des groupes d’entraide, nous avons perçu ce que cette absence de dénomination comportait d’attente, d’incertitude, de souffrance et d’impuissance pour les patients et leurs proches. Nous avons pris conscience que si une étiquette de trouble psychiatrique pouvait comporter un potentiel de stigmatisation, l’échange d’informations plus complètes et plus ouvertes rendait au contraire les personnes capables de s’approprier le pouvoir de gérer leurs troubles (Link et al., 2001). « Vous avez une schizophrénie » est potentiellement stigmatisant ; les associations de patients ont amené aux personnes malades la capacité à dire « J’ai une schizophrénie », en revendiquant des droits fondamentaux de liberté et d’autonomie, y compris celui de savoir. Aujourd’hui, la plupart des professionnels de la santé mentale ont acquis la conviction que parler du diagnostic de schizophrénie avec les personnes malades et leurs proches est essentiel, et la question s’est déplacée vers le « quand » et le « comment ». La psychopathologie, les neurosciences, l’épidémiologie, les sciences cognitives constituent des supports essentiels mieux adaptés que la psychanalyse pour transmettre suffisamment d’information sans briser la confidentialité, et permettent de sortir des a priori stigmatisants tels que la responsabilité des familles et du patient ou l’absence de perspective de guérison. Là aussi, la diversité des sources permet la discussion tout en respectant la dimension intime des relations individuelles. Les personnes impliquées ont besoin d’être informées avec espoir pour sortir de l’impuissance : de ce fait, les objectifs cliniques doivent aussi être adaptés.

Suivre les patients dans le rétablissement ou la guérison

L’objectif clinique de « guérison » ou « rétablissement » constitue le troisième dilemme. La perception de la schizophrénie ou de la psychose comme une maladie inguérissable participe non seulement à la stigmatisation des troubles mentaux, mais constitue aussi des barrières importantes pour les patients afin d’entrer dans un processus de soins. Nous contribuons trop souvent involontairement à ces barrières en véhiculant une perception exagérément pessimiste de la schizophrénie, notamment à propos du processus de guérison dans cette maladie. Par exemple, dans la plupart des sites internet francophones sur la schizophrénie, on affirme « qu’on ne peut pas guérir de la schizophrénie ». Les preuves se sont pourtant succédées pour valider de manière scientifique que de 15 % à 25 % des personnes ont une évolution favorable (Harrison et al., 2001), sans toutefois parvenir à modifier de manière fondamentale la cécité des professionnels sur les évolutions positives. Ce sont finalement des personnes souffrant de schizophrénie qui sont à la base de la réflexion actuelle sur la guérison dans ce domaine et qui ont développé un fort mouvement fondé sur la notion de guérison (« recovery »), incitant aujourd’hui les professionnels à passer du paradigme de la « rémission » à celui de la « guérison » ou du « rétablissement » (Anthony, 2002). Intégrer cette notion me semble fondamental afin de mieux utiliser les moyens que nous avons aujourd’hui à notre disposition pour soigner les personnes souffrant de schizophrénie. Pour ce faire, nous devons revenir à une vision plus simple et plus modeste du rôle des professionnels dans le processus de guérison que celle véhiculée par la médecine moderne : un rôle de « facilitateur » de la guérison qui laisse plus de place aux ressources du patient et à l’incertitude de l’évolution que celui « d’auteur », sans se priver pour autant des moyens à disposition pour contribuer à ce processus. Les objectifs de soins passent de « l’impuissance de la cure » à l’engagement dans un processus de rétablissement, qui vise à la gestion autonome de la santé par le patient et son environnement naturel.

La foi en la guérison a pour conséquence que le patient peut entrer dans des soins psychiatriques, mais doit aussi en sortir. De ce fait, il ne s’agit plus de construire un environnement protégé ad hoc, mais plutôt de conserver et de faire vivre l’environnement naturel autour de la personne, avec un engagement des services psychiatriques mieux ciblés et respectueux de cet environnement.

Conclusion

Avec la psychanalyse, nous avons rêvé une psychiatrie humaine, ouverte sur la subjectivité, attentive aux désirs individuels. Une certaine psychiatrie, vidée de toute subjectivité, a aujourd’hui pris une importance prépondérante dans la littérature scientifique. Elle fait peur dans son arrogance et sa prétention méthodologique, qui tient parfois plus du scientisme que de la science. Par contre, cette psychiatrie permet aussi de mieux délimiter le champ du savoir, et doit encourager à l’ouverture et à la modestie. Elle est détestable quand elle nie l’expérience personnelle de la guérison, quand elle ignore les désirs individuels. L’expérience du 388 doit nous aider à viser la mise en mouvement vers la guérison, à comprendre comment saisir le désir lorsqu’il est là, à nous montrer comment donner à une démarche personnelle une dimension collective au travers du lien social. Nous devons aussi aller plus loin pour faire en sorte que ce mouvement se perpétue dans l’environnement naturel, sans l’action des professionnels. Que la place des professionnels soit assez active, mais suffisamment modeste pour agir comme catalyseurs, comme source d’appropriation par le patient et ses proches. Pour cela, il nous faut une psychiatrie respectueuse de l’esprit comme du cerveau, cédant la place qui leur revient aux patients et à leurs proches. Bien sûr, une psychiatrie qui privilégie le rapport individuel avec des personnes. Mais qui ne s’érige pas comme seule capable d’établir des relations avec les personnes malades. Au contraire, une psychiatrie qui se montre capable de faire des liens, mais comme facilitateur : une présence discrète, pas écrasante, orientée vers la guérison et capable de transmettre l’espoir.

La marge éthique est étroite en psychiatrie. Entre une psychiatrie totalitaire au service de l’oppression sociale, de la dictature de l’économie, de la technocratie, au service de l’exercice du pouvoir individuel d’intervenants mégalomanes ou au service d’idéologies, la science peut constituer un garde-fou contre l’arbitraire du pouvoir individuel, mais elle peut aussi servir d’alibi à l’exercice de ce pouvoir. Les contre-pouvoirs ne sont pas à chercher dans la psychiatrie, ni dans les modèles de soins. Nous devons au contraire chercher à renforcer le pouvoir individuel des personnes souffrant de troubles psychiatriques et de leur proches par l’appropriation du pouvoir, le partage du savoir et la recherche d’informations.