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Quinze ans après avoir publié sa magistrale Histoire du syndicalisme québécois, Jacques Rouillard publie une nouvelle synthèse sur le sujet. Étant donné le nombre restreint de publications générales sur le syndicalisme et l’évolution importante qu’a connue le mouvement syndical depuis ce moment, ce nouvel ouvrage est plus que bienvenu.

Cette étude est avant tout une « histoire de l’institution syndicale et non du monde ouvrier ou de la classe ouvrière » (p. 12). Elle s’appuie sur les recherches personnelles de l’auteur et sur une grande variété de travaux, notamment ceux des étudiants qu’il a dirigés à la maîtrise et au doctorat. Il s’agit, en fait, d’une mise à jour de l’Histoire du syndicalisme québécois à laquelle il a intégré les résultats des recherches récentes et un chapitre traitant de la période de 1985 à 2003. L’ouvrage, plus court que celui de 1989, contient quelques tableaux statistiques illustrant, notamment, le nombre et la répartition des syndicats, les effectifs syndicaux et les arrêts de travail.

L’auteur relate chronologiquement les principales étapes de l’histoire du syndicalisme au Québec au fil de cinq chapitres construits grosso modo autour des grands thèmes suivants : groupements syndicaux, revendications législatives, action politique, négociation collective et conflits de travail.

D’entrée de jeu, Rouillard affirme que les travailleurs québécois développent, tout au long de la période étudiée, une conscience collective aussi forte que celle des autres travailleurs nord-américains et ceci, même si l’évolution du syndicalisme au Québec est différente de celle du syndicalisme canadien en raison des particularités socioculturelles québécoises.

Dans le premier chapitre, l’auteur aborde la période de la naissance et de l’affirmation du syndicalisme (1818-1900). Après avoir expliqué l’avènement de la Révolution industrielle au Québec, il traite de la formation des premiers syndicats chez les ouvriers touchés par les transformations du monde du travail, puis des Chevaliers du travail et de l’enracinement des syndicats internationaux à partir des années 1880, avant d’évoquer la fondation des Congrès des métiers et du travail du Canada et l’élection de députés ouvriers. Il souligne le dynamisme du mouvement, notamment quant au nombre de grèves.

La partie suivante est consacrée à l’expansion du syndicalisme (1900-1940). L’auteur y décrit les fluctuations du contexte économique marqué par des récessions profondes, ainsi que par une forte industrialisation qui s’étend dorénavant aux régions productrices d’électricité. Depuis le début du siècle, le mouvement syndical se diversifie notamment avec le développement du syndicalisme catholique après la Première Guerre mondiale, puis, durant les années 1930, avec la formation de la Ligue d’unité ouvrière, de syndicats d’enseignants et de syndicats internationaux industriels affiliés au CIO américain. La non-partisanerie politique devient la règle pour l’ensemble des groupes après que les internationaux se furent éloignés du Parti ouvrier vers 1920. Les améliorations sensibles des salaires et des conditions de travail réalisées durant les premières années plafonnent ensuite jusqu’à la fin de la Crise, tandis que l’activité de grève fluctue en fonction de la situation économique.

Puis vient l’époque de l’institutionnalisation du syndicalisme (1940-1960). Y sont signalés le soutien donné à l’effort de guerre par les centrales syndicales et l’adoption des premiers codes du travail en 1944 (Loi des relations ouvrières, Loi sur les différends entre les services publics et leurs employés au provincial et C.P. 1003 au fédéral). Une ère de rivalités intersyndicales s’installe jusqu’à la création du Congrès du travail du Canada en 1956 et de la Fédération des travailleurs du Québec l’année suivante. La CTCC, quant à elle, devient très combative après la guerre, puis enclenchera le pro-cessus de déconfessionnalisation, concrétisé en 1960. Après une accalmie durant la guerre, les rapports avec le pouvoir politique sont tendus sous Duplessis en raison, notamment, de l’antisyndicalisme gouvernemental. Par contre, les conditions salariales et de travail s’améliorent tout au long de cette période qui est ponctuée de conflits de travail très durs.

Les vingt-cinq années suivantes sont témoin d’une radicalisation syndicale qui culmine pendant les années 1970. Après des conquêtes législatives importantes durant la Révolution tranquille, dont celle du droit de grève pour les employés de l’État, les syndiqués s’engagent dans plusieurs conflits majeurs. La grève du Front commun de 1972 provoquera une scission à la CSN, à la suite de laquelle la Centrale des syndicats démocratiques sera formée. Les gains salariaux et les améliorations des avantages sociaux se poursuivent jusqu’aux environs de 1980, puis reculent.

Puis vient l’ère de l’affaiblissement et de la concertation (1985-2003). Avec la récession du début des années 1980, s’amorce une période de reculs pour le mouvement syndical qui est lent à s’adapter à ce nouveau contexte, mais devient graduellement plus conciliant et prône même la concertation avant de durcir ses positions à partir de 1996. L’heure est à la préservation des acquis et des emplois, de minces gains ne devenant possibles qu’à la fin de la période. Les grèves se raréfient. Durant les années 1990, à l’exception de la CSD, les centrales optent pour la souveraineté du Québec, mais leurs positions varient à l’égard du Parti québécois.

Ces quelques lignes ne donnent qu’un bref aperçu du contenu de l’ouvrage qui est d’un intérêt certain. Cependant, une fois la lecture terminée, je suis restée sur ma faim. D’abord, le contenu des parties traitant du syndicalisme enseignant est mince. Est-ce dû au faible nombre d’études qui ont été réalisées sur le sujet ? Peut-être, mais c’est dommage. De plus, le dernier chapitre néglige plusieurs aspects importants. L’auteur évoque peu la mondialisation qui provoque de nombreuses délocalisations et des pertes d’emplois importantes et, bien qu’il s’attarde à la concertation, il ne parle pas des nouvelles formes de négociation qui sont expérimentées. Enfin, il y a quelques erreurs qui auraient pu être corrigées facilement, notamment, page 49 (en 1881, l’archevêque de Montréal est Mgr Fabre et non Mgr Bruchési) et, page 167 (la CEQ devient la Centrale de l’enseignement du Québec en 1974 et non en 1972). L’ouvrage sera tout de même utile en attendant que d’autres recherches viennent combler les lacunes des connaissances actuelles.