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La méningite cérébro-spinale affecte l’Afrique sahélienne depuis des siècles, mais alors qu’avant les années 1980 elle touchait cette région de manière irrégulière, elle y est depuis devenue endémique. Dans les décennies 1980 et 1990, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a enregistré entre 25 000 et 200 000 cas par an, dont environ 10 % de cas mortels [1]. La méningite cérébro-spinale est donc devenue un problème de santé publique particulièrement important dans une région parmi les plus pauvres du monde et déjà affectée par la diminution de la pluviométrie depuis la fin des années 1970.

La méningite cérébro-spinale est une infection causée par la bactérie Neisseria meningitidis, très contagieuse et dont la transmission s’effectue par voie aérienne. Une combinaison de conditions favorables (relevant de l’environnement, de l’hôte et du micro-organisme) est probablement nécessaire pour que survienne une épidémie [2]. La réceptivité immunologique de la population (peut-être due à la perte de l’immunité de groupe vis-à-vis de la souche prévalente), un niveau socio-économique bas, la transmission d’une souche virulente et un contexte climatique particulier (saison sèche, tempêtes de sable) ont été identifiés comme les conditions les plus importantes. Parmi ces conditions favorables, le facteur climatique joue un rôle non négligeable dans la chronologie de l’épidémie, qui démarre en février pour disparaître au mois de mai, et dans sa circonscription géographique dans la « ceinture de la méningite » située entre 10°N et 15°N [1, 3, 4]. En effet, la partie soudano-sahélienne de l’Afrique est soumise à l’alternance d’une saison sèche en hiver, dominée par des vents secs du nord, l’Harmattan, et une saison humide de mousson en été. Le contexte climatique caractéristique de l’hiver des régions sahéliennes présente des conditions favorables au développement de la méningite : alors que la sécheresse et les vents forts, chargés de poussières, peuvent stimuler l’invasion du méningocoque en lésant directement la barrière muqueuse ou en inhibant les défenses immunitaires de surface, l’humidité du printemps et des latitudes guinéennes réduisent considérablement le risque de transmission [5]. Cependant, bien que l’influence globale du climat sur l’épidémie soit indiscutable, les effets de la variabilité climatique sur la dynamique épidémique sont encore mal connus du fait d’emboîtement de phénomènes d’échelles distinctes, d’interactions avec des facteurs biologiques (immunité, fragilité de l’organisme…), démographiques et socio-économiques.

Des travaux récents ont montré le rôle important joué par le climat sur la dynamique spatiale et temporelle de plusieurs maladies infectieuses [6, 7]. Cependant, la mise en évidence de cet impact nécessite de faire la part entre l’hétérogénéité locale et le « forçage » à grande échelle dans la dynamique de la maladie [8]. L’agrégation des données locales est un moyen simple pour extraire la variabilité liée à la grande échelle tout en lissant l’hétérogénéité locale. C’est l’idée directrice de notre étude : montrer comment des phénomènes à grande échelle comme les modulations de l’Harmattan sur l’ensemble du Mali peuvent contribuer à la dynamique temporelle de l’épidémie à l’échelle nationale même si cette analyse agrégée au niveau national ne prend pas en compte des variations à des échelles plus fines. Cette étude repose sur des variables atmosphériques issues des ré-analyses produites par le National Center for Environmental Prediction et le National Center for Atmospheric Research [9], et sur des données épidémiologiques provenant de relevés hebdomadaires établis par l’OMS au Mali, entre 1994 et 2002. Des indices atmosphériques synthétiques ont été établis à partir d’une analyse en composante principale (ACP) sur la vitesse du vent en surface entre 1994 et 2002 ; ces indices ont ensuite été mis en parallèle avec les données de méningite cérébro-spinale au Mali. Pour chacune des neuf années, le maximum hivernal de l’Harmattan, défini en considérant la semaine où l’indice de vent est le plus élevé, correspond à la sixième semaine de l’année (entre le 7 et le 15 février). On observe un synchronisme entre l’évolution temporelle de l’indice atmosphérique et la progression de l’épidémie dont le démarrage coïncide avec la semaine du maximum hivernal de l’Harmattan (coefficient de corrélation : 0,92). Des résultats similaires ont été obtenus en utilisant les températures et l’humidité de surface pour la construction des indices atmosphériques [10].

Ces résultats, associant sciences du climat et de la santé, permettent d’envisager la mise en place d’outils de surveillance épidémiologique afin d’anticiper la survenue des épidémies de méningite dans cette région d’Afrique de l’ouest et tenter de limiter leur impact. Cependant, ces résultats ne permettent pas d’appréhender une éventuelle relation entre l’intensité de l’hiver et l’ampleur de l’épidémie. De plus, le modèle climatique utilisé se fondant sur une période de seulement neuf années, d’éventuelles variations importantes du climat ou des épidémies à plus grande échelle de temps ne peuvent pas être prises en compte. Ce modèle devra par conséquent être testé sur des périodes plus longues et à une échelle spatiale plus fine, afin d’étudier plus précisément ces variations et leur impact sur l’évolution de la maladie à l’intérieur du territoire malien. Le projet AMMA (analyse multidisciplinaire de la mousson africaine) et ses campagnes de mesures destinées à recueillir des mesures relatives, notamment au climat et à la santé en Afrique de l’ouest, devraient favoriser l’extension et la continuité de ces travaux dans une perspective de santé publique.