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Le rôle des peptides vasoconstricteurs, tels que l’angiotensine II (Ang II) et l’endothéline (ET), dans la progression de la fibrose rénale et vasculaire est maintenant largement admis, l’argument principal étant le ralentissement de cette progression et, même, son inversion lorsqu’on inhibe les effets de ces peptides par des antagonistes spécifiques de leurs récepteurs. Le mécanisme de ces effets profibrosants commence à être connu. De nombreuses études tendent à prouver l’implication des facteurs de croissance, principalement le facteur de croissance épidermique (EGF, epidermal growth factor). Le récepteur de l’EGF (EGF-R, epidermal growth factor receptor) est transactivé au tout début de la cascade d’événements induite par l’Ang II ou l’ET, ce qui veut dire que la séquence d’effets cellulaires connue comme étant celle produite par l’EGF se substitue en partie ou s’ajoute aux voies classiques d’action de ces deux peptides. Ce processus est donc totalement différent d’une éventuelle induction du gène codant pour l’EGF-R en présence d’Ang II ou d’ET.

La transactivation d’EGF-R

Les arguments en faveur de la transactivation d’EGF-R reposent soit sur l’utilisation d’agents inhibant l’activation de ce récepteur, soit sur celle de souches de souris mutantes, soit enfin sur celle d’inhibiteurs de la transcription du gène. EGF-R est un récepteur à activité tyrosine kinase dont l’activation suppose une étape préalable de dimérisation, puis de phosphorylation. Les principaux inhibiteurs agissent en bloquant cette phosphorylation. Les plus utilisés sont le PD153035, l’AG1478, tous deux de la famille des quinazolines, et le gefitinib (Iressa®, ZD1839). Ces inhibiteurs entrent en compétition avec l’ATP pour la liaison à la tyrosine kinase. Il existe une souche de souris mutantes appelées waved-2 (du fait de l’aspect ondulé de leurs poils) chez lesquelles EGF-R n’est pas supprimé, mais a une faible activité égale à environ 10 % de celle des souris normales. Enfin, il est possible d’utiliser un oligonucléotide antisens pour bloquer l’ARNm de EGF-R.

La première étude démontrant que deux effets essentiels de l’ET - la fibrogenèse et la contractilité vasculaire - dépendent de l’activation de EGF-R est celle de M. Flamant et al. [1]. Pour étudier le premier effet, ces auteurs ont utilisé une souche de souris transgéniques chez lesquelles le gène codant pour la luciférase est sous le contrôle du promoteur de la chaîne α2 du collagène I. L’activité de l’enzyme est un indice de la synthèse du collagène I. L’ET, ajoutée au milieu d’incubation d’anneaux aortiques fraîchement isolés, multiplie par deux l’activité de la luciférase et cet effet est bloqué par un traitement préalable par le PD153035. La voie de stimulation de la synthèse du collagène passe par les MAPK/ERK (mitogen activated protein kinase/extracellular signal-regulated kinase) puisque un inhibiteur de ces kinases, le PD98059, bloque, lui aussi, la stimulation de l’activité de la luciférase en présence d’ET. La réactivité vasculaire des anneaux aortiques a été également examinée. L’effet vasoconstricteur de l’ET est largement réduit après traitement par le PD153035. De même, l’effet hypertenseur in vivo de l’ET est atténué chez les souris waved-2 par rapport aux souris témoins. Ces travaux ont été confirmés et étendus depuis. Par exemple, Y. Kawanabe et al. [2] ont montré sur des anneaux d’artère basilaire de lapin que l’AG1478, un autre inhibiteur d’EGF-R, diminuait la phosphorylation d’EGF-R, l’activation des MAPK/ERK et la contraction de l’artère obtenues en présence d’ET. In vivo, le vasospasme de l’artère basilaire induit par l’ET et visualisé par angiographie est inhibé par l’AG1478.

Les résultats concernant l’Ang II sont déjà anciens et similaires à ceux observés avec l’ET. Le travail de Q. Che et al. [3] apporte un élément supplémentaire en montrant que la voie classique d’action de l’Ang II, c’est-à-dire la stimulation de la concentration de calcium dans le cytosol ([Ca2+]i) dépend aussi de la transactivation d’EGF-R. Pour cela, ils ont disséqué des artérioles afférentes glomérulaires dans le rein de rat et ont enregistré les variations de ([Ca2+]i) avec le temps. Le pic initial de ([Ca2+]i) suivi d’un plateau obtenu après ajout d’Ang II est considérablement réduit par un prétraitement avec l’AG1478. Plus récemment, S. Kagiyama et al. [4] ont pu bloquer l’activation des MAPK/ERK dans des cellules musculaires lisses vasculaires en culture avec un oligonucléotide antisens de l’ARNm de EGF-R. In vivo, l’hypertrophie ventriculaire gauche et l’hypertension artérielle produites par l’Ang II sont également atténuées par le traitement avec la molécule antisens.

H. François et al. [5] sont allés plus loin dans la démonstration du rôle de EGF-R en utilisant le modèle d’hypertension artérielle chez le rat déficient en NO après administration d’un inhibiteur de la NO synthase, le L-NAME. Ces animaux développent une hypertension artérielle et une néphroangiosclérose. L’EGF-R est activé d’un facteur 2 dans les glomérules. On observe également une activation des MAPK/ERK et une augmentation de la synthèse du collagène. La co-administration de L-NAME et de gefitinib normalise ces anomalies, réduit la fibrose rénale et prévient le déclin de la fonction rénale. Le modèle utilisé est très dépendant de l’Ang II et de l’ET. On peut donc penser que les effets nocifs de ces deux peptides sont en partie prévenus en bloquant EGF-R.

Mécanismes de la transactivation d’EGF-R

Comment la transactivation d’EGF-R se fait-elle ? Elle fait intervenir les ligands physiologiques de EGF-R que sont l’EGF lui même, l’HB-EGF (heparin-binding epidermal like growth factor), le TGF-α (transforming growth factor-α) ou l’amphiréguline. Une hypothèse serait que l’Ang II ou l’ET activent via la voie classique (phospholipase C, protéine kinase C) une ou des métalloprotéases de la famille ADAM (A disintegrin and metalloprotease) dépendantes du zinc, capables de cliver l’HB-EGF, le TGF-α ou l’amphiréguline matures de leurs proformes. Les ligands ainsi libérés dans le milieu activeraient à leur tour EGF-R. Un des arguments en faveur de cette hypothèse est le blocage de la transactivation par des inhibiteurs des métalloprotéases [6]. Un autre argument serait de comparer les effets des peptides vasoactifs chez des souris sauvages et chez des souris dont les gènes codant pour l’HB-EGF ou le TGF-α ont été invalidés. À côté de ce processus de transactivation extracellulaire, un processus intracellulaire indépendant de la formation de ligands a été également décrit. Après dissociation de la protéine G couplée au récepteur, différentes protéines de transduction du signal, dont les tyrosine kinases de la famille Src et la protéine kinase C, pourraient intervenir en phosphorylant directement EGF-R (Figure 1). Une deuxième question est de savoir quelles étapes accompagnent l’activation des MAPK/ERK après transactivation de l’EGF. Récemment, X. Shi-Wen et al. [7] ont montré que la transformation des myocytes en myofibroblastes après traitement par l’endothéline était bloquée par des inhibiteurs de la phospho-inositide 3-kinase ou de l’Akt/PKB, enzymes connues comme impliquées dans le mode d’action de l’EGF.

Figure 1

Mécanismes de transactivation du récepteur de l’EGF (EGF-R) en présence d’angiotensine II (Ang II) ou d’endothéline-1 (ET-1) par libération de l’HB-EGF (heparin bindin-EGF) sous l’action des métalloprotéases ADAM ou par voie intracellulaire faisant intervenir différents médiateurs.

Mécanismes de transactivation du récepteur de l’EGF (EGF-R) en présence d’angiotensine II (Ang II) ou d’endothéline-1 (ET-1) par libération de l’HB-EGF (heparin bindin-EGF) sous l’action des métalloprotéases ADAM ou par voie intracellulaire faisant intervenir différents médiateurs.

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Le phénomène de transactivation par des peptides vasoactifs ou, plus généralement des ligands de récepteurs à sept domaines transmembranaires couplés aux protéines G, n’est pas limité à l’EGF. Il a été aussi décrit pour les récepteurs du facteur de croissance dérivé des plaquettes (PDGF, platelet-derived growth factor) et du facteur de croissance apparenté à l’insuline-1 (IGF-1, insulin-like growth factor-1). Pour en rester au premier de ces facteurs, D.J. Kelly et al. [8] ont montré que l’imatinib, un inhibiteur du récepteur du PDGF (PDGF-R), atténuait les effets de l’Ang II administrée au rat sur la pression artérielle et l’expansion de la matrice extracellulaire.

Perspectives

Cet ensemble de résultats pourrait avoir des conséquences thérapeutiques. La transactivation de l’EGF-R, étant en aval de l’activation des récepteurs de l’Ang II et de l’ET, il paraîtrait logique d’agir à cette étape pour annuler simultanément les effets des deux peptides. Les inhibiteurs d’EGF-R connus comme molécules anti-cancéreuses pourraient se révéler utiles dans le traitement de la fibrose. L’utilisation de ces substances dans cette indication risque malgré tout d’être rendue difficile par l’importance de leurs effets secondaires, en rapport avec le caractère ubiquitaire de EGF-R. La connaissance du mécanisme de la transactivation pour un tissu donné et dans une situation pathologique donnée pourrait s’avérer utile pour cibler l’inhibition pharmacologique. En effet, la transactivation par les peptides vasoactifs dépend d’au moins trois paramètres : la nature du récepteur transactivé, celle des ligands exprimés par le tissu et la nature de la métalloprotéase impliquée dans le clivage. Il n’y a donc pas un mécanisme de la transactivation, mais des mécanismes dont on pourrait imaginer que le nombre soit le résultat de la combinatoire des trois paramètres cités plus haut. L’intervention pharmacologique sur les voies de transactivation en amont d’EGF-R permettrait de limiter considérablement les effets secondaires prévus avec l’inhibition directe d’EGF-R. Le travail de M. Asakura et al. [9] est particulièrement intéressant à cet égard parce qu’il montre que l’hypertrophie cardiaque chez la souris est partiellement prévenue par l’inhibition d’ADAM12, métalloprotéase impliquée spécifiquement dans le clivage de l’HB-EGF dans le coeur.