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Cet ouvrage rassemble les principales contributions d’une équipe de chercheurs du projet Tendances, issu d’une collaboration du Projet de recherche sur les politiques et du Conseil de recherches en sciences humaines, amorcé à la fin des années 1990. Le projet était organisé autour d’une série de défis auxquels le Canada devra faire face au cours de la prochaine décennie : défi de l’intégration continentale, défi des nouvelles formes de gouvernance, des nouvelles formes de pouvoir, défi du vieillissement démographique, etc. C’est précisément aux travaux de l’équipe réunie sur ce dernier thème, et placée sous la direction de Verena Haldemann de l’Université de Moncton, qu’est consacré l’ouvrage Vieillissement et évolution démographique au Canada. Le Projet de recherche sur les politiques visait à appuyer la création, le partage et l’utilisation de la connaissance liée à la recherche sur les politiques en créant, entre autres, des réseaux de chercheurs et des mécanismes de communication et de partage des connaissances entre chercheurs et concepteurs de politiques.

L’objet du livre est de « montrer comment les implications des projections démographiques doivent être examinées dans un contexte plus large, qui comprend des éléments économiques, politiques, sociaux, familiaux » (p. 13). À ce titre, on trouve sept chapitres très substantiels : la mise en contexte des préoccupations démographiques (David Cheal) ; les liens entre les générations : le public, la famille et le travail (Susan A. McDaniel) ; le vieillissement, la langue et la culture (Douglas Thorpe) ; les répercussions des tendances démographiques et sociales sur le soutien volontaire aux personnes âgées (Ingrid Arnet Connidis) ; le vieillissement et la productivité (Joel Prager) ; le travail et les loisirs (Marty Thomas et Rosemary Venne) ; et la diversité dans les relations intergénérationnelles (Joseph Tindale, Joan Norris et Krista Abbott). On note que toutes les contributions sont le fait de collègues anglophones. On se demande où sont passés les contributeurs francophones ; mais on doit aussi noter un effort remarquable dans la traduction de l’ouvrage et dans l’incorporation – fait suffisamment rare pour le souligner ici vigoureusement – de quelques références francophones, qu’elles soient de France ou du Québec, particulièrement dans les articles de D. Cheal et de S.A. McDaniel.

Un des intérêts majeurs de l’ouvrage est que l’ensemble des auteurs partagent une vision réaliste du phénomène du vieillissement démographique, une vision ni catastrophique, ni pessimiste, ni démesurément optimiste. Ils interprètent les données démographiques pour ce qu’elles sont et pour ce qu’elles permettent raisonnablement d’anticiper. La démographie n’est pas un destin : les projections sont faciles à réaliser, mais il est difficile de prédire les résultats concrets, car le nombre futur de personnes âgées n’indique rien à propos de leurs qualités personnelles, sans parler de l’interaction des multiples facteurs à prendre en compte (p. 18). Les personnes âgées de demain ne seront en tout cas pas une simple reproduction de ce qu’elles sont aujourd’hui. C’est bien là la seule certitude des chercheurs ! Dans cette perspective, une société vieillissante n’est pas nécessairement un problème ! Il faut surtout analyser le phénomène du vieillissement démographique dans ses relations avec les différents facteurs qui sont en jeu et qui l’inscrivent dans un système complexe et multidimensionnel d’interdépendances.

Toutefois, il faut éviter de « globaliser » les personnes âgées, c’est-à-dire de les considérer comme un groupe homogène en fonction de l’âge. La référence à l’âge en tant que tel tend un véritable piège, car, pris pour lui-même, il risque d’obscurcir les différences irréductibles entre les classes de revenu et entre les genres. Les inégalités, malgré le rôle remarquable joué par les mesures de la protection sociale, non seulement perdurent au cours de l’avancée en âge des individus, mais s’accroissent. Les conditions de vie favorables qu’ont connues certains d’entre eux vont l’être encore davantage au sortir de leur vie active. À l’inverse, les indices de « défavorisation » vont se cumuler pour les personnes qui auront connu une vie active difficile.

La seule référence à l’âge pour définir le vieillissement constitue également un piège, dans la mesure où les personnes âgées risquent alors d’être isolées des autres groupes d’âge et d’être traitées comme une cible particulière, tant par les mesures de politiques publiques que par les groupes professionnels qui ont vocation d’en prendre soin. Une telle démarche contribue directement à les isoler davantage, à la différence d’une approche multi-âge ou multi-générationnelle. L’ouvrage met adéquatement en garde contre une telle tendance : en matière de politiques, « il faut être très circonspect chaque fois que les gens âgés sont désignés comme constituant une catégorie distincte de la population dotée de critères uniques » (p. 26). Il faut plutôt prendre en compte toute l’étendue des transactions entre les différents groupes d’âge, qu’il s’agisse de transferts de revenu ou de pratiques de réciprocité entre générations dont l’observation simple de la réalité nous montre chaque jour l’importance et le dynamisme, que ce soit au sein des familles, entre voisins ou dans la communauté.

Les auteurs promeuvent, dans leurs études respectives, une perspective d’analyse du life course (parcours de vie) qui les amène, par exemple, à renouveler une analyse fondée sur l’âge en privilégiant plutôt une analyse par cohorte (S.A. McDaniel ; I.A. Connidis). Une analyse des parcours de vie permet en effet d’établir des liens dynamiques entre, par exemple, le métier, le revenu, l’éducation et la santé ; de mieux comprendre en quoi ces facteurs influencent les décisions des personnes âgées de prendre leur retraite ou, au contraire, de décider de poursuivre une activité rémunérée, même après une prise de retraite formelle.

Au début de ce compte rendu est mentionné le cadre de partenariat entre chercheurs et concepteurs de politiques dans lequel s’est déroulée cette démarche collective de recherche, placée sous les auspices du Projet de recherche sur les politiques. À ce titre, l’ouvrage fournit une démonstration très convaincante – s’il en était encore besoin – de la pertinence d’une telle approche.

C’est un ouvrage de grande qualité, tant par la diversité et la complémentarité des sujets traités que par la rigueur du traitement dont ils font l’objet. C’est un ouvrage utile également parce qu’il offre une bibliographie anglophone de référence extrêmement étendue. Son importance pour les concepteurs de politiques, mais aussi pour les professionnels de l’action auprès des personnes âgées, ne fait aucun doute. Il devrait constituer l’une des références principales, et parmi les plus complètes et les plus rigoureuses, de toute formation sérieuse autant dans le domaine de la gérontologie et de la sociologie du vieillissement que dans la formation des concepteurs de politiques.