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Introduction

En 1996 débutaient des thérapies médicamenteuses qui allaient modifier l’évolution de l’infection par le virus d’immunodéficience humaine (VIH). À tort ou à raison, ces thérapies suscitaient beaucoup d’espoir, comme si elles allaient répondre à elles seules aux besoins engendrés par le VIH-sida (Lévy et al., 2002). Au cours des mêmes années, sur le plan de la prévention contre la transmission du VIH, l’on sent un piétinement (Dannecker, 2002; Fréchette, 2002). Différentes variables sont explorées afin de déterminer celle qui expliquerait la prise de risque. Isolément, aucune des variables n’offre d’explication satisfaisante; c’est du moins ce qui ressort de la recension des écrits faite dans le cadre de notre thèse de doctorat. Une relecture du matériel colligé lors de cette recension est proposée ici. Une enquête par questionnaire a permis de valider cette relecture sur une base empirique. Différents résultats viennent appuyer sa pertinence.

Problématique

Que les personnes séropositives demeurent actives sexuellement une fois qu’elles connaissent leur diagnostic n’est plus à démontrer. Au 31 décembre 1999, de multiples recherches avaient été menées afin de connaître ce qu’il en était de la prise de risque sexuel pour ces personnes. Parmi les 14 études consultées qui indiquaient la prévalence de la prise de risque, celle-ci variait entre 7,1 % (Posner et Marks, 1996) et 42 % (Kalichman, 1999). Ces études, ainsi que 27 autres, ont aussi tenté de dégager des variables pouvant influencer la prise de risque, soit : des caractéristiques sociodémographiques; le diagnostic reçu; le temps écoulé depuis le diagnostic; des facteurs psychologiques; le type de partenaire; l’acculturation; l’usage de drogues ou d’alcool et le dévoilement de la séropositivité.

L’analyse de ces études a permis de poser quatre constats : 

  • L’utilisation du condom et les pénétrations anales, vaginales ou orales, ainsi que les facteurs qui influencent ces pratiques demeurent dans plusieurs études les indicateurs privilégiés pour évaluer la prévention. Le dévoilement de la séropositivité, le type de partenaire, l’adoption de nouvelles pratiques sexuelles et l’abandon de lieux de rencontre sont aussi considérés dans certaines recherches.

  • Les facteurs psychologiques étudiés sont multiples (détresse psychologique, sentiment de contrôle interne et externe, stratégies d’adaptation, différents stresseurs, prédicteurs comportementaux et intentionnels) et les résultats obtenus en ce domaine sont divergents, parfois même contradictoires.

  • Aucune stratégie préventive ne semble infaillible ou parfaitement prédictible. Des séroconversions ont été observées malgré l’utilisation du condom; l’absence de séroconversion est constatée dans des couples asymétriques qui n’utilisent pas le condom; le dévoilement (et le non-dévoilement) de la séropositivité ne conduit pas systématiquement à des pratiques sexuelles préventives.

  • L’ensemble des stratégies préventives utilisées par les personnes séropositives pour contrer le VIH n’a jamais été rassemblé en une seule étude.

Ces constats mettent en évidence le fait que les recherches consultées ont fragmenté la réalité, chacune n’étudiant que quelques aspects de la prise de risque. Un cadre théorique plus large pour appréhender la prise de risque pourrait permettre de considérer simultanément l’ensemble des aspects répertoriés et de réaffirmer la dimension humaine de la prise de risque. Les théories constructivistes qui s’intéressent à la sexualité humaine rejoignent ces deux considérations et particulièrement l’interactionnisme symbolique (Dorais, 1994; Longmore, 1998). De plus, cette théorie permet d’établir des liens avec le travail social (Dorais, 1990), dont ses principes d’autodétermination et de dialectique personne/environnement.

Cadre conceptuel

Selon les domaines où l’interactionnisme symbolique a été appliqué, son évolution et son développement diffèrent (De Queiroz et Ziolkowski, 1997). À l’intérieur d’un même domaine, son usage est parfois polymorphe. C’est le cas notamment dans le domaine de la sexualité (Longmore, 1998). Malgré ces particularités, il demeure un corpus de connaissances dûment reconnaissable à trois principes fondamentaux définis par Blumer (1969, dans De Queiroz et Ziolkowski, 1997, p. 31) : 1) les humains agissent à l’égard des choses en fonction du sens que les choses ont pour eux; 2) ce sens est dérivé ou vient des interactions de chacun avec autrui et 3) c’est dans un processus d’interprétation mis en oeuvre par chacun dans le traitement des objets rencontrés que ce sens est manipulé et modifié. Les concepts de l’interactionnisme symbolique repris dans cette recherche sont les dimensions qui renvoient aux niveaux de signification dans les activités sexuelles (Simon et Gagnon, 1986, dans Dorais, 1994), ainsi qu’à celui de l’association du concept de pratique sociale aux pratiques sexuelles introduite par Plummer (1982a, dans Dorais, 1994).

En ce qui concerne les dimensions correspondant aux niveaux de signification, nous en relevons trois : la dimension historique, où le sens que la culture donne à un désir ou à un comportement est pris en compte; la dimension relationnelle, où le sens des activités sexuelles entre partenaires est considéré; la dimension biographique, où prime le sens donné par la personne à ses comportements.

L’association des pratiques sexuelles à une pratique sociale permet de comprendre que les pratiques sexuelles : 1) visent l’atteinte de plusieurs objectifs; 2) sont influencées par la signification donnée par la culture et 3) sont socialement définies en termes de normalité et de déviance. Ainsi, la prévention pourrait n’être qu’un des objectifs à atteindre dans la sexualité, et la signification des pratiques sexuelles effectives pourrait être différente de celle qui est socialement postulée. Quant au troisième point, il interroge la place que devrait occuper la personne séropositive dans le champ de la prévention étant donné que la séropositivité tend à stigmatiser, à marginaliser (Dannecker, 2002; Lévy et al., 2002; Perreault, 1994).

Cette théorie est mise en lien avec l’autodétermination et la dialectique personne/environnement, deux principes du travail social. L’autodétermination renvoie à une conception où la personne est vue comme étant la mieux placée pour savoir ce qui lui convient (Biestek et Gehrig, 1978; Freedberg, 1989; Perlman, 1965), pour faire des choix et les élaborer (Weick et Pope, 1988), bien que certains contextes soient limitatifs à cet égard (Rothman, 1989). Les choix faits ne sont pas nécessairement les meilleurs ou les plus appropriés, mais le processus par lequel les personnes y parviennent peut servir pour l’intervention (Weick et Pope, 1988).

Quant à la lecture dialectique personne/environnement, elle met en évidence une réciprocité entre la personne et l’environnement dans lequel celle-ci évolue (Gordon, 1971; OPTSQ, 2001; Pardeck, 1996; Shulman, 1979), même si l’accent est parfois mis sur l’une ou l’autre de ces parties (Gordon, 1971). Cette dialectique permet de voir la personne comme étant active par rapport à elle-même et à son environnement. En retour, l’environnement influence la personne, l’incite à agir d’une certaine façon plutôt que d’une autre. Schwartz (1976) parle de la symbiose entre la personne et l’environnement pour rendre évidente leur interdépendance.

La conjugaison de ces principes du travail social avec les concepts provenant de l’interactionnisme symbolique permet la relecture suivante des variables influençant la prise de risque. Si la personne est perçue comme étant capable de s’autodéterminer, il est possible que les variables habituellement identifiées comme influençant l’usage du condom soient des choix préventifs faits par la personne. Par exemple, en guise de stratégies préventives, la personne peut choisir de dévoiler sa séropositivité ou d’éviter les partenaires sexuels occasionnels. Ses choix peuvent être motivés par différentes raisons, comme le fait d’être plus facilement conciliables avec d’autres objectifs présents dans la sexualité. Cette relecture interroge la signification sociale généralement dévolue aux comportements ici posés comme stratégies préventives. De plus, elle reconnaît aux personnes séropositives souvent marginalisées le pouvoir de choisir. Elle est aussi en harmonie avec le principe d’une dialectique personne/environnement en situant la personne en interaction avec son environnement. Pour leur part, les concepts de l’interactionnisme symbolique permettent d’intégrer l’ensemble des variables dégagées lors de la recension des écrits et d’opérationnaliser la dialectique personne/environnement.

Méthodologie

Il s’agit d’une recherche exploratoire réalisée auprès de personnes séropositives au VIH fréquentant des établissements montréalais spécialisés dans cette problématique. Les données ont été colligées de septembre 1998 à mars 1999 inclusivement à l’aide d’un questionnaire prétesté et auto-administré à questions fermées et ouvertes. Les réponses aux questions ouvertes ont été catégorisées, codifiées et enregistrées dans la banque de données avec les réponses aux questions fermées.

Dans cette recherche, les variables retenues sont les suivantes. Pour la dimension historique : des normes sociales influençant la prévention et des lieux de rencontre. Pour la dimension biographique : les pratiques sexuelles de la dernière année; les partenaires sexuels; la responsabilité de prévenir la transmission du VIH; les stratégies préventives utilisées; l’opérationnalisation des stratégies préventives; l’incidence de situations de vie sur la prévention; des connaissances; des données sociodémographiques et l’état de santé. Pour la dimension relationnelle : les pratiques préventives en fonction de la sérologie du ou de la partenaire; des situations de pouvoir (répondant dominant et répondant dominé) et des motivations sous-jacentes à la sexualité. Les stratégies préventives qui se retrouvent dans la dimension biographique sont subdivisées en sous-dimensions biographique (si elles ne concernent que la personne), relationnelle (lorsqu’elles sont nécessairement partagées) et historique (les lieux de rencontre).

Les analyses de corrélation et de régression linéaire ainsi que les analyses factorielles ont été effectuées à l’aide du progiciel SPSS 9.0. Seules les variables sexe et orientation sexuelle sont considérées pour l’ensemble des analyses. Les variables sexe, orientation sexuelle, état de santé, statut sérologique des partenaires, normes sociales et lieux de rencontre ont été considérées comme variables indépendantes dans les analyses de régression. Les variables pratiques sexuelles et stratégies préventives ont, tour à tour, été considérées comme variables dépendantes et comme variables indépendantes. Lorsque les stratégies préventives étaient considérées comme variables dépendantes, les pratiques sexuelles étaient considérées comme variables indépendantes et vice versa. Pour leur part, les analyses factorielles ont été menées pour les variables pratiques sexuelles et stratégies préventives. Seuls les résultats portant sur les stratégies préventives sont ici présentés selon la diversité de pratiques et de situations à l’intérieur desquelles ont lieu les pratiques sexuelles et préventives.

L’échantillon se compose de 69 hommes et 15 femmes. Soixante personnes ont des relations sexuelles avec des personnes du même sexe et 17 autres exclusivement avec des personnes du sexe opposé. Pour sept personnes, les données sur le sexe des partenaires sont manquantes.

Les stratégies préventives : une diversité de pratiques

Les personnes participant à l’étude utilisent en moyenne 3,70 stratégies préventives (min. 0 et max. 10). Une seule personne a indiqué ne jamais utiliser de stratégies préventives. Il n’y a pas de différence selon le genre ou l’orientation sexuelle dans le nombre de stratégies utilisées.

Tableau 1

Fréquence des stratégies préventives

Fréquence des stratégies préventives

1. La personne n’ayant pas utilisé de stratégies préventives au cours de la dernière année est exclue de cette analyse.

2. Pourcentage calculé à partir du nombre de personnes d’orientation hétérosexuelle sans les abstinents et les abstinentes (n = 17).

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Le premier tableau montre bien que les personnes modifient leurs pratiques sexuelles dans une visée préventive. Ces modifications consistent en l’évitement de certains comportements et en l’ajout (ou l’augmentation) de nouveaux. Le tableau révèle aussi que certaines stratégies sont utilisées, même si au moment de la recherche ces stratégies n’étaient pas largement promues. Par exemple, utiliser les jouets sexuels. De toute évidence, les participantes et participants à l’étude ont bâti leurs propres stratégies préventives, ce qui est également constaté dans d’autres recherches (Lévy et al., 2002). Finalement, notons que certaines des stratégies visent l’évitement de pratiques sexuelles à risque, tandis que d’autres concernent l’évitement de situations à risque (évitement de lieux de rencontre, non-usage de drogues ou d’alcool avant les relations sexuelles, etc.).

Des analyses factorielles ont été faites pour les stratégies préventives. La solution factorielle repose sur 12 stratégies. On peut voir (tableau 2) que le premier facteur explicatif, « augmenter les pratiques sexuelles à très faible risque », regroupe des stratégies préventives ayant une très faible incidence pour la transmission du VIH. Bien qu’il s’agisse de pratiques sexuelles, il semble que ces pratiques comportent aussi une visée préventive aux yeux des participants.

Tableau 2

Solution factorielle des stratégies préventives1

Solution factorielle des stratégies préventives1

1. Afin de faciliter la lecture du tableau, seules les données significatives sont indiquées.

2. Variance totale = 69,94 % et KMO = 0,589.

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Le deuxième facteur, « éviter l’alcool et les drogues », regroupe des stratégies relatives à des substances qui altèrent le jugement et incitent à courir davantage de risques. Aussi, pour plusieurs personnes séropositives, en dehors du fait que diminuer l’usage de l’alcool ou des drogues est une stratégie préventive pour la sexualité, la diminution de l’usage de ces produits fait partie des moyens pris pour « prendre soin » de leur santé.

Deux stratégies d’évitement composent le troisième facteur, « stratégie générale », qui représente, en fait, la diminution du nombre de partenaires et l’évitement de certains lieux de rencontre. Aucune précision n’est apportée quant au volume de diminution ou au type de partenaire. La deuxième variable de ce score factoriel est « éviter certains lieux de rencontre ». Tout comme pour diminuer le nombre de partenaires, ce choix est imprécis, d’autant plus qu’il n’est pas associé à l’évitement de certains partenaires, ce qui aurait pu apporter des précisions[2]. La définition retenue pour ce facteur est que la personne a eu une prise de conscience, mais que, les moyens à prendre pour qu’elle soit plus préventive n’étant pas encore bien définis, ils demeurent de l’ordre du général.

Le quatrième facteur, la « stratégie concrète », porte sur le fait d’éviter les pénétrations oro-génitales et d’éviter les partenaires occasionnels. Par comparaison avec les stratégies qui composent le troisième facteur, ces stratégies préventives sont mieux définies.

Le cinquième facteur, « utiliser le condom », est composé des variables « utiliser le condom » et « être abstinent ». Les personnes ont ainsi exprimé leur conception de l’abstinence qui n’exclurait pas toutes les pratiques sexuelles, mais uniquement celles qui nécessitent l’usage du condom.

Les stratégies préventives : une diversité de situations

À partir des analyses factorielles, mais aussi d’analyses de corrélation et de régression (tableau 3), deux profils de prévention dans la sexualité ont pu être dégagés. Ces profils ne sont pas exclusifs; certaines personnes font partie des deux profils[3]. Ils mettent en évidence un lien existant entre les personnes et leur environnement et ils ébranlent la vision unitaire pouvant être présente en sexualité préventive. D’autres recherches devront être effectuées pour les préciser davantage.

Tableau 3

Facteurs influençant les stratégies préventives

Facteurs influençant les stratégies préventives

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Le premier profil est associé à une sexualité furtive, composée de pratiques sexuelles à faible risque et des stratégies préventives « générale », « concrète » et « augmenter les pratiques à très faible risque » qui ont cours dans des contextes et des lieux davantage propices au risque. Par exemple avec des partenaires occasionnels, multiples, dans des lieux de rencontre anonymes. Le deuxième profil suggère une sexualité d’engagement où les pratiques sexuelles à risque (pénétrations vaginales et anales) priment (avec l’usage concomitant de stratégies préventives), avec des partenaires sexuels réguliers.

Ces résultats mettent en exergue que ce sont les contextes, plutôt que les pratiques sexuelles, qui seraient à risque. Par exemple, pour le premier profil, le caractère occasionnel est générateur de risque, d’autant plus qu’il incite peu les partenaires à s’informer de leur état sérologique (Huggins et al., 1991; Perry et al., 1994; Wolitski et al., 1998; Fortin et al., 1993; Fortin et Naccache, 1994). Pour le deuxième profil, certains auteurs mentionnent un lien entre engagement et prise de risque (Green, 1994; Holland et al., 1992; Rosenthal, Gifford et Moore, 1998) ou entre sentiment amoureux et prise de risque (Inf’OMEGA, 1998 et 1999). La prise de risque peut alors être vue comme un témoignage de confiance, d’engagement et de rapprochement (van der Straten et al., 1998; Green, 1994; VanDevanter et al., 1999). Il y a donc la nécessité de tenir compte de ces contextes dans la prévention et d’élargir notre vision des variables la composant ainsi que le permet l’interactionnisme symbolique.

Implications pour la prévention

À la lumière des résultats présentés, la relecture proposée semble pertinente pour élargir notre vision de la prévention. En effet, même si elles ne répondent pas toujours aux définitions « classiques » du comportement préventif, les stratégies préventives des personnes interrogées semblent cohérentes et adaptées au risque. Ainsi, les personnes recourent à un ensemble de stratégies préventives et, selon les situations où elles se retrouvent, les stratégies mises en oeuvre ne sont pas les mêmes. À travers une diversité de solutions alternatives pour les stratégies préventives, les pratiques sexuelles, les situations de vie, les interactions avec un éventail de partenaires sexuels et les lieux de rencontre, les personnes arrivent à faire des choix, à agir et à être préventives, bref à s’autodéterminer.

On ne peut passer sous silence le fait, mis en évidence par la recherche, que certaines personnes sont actives par rapport à leur environnement, puisqu’elles s’approprient les informations préventives disponibles et qu’elles les adaptent à leur réalité. Ces personnes ne font pas que se conformer aux messages préventifs : elles analysent leur scénario sexuel et déterminent le risque qu’il comporte, plutôt que d’appliquer des stratégies de manière uniforme. Le principe de la dialectique personne/environnement permet de comprendre que les personnes se sont approprié les informations préventives disponibles. Il oblige aussi à réfléchir à la façon dont l’environnement réagira à cette appropriation, car, dans sa définition, ce principe pose que la personne et l’environnement évoluent ensemble, rétroagissent. En d’autres mots, la prévention devra dorénavant se bâtir en tenant compte du fait que, d’une certaine manière, les personnes sont déjà préventives. Le défi consiste alors à les amener à l’être encore davantage en misant sur leurs acquis. Les interventions peuvent être menées sur une base individuelle, mais aussi sur la base de programmes de prévention. L’important semble être de laisser une place de choix à la personne, pour lui permettre d’apporter au programme ou à l’intervention, en précisant les stratégies utilisées, les difficultés rencontrées et les enjeux associés. Tout en contribuant, pour la personne, au sentiment d’avoir du pouvoir, cette façon de procéder permet au message préventif d’évoluer, de s’ajuster à la réalité. Comme le laissent entendre les deux profils sur la sexualité qui doivent être davantage documentés, le risque évolue, passant des pratiques à risque aux contextes à risque. Les contextes à risque interpellent la diversité en matière d’interventions préventives, car ces contextes ne se situent pas en vase clos. Plusieurs personnes peuvent y être exposées, certaines en seront affectées dans leurs pratiques sexuelles et stratégies préventives, d’autres pas. Ainsi que le précise Empey, « […] society is not organized by a monolithic set of conventional values on which there is universal consensus. Rather, all people are exposed to deviant as well as conformist traditions » (1982, p. 214).

Cet article débutait en exposant la situation eu égard au VIH et à la prévention à la fin des années 1990. Même en 2003, le VIH demeure une réalité complexe et difficile (Dannecker, 2002; Lévy et al., 2002). Au Québec, comme ailleurs en Amérique du Nord, les gens meurent beaucoup moins du sida, le taux de mortalité y ayant baissé de 81 % entre 1995 et 2001 (Turmel et Desrochers, 2002, p. 22). Les personnes séropositives sont souvent soumises à des multithérapies médicamenteuses. Ces thérapies ont des effets iatrogènes importants (et parfois létaux) qui constituent d’autres atteintes à la qualité de vie des personnes séropositives (Dannecker, 2002; Lévy et al., 2002). La prévention s’avère donc toujours de mise.

Conclusion

La perspective explorée dans cette recherche à l’effet d’élargir notre façon de concevoir la prise de risque et la prévention, eu égard aux comportements sexuels à risque de transmission du VIH, semble prometteuse. La recherche a été réalisée auprès de personnes vivant avec le VIH. Ces personnes contribuent de multiples façons à la prévention. Plus précisément, les personnes séropositives ne font pas qu’appliquer la prévention, elles semblent se l’approprier et l’adapter à leur réalité : aux partenaires avec qui elles interagissent et aux situations où elles se trouvent. Dans l’avenir, il serait enrichissant de les inclure davantage dans la réflexion sur la prévention. Leur participation à cette réflexion est susceptible de les influencer, tout en étant une contribution directe à la prévention dont le message doit constamment évoluer et s’adapter aux nouvelles réalités.

Au lieu de chercher la variable qui expliquerait la prise de risque, la perspective explorée ici a permis d’intégrer l’ensemble des variables connues comme influant sur la prévention pour en faire un tout cohérent, qui a du sens. L’interactionnisme symbolique qui s’intéresse à la sexualité, du moins certains de ses concepts, semble une façon de participer au renouvellement de la prévention, car cette théorie intègre les dimensions individuelle, relationnelle et sociale de la sexualité. Ces dimensions sont reconnues comme inhérentes à la sexualité (Dorais, 1994; Langfeld et Porter, 1986, dans LLCM, 1997; Van Campenhoudt et al., 1994). De plus, cette théorie présente des liens qui rejoignent des principes du travail social, ce qui facilite le transfert et l’appropriation des connaissances pour l’intervention.

Aussi, ces résultats s’inscrivent dans la tendance à définir la prévention en matière de VIH et d’autres problèmes comme étant l’appropriation du pouvoir (Blanchet, 2001; Fréchette, 2002), la santé sexuelle (Santé Canada, 1999; Otis, 1996), la promotion de la santé (MSSS, 1999) ou la réduction des méfaits (Chayer et al., 1997; Hamel et al., 2002). Cette convergence encourage à documenter cette perspective tant par d’autres recherches que par l’intervention. Les initiatives futures sont d’autant plus importantes que les données disponibles sur le VIH-sida mettent en évidence qu’un nombre considérable de personnes sont touchées par ce virus, même au Québec où, à la fin de 1999, 16 400 personnes vivaient avec le VIH dont 1 400 auraient été infectées dans la dernière année (Turmel et Desrochers, 2002, p. 11).