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Le paludisme, et principalement l’infection par Plasmodium falciparum, reste une des causes majeures de morbidité et de mortalité dans le monde, responsable de la mort de près de deux millions d’individus chaque année, surtout en Afrique subsaharienne. La complexité de cette maladie et le développement progressif de résistances aux différents traitements expliquent la multiplicité des démarches : on cherche à comprendre et à définir un point d’impact thérapeutique. La périodicité des accès fébriles - tous les trois jours dans le cas de P. falciparum - est une caractéristique de la maladie. La possibilité que la fièvre puisse agir sur le développement du parasite a été évoquée depuis longtemps au vu d’une synchronisation de la croissance quand les cultures étaient soumises à des élévations périodiques de température [1]. De plus, il a été montré que la fièvre induisait une cyto-adhérence du parasite au stade anneau dans le globule rouge infecté [2]. Dans un travail récent, une équipe de chercheurs indiens de Bangalore a étudié le mécanisme moléculaire mis en jeu dans cette action promotrice des accès fébriles sur le développement du Plasmodium [3].

Dans un travail antérieur, les mêmes auteurs avaient focalisé leur attention sur le rôle d’une protéine de choc thermique dans la croissance et le développement du parasite [4]. Ils se fondaient sur le rôle connu de la protéine Hsp90, en association avec d’autres protéines, chez les eucaryotes. Hsp90 est un chaperon impliqué dans les repliements conformationnels, mais contrôle aussi l’activité de facteurs de transcription et de protéine kinases. Comme chez les mammifères, la protéine homologue de Hsp90, PfHsp90, est incluse dans un complexe chaperon multiprotéique, dissocié par l’action de la geldamycine [4]. Les protéines de ce complexe ont pu être identifiées (lyse douce, suivie d’une immunoprécipitation par des anticorps contre PfHsp90, et électrophorèse bidimensionnelle). Les auteurs ont, comme cela était attendu, retrouvé un dimère de PfHsp90, la protéine PfHsp70, mais aussi deux autres protéines qui se sont révélées être (après digestion trypsique en gel) une protéine phosphatase 5 et une tubuline, dont l’interaction avec Hsp90 avait déjà été observée chez les mammifères [5, 6].

Chez Plasmodium, PfHsp90 intervenait-elle dans le cycle du parasite ? On a pu montrer une inhibition de la croissance du parasite par un antibiotique de la famille des benzoquinones, la geldamycine, en même temps qu’un site potentiel de fixation de cet antibiotique sur l’extrémité aminoterminale de PfHsp90. Une étude cristallographique antérieure, déterminant la structure d’un complexe Hsp90-geldamycine corroborait cette hypothèse [7]. Restait à préciser le rapport entre le rôle de PsHsp90 et le cycle de température du paludisme. Les auteurs ont reproduit en culture (voir le protocole sur la Figure 1) l’équivalent des épisodes fébriles observés à intervalles réguliers chez les malades : deux chocs thermiques à 40° C, séparés par un intervalle de 10 heures à 37° C, avaient-ils une influence sur la croissance du parasite ?

Figure 1

Reproduction en culture des épisodes fébriles observés chez les malades.

Reproduction en culture des épisodes fébriles observés chez les malades.

Les cultures sont synchronisées deux à quatre heures après l’invasion des érythrocytes. Quatre phases sont définies : les cultures sont soumises à un choc thermique à 40° C pendant les deux heures de la phase A, ramenées à 37° C pendant les dix heures de la phase B, soumises de nouveau à la température élevée à 40° C pendant les 12 heures de la phase C et, enfin, maintenues à 37° C pendant les 12 heures de la phase D. Les cultures 1 et 2 sont les témoins sans choc et avec un seul choc thermique ; la culture 3 subit deux chocs thermiques, respectivement de 2 et 12 heures ; la culture 4 subit les deux mêmes chocs thermiques, mais avec ajout de geldamycine au début du second choc thermique. Des prélèvements sont faits à intervalles réguliers pour suivre l’évolution du parasite. Sur ces prélèvements, la transition du stade anneau au stade trophozoïte par cytométrie de flux a été mesurée. Cette transition est indiquée par les astérisques bleues. L’augmentation de l’ADN au stade trophozoïte permet une différenciation très nette, vérifiée par colorimétrie.

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Dans les cultures témoins n’ayant pas subi le premier choc thermique, une chute massive du nombre de parasites est observée au cours du 2e choc thermique (de ~12 000/100 µl à ~ 2 000/100 µl) et le stade trophozoïte n’apparaît qu’à la fin de ce 2e choc thermique (12 heures). Aucune diminution, en revanche, n’est observée quand il y a eu le 1er choc thermique et l’évolution vers le stade trophozoïte est nette dès la sixième heure. Ces résultats suggèrent que le parasite est en quelque sorte « protégé » contre l’action de l’élévation de température. La question suivante était de savoir si cette transition accélérée avait pour conséquence un cycle infectieux plus efficace ? Après le 2e choc thermique, les cultures ont été ramenées à 37° C pour 12 heures ; l’augmentation du nombre de nouveaux parasites au stade anneau est deux fois supérieure quand il y a eu deux chocs thermiques successifs et non un seul, les épisodes fébriles « accélérant » le développement intra-érythrocytaire du parasite. Il n’est pas sans intérêt de noter que cette régulation du développement d’un parasite par la fièvre, et donc par un choc thermique, a déjà été observée chez Trypanosoma et chez Leishmania [8], mais n’avait pas été encore décrite pour Plasmodium. Une dernière étape de cette étude a été de comprendre le rôle des protéines de choc thermique en utilisant la geldamycine, inhibiteur spécifique de Hsp90, introduite dans les cultures au début du 2e choc thermique. La présence de l’antibiotique interfère avec une transition accélérée et se traduit par un retard du passage au stade trophozoïte, qui n’est observé qu’après 12 heures au lieu de 6. Cette observation confirme donc le rôle de PfHsp90 dans cette étape du cycle parasitaire qui n’est, cependant, pas inhibée, mais seulement retardée. Des résultats similaires ont été obtenus quand la phase B est étendue à 48 heures, simulant au mieux le paludisme à P. falciparum.

Le complexe chaperon multiprotéique incluant la PfHsp90 semble donc nécessaire pour « protéger » le parasite contre les élévations brutales de température. La spécificité clinique du paludisme - la fièvre récurrente à intervalles réguliers - est ainsi démontrée comme fondamentale dans son mécanisme pathogénique, puisque cette fièvre même stimule la croissance et le développement du Plasmodium. Les mécanismes en jeu, impliquant l’intégrité du complexe d’une protéine de choc thermique PfHsp90, pourront-ils suggérer un abord thérapeutique inédit ? Le besoin s’en fait sentir toujours davantage.