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Marcel Détienne avait exposé dans Comparer l’incomparable (2000) le projet qui prend ici l’allure d’un chantier riche et diversifié. L’art des hommes de faire assemblée, de discuter des affaires qui les touchent, de prendre des décisions pour tous est soumis à l’étude. Comment mettre en place des comparaisons fructueuses entre ces expériences venues de l’histoire ou des temps présents? Autant je profite dans ce livre de l’intérêt et de l’abondance des cas, autant je n’arrive pas à déceler les traces d’une mise en place de la comparaison. Il est sans doute trop tôt, d’autres études et les rencontres des spécialistes sauront probablement nous proposer le fruit de la comparaison. Heureusement, sans attendre, nous profitons ici d’études nouvelles d’anthropologie politique ou d’histoire, et le plaisir de l’érudition ne nous est pas épargné. Les historiens et les anthropologues présentent des cas récents (l’Afrique du Sud, les Ochollo d’Éthiopie, les Sénoufo de Côte d’Ivoire, les Tungaru des Îles Gilbert dans le Pacifique) ou anciens (les Cités grecques, le Japon médiéval, le Moyen Âge français, les Cosaques, les Circassiens, l’Italie du Moyen Âge dans les cités, l’Angleterre, le Moyen-Orient). J’ai surtout apprécié les chapitres de Andras Zempléni, par la précision de l’ethnographie et l’équilibre magistral de l’interprétation « Les assemblées secrètes du Poro sénoufo », d’Yves Schemeil, par le vif à propos de son travail dans le contexte actuel des tensions au Moyen-Orient « Entre le Tigre et le Nil, hier et aujourd’hui » et de Gabriella Rossetti, par sa tentative de trouver un ordre dans la progressive transformation du droit dans les cités italiennes « Entre Pise et Milan ». L’avant-propos de Rosanvallon offre l’équivalent d’une bonne recension de ce livre, je ne la mimerai pas ici.

Détienne m’a surpris par ses conclusions semblant dire qu’il est encore trop tôt pour se lancer dans des comparaisons fructueuses entre les expériences rapportées dans les travaux publiés. Il faut, dit-il en somme, continuer à accumuler les faits, les études de cas détaillées – je me suis même demandé s’il ne s’agissait pas d’un retour à Gurvitch quand il promouvait l’interminable description empirique comme gage du savoir des sciences sociales. Ce livre se distingue par son projet et ses études de cas beaucoup plus que par des réflexions comparatives quasiment absentes. On s’attendait pourtant à cette réflexion puisqu’on nous présentait ce livre comme la mise en oeuvre d’un projet développé dans Comparer l’incomparable (2000).