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Le thème de la mondialisation est de plus en plus présent dans la littérature scientifique et les analyses proposées ne manquent pas de diversité. Le présent volume nous livre une autre vision des choses. Il remet en question les thèses présentées dans Empire (Michael Hart et Antonio Negri, Empire, Cambridge, ma, Harvard University Press, 2000), un ouvrage dans lequel les auteurs affirment que le capitalisme mondial fonctionne maintenant comme un « empire » autonome gouverné uniquement par le marché et la firme multinationale, indépendamment de tout intérêt national spécifique. Il n’y a plus d’État mais un gouvernement mondial composé des dirigeants des ifi, de l’omc et des firmes multinationales (fmn). De telles déclarations sont vigoureusement dénoncées par Petras pour qui la configuration actuelle du pouvoir dans l’économie mondiale n’est pas basée sur des entreprises sans « État » ou « mondiales », mais sur des entreprises multinationales qui travaillent en étroite synergie avec leurs États « impériaux » qui sont : les États-Unis – où se trouvent 50 % des sièges sociaux des plus grandes firmes multinationales –, l’Union européenne et le Japon.

Petras, d’obédience marxiste, déplore le fait que les théoriciens de la mondialisation s’en tiennent le plus souvent à l’épiphénomène, soit l’expansion outre frontière des entreprises nationales. Pour lui, le concept-clé n’est pas la mondialisation mais l’impérialisme; le néolibéralisme est un mythe car les États impériaux n’ont jamais complètement ouvert leurs marchés, éliminé les subventions ou manqué d’intervenir pour protéger leurs secteurs économiques stratégiques. Il lui paraît donc important de tenir compte des liens que ces firmes entretiennent avec des entreprises mondiales dont les décisions stratégiques sont contrôlées depuis les sièges sociaux de l’État impérial.

Cet ouvrage comporte onze chapitres dont le premier présente une synthèse de la pensée de l’auteur. Les chapitres 2, 3, 4, 5 et 6 concernent divers aspects de la problématique dont la place et le rôle des États-Unis dans l’évolution de l’économie mondiale, le rôle de l’État contemporain et l’illusoire révolution informatique.

Devant un certain déclin des relations commerciales avec l’Union européenne et le Japon, les États-Unis ont utilisé diverses approches – politique, militaire ou diplomatique – pour assurer leur domination économique en Amérique latine, seule région où ils maintenaient une balance des paiements positive (chap. 2). Par ailleurs, pour contrer un déclin relatif de leur influence dans le monde, ils ont développé deux stratégies complémentaires : le Plan Colombie/Initiative andine et la zléa. Il faut dire que cette dernière ressemble davantage à un système mercantiliste destiné à recoloniser l’Amérique latine qu’à un accord de libre-échange (chap. 6). Enfin, pour combler leur insoutenable déficit commercial, les États-Unis – loin d’être à l’avant-garde de la lutte contre le narcotrafic, le blanchiment d’argent et la corruption politique – profitent abondamment de ces transactions douteuses très lucratives (chap. 3).

Dans la conjoncture actuelle, le rôle de l’État devient de toute évidence indispensable à l’expansion des firmes multinationales puisque les accords commerciaux sont tous négociés, mis en application et modifiés par lui (chap. 4). C’est donc une expansion politique, économique et militaire qui a créé le nouvel ordre impérial mondial dominé par les États-Unis et, à un moindre niveau, l’Union européenne. Pour l’auteur, il apparaît clairement que la troisième révolution scientifique et technologique n’a engendré ni la mondialisation ni la « nouvelle économie » bâtie en grande partie sur une activité spéculative sans fondements solides, la bulle informatique qui s’est effondrée depuis (chap. 5).

Les chapitres 7, 8 et 9 présentent trois études de cas dont deux réalisées avec la collaboration de Henry Veltmeyer.

La première étude concerne quatre mouvements sociaux de paysans et travailleurs sans terre contemporains : le mst au Brésil, les farc en Colombie, la conaie en Équateur et l’ezln au Mexique. La deuxième se concentre sur le Mouvement des sans terre au Brésil. Dans les deux cas, les auteurs ont considéré la forme de leadership de ces mouvements. Ils concluent qu’une analyse de classe reconstituée, centrée sur les facteurs structuraux et les formes de lutte politique fournit encore l’approche la plus utile à la compréhension des dynamiques de changement social et de développement dans le secteur rural de la société latino-américaine.

La troisième étude se rapporte au Mouvement des chômeurs urbains en Argentine (mtd). Après des décennies d’abus de pouvoir, les pauvres urbains se sont mobilisés pour obtenir des emplois, du crédit et des services publics. Selon Petras, la force de leur organisation contredit certaines thèses voulant qu’ils soient incapables de défier le pouvoir politique en place en raison de leur éparpillement et de leur isolement des principaux secteurs de l’économie.

Le chapitre 10 aborde le sujet des ong. Après avoir reconnu le rôle actif que plusieurs ont joué et continuent de jouer contre la mondialisation, l’auteur suggère qu’elles démocratisent davantage leurs structures, augmentent leur financement populaire, aient des activités plus stratégiques, proposent des alternatives sociales et démocratiques, informent la population et l’engagent à poser des actions politiques conséquentes.

Le dernier chapitre se présente comme une conclusion. Une analyse historique nuancée de la gauche politique du précédent demi-siècle montre des divisions profondes entre les défenseurs du néolibéralisme et ceux qui ont activement travaillé à développer des alternatives socialistes ou autres. Sur le plan des idées, Petras constate qu’il existe des réponses aussi nombreuses que variées à l’impérialisme. Une gauche en émergence poursuit la réflexion et la pratique amorcées au cours du dernier demi-siècle. Même s’il reste beaucoup à faire, particulièrement dans le champ de la clarification idéologique, l’auteur estime que beaucoup a déjà été accompli comme, par exemple, le fait d’avoir diagnostiqué l’empire, mis en lumière ses faussetés et éveillé de nouveaux mouvements radicaux.

Impossible de lire cet ouvrage sans être questionné par son contenu, qu’on soit d’accord ou non avec certaines idées émises, ennuyé par l’emploi d’épithètes peu conformes aux usages académiques ou le rejet de tout ce qui ne relève pas de l’orthodoxie marxiste. Il existe heureusement diverses façons d’appréhender un phénomène, ce qui permet d’en apprécier davantage les richesses et les lacunes. Dans ce sens, l’analyse globale de la société qui est présentée permet une lecture différente de la mondialisation. Autre domaine d’intérêt : l’ouvrage est polyvalent. On y trouve des analyses théoriques situées par rapport à d’autres, des études de cas de mouvements issus de la base et dirigés par ses propres membres. De plus, en cours d’écriture, l’auteur questionne le rôle des intellectuels et des organisations de la société civile dans la dynamique sociale actuelle. À noter qu’en plus de la bibliographie, il y a un index, ce qui s’avère toujours très utile.

Tous ceux et celles qui enseignent la théorie ou qui oeuvrent dans le domaine du développement international auront intérêt à lire ce volume en parallèle avec les autres études sur la mondialisation de l’économie néolibérale.