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Cet ouvrage collectif divisé en dix chapitres est d’un grand intérêt pour tous ceux qui s’intéressent au processus d’élaboration de la politique étrangère dans les pays en développement. L’ouvrage est d’une grande qualité scientifique et offre une valeur ajoutée non négligeable à la littérature. L’apport est d’autant plus important que ce domaine d’étude n’a été que très peu exploité par les spécialistes de relations internationales et de politique étrangère. Il se présente donc comme un travail complémentaire par rapport à ces approches. Cependant, contrairement aux analystes de relations internationales, qui développent une approche macro, les auteurs optent pour une analyse qui se situe au niveau micro. Par conséquent, ils se focalisent sur les structures internes et prennent moins en considération les facteurs systémiques ce qui rend plus pertinent les cas empiriques étudiés et les modèles proposés. Il existe un consensus sur le fait que l’éventail des choix à disposition des décideurs est plus réduit dans les pays en développement mais cette explication n’est pas suffisante. Les auteurs cherchent donc à aller au-delà des explications traditionnelles et à proposer des modèles propres aux pays étudiés. Pour mener à terme cette tâche, ils privilégient la recherche de complémentarité entre les différentes approches ce qui permet d’incorporer certains éléments de relations internationales, d’économie politique internationale, de politique étrangère traditionnelle ou encore d’analyse sociétale. En se basant sur une littérature scientifique sérieuse, les auteurs tentent de repérer tous les facteurs explicatifs qui permettent de mieux cerner la politique étrangère spécifique aux pays en développement. À cette fin, une excellente revue de la littérature est proposée en tenant compte des travaux qui ont été développés par des analystes originaires de pays de l’hémisphère sud. En outre, des études de cas très détaillées sont présentées en insistant sur les défis qui se présentent pour ces pays notamment la mondialisation, la multiplication du nombre d’acteurs souhaitant participer à l’élaboration et à la mise en oeuvre de la politique étrangère, ainsi que l’asymétrie qui caractérise les négociations internationales. Le livre offre un excellent équilibre entre travaux conceptuels et applications empiriques.

Constatant qu’il existe de moins en moins de distinction entre la sphère nationale et internationale, les auteurs soulignent la nécessité de prendre en compte le lien étroit entre les deux niveaux. Cette approche accentue la pertinence des analyses qui sont proposées puisqu’à elles seules les préoccupations nationales ne peuvent expliquer la politique étrangère. Les auteurs s’accordent pour dire que cette dernière reste entre les mains de l’État, qui s’impose comme acteur intermédiaire, mais ils soulignent qu’il faut considérer la participation et l’influence croissante d’entités institutionnelles internationales, sous-régionales ou régionales dans l’élaboration de la politique étrangère. En ce sens, l’approche qu’ils privilégient illustre la tendance qui prévaut dans la littérature où l’accent est de plus en plus mis sur l’importance des acteurs nationaux, de la société mondiale ou encore des forces transnationales (civiles ou non). Le rôle de l’État, qui doit partager de plus en plus son espace de décision, évolue sous l’effet de l’action de ces acteurs qui cherchent à modifier l’environnement à la fois national et international. Par conséquent, les enjeux de la politique étrangère des pays en développement étant plus diffus, l’ouvrage cherche à apporter une explication sur cette nouvelle réalité. C’est le cas de Persaud (chap. 4) qui souligne la nécessité de reconceptualiser l’approche pour prendre en considération l’impact de la mondialisation sur le comportement de ces pays.

Braveboy-Wagner et Snarr (chap. 2) et Grovogui (chap. 3) offrent une réflexion de base sur les théories portant sur les pays en développement. Le chapitre 2 est à l’image de l’ouvrage dans la mesure où il cherche à identifier les approches théoriques pertinentes et utiles pour mieux comprendre les stratégies de politique étrangère. Il s’attarde notamment sur les limites explicatives des courants réaliste et libéral (théories générales de relation internationale) puisqu’ils ne disposent pas de bases suffisantes pour pouvoir étudier les facteurs nationaux ou transnationaux et ne peuvent donc pas servir à l’analyse des influences sociétales. Braveboy-Wagner et Snarr estiment que les théories critiques, comme la théorie de la dépendance ou celle du Système Monde, sont intéressantes pour mettre en lumière la position des pays en développement dans la hiérarchie mondiale, mais elles restent trop basées sur des considérations structurelles et de déterminisme économique. Concernant la littérature sur la prise de décision, la plupart des études se sont peu intéressées aux dynamiques propres aux pays en développement compte tenu des difficultés de recherche et de la complexité en vue d’une opérationnalisation. Finalement, pour les deux auteurs, les études qualitatives sont plus prometteuses que celles qui ont un caractère plus quantitatif ou empirique.

Les chapitres suivants présentent des conceptualisations variées de politique étrangère puisque chacun traite d’une région spécifique. Les auteurs reconnaissent que les stratégies nationales, qui cherchent à défendre les objectifs de politique étrangère, varient d’un pays à l’autre compte tenu des divergences d’intérêts. L’analyse contextuelle régionale, voire sous-régionale, est donc privilégiée pour mieux comprendre la réalité. En effet, comme le mentionne Serbin dans son analyse de l’influence de la société civile en Amérique latine (chap. 7), l’agenda d’un acteur pris dans un contexte régional n’est pas nécessairement le même qu’au niveau global ou dans une autre région. Dans un contexte post guerre froide, il existe plus que jamais une fragmentation du groupe des pays en développement, ou global south comme le nomme Braveboy-Wagner, et les priorités de politique étrangère sont de plus en plus différentes en fonction des États. Lentner (chap. 10) rend compte de cette tendance et préconise une analyse exhaustive des pays analysés avant d’entreprendre une étude comparative. Pour lui, il faut éviter à la fois de se baser sur des catégories dans lesquelles les pays en développement entrent facilement et de généraliser à partir d’un seul cas.

La région latino-américaine est étudiée à la fois par Serbin (chap. 7) et par Giacalone (chap. 8). Cette dernière s’intéresse au poids des intérêts du secteur des affaires dans l’élaboration des stratégies nationales. Le monde arabe est traité par Ould Mohamedou (chap. 5) qui met l’accent sur l’importance que l’on doit accorder à la compréhension du rôle de l’État qui a longtemps été effacé au profit d’études sur l’analyse du processus de prise de décision. La région africaine est analysée par Adogamhe (chap. 6) qui propose une étude sur les politiques étrangères mises en oeuvre et qui développe un modèle visant à établir une relation entre l’économie politique et le processus de prise de décision dans un cadre comparatif. Braveboy-Wagner (chap. 9) porte son attention sur le débat académique concernant le statut des États de petite taille, souvent négligés dans la littérature, et tente de conceptualiser leur politique étrangère au travers d’un modèle simple. Malgré ces approches régionales, les auteurs cherchent dans la mesure du possible à généraliser leur modèle à l’ensemble des pays en développement au travers de comparaisons régionales ou alors nationales.