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Ce livre est le douzième paru depuis 2001 dans la collection Géosciences, dirigée par la Société géologique de France. Seul le sigle SGF au bas de la couverture signale au lecteur la participation de la Société. Les auteurs sont des hommes de terrain bien connus dans les mondes de la géologie et de la télédétection. L’auteur principal est professeur à l’Université Pierre-et-Marie-Curie (Paris VI) et un des premiers utilisateurs de la télédétection en cartographie géologique et le co-auteur est professeur à l’Université Michel-de-Montaigne (Bordeaux III).

Avant l’utilisation des cartes topographiques, lever une carte géologique pouvait être l’oeuvre pratiquement d’une vie. Le même travail pouvait prendre quelques décennies avant l’utilisation des photographies aériennes et plusieurs années avant l’utilisation des images satellitaires, alors qu’il ne requiert maintenant qu’une année ou deux, incluant les vérifications sur le terrain. Il s’agit là d’une vision un peu simpliste, mais proche de la vérité. En effet, l’avènement de la télédétection satellitaire permet maintenant d’obtenir une vision générale des objets à interpréter sur tout le territoire à cartographier, ce qui facilite le travail de vérification sur le terrain. Même si le numérique permet aussi de faire des corrections générales sur la carte au fur et à mesure des interprétations, le travail de terrain demeure encore essentiel.

Outre une courte conclusion sur les perspectives et une liste de plus de 200 références, l’ouvrage comprend six chapitres, mais ne comporte pas d’introduction, l’avant-propos y suppléant en partie. L’agencement des chapitres est remarquablement pédagogique puisque l’on établit d’abord la démarche en cartographie géologique et géomorphologique et que l’on définit ensuite les objets à interpréter et leurs caractéristiques sur les images, ce qui permet de choisir les données de télédétection et les traitements les plus appropriés. On termine par la façon d’analyser et d’interpréter les images en fonction du type de carte voulu.

Dans le premier chapitre, qui porte sur la démarche, on identifie les instruments de travail (données topographiques, instruments de positionnement comme le GPS, référentiels géographiques comme les SIG), on explique la façon dont sont levées les cartes géomorphologiques et géologiques, on présente le rôle de la télédétection au sens large (incluant celui de la photographie aérienne) et son application au domaine en cause et on traite de la question de l’intégration des données dans les SIG. L’historique de la photographie, de la photographie aérienne, de l’aéronautique et de la télédétection satellitaire qu’on y présente (4 p.) est intéressant, mais c’est en partie une digression.

Dans le deuxième chapitre, les objets à interpréter sont classifiés et décrits avec des exemples. Ils sont séparés en objets non structuraux, identifiés aux objets géomorphologiques, et structuraux, identifiés aux objets géologiques. Certains géomorphologues structuraux pourraient de prime abord sursauter face à une telle distinction, mais celle-ci a trait aux processus, les externes étant opposés aux internes. Les objets non structuraux sont eux-mêmes divisés en objets élémentaires (qui peuvent être représentés par une fonction mathématique), comme les pentes, et en objets composés, telles les formes dérivées des processus biochimiques, gravitaires, fluviatiles, éoliens, glaciaires et littoraux. Les objets structuraux sont aussi divisés en objets élémentaires (traces lithologiques, formations lithostratigraphiques, pendages, diaclases et failles) et composés (plis, zones de failles, charriages, chevauchements, discordances, objets magmatiques, objets métamorphiques, impacts météoritiques, linéaments et cycléaments). Contrairement aux objets structuraux, les objets géomorphologiques sont trop succinctement présentés pour qu’on puisse s’en servir pour établir une carte géomorphologique complète ; cette section aurait avantage à être enrichi dans une deuxième édition.

Dans le troisième chapitre, qui porte sur le choix des données, on énumère d’abord les caractéristiques des principaux capteurs et des données optiques (photographies ou images multibandes aériennes ou spatiales) et radar. On présente ensuite les possibilités de choix de capteurs ou de combinaison de capteurs en fonction de la relation qualité/prix, de choix de bandes en fonction de la signature spectrale des objets et de choix d’échelle ou de résolution spatiale des photographies ou des images en fonction de la dimension des objets. On ne traite cependant pas des photographies ou des images vidéographiques, qui commencent à être de plus en plus utilisées en cartographie géomorphologique dynamique, bien qu’elles soient signalées dans le premier chapitre.

Les images ou les photographies numérisées sont d’abord mises en forme, recalées géométriquement, géocodées et corrigées radiométriquement et corrigées de l’atmosphère avec des logiciels standards. On peut ensuite traiter les images en fonction des besoins spécifiques : 1) optimisation de la dynamique au moyen du traitement de la luminance ; 2) caractérisation des signatures spectrales au moyen du traitement de la distribution spectrale (images composées, analyse en composantes principales, classifications, segmentation et fusion de données) ; 3) analyse des textures par filtrage, analyse texturale automatique ou analyse fractale ; 4) analyse des formes, à partir des modèles numériques d’altitude (MNA), au moyen de la géothermométrie, de la reconnaissance automatique de formes (approches paramétrique, stochastique, structurale directe et structurale syntaxique), dont les pendages, pour éliminer les irrégularités du relief et la morphologie mathématique ; 5) traitement du contexte, qui relève des systèmes experts encore en voie de développement. Le chapitre se termine sur le choix des traitements à faire en fonction des besoins et l’ordre dans lequel ils doivent être faits.

Le cinquième chapitre porte sur l’analyse et l’interprétation des images. Les auteurs font bien la distinction entre la téléanalyse et l’interprétation des images, la première relevant du « technicien » de la télédétection et l’autre, du photointerprète. On distingue les téléanalyses statistique (analogie forme-objet), restreinte (identification de certaines catégories d’objets seulement), compréhensive (identification de tous les objets), synthétique (représentation simplifiée à petite échelle) et multidate (détection des changements). Malgré la grande expérience des auteurs, la section sur l’interprétation est vraiment déficiente. Si, au moins, on y avait présenté la démarche intellectuelle classique, que nombre de jeunes télédétecteurs ne connaissent même pas, n’ayant que peu ou pas interprété de photographies aériennes. Le chapitre se termine sur l’intégration des données dans les SIG surfaciques et volumiques.

Le dernier chapitre porte sur l’utilisation des produits de la télédétection et des types de cartes qui en dérivent en géologie et en géomorphologie. Pour effectuer une bonne cartographie géologique ou géomorphologique, la carte topographique est nécessaire ; dans les régions pour lesquelles cette carte est inexistante ou comporte une échelle trop réduite ou peu fiable, les données de télédétection peuvent pallier les lacunes au moyen d’un MNA. L’imagerie permet, par exemple, d’aider à mettre à jour plus rapidement les cartes anciennes, de formuler des hypothèses avant d’aller sur le terrain pour établir la cartographie détaillée et de fournir un cadre d’ensemble à l’établissement de la cartographie régionale. Cependant, pour cartographier les secteurs complexes ou obtenir une cartographie très détaillée, rien ne remplace le travail de terrain qui s’appuie sur des photographies aériennes. Le chapitre se termine sur l’utilisation des principales cartes thématiques qui peuvent être créées à partir de la cartographie géologique, soit celles de fracturation, de linéaments, de cycléaments, hydrogéologiques, géochimiques ou de risques potentiels. Le cas des dernières est cependant trop peu développé et on le relie à la cartographie géomorphologique.

Quant à la présentation, cet ouvrage est un produit hybride dont le résultat ne me semble pas très heureux. En effet, le lecteur ne peut consulter le livre sans devoir visionner en même temps le CD-ROM qui contient les figures car celles-ci, bien qu’elles soient positionnées dans le livre, y sont toutes en noir et blanc et trop réduites pour qu’on puisse les lire ; on doit donc nécessairement être à son poste de travail pour le faire. De plus, le CD-ROM ne comprend pas toutes les instructions nécessaires à sa consultation. Ainsi, à l’ouverture du CD, les figures sont illisibles. L’effet zoom n’étant pas disponible, il faut avoir la présence d’esprit de cliquer sur les figures elles-mêmes pour les rendre lisibles.

Enfin, certains des documents cités ne figurent pas dans les références, comme par exemple Werth (1996) (p. 21). De plus, certaines références comportent des erreurs et d’autres sont incomplètes.

En conclusion, abstraction faite du problème des figures et du coût élevé de l’ouvrage, il est le mieux fait que je connaisse en ce qui a trait à la cartographie géologique. C’est aussi un des rares manuels de télédétection où l’on sent la maîtrise du photointerprète et non pas seulement du « technicien ». La cartographie géomorphologique, elle, reste encore à être développée : ce sera probablement pour une prochaine édition.