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Michel Seymour nous propose un livre important et valable de philosophie politique appliquée aux questions nationales canadienne et québécoise. En commençant avec des définitions claires et soigneuses de concepts fondamentaux comme l’identité et la nation, il présente des réflexions sur la nation québécoise. Il postule que celle-ci diffère d’une façon significative de la nation canadienne. Compte tenu des caractéristiques de la nation québécoise, il soutient qu’il existe deux voies pour assurer son développement : la construction d’un État canadien multinational et la réalisation de la souveraineté politique du Québec en partenariat avec le Canada. D’une façon convaincante, il montre que la probabilité de réforme du fédéralisme canadien en un État multinational reste très faible à cause du manque de vision, de respect pour la nation québécoise, et de bonne volonté des leaders politiques au palier fédéral (et, peut-on ajouter, de la plupart des leaders provinciaux en dehors du Québec). Par conséquent, l’auteur conclut que demeure un besoin pressant de trouver un accord au Québec sur les meilleures stratégies pour la réalisation de la souveraineté.

Le premier chapitre introduit la notion d’identité : comment se définit une personne. L’auteur soutient que l’identité québécoise prend de plus en plus la forme d’une identité civique qui comprend une adhésion aux principes démocratiques fondamentaux, une langue publique commune, le français, une culture politique commune portée par un ensemble d’institutions, et une histoire politique commune. À ce propos, il introduit le concept de nation sociopolitique : « un certain type de communauté politique composée, sur le plan sociologique, d’une majorité nationale, de minorités nationales et de citoyens d’autres origines nationales » (p. 26). Plus tard, M. Seymour ajoute le concept de « nation minoritaire » pour tenir compte des 11 nations autochtones vivant au Québec. L’existence de cette nation sociopolitique veut dire que l’identité civique est aussi une identité nationale au Québec (sauf peut-être pour les autochtones qui semblent avoir une identité civique québécoise et une identité nationale autochtone).

Le deuxième chapitre pousse plus loin le concept de nation en tentant d’aller au-delà de la dichotomie civique / ethnique qu’on observe souvent dans les débats politiques. Dans ce but, il introduit un certain pluralisme conceptuel en offrant cinq conceptions de la nation : des nations ethniques, civiques, culturelles, diasporiques et sociopolitiques. À son avis, la nation québécoise est une nation sociopolitique, c’est-à-dire une nation civique qui inclut « parmi ses membres une majorité d’individus qui ont une langue, une culture et une histoire en commun et il doit s’agir de la concentration la plus importante de ces individus dans le monde » (p. 76). On appelle une telle majorité « une majorité nationale ». Outre cette majorité nationale, la communauté politique peut comprendre des minorités nationales (des Anglo-Québécois), des communautés d’autres origines nationales, et des nations minoritaires autochtones. Dans ce sens, la nation sociopolitique est « pluriculturelle ».

Par contraste avec la nation québécoise, la nation canadienne est, selon l’auteur, une nation civique et sociopolitique, parce que « les Canadiens ne conçoivent pas leur nation comme étant composée d’une majorité nationale anglophone » (p. 86). Leur identité vient d’une adhésion à un pays ou à un État. « L’existence d’une forte majorité anglo-canadienne n’est pas un trait constitutif de leur identité nationale » (p. 87). En se basant sur cette analyse, l’auteur affirme que la reconnaissance politique de la nation sociopolitique québécoise n’existe pas encore au Canada. Il ajoute que cette reconnaissance peut venir de la création d’un véritable État multinational canadien (voir les pages 94-96 pour les critères nécessaires) ou de la réalisation de la souveraineté politique. Les chapitres qui suivent examinent le fédéralisme actuel, le bilinguisme, le multiculturalisme, l’avis de la Cour suprême sur la sécession du Québec, la loi sur la « clarté », et le partitionnisme pour démontrer l’intransigeance canadienne face au Québec. Le dernier chapitre tient compte de cette analyse, discute les propositions de Jean-François Lisée et d’Alain Dubuc pour sortir de la situation, puis offre d’autres voies pour réaliser soit un État multinational (moins probable) ou la souveraineté.

Tout en acceptant l’analyse de l’auteur et en reconnaissant la clarté et la précision de la présentation, je veux ajouter un seul mot pour aider à comprendre son intransigeance. Il me semble que la plupart des Canadiens en dehors du Québec ont une vision sociopolitique et pas seulement une vision civique de la nation canadienne. Pour employer la définition de la nation sociopolitique de M. Seymour, ils s’identifient à une nation canadienne qui inclut une majorité d’individus parlant une des deux langues, soit l’anglais, soit le français, et ayant une culture et une histoire en commun, et il s’agit bien de la concentration la plus importante de Canadiens et de Canadiennes dans le monde. En ce sens, pour les Canadiens en dehors du Québec, les Québécois ne sont ni une minorité nationale ni une nation minoritaire. Plutôt, ils sont membres de la majorité nationale.

Il est vrai que cette vision de la nation canadienne reflète une méprise profonde sur l’identité nationale et le nationalisme québécois. Cette méprise vient du soi-disant « dialogue de sourds » qui persiste encore entre les deux communautés, peut-être même plus fortement qu’auparavant. Il vient aussi d’un manque de leadership du fédéral depuis l’arrivée de Pierre Elliott Trudeau au pouvoir en 1968. On peut parler d’un manque de leadership aussi de la part du provincial pendant la même période. Depuis lors, ces leaders politiques ont soutenu des concepts de nation, d’identité et de l’État fondés sur l’ethnicité, concepts qui datent du XIXe siècle et ne tiennent aucunement compte de la situation actuelle mondialisante et pluralisante.

Cette différence entre les conceptions de M. Seymour et les miennes ne change rien à son analyse de la situation politique. La reconnaissance de la nation québécoise reste possible seulement si les personnes hors du Québec et les personnes sur le territoire québécois s’accordent soit sur la création d’un État multinational, soit sur un partenariat de souveraineté-association. Ce qui signifie que le fossé politique entre les deux communautés est même plus grand que M. Seymour ne le pense. Si cela est véridique, la possibilité de créer un État multinational au Canada est encore plus mince que jamais. La souveraineté politique devient presque la seule vraie option politique.